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Publié le 2 février 2013
Par Stéphanie Salti
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Sous l’égide du service de santé publique britannique, Boots a développé un service de tests INR pour les patients de la région de Brighton. Un exemple à regarder de près avant la mise en place, en France, des entretiens pharmaceutiques de suivi des patients sous anticoagulants oraux

Impossible de la rater sur North Street, l’une des principales artères commerçantes de la cité balnéaire de Brighton, dans le sud de l’Angleterre. Haute de deux étages, cette pharmacie du groupe Alliance Boots propose depuis trois ans et demi un service de suivi des patients sous anticoagulants oraux, à l’instar de 17 autres pharmacies de la région de Brighton & Hove, indépendantes ou sous enseigne Boots. 2 500 patients, dont 60 à 70 % de personnes âgées, sont concernés par ce service qui a nécessité neuf mois de mise en place et la formation de 20 pharmaciens. « Avant, le suivi de ces patients était assuré par des hôpitaux à Brighton », explique James Sutcliffe, responsable du développement santé chez Boots. Le test était souvent réalisé par intraveineuse, ce qui était douloureux pour le patient, et l’obtention des résultats n’était pas immédiate. »

Au Royaume-Uni, les décisions relatives au financement et à l’organisation des soins sont prises de façon décentralisée au sein des Primary Care Trusts, l’équivalent des CRAM en France. Décidée à faire évoluer la situation, l’autorité locale responsable de la politique sanitaire a donc décidé il y a plus de quatre ans d’élargir le suivi de ces patients aux pharmacies ainsi qu’aux médecins généralistes (les fameux general practioners). Boots a ainsi été commissionné pour assurer la gestion de ce service à Brighton en collaboration avec les autres partenaires du secteur, hôpitaux et médecins : « A la différence d’autres dispositifs existants en matière de suivi d’anticoagulation au Royaume-Uni, la spécificité de l’expérience menée à Brighton repose sur l’idée que Boots doit gérer l’ensemble des pharmacies impliquées dans ce dispositif, qu’elles soient indépendantes ou appartenant au groupe », ajoute James Sutcliffe. Dans les autres pays européens, les pharmacies affiliées au réseau Alphega (adossé au groupe Alliance Boots) profiteront de cette expérience.

Accessibilité et commodité pour le patient

Pas besoin de beaucoup d’espace pour réaliser ce service : dans la pharmacie de North Street, le patient est invité à prendre place dans l’une des toutes petites salles réservées à cet effet dans le fond de l’officine, derrière les multiples rayons OTC. Il y rencontre alors l’un des deux pharmaciens formés. Impossible cependant de taper à la porte sans prévenir : le patient doit être référencé par un médecin ou un hôpital. Au total, 20 patients par jour peuvent être reçus dans cette pharmacie à des heures adaptées aux professionnels, tôt le matin ou après les heures de bureau en soirée : « Il est également très appréciable de pouvoir se trouver à proximité de son lieu de travail pour réaliser ce test plutôt que de se rendre dans un hôpital excentré », fait observer un patient.

Lors des consultations de routine, dix minutes suffisent pour réaliser le test et poser une série de questions ciblées : « Elles ne doivent surtout pas rester fermées », souligne Valerie Sefton, pharmacien clinique senior (1). Ainsi, à la question “Prenez-vous bien ce type de dosage ?”, nous préférons demander au patient quel dosage il prend, de manière à identifier les erreurs possibles. » L’historique médical du patient en matière d’anticoagulation est sécurisé dans un logiciel que le pharmacien consulte lors de la visite : « Ce service se fait en étroite collaboration avec les médecins généralistes dans la mesure où les informations sur le suivi d’INR du patient leur sont accessibles via ce même logiciel par un mot de passe », ajoute Valerie Sefton. Après avoir conversé avec son patient, le pharmacien exécute alors le test d’INR : après un nettoyage rigoureux de sa main, quelques gouttes de sang sont prélevées sur une bandelette qui est ensuite insérée dans un dispositif de contrôle et de surveillance de l’INR, pas plus gros qu’une tablette numérique. Le résultat est instantané. « En fonction du résultat, le pharmacien réajuste le dosage du médicament anticoagulant. C’est lui qui fixe un nouveau rendez-vous, en fonction de la stabilité du taux », poursuit Valerie Sefton. Toutes les informations (dosage d’INR, modifications du traitement) sont reportées à la fois sur le logiciel informatique et dans un livret de suivi fourni par la National Patient Safety Agency, (l’Agence nationale de sécurité du patient), que le patient doit toujours avoir avec lui lors de ses rendez-vous.

« Depuis l’introduction de ce service, nous avons mené deux enquêtes de satisfaction. Les résultats sont très positifs », indique Susan Wintle, responsable du service anticoagulation chez Boots. De fait, peu de modifications ont été apportées au service depuis son introduction, à l’exception d’un numéro de standard pour la prise de rendez-vous. Entièrement financé par le NHS (National Health Service), l’Assurance maladie britannique, il est gratuit pour le patient.

Une forte valeur ajoutée pour le pharmacien

La formation des pharmaciens est aussi l’une des conditions de la réussite de ce suivi. « Avant de pouvoir réaliser ces tests, ils effectuent une formation de trois jours au sein de l’université de Birmingham, considérée ici comme un véritable centre d’excellence en matière d’anticoagulation, détaille Susan Wintle. A l’issue de cette formation, les pharmaciens passent par une phase d’observation, puis commencent à tester des patients sous la supervision d’un pharmacien expérimenté. Ce n’est qu’après avoir testé dix patients sous l’œil d’un superviseur qu’ils pourront réaliser ces tests de façon indépendante. »

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Le groupe pharmaceutique britannique, qui a externalisé la tenue de cette formation, souhaiterait maintenant la réintégrer en interne au sein de son département de formation et de développement afin de pouvoir étendre ce service à d’autres lieux géographiques. « Nous ne pourrons l’envisager qu’après avoir obtenu l’aval de notre autorité sanitaire de tutelle », commente James Sutcliffe. A la clé, une rémunération potentiellement attractive pour l’officine. « La pharmacie perçoit un forfait [2] de la part du NHS pour réaliser le test, un autre pour le suivi du patient. Un tarif d’initiation est aussi demandé à la NHS lors de la première prise en charge du patient », explique James Sutcliffe. En attendant le développement de ce service, les pharmaciens en charge de ce suivi font part de leur satisfaction : « Le suivi d’un patient sous anticoagulants est une vraie récompense dans la mesure où cela nous permet d’exploiter totalement l’ensemble de notre expertise pharmaceutique, au-delà de la vente de médicaments », explique Susan Wintle. « C’est aussi un bon moyen pour nous pharmaciens d’être au cœur d’un dialogue constant avec les différents organismes de santé impliqués dans ce processus, et notamment les Primary Care Trusts », conclut James Sutcliffe.

(1) Chez Boots, les pharmaciens sont employés, donc on ne trouve pas l’équivalent du titulaire. Il faut être pharmacien et avoir suivi une formation au centre d’excellence du suivi des patients sous AVK (accrédité). Il y a deux pharmaciens habilités à réaliser ces tests pour couvrir les différentes plages horaires.

(2) Le groupe n’a pas souhaité communiquer sur cette donnée. Ce forfait est variable selon la taille de la pharmacie. Il s’agit d’un service régional. Il est donc négocié au niveau régional et versé par l’équivalent de l’agence régionale de santé.

Valerie Sefton en deux dates

• 1997 Diplôme de pharmacien à l’université de Brighton.

• 1997 Débute sa carrière professionnelle au sein de Moss Chemist, qui s’est ensuite transformé en Alliance Pharmacy. La société a depuis fusionné avec Boots. Valerie Sefton occupe le poste de pharmacien clinique senior.

Si vous avez envie d’essayer

Les avantages

• La revalorisation du rôle du pharmacien.

• Une meilleure connaissance du patient et une richesse des échanges.

• La collaboration entre hôpital, pharmaciens de ville et médecins généralistes.

• Un suivi du patient à la carte.

• La facilité d’utilisation du dispositif de contrôle et de surveillance.

Les difficultés

• Le transfert de l’ensemble des données des patients depuis les hôpitaux où ils étaient suivis vers Boots (recueil de leurs consentements).

• La nécessité de disposer de salles spécifiques pour ce genre de services.

• Une formation approfondie pour les personnes ou les équipes.

Les conseils

• La nécessité d’élaborer un planning très ajusté avant de mettre en place ce service.

• L’établissement de modalités de fonctionnement et de gouvernance standard.

• L’importance d’une concertation aboutie entre tous les acteurs concernés.

L’AVIS DE SUSAN WINTLE

« Les tests INR et plus largement les suivis des patients sous anticoagulants oraux nous permettent d’avoir un lien de communication très fort avec eux. Après quelques rendez-vous, ils arrivent à tisser un lien de confiance avec le pharmacien en charge du test et n’hésitent pas à lui faire part de leurs remarques lors des consultations. C’est aussi une manière pour nous, pharmaciens, de puiser dans l’ensemble de nos connaissances pharmaceutiques qui ne se limitent pas à la délivrance de médicaments sous ordonnance. Sans surprise, le retour de nos patients est très positif et nous encourage à continuer à pratiquer ce genre de services à valeur ajoutée. »