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MAISON DE SANTÉ, PHARMACIE DE SANTÉ

Publié le 14 septembre 2013
Par Caroline Coq-Chodorge
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Née en 2006, la maison de santé de Pont-d’Ain reste une pionnière du genre. Elle expérimente depuis le début de l’année un nouveau protocole (ESPREC) de coopération entre le médecin, l’infirmière et le pharmacien, les trois professions de santé de premier recours au plus près du patient.

Norbert Flaujac et Frédéric Garnier, cotitulaires de la Pharmacie des Bords de l’Ain, n’ont que quelques mètres à faire pour pousser la porte du cabinet de Pierre de Haas, médecin généraliste. En cette fin juillet, ils se réunissent pour discuter du cas d’une patiente âgée et diabétique. Bouchra est musulmane, c’est la période du ramadan et sa glycémie est particulièrement élevée. Depuis le début de l’année 2013, ces professionnels de santé expérimentent un nouveau protocole de prise en charge appelé ESPREC (« équipe de soins de premier recours en suivi de cas complexe »). Ce n’est pas la première fois qu’ils travaillent ensemble : depuis 2006, la maison de santé de Pont-d’Ain réunit la plupart des professionnels (excepté les dentistes) de cette petite commune de 2  500 habitants et expérimente de nouvelles formes de coordination pluridisciplinaire.

Messages partagés et objectifs communs

Le protocole ESPREC associe les trois acteurs de santé au plus près des patients (le médecin, l’infirmier et le pharmacien) autour de cas complexes de sujets porteurs de pathologies chroniques. Trois pathologies sont ciblées : le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires et les personnes âgées fragilisées. Comme toujours, le médecin est à l’origine de l’insertion du patient dans le protocole. La première réunion est l’occasion d’un échange d’informations sur le patient. « Puis nous arrêtons des messages partagés et nous nous fixons des objectifs communs », explique le Dr Pierre de Haas. Un référent est également désigné, généralement l’infirmière – aujourd’hui en vacances – car elle se déplace au domicile des patients. Concernant le cas de Bouchra, le médecin préconise une prise de rendez-vous avec une diététicienne mais juge nécessaire d’attendre que passe le ramadan. Les pharmaciens, de leur côté, s’engagent à organiser avec elle un entretien à l’officine afin de s’assurer de sa bonne compréhension et de sa bonne observance du traitement. Fin de la première étape du protocole ESPREC.

« Notre manière de travailler a largement essaimé »

Validé par la HAS et la Direction générale de la santé fin 2012, ce protocole est tout neuf et Bouchra est seulement la quatrième personne à l’intégrer. Forme la plus aboutie de coordination pluriprofessionnelle impliquant le pharmacien, le protocole ESPREC est également le module le plus récent du droit à l’expérimentation des nouveaux modes de rémunération (ENMR), lancé en 2009 et réservé aux maisons, pôles et centres de santé. Pierre de Haas, excellent communicant et lobbyiste, en est l’un des principaux promoteurs (voir Le Moniteur n° 2951).

La maison de santé de Pont-d’Ain est donc un des laboratoires des transformations du système de santé : « Quand nous l’avons créée en 2006, nous faisions partie des pionniers », raconte Norbert Flaujac, dont la pharmacie est physiquement intégrée à la structure. « Aujourd’hui, notre manière de travailler a largement essaimé », poursuit-il. La maison de santé n’en conserve pas moins son avance : c’est la première à expérimenter ESPREC, lequel a été élaboré par la Fédération française des maisons et pôles de santé présidée par… Pierre de Haas, fondateur de la maison de santé de Pont-d’Ain.

A Pont-d’Ain, la coordination des soins est rémunérée au forfait et rapporte 50 000 euros annuels à la maison de santé (pour 1 million d’euros de CA, hors pharmacie). « Cette coordination est d’abord informelle, raconte Norbert Flaujac. Nous nous parlons chaque jour puisque nous partageons les mêmes locaux. » Mais trois réunions de coordination annuelles ont été formalisées. Et, depuis le mois de septembre, les pharmaciens ont un accès au système d’information de la maison de santé pour consulter les dossiers médicaux. Pierre de Haas assure qu’il n’y aura pas de restriction d’accès : « Nous voulons tout partager. » Autre exemple de coopération : les médecins ont espacé de trois mois à un an les consultations des patients hypertendus stables, mais les pharmaciens sont vigilants et forment ces patients à l’utilisation de l’autotensiomètre. Pour le protocole ESPREC, la maison de santé est rémunérée 250 euros par patient, au bénéfice des professionnels de santé ou pour payer un coach sportif, une diététicienne… Les pharmaciens estiment de leur côté percevoir « environ 300 euros par an » de rémunérations forfaitaires au titre des ENMR, pour un chiffre d’affaires annuel de 2,9 millions d’euros. « C’est une somme dérisoire, mais le bénéfice est ailleurs, estime Norbert Flaujac. Nous offrons à nos clients l’opportunité d’intégrer un réseau de soins. Et nous espérons qu’à l’avenir ce type de rémunérations évoluera. »

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« Nous devons veiller à rester sur notre territoire de santé »

Pour les pharmaciens, l’étape suivante d’ESPREC se tient à l’officine, qui occupe, avec ses 250 mètres carrés, environ le quart de la maison de santé. Bouchra, la patiente dont l’équipe ESPREC a discuté du cas le matin même, se présente en début d’après-midi accompagnée de ses deux filles, la plus grande traduisant parfois ses propos quand elle peine à trouver ses mots en français. La patiente apprécie de discuter ainsi avec son pharmacien. L’entretien, qui dure environ 20 minutes, se tient dans l’espace de confidentialité, un petit bureau indépendant équipé d’un ordinateur. Le pharmacien discute du nouveau dosage du médicament prescrit par le médecin, et parvient à vaincre les réticences de la patiente. Il découvre aussi qu’elle ne jeûne pas durant ce ramadan car, selon les préceptes du Coran, les personnes malades en sont dispensées. Il lui délivre des conseils de diététique, l’incite à marcher 30 minutes minimum chaque jour. Puis il mesure sa glycémie tout en lui montrant l’utilisation de l’appareil. « Je l’ai invitée à revenir la semaine prochaine pour mesurer à nouveau sa glycémie. Il faudra peut-être aussi envisager l’acquisition d’un appareil », explique-t-il. Le pharmacien est aussi vigilant sur les possibles « interactions avec l’automédication et sur la gestion des stocks de médicaments au domicile, en relation étroite avec l’infirmière ». Cette dernière, Michèle Dumon, considère que « le pharmacien est le mieux placé pour savoir si le patient prend vraiment ses médicaments ». Cette prise en charge coordonnée lui semble particulièrement pertinente pour certains patients : « Par exemple, cette patiente a beaucoup de mal à comprendre qu’elle doit arrêter de manger des dattes toute la journée. » Aussi l’équipe de soins envisage-t-elle d’organiser un suivi par une diététicienne connaissant bien la culture maghrébine.

Membre du conseil départemental de l’Ordre, Norbert Flaujac reste cependant vigilant sur un point : « Nous devons veiller à rester sur notre territoire de santé. Par exemple, nous avons un frein déontologique, nous ne devons pas pousser à la consommation. » Pourtant, Pierre de Haas en est certain : « Bientôt nous serons une équipe de soins traitante. » Nobert Flaujac pose une condition : « Nous devons prouver l’efficacité de cette coordination par une baisse de l’iatrogénie et de la consommation de médicaments. Alors nous pourrons investir pleinement nos nouvelles missions, en nous dégageant de la logique commerciale. »

Norbert Flaujac/Frédéric Garnier

Norbert Flaujac (né le 15/9/56) et Frédéric Garnier (né le 1/7/58) en 5 dates

• Janvier 1986 Amis depuis la faculté, Norbert et Frédéric obtiennent ensemble leur diplôme de pharmacien à la faculté de Lyon.

• Octobre 1987 Ils s’associent pour reprendre une petite pharmacie de Pont-d’Ain où Norbert Flaujac était adjoint.

• Mai 2006 La pharmacie emménage dans la toute nouvelle maison de santé de Pont-d’Ain.

• Décembre 2012 Le protocole ESPREC est validé par les autorités de santé.

• Fin 2014 L’expérimentation, prendra fin et sera évaluée par l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES).

Si vous avez envie d’essayer

Les avantages

• Cette prise en charge pluridisciplinaire renforce les liens entre médecins, infirmiers et pharmaciens.

• Chaque professionnel apporte sa vision du patient et complète utilement sa biographie médicale.

Les difficultés

• Les rémunérations forfaitaires représentent aujourd’hui une part infime du chiffre d’affaires de la Pharmacie des Bords de l’Ain.

•ESPREC est réservé aux officines membres d’une maison (ou pôle/centre) de santé.

• Le protocole doit être porté par des médecins, pharmaciens et infirmières, tous volontaires.

Les conseils

• Une formation est utile pour mener des entretiens pharmaceutiques.

• Il faut mettre en confiance le patient, écouter son vécu et valoriser son expérience de sa maladie.

L’AVIS DE L’ÉQUIPE

« Cette coordination est vraiment un plus, estime Cécile Deloye, adjointe intérimaire à Pont-d’Ain. Les patients ont confiance car ils sentent qu’il y a une véritable équipe de soins autour d’eux. » La préparatrice Aurélia Ippoliti se félicite, elle aussi, d’« avoir facilement un médecin au téléphone, qui est à l’écoute ». Elle est également « plus vigilante lorsque des patients semblent perdus dans leur traitement ». Mais elle se pose la question de sa place de préparatrice dans les entretiens pharmaceutiques ou le nouveau protocole ESPREC. Norbert Flaujac regrette qu’aujourd’hui « les textes ne fassent pas de place aux préparateurs. Il faut veiller à ne pas les laisser de côté, à les faire partager notre expérience ».