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LES SERVICES PHARMAC EUTIQUES DANS L’UNION EUROPEENNE
Dans une volonté partagée de garantir un modèle économique pérenne à l’officine, les pays européens s’engagent tour à tour dans les services pharmaceutiques. Répondant aux grands thèmes de santé publique communs à tous les pays de l’Europe de l’Ouest, ces initiatives ont pour but d’ancrer le pharmacien dans la chaîne de soins. Dernier service pharmaceutique né en Europe, la prise en charge des AVK en France n’en est pas moins l’un des modèles les plus aboutis.
La France prend le train en marche. Avec la rémunération du suivi des patients sous anticoagulants oraux dès le 1er janvier prochain et des asthmatiques au deuxième semestre, les pharmaciens français vont rejoindre leurs confrères européens dans la pratique des services pharmaceutiques. D’Amsterdam à Lisbonne en passant par Londres, l’ensemble de ces initiatives répond depuis le début des années 2000 à une double nécessité économique. D’une part, alors que les marges ne cessent de se réduire pour tous les pharmaciens européens, un autre mode de rémunération s’impose. « Dans de nombreux pays, le système de rémunération à la boîte n’a plus de sens s’il n’y a pas derrière une rémunération des services », constate Hélène Van den Brink, professeur en droit et économie pharmaceutiques à la faculté de pharmacie de l’université Paris-Sud-XI et auteur d’une étude sur les services pharmaceutiques en Europe (1). D’autre part, le souci des pharmaciens de préserver leur revenu converge avec la volonté des Etats – et des organismes payeurs – de mieux exploiter le potentiel des systèmes de soins. « Il est largement admis, y compris par les gouvernements, que les officinaux peuvent contribuer à l’amélioration des systèmes de santé européens en développant un choix plus étendu de services pharmaceutiques », observe Juratè Švarcaitè, chargée des affaires professionnelles et pharmaceutiques auprès du GPUE (Groupement pharmaceutique de l’Union européenne).
Compenser la dérégulation du marché de l’OTC
Autre facteur qui propulse les pharmaciens sur le devant de la scène européenne : la désertification médicale qui sévit dans de nombreux pays comme la Grande-Bretagne et l’est de l’Allemagne ou encore dans certaines régions françaises. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le Royaume-Uni, très tôt confronté aux difficultés économiques et démographiques, a été le premier pays à introduire en 2003 des services pharmaceutiques. Ce n’est pas fortuit non plus si le Portugal l’a suivi dans cette voie quatre ans plus tard. Depuis 2007, différents services comme le suivi de certaines maladies chroniques ou encore les vaccinations sont proposés dans les pharmacies portugaises. « La réforme du système de santé portugais répondait à des exigences économiques et le pays a adapté à l’échelle pilote des modèles d’accompagnement des patients issus de l’Europe du Nord », relève Hélène Van den Brink.
C’est donc sous contrainte économique et, paradoxalement, dans les systèmes de santé les plus libéraux qu’ont été développés les premiers services pharmaceutiques. Ainsi, au Portugal « ils ont été introduits “en compensation” de la mise de certains médicaments en vente libre et sur Internet », note Hélène Van den Brink. Même chose en Italie, pays qui a connu la dérégulation du marché de l’OTC en 2006. Ces pays du Sud européen se sont lancés de manière éparse dans les services pharmaceutiques : suivi du diabète, de l’hypertension et de l’asthme au Portugal, mesure de la glycémie et de la tension en Italie (ou encore, dans certaines pharmacies Alphega en Italie, dépistage de l’ostéoporose et surveillance du nævus) et, enfin, dépistage du sida, du cancer du côlon et de la bronchopneumopathie obstructive chronique en Catalogne.
« La pratique pharmaceutique en Europe est plus harmonisée qu’on ne le croit? »
En Allemagne et aux Pays-Bas, en revanche, les services pharmaceutiques se sont greffés sur les forfaits de dispensation déjà en place (2). Dans ces pays, les multiples assureurs qui financent le système de santé ont conclu des partenariats avec les pharmaciens. Comme le rappelait en 2006 dans les Annales de pharmacothérapie Martin Schulz, pharmacien et président de la commission Médicament de l’Abda, la confédération des pharmaciens allemands, « dès 2005, 83 % des pharmaciens allemands ont été intégrés au programme du suivi de l’asthme, le premier contrat tripartite signé entre la fédération des pharmaciens DAV, celle des médecins généralistes et l’une des caisses d’assurance, la Barmer Ersatzkasse ». De même, aux Pays-Bas, le pharmacien est rémunéré 60 à 70 euros par les caisses pour les entretiens thérapeutiques des patients polymédiqués (au moins 8 médicaments). « Nous avons un entretien d’environ une heure à une heure et demie avec le médecin et le patient au cours duquel nous analysons les prescriptions », décrit Foppe Van Mil, pharmacien et consultant néerlandais.
Comme dans la plupart des pays européens, le suivi thérapeutique est l’objet principal de ces services pharmaceutiques. Ce n’est donc pas un hasard si la prise en charge du pharmacien se concentre dans trois domaines principaux : diabète, asthme, maladies cardiovasculaires, insuffisance cardiaque notamment. « Ce sont des pathologies où le médicament a une influence directe sur la thérapie. Tandis que le cancer et le sida continuent, de manière générale, d’être traités par le milieu hospitalier », note Foppe van Mil. Dans la même logique, les Britanniques – et plus récemment les Portugais – considèrent que la vaccination est du ressort de l’officine.
Cette approche par la médication, qui contribue à ancrer le pharmacien dans son cœur de métier, est une constante européenne. « Contrairement aux idées reçues, la pratique pharmaceutique en Europe est plus harmonisée qu’on ne le croit », relève Juratè Švarcaitè. Faisant référence à une récente étude du GPUE (3), elle observe : « Très souvent, un service innovant qui émerge dans un pays et qui prouve son efficacité pour le patient se propage à travers l’Europe pour devenir un service paneuropéen. Généralement, il ne porte pas le même nom et peut être modifié en fonction des conditions nationales, mais, à y regarder de plus près, il ne sera pas très éloigné du concept original. »
La France, un modèle dans une Europe à plusieurs vitesses ?
Engagés sur la même voie, tous les pharmaciens européens ne sont cependant pas égaux dans la pratique des services pharmaceutiques. « Ce qui diffère est le degré d’application. Les grandes disparités touchent essentiellement le mode de financement entre, d’un côté une rémunération par l’Etat comme au Royaume-Uni, et, de l’autre, une prise en charge par les assureurs aux Pays-Bas et, enfin, des services qui sont payés par les patients, comme en Italie », expose Caitlin Sorrell, directrice d’Alphega Pharmacy Europe. Dans ces conditions, les services pharmaceutiques sont encore loin de modifier le modèle économique de l’officine européenne. D’autant plus que les volets de la rémunération et de la formation des pharmaciens ne font l’objet d’aucune convention, à l’exception du modèle britannique et désormais, du modèle français.
Rares sont d’ailleurs les pays à avoir inscrit les services pharmaceutiques à l’échelle nationale. Beaucoup de ces prestations n’apparaissent encore aux quatre coins de l’Europe que dans des projets pilotes menés de manière sporadique. Et, surtout, dans la plupart des cas, elles ne donnent lieu à aucune rémunération du pharmacien. Dans le meilleur des cas, elles sont à la charge du patient. Cette absence de contrepartie financière crée de grandes disparités au sein des pharmacies. « Comme aux Pays-Bas où seules les officines de 10 000 patients au moins peuvent proposer des services gratuits, ce déséquilibre se reflète à l’échelle européenne. Ainsi, les officines du sud de l’Europe, souvent plus petites, peuvent difficilement se permettre une telle diversification de leur activité », relève Foppe Van Mil.
L’ensemble de ces facteurs nuit à l’émergence de véritables modèles. A l’échelle européenne, en dépit de similitudes dans l’approche du nouveau rôle officinal, les services pharmaceutiques continuent de s’inscrire dans des systèmes réglementaires propres à chaque pays. Les pharmaciens néerlandais persévèrent cependant dans l’offre de prestations – gratuites -, espérant obtenir un jour une contrepartie des caisses. Leurs homologues allemands redoublent d’efforts pour imposer au niveau fédéral l’accompagnement des insuffisants cardiaques, un projet pilote jusqu’alors mené à l’échelle régionale avec quelques caisses d’assurance maladie. En Catalogne, les pharmaciens s’apprêtent à initier en 2013 un suivi pharmacothérapeutique – gratuit et non rémunéré dans sa phase pilote – des maladies chroniques. Comme nombre de leurs confrères, ces pharmaciens européens sont décidés à prolonger les expériences. Cette détermination est significative de leur volonté de dépasser l’acte de dispensation pour devenir un acteur de santé publique à part entière.
En témoignent également les rencontres du PCNE (4) où les pharmaciens européens échangent sur leurs pratiques afin de stimuler, à l’échelle de leurs pays, l’application de la recherche fondamentale en matière de services pharmaceutiques. Ils explorent de nouvelles méthodes et de nouveaux instruments afin d’améliorer la qualité de la médication et de ses applications au sein de la pharmacie officinale.
Dans ce paysage européen en mouvement, le modèle français, bien que tardif, s’impose aujourd’hui comme l’un des plus consolidés. Ancré dans une convention et prévoyant une rémunération, il pourrait préfigurer ce que sera demain le service pharmaceutique en Europe. A condition d’étendre le mode de prise en charge des AVK à plusieurs autres accompagnements du patient.
« Le développement et la mise en place des soins pharmaceutiques par-delà les frontières », Hélène Van den Brink, Isha Nanthini Haridass, Valérie Siranyan. Annales Pharmaceutiques Françaises (2012), 70,82-87.
11 € par médicament pour la première dispensation aux Pays-Bas, 5 euros pour les suivantes, 8, 50 € par médicament en Allemagne dont 2 € de rétrocession aux caisses à chaque dispensation.
« Survey on common pharmacist activities », 2011.
Pharmaceutical Care Network Europe : http://www.pcne.org/
Manfred Krüger, Linner Apotheke à Krefeld (Allemagne)« 30 % d’hospitalisations évitées »
Manfred Krüger, titulaire de la Linner Apotheke, est un pharmacien engagé. Investi dans les programmes pilotes initiés par la fédération des pharmaciens allemands (Abda), il participe à de nombreux programmes d’études sur l’accompagnement des diabétiques et sur le management en médication du patient (accompagnement des patients dans le bon usage du médicament). Il propose à ses patients polymédiqués (asthme, diabète, maladies cardiovasculaires) des bilans et même des visites à domicile. Dans le même esprit, il suit 150 patients en traitement de substitution sous méthadone. Enfin, dernière initiative, Manfred Krüger « coache », en relation étroite avec les médecins prescripteurs, des patients polymédiqués qui vivent en maison de retraite. « Nous avons pu prouver que nous évitions 30 % d’hospitalisation grâce à un meilleur ajustement de la prescription », se réjouit-il. Ce pharmacien installé depuis 36 ans avoue être doté d’une bonne dose d’idéalisme. Et pour cause, il ne perçoit aucune compensation financière pour ces « extras ». Tout juste 160 à 180 euros par an et par patient lorsqu’il participe au coaching de patients polymédiqués, des programmes pilotes lancés au niveau régional. Soit le montant de l’aller-retour en ambulance du patient jusqu’à l’hôpital le plus proche. Et Manfred Krüger d’espérer : « Un jour, sans doute, les caisses, voyant que nous leur faisons faire des économies, se décideront à nous rémunérer pour nos services. »
Wim et Wilma Göttgens, Blanckenburgh Apotheek à Beuningen (Pays-Bas)« Notre taille nous le permet »
Titulaires depuis 1981, Wim et Wilma offrent depuis quinze ans à leurs patients outre le bilan de médication imposé par la loi, des services pharmaceutiques. La moitié de leurs seize préparatrices, spécialement formées, propose des entretiens de 15 à 30 minutes sur le diabète, l’asthme et les maladies cardiovasculaires. Ces services sont cependant facultatifs et non rémunérés. Wim et Wilma ne s’engagent que par pure conviction. Les titulaires reconnaissent pouvoir se le permettre en raison de la taille de leur officine : 15 000 à 16 000 patients (on calcule l’importance d’une pharmacie en fonction du nombre de patients qui lui est « affecté », en fonction de sa taille, de sa situation géographique, de son profil, de sa zone de chalandise), soit le double d’une officine néerlandaise moyenne. « Autrefois, se souvient Wim Göttgens, nous avions en échange de ces services quelques avantages financiers sous forme de rabais auprès de nos fournisseurs, mais ils ont disparu peu à peu. » Aujourd’hui, les pharmaciens, dont les prestations sont très estimées par les patients, ne peuvent plus faire marche arrière. « Les centaines de patients que nous accompagnons depuis plusieurs décennies ne comprendraient pas que nous les supprimions », déclare Wim Göttgens. « Nous-mêmes, nous ne voulons pas arrêter car ces services font partie de notre devoir de pharmacien », précise Wilma Göttgens. Les deux titulaires espèrent que les caisses d’assurance maladie reconnaîtront les avantages qu’ils fournissent aux patients et au système de santé. « Elles ont indiqué qu’elles paieraient probablement ces prestations à l’avenir », ajoute Wim Göttgens. D’ici là, les pharmaciens – et leur équipe – sont bien décidés à continuer. Ne serait-ce que « pour l’identité professionnelle des pharmaciens ».
INTERVIEW
CAITLIN SORRELL, DIRECTRICE D’ALPHEGA PHARMACY EUROPE« Les pharmaciens doivent faire bouger les choses »
En tant que groupement de pharmaciens présent dans sept pays, dont six dans l’Union européenne*, quelles approches observez-vous dans l’application des services pharmaceutiques à l’officine en Europe ?
Certains modèles sont plus aboutis que d’autres. D’une manière générale, tous s’inspirent de l’exemple du Royaume-Uni. Les modèles de rémunération, s’ils ont du mal à s’imposer, ne doivent cependant pas décourager les pharmaciens. Car, avant d’être demandeurs, ceux-ci doivent prouver que leurs services comportent un avantage pour le patient. Il ne s’agit pas d’une question de compétence à justifier, mais bien d’une valeur ajoutée à la chaîne de soins.
Pensez-vous qu’il soit du rôle d’un groupement d’initier des services pharmaceutiques ?
Nous ne cherchons pas à lancer de manière uniforme les services dans tous les pays. Il faut tenir compte du contexte réglementaire, du niveau de maturité du système de santé et des composantes culturelles, comme le statut du pharmacien et les attentes des patients. Il est cependant de notre vocation d’être précurseurs dans ce domaine que nous maîtrisons bien, et nous sommes présents là où le cadre réglementaire du pays le permet. Nous incitons le pharmacien à tenir ce rôle. Cependant, nous ne pouvons outrepasser les cadres réglementaires. Dans ce domaine, nous ne sommes que facilitateurs. Il revient aux pharmaciens de faire bouger les choses et de faire entendre leur voix.
* Royaume-Uni, Espagne, Italie, France, République tchèque, Allemagne (Vivesco) et Russie.
Filipa Alves da Costa, pharmacie de Parede (Portugal)« Pour l’image de marque du pharmacien »
Cette titulaire de Parede est aussi enseignante en pharmacie et chercheuse. Les projets mis en place par la Société nationale de pharmacie sur le suivi du diabète, de l’hypertension et de l’asthme constituent selon elle une approche très intéressante. Mais elle ne les applique pas car ils ne sont pas rémunérés. Filipa Alves da Costa offre les autres services prévus par la loi de 2007 comme l’« hébergement » de consultations en nutrition, audiologie, podologie et optométrie, et les vaccinations (hépatites A et B, méningite, HPV, grippe, pneumonie à pneumocoques…) qui peuvent être désormais effectuées par le pharmacien. Au cours du mois d’octobre, Filipa Alves da Costa a ainsi vacciné 150 patients contre la grippe et 15 contre la pneumonie et les hépatites A et B, pour les personnes n’ayant pas été vaccinées dans l’enfance dans le cadre du programme national. Les Portugais sont de plus en plus nombreux à préférer les services de leur pharmacien pour la vaccination, quitte à y mettre de leur poche : trois euros pour l’administration du vaccin et 53 % du prix du vaccin. « Cela n’est pas rentable en termes financier, mais l’ensemble de ces services donne une bonne image de marque au pharmacien et démontre que l’on peut se procurer tous ces soins de santé auprès de lui », juge Filipa Alves da Costa.
« Nous avons un entretien d’environ 1 h à 1 h 30 avec le médecin et le patient au cours duquel nous analysons les prescriptions. »
Foppe Van Mil, pharmacien et consultant néerlandais
« Dans de nombreux pays, le système de rémunération n’a plus de sens s’il n’y a pas derrière une rémunération des services. »
Hélène Van den Brink, professeur en droit et économie pharmaceutiques
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