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« Les maisons de santé organisées par les pharmaciens doivent garder une dimension collective et ne pas être un simple siphonage de clientèle »
L’officine rurale, écrin des nouvelles missions ; des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) sous les projecteurs du plan Ma santé 2022, avec la crainte qu’elles soient surdimensionnées pour les pharmaciens ruraux ; l’installation des jeunes en campagne hypothéquée par l’ordonnance Réseau ; une désertification médicale qui n’arrange rien à l’affaire ; des outils de télémédecine qui peuvent tout changer… Albin Dumas, président de l’Association de pharmacie rurale (APR), a des avis pour le moins tranchés sur ces principaux dossiers professionnels.
La pharmacie rurale a-t-elle les moyens d’assurer les nouvelles missions prévues dans l’avenant 11 à la convention nationale pharmaceutique ?
Albin Dumas : Il y a beaucoup de présupposés sur la capacité de se saisir des nouvelles missions pour les officines en milieu rural. En fait, comme la clientèle est très fidèle, que les relations de confiance et de proximité sont fortes, la situation est très favorable. La taille des officines, un peu plus petite que la moyenne, fait que le ratio du nombre de pharmaciens par rapport aux autres membres de l’équipe est plus élevé que dans de grandes officines, c’est encore un autre facteur favorable, contrairement à ce qu’on entend parfois.
Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), nouvel outil de coordination des soins et de coopération entre professionnels, vous paraissent-elles adaptées à l’exercice en milieu rural ?
Malgré la logique imparable d’efficacité des soins qui pousse à la préconisation des CPTS, cela va demander beaucoup de temps. Sans oublier qu’il faut concevoir les logiciels adéquats. Les équipes de soins primaires constituent les fondations de l’édifice, et de ce fait, sont plus à notre portée, surtout en milieu rural où des relations personnelles se nouent aisément entre les différents professionnels de santé.
La désertification médicale ne risque-t-elle pas également d’entraîner l’apparition de déserts pharmaceutiques ?
Indubitablement, la désertification médicale est la plus grande incertitude pour nombre d’officines rurales. S’y ajoute la concentration des cabinets médicaux sous l’action de l’Administration et des collectivités territoriales les plus entreprenantes. L’Association de pharmacie rurale (APR) enjoint aux pharmaciens de participer à l’organisation de soins coordonnés pour ne pas risquer d’être à l’écart des projets qui pourraient naître sur leur secteur. Certains pharmaciens prennent d’ailleurs les devants et organisent autour d’eux des maisons de santé pluriprofessionnelles. L’APR souhaite que le phénomène garde une dimension collective qui ne soit pas un simple siphonage de clientèle.
Concernant l’ordonnance Réseau, la création de zones étiquetées « fragiles » risque-t-elle d’entraîner une perte de confiance des pharmaciens désireux de s’installer à la campagne ?
Clairement, oui. Hormis le quorum de population, tous les critères inventés pour donner une fallacieuse capacité de décision à l’Administration vont plonger dans le doute les candidats à la reprise d’officine. La problématique n’est pas de créer de nouveaux équipements, mais de maintenir l’existant avec moins de volontaires. Les règles étant devenues moins claires, cela se passera souvent au détriment des zones les moins peuplées dont l’équipement en services de santé est plus diffus, justement celles qui ont déjà plus de mal à renouveler leurs professionnels ! Cet effet négatif va concerner de vastes territoires, alors que les zones désertées dans lesquelles l’agence régionale de santé (ARS) se manifestera pour implanter une officine ne se compteront que sur les doigts d’une main.
En quoi les règles sont-elles « moins claires » ?
L’article L.5125-3-3, par exemple, élargit le transfert dans le cas d’une commune avec une seule officine, sans considérer, semble-t-il, que cela peut impacter aussi les officines des communes limitrophes.
L’Administration peut choisir de recompter la population suivant ses critères pour implanter une officine dans un territoire qu’elle estime mal desservi. Cela peut faire craindre une déstabilisation d’une officine vers qui la population allait jusque-là.
La suppression du numerus clausus va-t-elle redonner de l’attrait aux études pharmaceutiques, notamment à la filière officinale ?
Franchement, je ne vois pas comment ! Même si les doyens laissent passer deux fois plus d’étudiants en 2e année de médecine, il restera encore assez de médecins frustrés pour faire des autres disciplines un choix par défaut. Pour remotiver les étudiants à s’engager dans la filière officine, je pense quand même que les nouvelles missions peuvent aider. Comment ? Elles vont contribuer à changer l’image du métier. Mais surtout, nous avons besoin de redonner confiance dans l’avenir de l’officine, à la fois centre de services et commerce de proximité. C’est un sujet qui dépasse le cadre de la profession : la réorganisation des cabinets médicaux impacte le réseau officinal. Et qui dépasse le champ de décision du ministère de la Santé. La politique de la ville a son importance. Les centres-villes ou centres-villages se dépeuplent, leur attractivité commerciale décroît et le commerce de proximité continue de s’y étioler.
Finalement, n’est-ce pas la télémédecine qui va venir au secours de la pharmacie rurale ?
La télémédecine est l’un des plus grands défis posés d’abord aux médecins. Oui, c’est aussi une chance pour la pharmacie rurale. Les statuts de téléassistant – le pharmacien assiste au colloque singulier entre médecin et patient et s’assure notamment que le patient a bien compris ce qui a été dit pendant la consultation – et d’établissement télérequérant – le pharmacien dépose lui-même un dossier de demande de téléconsultation et de télé-expertise pour sa pharmacie – sont des objectifs importants que nous revendiquons pour le pharmacien et l’officine. En officine, avançons progressivement en commençant déjà par les soins non programmés, en cas d’absence de médecin consultant de proximité, afin de soigner le patient et de désencombrer les urgences hospitalières. La discontinuité de la présence médicale libérale fait que, du point de vue des patients, des urgentistes et des pharmaciens (qui attendent toujours de pouvoir délivrer de la fosfomycine, des antalgiques de palier 2, des triptans, une dose flash de corticoïde), ce sont les soins non programmés qui posent le plus de problèmes.Bien sûr, la capacité à assister le patient dans sa consultation de télémédecine doit nous être reconnue conventionnellement. La pharmacie doit pouvoir facturer ses prestations dans ce domaine et revendiquer les différents services que peut offrir la télémédecine.
Le gouvernement et la Sécu, par ses accords conventionnels, placent d’ailleurs la télémédecine dans le parcours de soins du patient chronique.
La pharmacie a-t-elle une chance de récupérer le marché du maintien à domicile ?
Ce marché a souvent servi de justificatif à la demande d’autoriser la publicité en officine pour tenter de lutter à armes égales avec les prestataires de services. En réalité, les cartes sont biseautées ; ils ont des entrées dérobées et ont parfois partie liée avec les prescripteurs. Reprendre la main sur ce marché et en faire un levier de croissance sera compliqué. Dès qu’on aborde certains domaines « rentables », comme la nutrition, le pharmacien est déjà écarté à la source.
BIO EXPRESS
• 1981 : Diplômé de la faculté de pharmacie de Grenoble (Isère), certificat d’études supérieures de pathologies médicales.• 1986 : Installation en officine à Lalevade-d’Ardèche (Ardèche).
• 1999 : Secrétaire général de l’APR.
• 2013 à ce jour : Président de l’APR.

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