- Accueil ›
- Profession ›
- Interpro ›
- Mobiliser ses ressources psychiques pour affronter le cancer
Mobiliser ses ressources psychiques pour affronter le cancer
La psycho-oncologie permet aux professionnels de santé de mieux accompagner les patients qui sont atteints de cancer.
Qu’est-ce que la psycho-oncologie ?
Spécialité de la psychologie qui s’applique au champ de la cancérologie, la psycho-oncologie est destinée prioritairement aux patients mais s’adresse aussi aux proches et aux soignants, voire à l’institution qui prend en charge les patients. Elle s’intéresse surtout à la façon dont les patients vont mobiliser leurs ressources psychiques pour faire face aux différentes étapes du cancer, du diagnostic à l’après-cancer, une priorité du dernier Plan cancer. Elle traite aussi aujourd’hui de la prévention, un axe très fort en cancérologie. « Portée au départ par des psychologues et des psychiatres, la psycho-oncologie s’étend désormais à tous les professionnels qui interviennent auprès de patients atteints de cancer, qui ont besoin de comprendre comment ils font face à la maladie et qui souhaitent améliorer leur accompagnement en termes relationnels et communicationnels », explique Angélique Bonnaud.
Qu’entend-on par souffrance psychique ?
Le diagnostic et les conséquences du cancer imposent une importante adaptation psychique pour les patients et leurs proches, avec un risque de souffrance psychique majeure. Cette souffrance équivaut à un mal-être influencé par la capacité à reconnaître et à verbaliser sa vie émotionnelle et par le contexte socioculturel. Cette souffrance peut être préexistante et aggravée par le cancer et ses traitements.
Comment se manifeste cette souffrance psychique ?
Les symptômes sont très variables selon les personnes. Les symptômes émotionnels, de types dépression, anxiété et somatisation, sont les plus fréquents et concerneraient près de 40 % des patients(1).
Les troubles anxieux ou dépressifs sont retrouvés chez 15 % d’entre eux, mais leur absence n’est pas pour autant synonyme d’absence de souffrance psychique. Celle-ci peut également se traduire par des problématiques relationnelles (hypersensibilité, irritabilité…), comportementales (agressivité, inobservance thérapeutique…) ou somatiques (vertige, palpitations, troubles digestifs…).
Cette souffrance est-elle évaluable ?
Oui, on parle habituellement de mesure de la « détresse » psychique à l’aide d’échelles ou de questionnaires (voir encadré en bas à droite). Le degré de souffrance est évalué lors d’un entretien clinique à partir de son intensité, de sa durée et de ses conséquences. Ce qui permet de repérer la nécessité d’une prise en charge psychologique. Une souffrance psychique temporaire, consécutive à un stress ponctuel, sera considérée comme une réaction normale, tandis qu’une souffrance intense et durable peut indiquer un trouble psychopathologique, voire psychiatrique(2).
Quelle différence avec les autres maladies chroniques ?
« Le cancer est aujourd’hui davantage perçu comme une maladie chronique même s’il y a encore un débat autour de cette question, constate Angélique Bonnaud. Et il est difficile de parler “du” cancer parce qu’il y a “des” cancers ».
« Un cancer du sein métastatique d’emblée qui bénéficie de plusieurs propositions thérapeutiques peut entraîner une forme de chronicité. D’ailleurs, les patientes disent “passer leur temps en traitement” ou que “leur vie est rythmée par leur traitement”, et espèrent des rémissions. Pour un cancer du sein non métastatique qui peut être traité chirurgicalement, l’objectif est la guérison. Parler de maladie chronique alors que la patiente est asymptomatique et souhaite s’en sortir rapidement peut la heurter et la priver d’un espoir », pointe la professeure de psychologie, qui a élaboré une formation dédiée aux professionnels de santé (voir p. 26).
La pensée de la mort est-elle plus proche avec un cancer qu’avec une autre maladie ?
« Oui, du fait des représentations de tout un chacun vis-à-vis du cancer », précise Angélique Bonnaud. « La pensée de la mort associée au diagnostic d’un cancer aurait pu évoluer ces dernières années dans notre société, mais ce n’est pas toujours le cas pour une personne hors du domaine médical, et peut-être encore pour certains professionnels de santé hors oncologie, estime la psychologue, qui exerce depuis vingt-cinq ans en oncologie. Lorsqu’une patiente entre à l’officine et dit que ça va mal émotionnellement, le fait de projeter ses propres représentations sur sa situation complique les choses ». « Est-ce que je suis en mesure d’accueillir cette parole-là ? » et « Qu’est-ce que je vais en faire ? » sont les principales questions à se poser.
Quelles sont les difficultés rencontrées à l’officine ?
« Elles sont principalement d’ordre communicationnel et relationnel, à commencer par l’accueil du patient à l’officine, observe Angélique Bonnaud. La délivrance des traitements ne pose pas de problème en soi, mais la charge émotionnelle qui accompagne la demande va s’imposer, “Je viens chercher les médicaments de mon mari qui est en récidive”, “La maladie évolue, il entre en phase terminale…” » Hormis certains officinaux qui estiment que ce n’est pas leur rôle, les autres se demandent comment accueillir cette parole au comptoir. Faut-il prendre un temps ? S’installer dans un lieu plus confidentiel ?
« La difficulté des officinaux est double face au cancer », estime Sandrine Chauve, qui a échangé avec des pharmaciens intéressés par la formation qu’elle propose, conçue et animée par Angélique Bonnaud. « Les pharmaciens m’ont aussi fait part d’un manque de technicité concernant les traitements du cancer et d’un déficit de connaissances à propos des nouveaux traitements. Ce qui complique un peu plus la relation », ajoute la directrice d’OncoTask.
Que faire en cas d’inobservance du traitement en cancérologie ?
En cancérologie, avec l’arsenal thérapeutique à disposition, il est important de reconnaître l’état psychique du patient et des proches aux différentes étapes de la maladie. Mieux comprendre ce que vit la personne permet de sortir d’une seule manière de pratiquer, censée être la meilleure pour tout le monde, que le patient ne peut refuser. Il y a par exemple une différence entre une personne asymptomatique dont le cancer est découvert au décours d’un examen de routine et un diagnostic chez quelqu’un qui a déjà des symptômes. La prise de conscience de la maladie passe aussi par la survenue des symptômes ou la mise en œuvre des traitements du cancer. Ce sont parfois les effets indésirables de ces thérapeutiques qui font réellement prendre conscience de la situation. « La personne asymptomatique ne se sent pas malade. Il est possible qu’elle continue à vivre comme avant le diagnostic et soit inobservante. Il faut le comprendre pour pouvoir la soutenir », souligne Angélique Bonnaud. Et ne pas s’arrêter à la seule incompréhension d’un tel comportement face à un cancer.
La situation soulève-t-elle un questionnement éthique ?
L’accompagnement des patients atteints de cancer soulève une éthique spécifique, clinique. C’est une éthique de terrain appliquée au cas par cas appelée casuistique. « Lorsqu’une personne, par exemple, veut recourir à la phytothérapie pour soulager des effets indésirables de ses traitements, la principale question qui se pose concerne son autonomie dans la prise de décision. Est-elle assez informée sur sa maladie, son traitement, ses effets indésirables ? Sur les bénéfices attendus de la phytothérapie ? N’est-elle pas sous influence ? Est-elle à même, à ce moment de sa maladie, de prendre sa décision ?, explique Angélique Bonnaud. La réflexion s’appuie sur des principes éthiques, d’autonomie, de bienfaisance et de non malfaisance, de justice ». Cela permet d’avoir un avis étayé qui prend en compte les demandes ou sur les préférences des patients. L’éthique clinique est un outil d’aide à la décision pour les professionnels de santé aussi en cancérologie.
(1) Mitchell, The Lancet Oncology, 2011.
(2) Repérage et traitement précoce de la souffrance psychique des patients atteints de cancer, Institut national du cancer, janvier 2018.
Angélique Bonnaud, professeure de psychologie, psychologue, psychothérapeute, psycho-oncologue à Sainte-Luce-sur-Loire (44), directrice du cabinet Skill Care.
Sandrine Chauve, directrice générale d’Oncotask, filiale de la Société française et francophone de psychooncologie (SFFPO), qui rassemble les pharmaciens spécialisés en traitements oncologiques.
La Société française et francophone de psycho-oncologie
Depuis plus de quarante ans, la Société française et francophone de psycho-oncologie (SFFPO) développe le soin psychique au cœur des prises en charge en cancérologie. Dépistage, recherche clinique, soins à domicile, consultation d’annonce, les patients et les proches doivent être reconnus et pris en compte dans leur subjectivité et leurs particularités psychopathologiques. Cela implique des professionnels du soin psychique formés qui interviennent dans la chaîne de soins en cancérologie. Formation, revue, congrès, les spécialistes en psychologie de la SFFPO proposent sur leur site (sffpo.fr) des recommandations et des travaux utiles pour mieux aborder le patient en oncologie.
- Enquête de l’Anepf : la vie des étudiants en pharmacie, pas si rose
- Économie officinale : faut-il ressortir les gilets jaunes et les peindre en vert ?
- Prescription des analogues du GLP-1 : les médecins appellent au boycott du dispositif imposé
- Bon usage du médicament : doit-on oublier la dispensation adaptée ?
- Grille des salaires pour les pharmacies d’officine