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« L’important est que les patients croient en leur médicament »

Publié le 24 mars 2021
Par Christine Julien
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Laurence Distani est cadre préparatrice à l’Institut Sainte-Catherine, spécialisé dans le dépistage et le traitement des tumeurs cancéreuses à Avignon (84). Depuis 2011, elle a mené de nombreuses consultations pharmaceutiques avec des patients.

Vous êtes-vous tout de suite impliquée dans les consultations ?

Oui. Quand Françoise de Crozals, la pharmacienne responsable, a mis en place les consultations pharmaceutiques pour les patients à l’Institut Sainte-Catherine, j’ai dit « Je veux faire ça ! » car j’aime le contact avec les patients. Ce contact me manquait !

Que se passe-t-il en entretien ?

La personne est choquée et stressée par l’annonce de la maladie. Elle vient à la consultation pharmaceutique avec un tas de documents. Elle est perdue, parfois âgée. Elle peut craquer et pleurer. Il faut savoir gérer. Au début, je n’avais qu’une envie, sortir pleurer. On se projette : « On dirait ma mère, on dirait mon père ». Et là, je me disais : « Justement, si c’était eux, comment aimerais-tu qu’ils soient reçus ? Quelle aide pourrais-tu leur apporter ? »

Comment vous êtes-vous formée ?

Quand on vous a expliqué les mécanismes d’action, le pourquoi des effets secondaires, vous vous sentez à l’aise pour mener cette consultation. Ce n’est pas plus compliqué que le paracétamol, pour lequel il y a aussi des précautions à prendre ! Je ne me suis pas retrouvée face à un patient du jour au lendemain. J’ai suivi une formation de deux fois trois jours sur les thérapies orales avec une oncologue à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris. Puis, j’ai assisté aux consultations de Françoise. J’ai vu comment elle s’y prenait pour mener un entretien pharmaceutique. Un psychologue de l’établissement nous accompagne pour apprendre à gérer nos émotions. Ce n’est pas toujours facile de rester indifférente et de dire : « Matin et soir, deux heures avant un repas. Prenez ça, sinon il va y avoir tel effet secondaire… et au revoir madame ». Ça n’est pas possible.

Quelle aide vous a apporté le psychologue ?

Il m’a beaucoup aidée. Notamment à gérer les blancs dans la relation de communication. Je me rappellerai toute ma vie d’un monsieur avec un cancer et le sida, sur le point d’être expulsé de chez lui, et qui pleurait… Je ne me sentais pas bien. Le patient m’a demandé un verre d’eau et ça m’a sauvée ! Je suis sortie pour aller le lui chercher et j’ai pu évacuer. Quand je suis revenue, j’étais prête à continuer l’entretien mais ce n’est pas facile. J’ai dit au psychologue que je n’avais pas su quoi faire devant les pleurs et les silences. Il m’a dit que je devais juste écouter et accepter les larmes et les blancs. Moi, je voulais combler ces blancs, pensant que le patient attendait peut-être que je le rassure… Julien, le psychologue, m’a dit : « Non, non, le blanc, c’est de la communication. Si la personne n’a pas besoin ou envie de parler, accepte le blanc. Tu le laisses un petit moment, puis tu reviens à tes questions ». Quand je pose une question, si la personne laisse un blanc ou a du mal à démarrer, le psychologue m’a dit de l’aider en reformulant. « Et si vraiment ça ne passe pas, tu arrêtes et tu rempliras ton papier la prochaine fois. Tu ne peux pas la forcer, car répondre lui est impossible ».

Il vous a aidée sur d’autres points ?

Il m’a appris à poser un cadre lors d’une consultation. Expliquer au patient le temps que nous avons ensemble afin de ne pas déborder sur les autres consultations. Au début, cela durait trois quarts d’heure, voire une heure et demie ! Je me laissais prendre par le côté humain. Parfois, je n’étais plus dans le cadre de la consultation et la patiente me parlait de ses enfants, de celui avec qui elle ne s’entendait plus…

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Ce cadre est important pour vous et pour le patient ?

Oui. Je dois rester dans mon domaine de compétence, qui est l’explication du traitement et de ses effets secondaires, et essayer de m’adapter au patient afin que mes infos lui soient utiles. Et lui doit me donner ce qu’il a besoin de me dire. Si on déborde, les autres malades n’auront pas leur consultation.

La consultation vise seulement le bon usage du médicament ?

Non, je dirais qu’il y a 50 % de médicament et 50 % d’humain. Au début, j’ai mis davantage d’humain ! L’objectif est que la personne comprenne le traitement, mais je suis persuadée qu’à la sortie de la consultation, elle ne retient que 20 % de ce qui a été dit. Pour moi, l’important est qu’ils croient à leur médicament parce que, s’ils n’espèrent pas contenir leur maladie avec – je ne dis pas soigner mais contenir -, ils ne seront pas observants. Ils vont se dire « De toute façon, je vais mourir en trois mois, ce n’est pas la peine que je le prenne ».

Ils ont besoin de comprendre ce qu’est une chimio orale, une thérapie ciblée. Une chimio détruit toutes les cellules, y compris les cellules saines, d’où les effets secondaires. La thérapie ciblée identifie la cellule malade uniquement. Il faut leur expliquer comment agit le médicament dans leur organisme. Quand ils ont compris ça, et la nécessité de le prendre tous les jours, ils disent : « Ah oui ! D’où l’importance que je n’oublie pas ! » Je réponds : « Oui. Si vous l’oubliez, vous laissez la maladie libre, non contenue, et on ne sait pas ce qu’elle peut donner dans votre organisme ». Il faut cependant rester à notre place. Nous ne sommes pas des médecins. Si des questions me dépassent, je dis : « Je vous conseille de les noter et de les poser au médecin la prochaine fois ».

Du style « Est-ce que c’est efficace » ?

On l’a eue plusieurs fois cette question. Je réponds : « Écoutez, le docteur a choisi cette molécule pour vous, en fonction des prélèvements et des examens que vous avez passés. Cette molécule est faite pour votre maladie. Ainsi, il faut la prendre de cette façon, régulièrement, sans l’oublier. Si vous l’oubliez dans les deux heures, vous pouvez la prendre. En revanche, si vous avez des effets secondaires importants le week-end, vous l’arrêtez et vous nous appelez le lundi ». S’il a vomi toute la nuit, s’il a dix selles par jour, on arrête la molécule et, le lundi, on appelle le médecin, qui prendra le relais. Nous sommes l’intermédiaire entre le médecin et le patient.

Ils ont des questions lors de la première consultation ?

Non, pas toujours. Ils ont reçu des informations de l’oncologue, qui a passé une demi-heure avec eux. Ils arrivent à la consultation de pharmacie angoissés et nous allons en « remettre une couche ». Moi, j’accentue sur l’observance, sans culpabiliser, en leur donnant des outils pour ne pas oublier. On leur fournit des plannings, avec des cases à cocher. S’ils ont un téléphone portable, on met des alarmes, par exemple pour Zytiga, qui se prend à 10 heures ou à 22 heures. On leur pose des questions sur la façon dont ils vivent pour intégrer le médicament dans leur quotidien. J’ai fait une formation d’éducation thérapeutique qui m’a aidée à poser les bonnes questions pour mieux connaître les habitudes de vie des patients.

Ensuite ?

Avec des patients, nous avons fait des livrets pour Zytiga, Stivarga, Xtandi, avec une page vierge pour noter leurs symptômes et en parler lors de leurs prochaines consultations. Ce livret est utile aux pharmacies de ville et au médecin pour mieux comprendre ce nouveau traitement et faire le relais avec nous. Puis, on appelle la pharmacie, on commande le médicament et parfois on faxe l’ordonnance car, en raison du coût, certaines officines ne veulent pas le commander sans prescription. On explique au patient qu’il faut aller le chercher. Nous les appelons à J + 8. Ils ont eu le temps de se poser et de commencer le traitement, ils sont plus aptes à écouter et nous pouvons faire le point sur cette première semaine de traitement. On reprend en fonction des besoins. Ils peuvent nous appeler aussi souvent qu’ils ont des questions. Nous avons une ligne téléphonique dédiée. En général, ils revoient le médecin quinze jours après l’introduction d’une chimiothérapie orale, puis tous les deux mois en moyenne.

Vous expliquez tous les effets indésirables ?

Lors du premier cycle de traitement, je ne donne pas toute la liste. Exemple, pour Xeloda (la capécitabine), les plus courants sont des troubles digestifs, diarrhée ou constipation, syndrome main-pied et mucite. Parfois, certains ont pris une dose et ont tous les effets secondaires ! C’est pour ça que je ne les explique plus tous ! Je récupère les ordonnances pour identifier une éventuelle interaction afin de voir avec le prescripteur comment faire. Nous devons aussi être très vigilants avec les compléments alimentaires, pas toujours compatibles avec les thérapies orales.

Savent-ils gérer ces effets ?

Ils ont une ordonnance sous conditions avec diosmectite, lopéramide, bain de bouche et crème, idéalement avec 30 à 50 % d’urée.

Ils sont obligés de venir vous voir ?

Le médecin le leur conseille. Certains, en arrivant, m’ont dit ne pas comprendre pourquoi ils étaient là. Je leur explique et personne ne m’a jamais dit « Cela ne m’intéresse pas, alors je m’en vais ».

Y a-t-il d’autres conseils à donner ?

J’ai assisté à un congrès avec un médecin nutritionniste, qui nous a expliqué qu’une masse musculaire importante permet de mieux gérer les effets indésirables. On déclare plus d’effets secondaires en cas de fonte musculaire. Un homme de 60 ans sous Sutent pour un cancer du rein faisait 35 km de vélo par jour. Chaque fois que je lui demandais s’il avait eu tel ou tel effet, il répondait qu’il n’en avait aucun ! C’est pour ça qu’on dit de faire au moins 30 minutes d’activité physique par jour. À ceux qui n’ont jamais bougé, je dis de faire 5minutes la première semaine, 10 la deuxième… jusqu’à arriver, un mois et demi à deux mois plus tard, à 30 minutes de marche car c’est ce qui est le plus facile à faire, en disant : « Vous allez acquérir petit à petit une masse musculaire qui vous permettra de mieux gérer les effets secondaires ».

Est-ce que la chimio orale demande un investissement plus important que pour délivrer une insuline ?

Non ! Cela demande de s’arrêter quelques minutes pour étudier cette thérapie pour pouvoir expliquer correctement au patient la vigilance à avoir chez lui avec ce médicament. Prendre un quart d’heure et aller sur le site Oncolien et les sites des Omédit. Regarder la fiche patient, la fiche professionnelle avec les moments de prise, les effets secondaires, le conseil important à donner… Si les préparateurs sont parfois réticents, c’est parce qu’on ne leur explique pas. Il faut dédramatiser la chimiothérapie orale.

Son parcours

1989 : BP sur cinq ans au CFA de Nîmes (30) et d’Avignon (84).

2001 : pharmacie de l’Institut Sainte-Catherine, à Avignon.

2011 : consultations pharmaceutiques aux côtés de Françoise de Crozals, la pharmacienne gérante (voir Porphyre n° 572, mars 2021).

2017-2019 : VAE de cadre.

Acétate d’abiratérone : Zytiga (laboratoire Janssen) est un inhibiteur sélectif de la biosynthèse des androgènes, indiqué en association avec la prednisone ou la prednisolone, dans le traitement du cancer métastatique de la prostate.

Omédit : les Observatoires des médicaments, dispositifs médicaux et innovations thérapeutiques sont des structures régionales d’appui, d’évaluation et d’expertise scientifique indépendante, placées auprès des Agences régionales de santé. Ils veillent au bon usage des produits de santé en diffusant des informations, de la formation…