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LES 3 CLÉS DE LA RECONQUÊTE

Publié le 23 janvier 2016
Par Chloé Devis
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Pour s’imposer sur un marché qui leur échappe encore en grande partie, les pharmaciens ont une carte maîtresse à jouer auprès des prescripteurs et des patients : leur rôle pivot dans le parcours de soins. A condition de valoriser leurs compétences. Mode d’emploi.

Des aides à la vie courante aux lits médicalisés en passant par l’oxygénothérapie, les produits d’incontinence… L’offre associée au maintien à domicile n’a cessé de se diversifier. Sur le versant commercial, les spécialistes du matériel médical gardent une emprise certaine : « Le circuit officinal ne pèse pas plus de 15 % du marché, voire moins de 5 % sur certains segments », fait savoir Isabelle Baumann, directrice commerciale d’Oxypharm (Astera). Une contre-offensive est pourtant possible, comme en atteste l’initiative de l’URPS Alsace, qui a lancé l’an dernier une campagne de communication auprès des prescripteurs et du grand public sur ce sujet. Si l’opération se poursuit cette année, « nos efforts de sensibilisation portent d’ores et déjà leurs fruits avec un accroissement de la demande dans les officines », se félicite Claude Windstein, secrétaire général de l’URPS.

Nathalie Clemenceau, directrice régionale des ventes d’Alcura (Alliance Healthcare), rappelle l’évidence : « Un patient maintenu à domicile, c’est un client gardé à l’officine. » De surcroît, le vieillissement de la population et la progression des maladies chroniques ouvrent des perspectives prometteuses sur un marché qui présente des marges « plus avantageuses que les autres secteurs d’activité officinaux ». Quant à l’investissement nécessaire, il est largement modulable en fonction de ses priorités stratégiques.

Autre facteur de rentabilité, « des stocks réduits au minimum car, par définition, l’essentiel du matériel est installé à domicile tandis que les autres articles peuvent être en grande partie dispensés sur commande », fait valoir Isabelle Baumann. Benoît Mauclère, titulaire à Fort-de-France (Martinique), ne regrette pas de s’être lancé dans la bataille : « Mon activité de maintien à domicile connaît une évolution annuelle à deux chiffres.

Interprofessionnalité est le maître mot

Le maintien à domicile, c’est aussi « l’occasion pour le pharmacien d’imposer son professionnalisme au sein des réseaux de soins », souligne Hélène Prêcheur, dirigeante de l’organisme de formation PharmaReflex. Il peut ainsi opposer à la force de frappe commerciale des spécialistes du matériel médical, « une légitimité qui repose à la fois sur son expertise en santé et la relation privilégiée qu’il entretient avec ses patients ». Aux yeux de la consultante, il est donc temps que l’officine apprenne à collaborer avec l’ensemble des intervenants de la prise en charge à domicile, depuis les structures sanitaires et d’aide à domicile jusqu’aux différents professionnels de santé, sans oublier les collectivités locales. « Il faut environ six mois pour pouvoir activer ce réseau d’acteurs de proximité, mais, ensuite, c’est une source d’optimisation de la prise en charge des patients », assure Hélène Prêcheur.

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Benoît Mauclère, de son côté, a fait mouche en proposant à ses partenaires prescripteurs une formation sur l’interprofessionnalité au sein même de son officine. Il a également créé des fiches patients pour un suivi mieux coordonné, et travaille à la mise au point d’une appli à l’intention des soignants.

Cultiver la relation avec les patients

« C’est avant tout au comptoir que le réflexe “maintien à domicile” doit être développé », plaide Hélène Prêcheur. A l’équipe officinale de savoir lire entre les lignes de l’ordonnance pour pouvoir se montrer proactive. De même, « la relation de confiance du pharmacien avec ses patients peut lui permettre d’être informé d’une hospitalisation à venir et de se positionner comme l’interlocuteur à contacter à la sortie de celle-ci », relève Anne Mortreux. La dirigeante d’A’Domus conseille également de se rendre au domicile du patient au moment de la livraison d’un équipement : « Non seulement c’est rassurant pour lui, mais c’est aussi une façon de mieux le connaître et d’identifier d’autres difficultés et les réponses à y apporter. » Par ailleurs, « le maintien à domicile ne se résume pas au gros matériel : il ne faut pas hésiter à proposer aux patients concernés toutes sortes de solutions en conseil associé, y compris hors LPP, pour faciliter leur quotidien », affirme Anne Mortreux. « Les produits de bien-être et de confort constituent une approche “prévention” du maintien à domicile qui permet de toucher une cible élargie », renchérit Isabelle Baumann.

Bâtir son image de spécialiste du MAD

« La compétence de l’officine en matière de maintien à domicile reste trop souvent méconnue faute de visibilité », déplore Nathalie Clemenceau. Si en parler au comptoir reste une priorité, « la mise en place d’un espace d’exposition au sein de la pharmacie a un impact direct sur le chiffre d’affaires ». A cet effet, du matériel peut être prêté par les prestataires eux-mêmes. Attention, « il ne faut pas donner une image trop médicale des produits mais au contraire faire en sorte que le patient puisse avoir une idée de la manière dont ils peuvent s’intégrer dans son univers quotidien à travers des mises en scène thématiques », conseille Anne Mortreux. Sans oublier de mettre en avant les aides pharmacotechniques à la vie courante.

Quant aux produits sensibles, touchant à l’incontinence par exemple, ils peuvent être exposés dans un espace plus retiré. Enfin, et notamment si la surface de vente est trop restreinte pour accueillir un « show room », il ne faut pas hésiter à exploiter tous les supports possibles pour valoriser l’offre de maintien à domicile, à l’extérieur, via l’enseigne ou la vitrine, aussi bien qu’à l’intérieur, avec la mise à disposition de catalogues et de brochures notamment.

Seniors : attention fragile !

Communiquer spécifiquement en direction des seniors peut être une fausse bonne idée lorsque l’on fait du maintien à domicile. Tout d’abord « parce que ce sont le plus souvent les aidants que l’on verra à l’officine plutôt que les patients directement concernés », souligne Céline Schmitt, consultante chez Seniosphère. La « ghettoïsation » des 60 ans et plus est un autre piège. De fait, ils représentent un tiers de la clientèle officinale, mais avec des besoins très distincts selon les tranches d’âge. D’où « la nécessité d’une segmentation de l’offre », remarque Anne Mortreux, dirigeante d’A’Domus : « De jeunes retraités soucieux de veiller à leur forme n’auront pas envie de trouver les produits qu’ils recherchent à côté d’autres produits destinés à une patientèle plus âgée et dépendante à laquelle ils ne souhaitent pas être assimilés. »

Quant aux plus âgés, Céline Schmitt recommande de porter ses efforts sur les conditions d’accueil : « Il faut tenir compte de leurs difficultés de déplacement, de visualisation mais aussi d’audition, à la fois dans l’aménagement de l’officine et dans la relation de l’équipe avec eux », préconise-t-elle.