Le dossier pharmaceutique pour garder la main sur l’OTC

Il y a des moments où donner dans l’exagération permet de se faire entendre. Fort de ses 2 300 adhérents, le président du groupement Evolupharm, Pascal Geffray, a réagi « face aux dangers liés au passage en libre-service de la prescription médicale facultative ». « C’est non, non et non ! », peut-on lire en caractères énormes sur un courrier de deux pages envoyé au ministère de la Santé, à l’Ordre, à la FSPF, à l’APR, à l’USPO et à l’UNPF. « Les pharmaciens sont encore assez conscients et responsables pour ne pas laisser faire n’importe quoi sous prétexte que le gouvernement confond vitesse et précipitation, libéralisation et déréglementation », est-il encore écrit.

Divorce entre La Cooper et l’AFIPA

Ce n’est pas tout. Une brochure destinée aux patients, mise à disposition des adhérents depuis le 1er novembre (voir document), explique : le libre-service, « c’est dangereux pour vous » et « pour votre pharmacie », car cela « entraînera inévitablement la disparition de nombreuses pharmacies […] dont peut-être la vôtre ».

Pierre-André Martel, président de la Cooper, est lui aussi farouchement opposé au libre accès. Dans une lettre ouverte au ministre de la Santé, il estime que cela « conduirait à reléguer le pharmacien dans le périmètre sanctuarisé de la prescription, comme aux Etats-Unis. […] Avons-nous besoin de [le] transformer en gérant de supérette ? ». La Cooper est d’ailleurs allée au clash avec l’AFIPA (représentant les industriels de l’automédication) dont elle ne fait plus partie…

Le dossier pharmaceutique pour contrer les GMS

Parmi les objections se trouve le spectre des GMS : « Du libre-service dans nos officines, c’est du pain béni demain pour la grande distribution. […] Il est essentiel de préserver un monopole utile », poursuit Pascal Geffray. La question est cruciale à l’heure où des voix s’élèvent pour faire la distinction entre monopole de compétence et monopole capitalistique. Le libre accès conduira-t-il les médicaments en GMS ? « Le meilleur moyen de couper l’herbe sous le pied des grandes surfaces c’est d’occuper sans hésiter ce marché, conseillait Alain Coulomb, ancien directeur de la HAS, dans le cadre d’une table ronde organisée par Kadris Consultants. Les pharmaciens vont tout simplement apprendre les caractéristiques de la concurrence. »

Quid des centres de para qui emploient déjà des pharmaciens ?… « Ils n’auront pas accès au dossier pharmaceutique, a fait remarquer Alain Coulomb, qui fut aussi président du groupe de travail sur l’automédication formé en 2006 et coauteur du rapport publié en janvier dernier. Or, c’est un élément important de l’automédication responsable. » Un avis amplement partagé par les mutuelles qui cherchent de plus en plus à accéder à son contenu. « Il faudra très rapidement prendre langue avec les complémentaires, analyse d’ailleurs Gilles Bonnefond, secrétaire général de l’USPO. Si le parcours de soins que nous organisons est efficace et économe, alors il devra être récompensé. En revanche, ceux qui prônent le libre accès en avançant 2,5 milliards d’euros d’économies potentielles sont irresponsables. »

Alain Coulomb, lui, préfère voir là un moyen pour les pharmaciens de reprendre la main : le système, jusqu’alors dominé par les médecins, est en train de glisser vers un modèle plus équilibré, note-t-il. A voir.