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Les inspecteurs en perdent leur latin

Publié le 18 décembre 2010
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En septembre, le Syndicat des pharmaciens inspecteurs de santé publique (SPHISP) a diffusé à ses adhérents un questionnaire en ligne afin de recueillir leurs impressions sur la mise en place des ARS, leur positionnement et leurs missions. Les 73 réponses obtenues montrent une certaine préoccupation.

Lors de la phase de préfiguration des ARS, 78 % des sondés déclarent avoir été peu souvent ou pas du tout associés aux groupes de travail ou aux réunions préparatoires à la mise en place des ARS. Même les PHISP exerçant précédemment une fonction d’encadrement n’ont pas été plus sollicités.

Une fois les ARS mises en place, 49 % des PHISP interrogés déclarent que l’inspection régionale de la pharmacie (IRP) a été maintenue en l’état mais sous un autre nom. En fait, dans 13 régions sur les 23 sondées, les inspections régionales de la pharmacie (IRP) ont été maintenues. Malgré cela, certains PHISP n’y sont plus affectés et exercent leurs fonctions dans une autre direction ou sont directement rattachés auprès du directeur général de l’ARS comme conseiller technique. Aux endroits où l’IRP est maintenue, une majorité des PHISP (64 %) a la possibilité d’exercer d’autres missions. En revanche, l’éclatement d’une IRP en plusieurs services (2 à 7 directions) ne permet pas à une plus grande proportion de PHISP d’exercer de nouvelles missions, les rapports et les missions restant les mêmes. D’où un sentiment général d’insatisfaction qui ressort clairement des réponses que nous livrons, à la demande du SPHISP, de façon anonyme.

Les insatisfaits : la majorité

« Il y a une absence de travail en transversalité malgré l’affichage annoncé de la répartition par direction métier et par thématique », égraine un premier PHISP qui reproche aussi « une absence de pilotage aboutissant finalement à un cloisonnement par métiers et par missions, un éparpillement des ressources humaines, un gaspillage par des tâches prises en charge par plusieurs personnes à la fois sans aucune vision globale et sans concertation ou coordination pharmaceutique entre les directions ».

Un inspecteur note que « dans les anciennes IRP, la transversalité se faisait aussi avec les autres directions et les divers métiers et administrations ». Un autre fustige la « complexité des circuits », une « augmentation du nombre de responsables hiérarchiques et de donneurs d’ordre », avec pour conséquence une « lourdeur administrative, une perte de l’identité des interlocuteurs pour le professionnel de santé », une « impression générale de régression au lieu d’une efficience annoncée ».

D’autres encore pointent du doigt :

• « la perte de la notion de secteur géographique, s’accompagnant d’une baisse de la présence des PHISP sur le terrain avec une perte d’autonomie, de responsabilité et du lien avec le professionnel de santé » ;

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• « une nette dévalorisation de l’inspection coupée des autres missions exercées auparavant comme les instructions des demandes d’autorisation » ;

• « un morcellement de la fonction, des programmes d’inspection élaborés par des agents administratifs sans aucune connaissance du métier » ;

• « un désaveu de la compétence technique au profit des responsables administratifs et la perte de la polyvalence » ;

• « une inégalité de la charge de travail entre les PHISP et un isolement technique ».

Dans une région où l’inspection avait été certifiée ISO, son éclatement a été vécu comme une régression en terme de qualité.

Sur un ton empreint d’amertume, un autre ajoute : « Nos missions sont décousues, nous n’avons plus aucune indépendance. Bref, je me sens placardisé ! Nous poursuivons de notre propre initiative nos inspections de terrain mais pour combien de temps ? » D’autres vivent encore plus mal la destruction d’une organisation qui a fait ses preuves, comme ce PHISP qui ne se remet pas de « la brutalité des affectations et des rétrogradations, du mépris manifesté à l’égard de tous les fonctionnaires, du discrédit jeté sur le travail effectué jusqu’ici, du manque de reconnaissance, de l’explosion des échelons hiérarchiques et de la mise à l’écart des conseillers techniques de toute forme de responsabilité et d’encadrement. »

Le découpage des missions et leur éparpillement sur différents agents aboutissent à une perte de sens et de vision globale du travail, alerte le syndicat. Au final et paradoxalement, l’ARS devient une caricature de l’administration (hiérarchie démultipliée, interlocuteurs multiples, plus de guichet unique, etc.).

Un traitement de défaveur

L’absence d’harmonisation des pratiques entre les ARS est un point douloureux. « À l’inverse du décloisonnement annoncé entre les directions, il s’installe une étanchéité encore plus frappante de la circulation de l’information même sur des thématiques stratégiques », constate un PHIST. Un autre dénonce « une impression de relégation de la compétence technique au profit d’une structure politique et médiatique, et une lourdeur des procédures (par exemple, pour les ordres de mission) qui n’existait pas auparavant ». Plus grave encore, certaines ARS ne délivrent plus un ordre de mission permanent, mais seulement pour chaque mission, obérant ainsi encore un peu plus la souplesse d’action du PHISP, agent de l’État assermenté. La question de l’habilitation reflète bien la difficile mise en place des ARS, 58 % des répondants n’étaient pas encore habilités et 15 % ne savaient pas ce qu’il en était quand ils ont répondu à l’enquête en septembre dernier. Aussi, les PHIST jugent la situation très critique car l’habilitation leur permet, dans le cadre de leurs prérogatives réglementaires, de constater sur procès-verbal les infractions au Code de la santé publique.

Les satisfaits : une minorité

Mais les ARS ne font pas que des mécontents, certains PHIST se déclarent satisfaits de leurs nouvelles missions suite à l’éclatement des IRP, pour les motifs suivants :

• une émancipation et un élargissement des compétences par un travail pluridisciplinaire, une diversification des activités avec un maintien parallèle de la fonction d’inspection ;

• une adéquation avec le positionnement du PHISP en région, une présence sur un champ sanitaire plus large et un travail en pluridisciplinarité, a contrario d’une IRP limitée aux seuls aspects pharmaceutiques en complète ignorance des aspects sanitaires globaux ;

• une intervention pharmaceutique plus en amont ;

• un encadrement moins pesant affranchi de considération strictement pharmaceutique ;

• la possibilité de faire preuve d’initiative.

« Enfin, nous sommes sortis de notre tour d’ivoire et allons pouvoir élargir nos compétences ! », déclare l’un deux qui voit dans la nouvelle organisation une ouverture à une diversification des activités, l’opportunité de mener un travail pluridisciplinaire sur des dossiers de santé publique tout en maintenant un volet inspection et d’accéder à davantage d’informations. Cependant, « le fonctionnement en thématiques reste fragile, avec une inégalité des charges de travail des pharmaciens inspecteurs selon les directions et les pôles spécifiques ».

La création des ARS a permis finalement à certains PHISP d’élargir leur champ de compétence et de pouvoir exercer avec d’autres professionnels sur d’autres thématiques comme le médico-social et les EHPAD.

Un pharmacien inspecteur muté aux douanes

Depuis le 1er septembre 2010, Benoît Dufay (ARS Ile-de-France, Yvelines) est le premier pharmacien inspecteur de santé publique affecté au service national de douane judiciaire (SNDJ) dépendant de la direction générale des douanes et des contributions indirectes (ministère du Budget). Une affectation en vue de renforcer la lutte contre la contrefaçon de médicaments conformément aux décisions du conseil stratégique des industries de santé tenu en octobre 2009. La mutation de Benoît Dufay s’inscrit dans la suite logique d’une collaboration étroite de plusieurs années entre les services de douanes et ceux de l’inspection régionale de la pharmacie d’Ile-de-France. Cette collaboration a permis de déjouer des pratiques illégales de certains titulaires à l’approvisionnement de distributeurs en gros à l’exportation, d’aider les douanes à effectuer la plus grosse saisie de médicaments de contrebande jamais réalisée en France : pas moins de 100 000 doses en provenance de Chine ont été confisquées à de faux apothicaires exerçant leurs « talents » dans cinq herboristeries et magasins diététiques des IIIe, XIe et XXe arrondissements de Paris. Benoît Dufay a ainsi participé à de nombreuses opérations de « nettoyage » avec les douanes. Ceci explique donc cela.