La financiarisation, c’est oui ou… Sénat ?

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La financiarisation, c’est oui ou… Sénat ?

Publié le 5 octobre 2024
Par Audrey Chaussalet
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L’offre de soins est confrontée à des risques liés à sa financiarisation. La pharmacie n’échappe pas à cette règle, selon le rapport de la commission des affaires sociales du Sénat « Financiarisation de l’offre de soins : une OPA sur la santé ? », qui a été rendu public le 25 septembre. 

 

 Au terme de neuf mois de travaux, la commission des affaires sociales du Sénat a présenté son rapport « Financiarisation de l’offre de soins : une OPA* sur la santé ? », accompagné de recommandations pour « mieux maîtriser le phénomène », « limiter ses conséquences indésirables » et « protéger l’indépendance des professionnels de santé ».

 

Pour les trois sénateurs qui ont travaillé sur le rapport, Corinne Imbert (Les Républicains, Charente-Maritime), Olivier Henno (Union centriste, Nord) et Bernard Jomier (Socialiste, écologiste et républicain, Paris), il n’est pas question de revenir en arrière et d’interdire totalement la financiarisation, mais l’objectif est plutôt de mieux la réguler avant que ce ne soit trop tard. Pour eux, la conclusion est limpide : si on continue de laisser faire tout et n’importe quoi, le système de santé Français n’en sera que plus malade. « La financiarisation de l’offre de soins comporte des risques. Elle n’est pas le diable, mais on a laissé trop de liberté. Il est urgent de faire attention à préserver le présent et l’avenir », ont-ils affirmé lors de la présentation du rapport qui s’est tenue le 25 septembre.

La biologie médicale en tête

 

Dans la médecine ambulatoire, tous les secteurs sont concernés. La biologie médicale est le plus financiarisée avec six grands groupes de laboratoires concentrant 62 % des sites de biologie médicale sur le territoire national (chiffres de 2021). Cependant le phénomène a également gagné les structures d’imagerie, les centres dentaires et ophtalmologiques, le secteur officinal, et plus récemment les centres de soins primaires.

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Face à cette ampleur, les trois sénateurs ont rédigé 18 propositions dans le but de « donner un cadre clair afin que les objectifs de santé priment toujours sur les objectifs financiers ». 

Risque n° 1 : la perte d’indépendance

 

Les rapporteurs ont tout d’abord constaté que les besoins de liquidités rencontrés par les libéraux, notamment lors de leur première installation, « constituent l’un des principaux facteurs de financiarisation de l’offre de soins ». Elle prend alors la forme d’un endettement auprès de fonds d’investissement susceptibles d’influencer l’organisation et l’activité de soins. « Ce phénomène touche toutes les professions médicales libérales, mais est particulièrement vrai en officine où, malgré un strict contrôle de la propriété, réservée aux pharmaciens diplômés en activité, le recours à des fonds est courant. Il se fait souvent sous forme d’obligations convertibles en actions, ce qui permet aux pharmaciens d’accéder à des financements privés sans faire entrer le fonds au capital, mais en échange de contreparties susceptibles d’affecter leur indépendance », ont noté les sénateurs qui préconisent d’autres offres complémentaires de financement protégeant mieux l’indépendance des pharmaciens. L’exemple de la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP) et de son fonds « Interpharmaciens » est cité en exemple. De même que la création de la plateforme de financement participatif Pharmequity, destinée à mettre en relation des pharmaciens repreneurs d’officines en recherche de fonds propres avec d’autres épargnants qui souhaitent investir. Ces derniers investissent en actions et donc entrent au capital mais ne sont pas autorisés à intervenir dans la gestion quotidienne de l’officine. Il est par ailleurs précisé que les deux partenaires ne doivent pas exercer dans la même région.

Des modèles de financement à étendre

 

La troisième possibilité viable pour les pharmaciens porte sur les offres d’apports, sous forme de prêts bancaires, qui sont mises en place par certains grossistes-répartiteurs. Les trois auteurs ont jugé souhaitable que « ces modèles professionnels [soient] favorisés et étendus, dans la mesure du possible, à d’autres professions de santé susceptibles de rencontrer des difficultés de financement ». Quant aux obligations convertibles en actions (OCA), la sénatrice Corinne Imbert les a qualifiées d’investissement financier « court-termiste » qui étrangle les titulaires et « met à mal leur indépendance et leurs conditions d’exercice ». La mission d’information cite dans son rapport l’exemple du fond Unipharma II de la société 123 Investment Managers, qui propose des solutions de soutien aux pharmaciens titulaires et demande, en contrepartie, « d’augmenter la part des produits les plus rémunérateurs dans leur offre, tels que les produits de parapharmacie, dans l’objectif d’augmenter leur marge commerciale, en plus de réclamer une maîtrise des coûts ». À ses investisseurs, le fonds, qui vise 70 millions à 100 millions d’euros d’investissement, promet « un couple rendement-risque attractif » fondé sur les « fondamentaux solides » que sont le vieillissement de la population, l’essor des prises en charge à domicile et l’attention croissante à la santé, ont rapporté les sénateurs.

 

« L’indépendance des professionnels de santé [est] peut-être l’enjeu le plus sensible », estime Bernard Jomier. Parmi les mesures qui visent à la renforcer : « donner aux ordres la possibilité de contrôler les moyens d’exercer leur contrôle » par la création de « cellules régionales d’appui » qui croisent les compétences des directions régionales des finances publiques, des directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) et des agences régionales de santé (ARS).

Risque n° 2 : un dialogue conventionnel déséquilibré

 

L’autre constat de la commission des affaires sociales, qui concerne cette fois-ci tous les secteurs de la médecine ambulatoire, dont l’officine, est que la financiarisation modifie le dialogue conventionnel avec les autorités régulatrices telles que l’Assurance maladie et les agences régionales de santé (ARS). Autrement dit, la financiarisation a favorisé la concentration de groupes forts. Et confronté à des acteurs de plus en plus puissants on peut « craindre un amoindrissement du pouvoir de négociation des régulateurs ». Il est urgent de « veiller à ce que les tarifs conventionnels négociés permettent la viabilité financière des structures indépendantes et de faire figurer dans les objectifs légaux des conventions professionnelles celui de la protection de l’indépendance des professionnels de santé », précise le document. L’Ordre national des pharmaciens et les deux syndicats représentatifs de la profession, la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) et l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), avaient été auditionnés pour ce rapport, mais ils n’ont pas encore souhaité réagir à sa publication. Peut-être parce que le sujet de la financiarisation de l’offre de soins est éminemment politique. Certaines des recommandations pourraient figurer dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2025, dont la présentation est prévue le 9 octobre prochain.

  • * Offre publique d’achat.