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LE RÔLE DU PHARMACIEN DANS L’ACCOMPAGNEMENT DE FIN DE VIE
Un texte de loi gouvernemental sur la fin de vie devrait être présenté au Parlement dans les prochains mois afin d’apporter des améliorations à l’accompagnement des patients. L’occasion de croiser les regards des professionnels de santé, dont les pharmaciens, sur leurs pratiques actuelles.
En décembre dernier, l’Elysée annonçait qu’un projet de loi sur la fin de vie serait présenté au Parlement en juin et saisissait le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) sur le sujet. L’avis du CCNE, attendu pour mi-juin, devrait éclairer la réflexion du gouvernement, de même que les propositions du Pr Didier Sicard, ancien président du CCNE. Ce dernier a remis le 18 décembre 2012 un rapport à François Hollande (« Penser solidairement la fin de vie », http://bit.ly/TYEark) dans lequel il invite à réfléchir au recueil des directives anticipées émises par « une personne en bonne santé sur sa fin de vie ». Le rapport préconise également une avancée vers l’« euthanasie active », – une idée soutenue par la majorité des Français, selon un sondage TNS-Sofres de décembre 2012 – en ouvrant la porte au suicide assisté dans certains cas de maladie incurable et évolutive. Didier Sicard estime en effet que la législation actuelle, la loi Léonetti du 22 avril 2005, ne permet pas de répondre à l’ensemble des préoccupations légitimes exprimées par les personnes dans cette situation.
Une étude de Nicolas Brouard, directeur de recherches à l’Institut national d’études démographiques, parue en février 2013, évalue à 3 000 le nombre d’euthanasies en France par an, malgré l’interdiction. Une pratique cependant très marginale. Sur le terrain, les professionnels de santé s’emploient à accompagner les mourants. Et, parmi eux, de plus en plus de pharmaciens.
SOPHIE DE LA MARANDAIS PHARMACIENNE DU CENTRE MÉDICOSOCIAL LECOURBE (PARIS)
J’ai travaillé comme adjointe à Paris pendant vingt ans. J’ai toujours aimé le soin et l’accompagnement des patients. Ma première approche de la fin de vie a été la prise en charge des patients atteints du sida dans les années 1980. Cela a été un déclic dans ma façon de travailler. J’ai quitté l’officine pour devenir pharmacienne gérante d’une PUI dans un centre médicosocial et fait des remplacements à la maison médicale Jeanne-Garnier, une unité de soins palliatifs située à Paris dans le XVe arrondissement, avant d’intégrer le service d’hospitalisation à domicile (HAD) François-Xavier-Bagnoud (spécialisé en soins palliatifs), qui a depuis rejoint l’hôpital de la Croix-Saint-Simon. J’ai suivi un DU de soins palliatifs, très important dans la mesure où la mise en place de certains traitements demande une réflexion différente dans le cadre de la fin de vie (hydratation, nutrition, douleur…). Certaines thérapeutiques en fin de vie peuvent entraîner des effets indésirables qu’il faut contrôler (par exemple la constipation sous morphiniques), de même que certains symptômes doivent être bien appréhendés, l’objectif étant le confort du malade. Un patient en fin de vie qui reçoit les bons médicaments au bon moment, c’est notamment grâce à l’implication du pharmacien. Celui-ci constitue un maillon indispensable au cœur du parcours de soins du malade, dont il connaît l’histoire de la maladie, la famille et les proches. L’officine reste un lieu où les personnes peuvent parler, questionner. Une fin de vie à domicile est très lourde pour une famille et cristallise les tensions et l’angoisse de la mort. Le pharmacien, par ses conseils auprès du patient ou des proches, peut lever l’appréhension face à des effets secondaires (avec les morphiniques…) ou des symptômes inconnus (dyspnée de fin de vie…). Il permettra ainsi un bon accompagnement et facilitera le travail de deuil des proches.
CHANTAL RICARD-NOARO INFIRMIÈRE LIBÉRALE (BOUCHES-DU-RHÔNE)
Je trouve très important d’avoir de bonnes relations avec les pharmaciens pour coordonner les soins. Lors de l’organisation des sorties d’hôpital, l’une des premières difficultés constatées réside dans le fait que le pharmacien est souvent contourné, par l’HAD ou les services hospitaliers, qui ne se préoccupent pas de savoir si le patient a un pharmacien – ou déjà du matériel chez lui – et font appel directement aux prestataires avec lesquels ils ont l’habitude de travailler. On se retrouve souvent avec des cartons de matériel inutiles livrés d’office chez le patient, et cela nous fait perdre du temps car il faut le bon matériel et pour cela il faut lister nos besoins réels à domicile. Aucun contrôle n’est effectué dans le domaine, cela représente un coût non négligeable. Lorsque la sortie est correctement organisée, la famille se rend chez le pharmacien qui peut nous appeler pour connaître nos besoins et nos habitudes. Lorsque, comme c’est souvent le cas, la sortie d’hôpital a lieu le vendredi dans la journée ou le samedi matin, il est important que le pharmacien puisse répondre rapidement à notre demande en nous fournissant le matériel technique, en trouvant des solutions lors des écueils des ruptures de stock. La relation que nous nouons avec lui est importante afin qu’il sache ce qu’on a l’habitude d’utiliser et qu’on ne perde pas de temps… Le pharmacien peut aussi nous inciter à utiliser des matériels nouveaux dont il a connaissance, et qui seront un atout pour le patient, et, de notre côté, nous pouvons, au fil de nos formations ou des congrès, découvrir de nouveaux produits et lui en parler. Nous souhaiterions que le pharmacien effectue toujours un vrai suivi dans les fins de vie, et pour cela qu’il communique et se déplace. Ce n’est pas toujours le cas. De l’investissement du pharmacien dépend aussi un bon accompagnement de fin de vie à domicile.
PASCALE CLAVIER MÉDECIN COORDONNATEUR DU RÉSEAU ONCOLOGIE, PALLIATIF, EXPERTISE ET RÉSEAUX ASSOCIÉS OPERA (SEINE-ET-MARNE)
Notre réseau accompagne les patients atteints de pathologies cancéreuses et de maladies graves évolutives tout au long de leur parcours de santé et collabore avec les professionnels qui les entourent. J’ai obtenu un DU et DIU en soins palliatifs, je coordonne la prise en charge à domicile et en EHPAD pour que les personnes restent sur leur lieu de vie dans les meilleures conditions possibles. Nous contactons donc toute l’équipe de soignants et, dans ce contexte, les pharmaciens. Ils sont des soignants de proximité qui connaissent le patient depuis longtemps, c’est en priorité à eux que celui-ci s’adresse pour du matériel médical (lit médicalisé, fauteuil roulant…), davantage qu’à un prestataire de services. Je soulignerais aussi leur rôle très important pour l’aide aux compléments alimentaires : il faut trouver la bonne formule, le bon produit qui permettra de dépasser l’écœurement et de s’alimenter. Il me semble que c’est vraiment le rôle du pharmacien car, sur ce chapitre, nous, médecins, sommes un peu perdus… Ce n’est pas un domaine auquel les médecins sont très sensibles et nous nous battons régulièrement, en tant que réseau, pour leur répéter de ne pas oublier ces compléments alimentaires ! Evidemment, côté officine, la connaissance des gammes (salées, sucrées, sous forme de jus de fruits…) est très « pharmacien-dépendante » ! Nous essayons de multiplier les contacts avec les pharmacies, il nous arrive fréquemment de distribuer des plaquettes de présentation du réseau dans les officines. Il est très important que les différents acteurs de la prise en charge puissent se parler le plus possible, donner leur point de vue, leur avis médical… Et je trouve dommage que les pharmaciens ne nous contactent pas davantage et aient parfois tendance à se mettre en retrait… Nous nous rejoignons souvent sur l’analyse des prescriptions hospitalières, parfois surchargées en fin de vie, alors qu’il faudrait les alléger et se concentrer sur la prise en charge de la douleur, de l’alimentation et de l’hydratation, des escarres… Un échange avec le pharmacien est possible à ce sujet, nous contactons ensuite le médecin traitant pour arrêter la prescription de tel ou tel médicament.
PHILIPPE MINIGHETTI PHARMACIEN TITULAIRE À ARLES (BOUCHES-DU-RHÔNE)
J’ai connu la fin de vie à l’hôpital où j’étais pharmacien, et, lors de mon installation, je me suis équipé pour pouvoir la prendre en charge à l’officine. En matériel et en formation. J’ai fait un DU de maintien des personnes âgées à domicile, un DU d’oncologie pharmacologie clinique, un DU d’oncologie en soins de support, deux ans de certificat européen de micronutrition en Belgique, une formation sur la mise en place des poches chez les patients atteints de stomies et un DU de prise en charge de la douleur… Lorsque je voyais des patients atteints d’un cancer, il me semblait difficile de répondre à leurs questions avec ma seule formation, j’ai eu envie d’être le plus cohérent possible pour répondre à toutes leurs demandes, dont la fin de vie que je rencontre inévitablement dans ma patientèle ou en EHPAD où je suis également très impliqué. Le plus important est d’être très réactif pour soulager rapidement les douleurs du patient, ne pas les faire attendre quelques heures ou le lendemain pour délivrer les bons produits. Et penser au plus grand confort du patient en disposant et en sachant manipuler le matériel médical. Cela passe par la disponibilité et la bonne coordination entre le médecin, le pharmacien et l’infirmière. C’est avec cette dernière que j’ai le plus de contacts. Avec ma collaboratrice, spécialisée dans le matériel médical, nous allons beaucoup à domicile. Ce qui m’intéresse, c’est le côté humain mais aussi l’aspect scientifique : l’hydratation, la mise en place des poches, du matériel spécifique… Je ne trouve pas ce suivi difficile mais passionnant, même s’il faut évidemment prendre du recul pour s’y engager.
JEAN-PHILIPPE DELSART TITULAIRE À BRÉTIGNY-SUR-ORGE (ESSONNE), PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION FRANÇAISE DES PHARMACIENS CATHOLIQUES
Le titre du rapport Sicard « Penser solidairement la fin de vie » est révélateur de l’amélioration à apporter au tissu social. La majorité des personnes qui demande une aide médicale pour mourir est celle qui est déjà dans un état de mort sociale, pour laquelle la dimension relationnelle s’est réduite au fil des mois ou des années. Je pense que les professionnels de santé peuvent limiter cette impression de mort sociale : une « bonne mort », si je puis dire, c’est être entouré jusqu’au bout. D’autre part, je pense qu’il faut renforcer encore davantage les équipes mobiles de soins palliatifs intervenant à l’hôpital, en ville ou en EHPAD et favoriser une meilleure coordination entre professionnels et services intervenant à domicile pour travailler dans un plus grand climat de confiance. Cette question de la confiance, qui a à voir quelque part avec celle de la solidarité, va se nicher loin. Dans les pays qui ont opté pour une dépénalisation de l’euthanasie (Pays-Bas et Belgique), il a été mis en place au départ deux commissions composées de médecins : une première pour valider les protocoles autorisant les médecins à injecter des substances létales, et une seconde pour contrôler comment les choses avaient été faites. Selon certains experts, ces contrôles sont devenus plutôt administratifs. D’où les risques évidents de dérapage. Ce qui veut dire que dans un tel contexte, il y a le risque de générer tôt ou tard une crise de confiance entre patients et soignants comme entre soignants eux-mêmes. Dans ce domaine de la fin de vie, les décisions ne peuvent qu’être collégiales. Je pense à un exemple, en EHPAD, d’une personne qui tombe et que l’infirmière veut envoyer aux urgences pour les soins élémentaires. La famille, prévenue, dit qu’elle ne veut pas d’acharnement thérapeutique et s’oppose à cette décision. Où est la frontière ? De même lorsque telle personne à certains moments délirante dit qu’elle n’en peut plus. Est-elle en mesure de décider ? Doit-on prendre en compte sa demande ? Au-delà, je pense que pour chaque professionnel il doit exister un droit d’objection de conscience. Cadré par une bonne communication entre professionnels, base de la confiance, même si c’est le médecin référent qui prendra la décision finale de la sédation terminale ou du geste létal si on légifère sur la dépénalisation de l’euthanasie. Mais chaque acteur doit pouvoir se retrancher derrière la décision de sa conscience, le pharmacien en ville pourra ainsi exercer son droit de refus de délivrance. Dépénaliser la transgression de l’interdit de tuer ne peut se résumer à l’affirmation sans limites d’une liberté individuelle en oubliant que la personne ne se vit, ne s’invente que reliée et dépendante d’autrui.
LINE FRANÇOIS MÉDECIN GÉNÉRALISTE (BOUCHES-DU-RHÔNE)
J’officie dans un secteur semi-rural, on y fait relativement souvent des accompagnements de fins de vie, le souhait d’un certain nombre de patients étant de rester à la maison, même si nous avons un centre hospitalier proche. Nous ne disposons en revanche pas d’association d’accompagnement dans le secteur proche et avons un nombre évidemment limité de lits en HAD. Je suis en contact avec les pharmaciens de par ma formation et ma volonté de créer un lien efficace avec eux pour le bien-être du patient. J’échange avec eux sur toutes les questions de médication particulière, notamment sur les médicaments type morphiniques que l’on utilise à des doses différentes du jour au lendemain. Nous faisons des réunions téléphoniques fréquentes avec le trio pharmacien-infirmière-médecin. Je ne suis pas médecin de soins palliatifs et n’ai pas l’habitude pluriquotidienne d’utiliser des morphiniques. Il m’arrive donc de consulter le pharmacien lorsque je dois changer de médicament pour des raisons d’intolérance ou par exemple lorsque la prise orale n’est plus possible, et que je mets en place un équivalent morphinique sous forme injectable, transcutanée ou en barrettes transmuqueuses. Nous faisons alors le switch ensemble. Les demandes que j’ai à faire à mes collègues pharmaciens sont suivies, mais il se peut que je fasse une sorte de présélection naturelle… De même qu’il est plutôt rare qu’un de mes patients aille dans une pharmacie dont le pharmacien ne corresponde pas à mes attentes ! Suivre des « fins de vie » correspond à mon choix de travail, beaucoup de collègues ne le font pas et veulent que leurs patients soient envoyés à l’hôpital. Mes patients me demandent parfois : « Est-ce que vous me suivrez jusqu’à la fin ? Je voudrais que ça se passe à la maison… » Et si ce ne sont pas eux qui le font, j’aborde moi-même assez rapidement cette question, sachant bien sûr que leur décision peut toujours être révisable.
CLAIRE DÉSÉRICOURT TITULAIRE À AIX-EN-PROVENCE (BOUCHES-DU-RHÔNE)
Je suis spécialisée dans la prise en charge du patient atteint de cancer à travers un projet que j’ai monté qui s’appelle Oncodial (un « dialogue en oncologie »). Il m’arrive donc d’accompagner des patients en fin de vie. Il est vrai que le pharmacien en France n’a pas cette image, auprès du public, d’être au chevet du patient. Mais nombre d’entre nous s’investissent parce qu’ils connaissent les patients, les familles, et notre rôle évolue. On peut s’occuper de tout l’aménagement du lieu de vie et répondre à tous les gestes en urgence : à nous de nous battre, de livrer à domicile appareil de neurostimulation, aérosol, oxygène, sondes et médicaments dans les temps. A nous d’anticiper les besoins et d’avoir du stock. C’est dans la réactivité que le pharmacien acquiert une certaine intimité avec son patient et sa famille en allant à domicile. La nouvelle génération doit se former, parce que si elle ne sait pas être à l’écoute, orienter le patient dans la même zone de chalandise, elle ne répondra pas aux besoins du patient. D’autre part, je dirais qu’il ne faut absolument rien imposer, savoir rester à la bonne distance, se tenir disponible. Le patient passe par différentes étapes : déni, colère, résilience, acceptation… Nous devons nous adapter avec tact, laisser la personne venir à cette vérité, l’aider si elle en a envie. Et puis se calquer sur les besoins de la famille en fonction de son milieu socio-économique et culturel, de sa configuration. Cela demande une capacité d’adaptation et d’écoute, qui se poursuit après le décès de la personne puisque nous continuons à voir les aidants à l’officine. Certaines pharmacies ne sont pas intéressées par cette activité chronophage et peu valorisée, à un moment où la rentabilité de nos structures est très tendue. Je pense au contraire que ce soutien, ce service, nous donne une image de professionnels disponibles et compétents et joue un rôle de fidélisation. Les familles que j’ai accompagnées à un moment difficile me sont fidèles à vie ! Nous devons nous positionner en coordinateurs de santé et ne pas hésiter à faire intervenir d’autres acteurs : un ostéopathe, une personne dispensant des massages, etc., et, pourquoi pas, assister aux staffs médicaux, où le pharmacien peut être le bienvenu.
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