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Monopole officinal : les origines du serpent de mer

Publié le 16 mars 2024
Par André Borg
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Au cours de quatre siècles d’existence, le monopole officinal français s’est bâti sur l’autel des croyances, des coutumes, des épidémies et des scandales, qui aujourd’hui encore relève d’un fort particularisme. Mais, comme le dit le proverbe, « pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient ». Voici donc le premier épisode d’un vieux serpent de mer qui a récemment ressurgi !

 

Au XIIIsiècle, les apothicaires se formaient sur le tas et n’étaient que des commerçants. Au XVIIIe siècle, ils deviennent « maîtres d’art en pharmacie » en s’appuyant sur de solides études théoriques. L’apprenti apothicaire réalisait alors un « chef-d’œuvre », point culminant de sa formation de « maître en pharmacie »… Ainsi, l’art de la pharmacie embrasse petit à petit la science.  

La question de l’autonomie et du monopole

 

Au fil des siècles, les apothicaires revendiquent leur autonomie et se dégagent de la puissante autorité médicale qui pèse tant sur leur formation que dans le cadre de leur exercice professionnel. Suivant les ressorts territoriaux, les apothicaires médiévaux formaient une corporation seule ou en association avec des médecins, des chirurgiens, des épiciers, des ciriers d’art, des merciers, des drapiers, etc. L’union apothicaire-épicier était alors la plus fréquente et n’était pas confrontée à l’époque à des préjugés. Au contraire, elle faisait sens car les épices avaient souvent un intérêt thérapeutique et s’apparentaient davantage aux médicaments qu’aux ingrédients culinaires. Cependant, la concurrence farouche des épiciers, des religieux, des charlatans, etc., a poussé les apothicaires à revendiquer le monopole de préparation et de débit des médicaments.

Les fondations

 

De par leur statut, leur position reste ambiguë. D’un côté, ils exercent la médecine en préparant les remèdes, ce qui fait d’eux des professionnels de santé, et, de l’autre, ils vendent toutes sortes de produits tels de simples boutiquiers. En effet, l’apothicaire peut faire commerce de drogues, de potions, d’épices, d’agents inconnus voire dangereux sans preuve d’efficacité. Certains relèvent d’ailleurs de la charlatanerie comme la poudre de crapaud pour la fièvre ou la peste. De 1676 à 1682, l’« affaire des poisons » secoue le royaume. A la suite de cette série de scandales, l’apothicaire se positionne en garant des bonnes pratiques et endosse le rôle de gardien des poisons. Voici comment les premières bases du monopole officinal français ont été posées. C’est la déclaration royale du 25 avril 1777 qui symbolise réellement la séparation du métier d’apothicaire avec celui d’épicier. En consacrant un champ d’activité réservé aux apothicaires et en instaurant la détention d’une seule boutique et l’exercice personnel de son art, c’est aussi le premier texte fondateur du monopole pharmaceutique. Il faudra ensuite attendre la loi du 11 septembre 1941 pour que la notion de monopole pharmaceutique soit rattachée à la définition du médicament. Au fil des siècles, le rôle du pharmacien n’a eu de cesse de se renforcer, au point de devenir un pilier essentiel de la protection de la santé publique. Et cette histoire-là ne fait que commencer…

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