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Le décloisonnement est en cours !
Outils numériques, expérimentations, innovations, essor de la pharmacie clinique… Tous les ingrédients sont réunis pour l’élaboration d’une recette gagnante : la montée en charge de la coopération entre professionnels hospitaliers et libéraux. Avec des retombées plus que positives pour les officines qui s’y engagent.
Cela ne se fera pas du jour au lendemain. Mais le mur infranchissable établi depuis des décennies entre professionnels de santé de la ville et de l’hôpital fait apparaître quelques fissures. Si le désir et les besoins sont là, faire communiquer et travailler ensemble ces différentes catégories ne relevait pas d’une évidence. Avant d’entrer dans la pratique, cette coopération doit être testée et explorée dans toutes ces composantes. « Le lien ville-hôpital n’existe pas de manière spontanée. Il doit être tracé et balisé », assure Benoît Hue, pharmacien au CHU de Rennes (Ille-et-Vilaine) et manager de l’unité fonctionnelle Soins pharmaceutiques. L’expérimentation est en cours actuellement en Bretagne et dans les Pays-de-la-Loire. D’autres initiatives s’appellent Partage GHT 49 ou iatroprev. Toutes portées à l’échelon régional ou départemental, elles ont été lancées sur le modèle de l’article 51 à la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) de 2018. Son objectif : tester de nouvelles organisations et de nouveaux modes de financement en santé. Ces expérimentations ont un autre point commun : elles initient un parcours de soins pour une catégorie bien définie de patients en s’appuyant sur les professionnels hospitaliers et libéraux. Pour assurer la réussite de ce rapprochement, il faut mettre de l’huile dans les rouages. « Il est indispensable que des structures se positionnent à l’interface entre les différentes professions, indique Benoît Hue. L’association Octave est portée par les unions régionales des professionnels de santé (URPS) Pharmaciens de Bretagne et des Pays-de-la-Loire. Elle est composée de pharmaciens hospitaliers, d’officines mais aussi d’une équipe de salariés chargés de mission ou de coordination du projet. En pratique, lorsqu’un pharmacien d’officine est sollicité pour la première fois par un service hospitalier, cette équipe le contacte pour le briefer sur ce qu’on attend de lui. Et cet appui est maintenu autant qu’il le faut. » Sans cette intervention, des demandes d’informations hospitalières auprès des officines seraient restées lettre morte… L’équipe « hors les murs » se charge également de communiquer sur le dispositif auprès des professionnels et d’en assurer la formation.
Une équipe à quatre
Le modèle est le même pour l’expérimentation iatroprev. Lancée dans les Hauts-de-France, c’est une étape d’échanges entre professionnels au moment où le patient âgé quitte l’hôpital. « Nous avions remarqué que les modifications de traitement qui y étaient effectuées n’étaient pas forcément reprises au cours des mois suivants par les médecins libéraux malgré l’envoi d’un courrier de liaison et du document de conciliation médicamenteuse de sortie », rapporte Aurélie Terrier-Lenglet, pharmacienne au département de pharmacie clinique au CHU d’Amiens-Picardie (Somme). Cette phase de concertation voit s’accorder médecin traitant, pharmacien d’officine et équipe hospitalière composée d’un gériatre et d’un pharmacien. En la matière, rien ne remplace le contact direct, même dématérialisé. « La concertation se fait par téléphone ou en visioconférence selon les possibilités, explique Bertrand Decaudin, pharmacien professeur des universités et praticien hospitalier à Lille (Nord). Cela permet de discuter de la prise en charge du patient et de valider ou non les recommandations d’optimisation médicamenteuse proposées par l’équipe hospitalière. » La durée de l’échange est d’une vingtaine de minutes. C’est un effort de disponibilité et de réactivité mais le jeu en vaut la chandelle. « C’est du temps gagné par la suite. Nous constatons que 90 % du traitement de sortie est encore en place 90 jours après cette concertation. » Bertrand Decaudin ajoute que le risque de réhospitalisation est doublé si le dispositif n’est pas mis en place 48 heures après la sortie. Et puis rien ne se perd. La démarche a aussi une vertu pédagogique. « Le fait de discuter d’une situation clinique et d’argumenter sur une déprescription, par exemple, va profiter à d’autres patients. Cette réflexion a aussi valeur de formation continue. Et on la réinjecte dans la formation des futurs professionnels de santé. » Les pharmaciens d’officine apportent leur connaissance des traitements pour le patient concerné et sur son adhésion thérapeutique. Ils peuvent en avoir une vision plus complète pour approfondir le suivi. « Lorsqu’il récupère l’ordonnance du patient en sortie d’hospitalisation, l’officinal peut mieux lui expliquer les traitements », souligne Aurélie Terrier-Lenglet.
Des BPM qui passent bien
Au final, les pharmaciens d’officine constatent qu’ils sont un rouage essentiel du système. Rien, pratiquement, ne peut se faire sans eux. « Ne serait-ce que pour que les financements soient versés. Si le patient ne va pas au bout du parcours, la rémunération n’est pas versée, ni à la ville, ni à l’hôpital », pointe Benoît Hue. Les officinaux acceptent massivement de se porter volontaires pour intégrer les expérimentations. Près de neuf officines sur dix ont ainsi intégré Octave et Partage GHT 49. En face, une montée en charge progressive et importante des hôpitaux, y compris des centres de proximité, est également constatée. Dans plusieurs expérimentations, l’adhésion officinale implique la réalisation de bilans partagés de médication (BPM). Pour de nombreux pharmaciens, ce furent les tout premiers. Pour ceux qui traînaient les pieds à l’idée de s’y coller, du fait notamment de l’indifférence ou de l’opposition supposée du médecin traitant, cette mission s’est déployée en ouvrant de nouvelles perspectives. « L’expérimentation a contribué à légitimer la position des officinaux vis-à-vis des médecins libéraux auxquels ils transmettent des informations et aussi parfois des préconisations dans les traitements », rapporte le pharmacien du CHU de Rennes. Constituant une précieuse articulation avec leurs collègues des différents services, les pharmaciens hospitaliers sont un appui à plus d’un titre pour leurs confrères officinaux. « Lorsque nous effectuons une conciliation médicamenteuse à la sortie de l’hôpital, nous avons déjà établi des suggestions de réévaluation de traitement. Cela permet de donner des billes aux pharmaciens de ville pour aborder les BPM », détaille Benoît Hue. Autre intérêt de ce rapprochement pour les officines, la mise à disposition des prescriptions de matériel médical. « Les ordonnances de sortie sont transférées sur la plateforme numérique. Il m’est arrivé d’appeler le pharmacien pour lui indiquer une prescription de matériel médical. Au comptoir, il peut prévenir l’entourage du patient hospitalisé qu’il peut intervenir à ce niveau si besoin », relate le pharmacien hospitalier.
Entrée dans le droit commun
Ce bénéficie collatéral pour les officines ne serait pas possible sans la mise à disposition de plateformes numériques performantes et ergonomiques [Voir encadré]. « Mais à un moment, il va falloir que les pouvoirs publics se posent la question de la multiplication de ce type d’outils, relève Benoît Hue. Un pharmacien d’officine ne pourra pas utiliser 15 plateformes différentes pour 15 types de patients différents. On ne va pas recréer des silos ! On peut penser que la décision de la solution utilisée par tous sera prise en coopération à l’échelle d’un territoire, c’est-à-dire d’un département. »
Cela sera bien utile si ces différentes expérimentations sont reprises de manière totale ou partielle dans le droit commun. Dès lors qu’au-delà du test, un financement au parcours, et non à l’acte, sera mis en place. Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) pourront intégrer ces nouvelles formes de coopération interprofessionnelle. L’attente se focalise aujourd’hui sur l’adoption de l’article 22 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024. Il propose de fixer un cadre générique pour ces « parcours coordonnés renforcés » au travers d’un « financement collectif d’une équipe pouvant se déployer entre la ville, l’hôpital et le secteur médicosocial ». La mise en application de ces nouveaux modèles va concerner de nombreuses typologies de patients. « On part de loin. On ne pouvait pas tout mener en même temps, considère Benoît Hue. Nous nous sommes demandé par quoi commencer. Pour Octave, nous sommes partis des soins programmés en chirurgie. Cela représente déjà les deux tiers des hospitalisations. C’est un exemple que l’on peut décliner. Si on arrive à subdiviser tous les types de patients et créer un lien fort sur des parcours, on va parvenir à faire mûrir le système. »
Des plateformes numériques pour sécuriser les échanges
Rien ne serait possible dans le rapprochement entre professionnels de ville et hospitaliers s’ils ne disposaient d’un support d’échanges numérique. L’Espace numérique de santé (ENS) ne peut avoir cette vocation. « Il n’est pas prêt pour cela. Il ne peut pas être ce support car il faut pouvoir échanger des données structurées et dynamiques. Cependant, à l’intérieur de l’ENS, il y a des outils qui mûrissent. Il peut renvoyer vers une plateforme numérique », estime Benoît Hue, pharmacien au CHU de Rennes. Différentes sociétés ont développé ce type de plateformes spécialisées qui se nomment Hospiville (MaPUI Labs), Bimedoc ou Terr-eSanté. Hospiville, par exemple, équipe les expérimentateurs d’Octave, de Partage GHT 49 et du projet Onco’Link. Il leur faut pouvoir utiliser un outil ergonomique et performant, dont le recours donne tout de même lieu à une session de formation. Son emploi offre l’assurance de la sécurisation et de la traçabilité des échanges entre professionnels. Les échanges sont standardisés et donnent lieu à une alerte lorsqu’un nouveau document est déposé. « Le lien ville-hôpital c’est tout d’abord la volonté des acteurs à travailler ensemble, explique Goulwen Lorcy, président et cofondateur de MaPUI Labs. Cela veut dire pour eux qu’il faut dégager du temps et des financements, hors outils numériques. Et il faut aussi un outil numérique socle pour la gestion du parcours du patient et la transmission d’informations. » Les professionnels peuvent s’y connecter avec l’aide de leur carte e-CPS depuis leur téléphone portable. Mais l’interopérabilité avec les logiciels officinaux n’est pas effective. Des solutions intermédiaires permettent de transférer les données pour éviter aux pharmaciens d’avoir à les ressaisir. Sur la plateforme, une partie de l’analyse de l’ordonnance s’effectue avec l’appui de l’intelligence artificielle. « Elle est capable, à partir d’un fichier PDF ou d’une photo de l’ordonnance, de reconnaître les caractères et de structurer l’information lorsque la prescription est informatisée. »
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