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« Mes patients cancéreux et moi »
La sortie de médicaments anticancéreux de la réserve hospitalière a été et reste l’occasion pour les officinaux d’apporter aux patients et à leur entourage écoute, conseils et suivi. Sinon, ils risquent de voir d’autres acteurs s’emparer de ce marché, notamment dans le cadre de l’hospitalisation à domicile et des soins palliatifs. La tâche n’est pas aisée. Témoignages de confrères et sondage exclusif.
Les chiffres sont là. Et ils sont intraitables. Le cancer est devenu le premier facteur de mortalité, devant les maladies cardiovasculaires. Au 31 décembre 2006, 1,5 million de patients étant pris en charge en affection longue durée en raison de cette maladie ; 320 000 nouveaux cas de cancers se déclarent chaque année. Un constat auquel les pharmaciens d’officine se retrouvent confrontés de manière frontale depuis la sortie des médicaments de la réserve hospitalière, débutée en 2004 et qui se poursuit de manière accélérée.
Se former, une priorité
Selon notre sondage Direct Medica, les deux tiers des pharmaciens n’ont à ce jour pas suivi de formations liées spécifiquement à la prise en charge du cancer mais aimeraient le faire. Et à juste titre. Ceux que nous avons interrogés confirment que des rendez-vous réguliers avec les patients cancéreux et leur entourage, dans le cadre de la dispensation des anticancéreux en ville et de l’hospitalisation à domicile, sont très importants. Notamment pour qu’ils soient reconnus, aux yeux des autres professionnels de santé, comme un des maillons importants dans la continuité des soins. A condition de se former, donc, mais aussi d’être réactif pour répondre aux attentes des malades et, mieux encore, d’intégrer un réseau. Car, là aussi, le pharmacien devra batailler pour que son rôle soit reconnu.
Jusqu’au domicile du patient.
Béatrice Di Maria Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine)
Avec les patients atteints de pathologies lourdes, l’important est d’être à l’écoute. Il n’y a pas d’approche standard : nous attendons qu’ils viennent vers nous car certaines personnes n’ont pas envie qu’on leur pose de questions. Quand il s’agit d’un patient en fin de vie [NdlR : Béatrice Di Maria a suivi un DU de soins palliatifs en 1995], nous prenons systématiquement contact avec le médecin traitant et les infirmières pour les informer que c’est notre officine qui dispense les traitements et leur préciser qu’ils peuvent nous appeler si besoin. C’était le cas récemment d’un patient pour lequel il a fallu trouver un certain type de sondes et des canules pour des lavages rectaux. A la demande de la fille d’un patient, j’ai appelé également un médecin pour lui proposer de m’occuper moi-même de la mise en place d’une pompe à morphine. Je n’hésite pas non plus à me rendre au domicile des patients, même un dimanche. Je l’ai fait dernièrement à la demande d’une infirmière qui avait besoin d’injections pour réhydrater une patiente en fin de vie. C’était urgent. Petit à petit, j’ai construit un réseau informel avec les médecins et les infirmières. L’étape suivante pourrait bien être la participation à un réseau de soins organisé. Je suis en contact avec Oncolor 92 qui cherche à renforcer le maillage de professionnels libéraux, notamment dans le sud des Hauts-de-Seine. L’objectif est de sensibiliser les généralistes. Je verrais bien également, dans ce cadre, la création d’un pharmacien référent chargé d’orienter les patients vers les officines. »
Apporter une certaine qualité de vie.
Françoise Gérard, Nancy (Meurthe-et-Moselle)
Je me suis spécialisée dans le suivi des patientes qui ont subi une opération chirurgicale après un cancer du sein. Quand j’ai débuté il y a dix ans, j’avais pour objectif de leur apporter une certaine qualité de vie, en leur montrant notamment qu’il existait différents modèles de prothèses mammaires mais également de la lingerie. J’ai d’abord suivi un diplôme universitaire d’orthopédie, puis j’ai rendu visite à des confrères qui proposent ce type de matériel afin de bénéficier de leurs conseils. J’ai ensuite pris contact avec les fabricants pour disposer d’un éventail de références. Elles sont proposées dans le salon que j’ai aménagé dans la pharmacie. C’est une activité prenante : dès qu’une nouvelle cliente arrive, je lui propose de fixer un rendez-vous pour que l’on se revoie. Il dure une heure, durant laquelle la patiente a le temps de faire des essayages. Je suis également des formations pour me familiariser avec les nouvelles prothèses et, cette année, je passerai deux journées à Paris pour me former sur l’approche psychologique de la femme atteinte d’un cancer. M’investir dans ce domaine m’a poussée à aller plus loin. J’ai suivi une formation en lymphologie et j’ai pris contact avec l’AKATL, une association de kinésithérapeutes spécialistes des affections lymphoveineuses, pour répondre au mieux à la demande des patientes concernées. Je fais de la prévention auprès d’elles et, si nécessaire, je les oriente pour un traitement vers un médecin ou un kinésithérapeute. Nous disposons en outre à l’officine de manchons de contention lymphatique. »
Ne pas stigmatiser le patient et son entourage.
Stéphane Robinet, Strasbourg (Bas-Rhin)
Surtout pas d’accompagnement particulier ! Pas question non plus d’aménager un lieu de confidentialité où recevoir le patient et/ou sa famille. « Ce ne serait que les stigmatiser encore plus en leur montrant qu’ils ne sont pas tout à fait comme les autres », assure Stéphane Robinet. Il est vrai que ce confrère a l’habitude de prendre en charge des pathologies lourdes : il fait partie d’un réseau VIH-VHC et d’un réseau toxicomanie. Il n’a donc pas mis en place d’accueil spécifique. Tous les membres de l’équipe doivent être à même de répondre aux demandes, même s’il peut arriver qu’un patient préfère s’adresser à l’un ou à l’autre. « L’écoute est importante, surtout en ce qui concerne les effets secondaires. Les médicaments sont censés soulager mais les effets secondaires sont difficiles, comme les nausées ou les vomissements. Certains vont même voir des guérisseurs en Allemagne. Je n’essaie pas de les en empêcher mais je leur dis d’en parler au médecin. »
Le nombre de patients cancéreux que Stéphane Robinet a en charge est aujourd’hui peu important. Si l’activité venait à prendre de l’ampleur, il songera, assure-t-il, à envoyer ses collaborateurs en formation. Et à transposer ce qu’il a déjà mis en place pour ses autres patients dans le cadre des réseaux dont il est membre : des fiches de suivi sur les modes de délivrance, des observations sur la personne et son environnement. Ces fiches lui servent dans les réunions organisées avec les professionnels qui appartiennent eux aussi à ces réseaux.
Tous les professionnels de santé doivent tenir le même langage.
Jean-Pierre Messager, Lorient (Morbihan)
Pour Jean-Pierre Messager, le pharmacien peut jouer un rôle important en matière de nutrition. « Dans le cas de cancers ORL, il est très difficile de se nourrir à cause de la chimiothérapie qui enflamme les muqueuses. Le service oncologie de l’hôpital explique dans un premier temps au patient en quoi consiste la nutrition sous perfusion. Je lui tiens le même discours à l’officine ou à domicile en précisant que c’est temporaire. Notre rôle, en tant que professionnel de santé, est d’éduquer le patient. » C’est ce qu’a apporté le réseau Oncoriant à Jean-Pierre Messager, qui en est membre depuis sa création. « Nous avons appris, avec les médecins et les infirmiers qui étaient présents, qu’il était important que tous les professionnels de santé tiennent le même langage. »
Les journées de formation pluridisciplinaires dispensées par le réseau ont également permis de confronter les expériences et les points de vue. « Les autres professionnels ne savaient pas que nous pouvions avoir des problèmes d’approvisionnement, que nos marges sur les produits de nutrition étaient très faibles, aux alentours de 10 %. » Avec les pharmaciens du réseau, Jean-Pierre Messager a aussi effectué une démarche auprès des confrères du secteur sanitaire 3 couvert par le réseau (la moitié des officines du Morbihan et une partie des Côtes-d’Armor) pour les convaincre de vendre les produits au tarif de la LPPR, même s’ils sont bas, et de ne pas pratiquer de dépassement qui serait alors payé par les patients. En parallèle, il a négocié les prix des produits de nutrition orale auprès des fabricants et des grossistes. « Les hospitaliers ne connaissent pas forcément les prix des médicaments, ni s’ils sont ou non remboursés. Dans certains cas, nous discutons avec eux afin de trouver des solutions quand le produit prescrit n’est pas remboursé. »
Malgré les liens tissés avec l’hôpital, le rôle de l’officinal n’est pas encore totalement reconnu. Ou en tout cas pas la palette de ses compétences et services. Par exemple, si Jean-Pierre Messager dispense les traitements de trois de ses patients sous oxygène, la fourniture du gaz médical lui échappe. C’est une société privée qui livre directement à domicile le matériel et en assure le suivi !
J’ai aussi fait un travail sur moi.
Pascal Issac, Inzinzac-Lochrist (Morbihan)
Avec le cancer, nous touchons un sujet tabou. Même si l’espérance de vie a augmenté et que cette pathologie devient chronique, elle est toujours associée à l’idée de la mort. A nous, en tant que pharmaciens, de faire bouger les lignes et de banaliser le sujet. » Pour Pascal Issac, c’est vraiment là, dans l’écoute et le réconfort du patient, qu’il remplit pleinement son rôle. Le cadre de l’officine rend cette approche plus aisée : « On peut venir à n’importe quel moment, il n’y a pas de rendez-vous à prendre, pas de formalisme. L’idée est vraiment de faire comprendre que la vie continue, de les faire sourire. » Pascal Issac n’a pas de technique particulière. Il s’adapte au comportement du patient. « Certains sont dans le déni de la maladie et ne veulent pas en parler. Dans ce cas, je ne dis rien. D’autres ont envie de parler de leur quotidien et de confier leurs angoisses. En général, cela se déroule en plusieurs étapes. La première fois, les patients viennent avec leur ordonnance. Ensuite, au cours des visites suivantes, ils commencent à parler quand la relation de confiance s’instaure. La pharmacie est suffisamment vaste pour que les autres patients n’entendent pas notre conversation, mais nous pouvons nous isoler dans une pièce s’il le faut. » Une démarche qui s’est construite au fil du temps pour notre confrère. « J’ai aussi fait un travail sur moi, sur mon rapport à la mort pour adopter une démarche et un discours positifs auprès de mes patients. »
Je me sens plus autorisée à appeler l’hôpital.
Isabelle Baffoux, Poitiers (Vienne)
Le DU de soins palliatifs qu’Isabelle Baffoux a suivi lui a fait prendre encore plus conscience de l’importance du confort et du bien-être des personnes touchées par une pathologie lourde. Les cours suivis lui ont permis de mieux prendre en charge les effets secondaires. Ainsi, dans le cas d’une cliente qui prenait des traitements morphiniques depuis plusieurs années, elle s’est aperçue un jour qu’il manquait l’habituel médicament contre la constipation sur l’ordonnance. « Je lui ai dit de prendre du Forlax dont elle disposait chez elle. »
Le médecin spécialiste n’est pas toujours facile à joindre, alors Isabelle Baffoux se voit comme une intermédiaire. « Je précise aux patients et à l’entourage qu’ils peuvent m’appeler en cas de souci, si la douleur n’est pas calmée, si le souci de constipation perdure. Je me sens plus autorisée, grâce aux connaissances que j’ai acquises, à appeler l’hôpital et le service des soins palliatifs pour en parler. »
Isabelle Baffoux explique également aux familles qu’il existe un accompagnement spécifique pour l’entourage dans le cadre des soins palliatifs. Elle attend aujourd’hui de voir si l’unité mobile de soins palliatifs de dix lits va bien voir le jour à Poitiers. « J’aimerais bien, si c’est le cas, inciter mes confrères à réfléchir au rôle que nous pourrions jouer dans ce domaine. Roselyne Bachelot l’a dit récemment : les pharmaciens ont un rôle à jouer dans les réseaux de soins. Alors pourquoi ne pas créer, par exemple, un réseau ville-hôpital ? », suggère la pharmacienne.
J’ai mis en place des fiches de suivi.
Florence Poujol, Montpellier (Hérault)
A la Pharmacie Saint-Eloi, il n’y a pas de membre de l’équipe spécifiquement formé à l’accueil des patients cancéreux, mais des fiches de suivi ont été mises en place indiquant les noms et les coordonnées des membres de l’équipe médicale. Elles contiennent également des observations sur les traitements. « Nous indiquons d’éventuelles interactions ou si certains produits sont mal supportés, comme c’est le cas d’une de nos clientes qui préfère les antibiotiques par voie injectable plutôt que par voie orale. Le médecin, avec lequel nous sommes en contact régulier, va modifier la prescription dans ce sens. »
Florence Poujol insiste sur cette collaboration avec les autres professionnels. « Nous sommes aussi en relation avec les infirmières en charge des patients à domicile. Elles ont l’habitude des soins. Quand un médecin prescrit par exemple des pansements sans plus de précisions, nous les appelons pour leur demander quels produits elles souhaitent exactement. »
Être réactifs et se tenir informés.
Florence Calmettes-Beau, Toulon (Var)
Florence Calmettes-Beau, cotitulaire à Toulon, s’est investie dans l’HAD pour assurer le suivi des patients chroniques, en particulier ceux qui souffrent de cancers, en matière de nutrition par exemple. « Les patients cancéreux nous disent souvent qu’ils ont perdu l’appétit. Ils ne savent pas qu’il existe des produits de remplacement. Nous leur proposons donc un large choix de produits hyperprotéinés pour répondre à tous les goûts. » Autre service proposé : une livraison rapide à domicile. L’officine fait aussi appel à un prestataire pour proposer des lits médicalisés et des fauteuils roulants. Pour Florence Calmettes-Beau, l’un des atouts de l’officine, c’est sa grande réactivité par rapport à des structures plus lourdes. Cela passe aussi par un suivi régulier des traitements, parfois à domicile. Etre réactif, c’est aussi se tenir informé. Les cotitulaires se rendent donc régulièrement à des soirées de formation. « Nous y allons tous les trois mois environ. C’est un minimum. Nous avons suivi dernièrement une session de deux heures à Marseille sur les médicaments pour le cancer du côlon animé par un oncologue. »
Sondage directmedica
Sondage réalisé par téléphone du 21 au 23 avril 2008 sur un échantillon représentatif de 96 pharmacies en fonction de leur répartition géographique et de leur chiffre d’affaires.
D’abord l’écoute
Que peut apporter, selon vous, le pharmacien aux patients cancéreux (plusieurs réponses possibles) ?
Communiquer
Avez-vous vous-même (plusieurs réponses possibles)…
Savoir convaincre
Quelles sont les difficultés que vous pouvez rencontrer (plusieurs réponses possibles) ?
Se former
Avez-vous suivi une formation (plusieurs réponses possibles) ?
Des formations courtes
Si vous avez suivi une formation, de quelle durée était-elle ?
Ne rien négliger
De quelles informations aimeriez-vous disposer à l’officine (plusieurs réponses possibles) ?
Plan Cancer : peut mieux faire
Plan Cancer : peut mieux faire
La Cour des comptes vient de publier un bilan du plan Cancer 2002-2007. Elle pointe certaines faiblesses et certains manques concernant le dépistage et les soins entourant ce qui est aujourd’hui la première cause de mortalité chez l’homme et la femme. L’obstacle majeur demeure la « méconnaissance des facteurs de causalité du cancer », précise le rapport. Une des mesures du plan consistait à développer les analyses épidémiologiques régionales et la connaissance des politiques régionales de santé. Nous en sommes loin.
La formation des personnels a également pris du retard. Enfin, les créations de postes dans les hôpitaux publics n’ont pas eu lieu, ou de manière tardive, alors que le nombre de cancers a bondi de 25 % en cinq ans.
Des formations spécialisées
Plusieurs facultés ont mis en place des DU spécialisés, ouverts dans la plupart des cas à l’ensemble des professionnels concernés, pharmaciens de ville mais aussi hospitaliers, médecins…
– Lille : DUEC de pharmacie clinique oncologique. A partir de janvier de chaque année, tous les lundis. 100 heures d’enseignement. Responsable : Pr Cazin. Contact : madame Mekil, tél. : 03 20 96 47 06.
– Lyon : DU de pharmacie clinique oncologique. Octobre à juin, avec 2 journées consécutives de cours par mois. Responsable pédagogique : Catherine Rioufol. Coût : 1 200 euros (plus droits d’inscription). Contact : secrétariat, tél. : 04 7877 71 98.
– Montpellier : DU de pharmacie oncologique pratique (en formation initiale et continue). Novembre à juin, avec deux jours consécutifs par mois. Responsables : Pr Cros et Dr Pinguet. Contact : D. Manesse, tél. : 04 67 54 80 23.
– Nancy : DU de pharmacie oncologique. Février à mai, en 3 sessions d’une semaine. Responsables : Pr Aulagner, en partenariat avec le réseau Oncolor.
Contact : 03 83 68 23 00.
– Paris V : DU de pharmacie clinique oncologique. Décembre à juin, à raison de 2 journées par mois. Responsables : Pr Brion et F. Lemare. Contact : 01 53 73 97 98.
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