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LA COORDINATION SÈME LA ZIZANIE

Publié le 15 février 2014
Par Loan Tranthimy
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Pour améliorer l’accès des patients aux points de garde, la coordination géographique entre gardes officinales et permanence des soins ambulatoires est souhaitable. Seulement, voilà. Cette organisation reste encore difficile tant les dispositifs dont dépendent pharmaciens et médecins sont différents.

Vous vous rendez compte ? J’habite Romorantin. Je me suis fait prescrire une ordonnance par le médecin de garde et j’ai dû me rendre à Souesmes, à plus de 35 kilomètres, pour me faire délivrer les médicaments. C’est totalement anormal ! » Ce témoignage d’un habitant mécontent du Loir-et-Cher, rapporté par La Nouvelle République en janvier, décrit un dysfonctionnement passé un peu inaperçu jusqu’à présent : l’absence de coordination géographique entre permanence des soins des médecins libéraux et gardes pharmaceutiques. En 2013, dans le rapport de la Cour des comptes sur la permanence des soins ambulatoires, les hauts magistrats ont déjà alerté : « La distance peut être grande entre le cabinet du médecin de permanence et la pharmacie de garde, ce qui occasionne des désagréments pour l’usager. »

Une critique qui ressurgit un an après, lors de l’audition de la présidente du collège des directeurs généraux d’ARS, Marie-Sophie Dessaule, par la mission parlementaire sur la permanence des soins le 17 janvier dernier. « Entre la logique de refonte des secteurs de garde et la venue des patients sur ces points de garde, les patients ont de plus en plus de distance à parcourir. Il n’y a pas aujourd’hui d’articulation entre l’évolution de la garde médicale avec la garde pharmaceutique », déplore-t-elle. Elle confie que ce dysfonctionnement est même devenu « le premier sujet de préoccupation évoqué lors des conférences régionales de santé et de l’autonomie entre les agences régionales de santé et les usagers ». A l’heure où la coordination devient un leitmotiv et l’accès aux soins un objectif partagé par tous les acteurs, comment expliquer cette situation ?

Deux dispositifs radicalement différents

Obligatoire pour les pharmaciens, la garde est basée sur le volontariat pour les médecins. Face à l’érosion de la participation des praticiens aux gardes, comme le souligne le dernier rapport de l’Ordre des médecins, « il est souvent difficile de connaître les tours de garde des médecins, faute d’un tableau de garde rempli », note Philippe Vergne, coprésident du syndicat des pharmaciens de Haute-Garonne. S’ajoute à cette incertitude un autre obstacle de taille : la différence du nombre de secteurs de garde. Pour les pharmaciens, ce nombre est limité par la convention pharmaceutique et fixé au niveau national « à 1 150 pour les nuits et 1 450 pour les dimanches et jours fériés », alors qu’il s’élève à 1 764 pour les médecins libéraux, selon l’Ordre des médecins. « La limitation pour les pharmaciens par la CNAMTS était due à un problème d’indemnisation », précise Alain Delgutte, président de la section A de l’Ordre des pharmaciens, auditionné lui aussi par la mission parlementaire,. Ces différences organisationnelles qui rendent difficiles la coordination géographique sont censées être arbitrées par le comité départemental de l’aide médicale urgente, de la permanence des soins et des transports sanitaires (Codamups), chargé de réunir tous les professionnels concernés par la garde médicale. Or, selon Alain Delgutte, « ces réunions sont très souvent embolisées par les problèmes d’organisation des médecins confrontés à une réduction du nombre de secteurs ». Jean-Charles Rochard, secrétaire général du Conseil national de l’ordre des pharmaciens, évoque de son côté « des problèmes de proportion et de sous-représentativité des pharmaciens au Codamups ». Le président de la commission sur la permanence des soins de l’Ordre des médecins, Jean-Michel Béral, contre-attaque : « Les pharmaciens prennent pour prétexte l’obligation légale et les différences de territoire pour dire qu’il est impossible de coordonner ces lieux. Je ne peux que déplorer cette attitude ». Comment dans ces conditions surmonter les difficultés ?

Des solutions à trouver avec les pharmaciens

Pour Marie-Sophie Dessaule, directrice de l’ARS Pays de la Loire, plusieurs solutions pourraient être discutées avec les syndicats des pharmaciens comme la mise à la disposition des maisons médicales de garde d’un stock de médicaments d’urgence, en dépannage d’une nuit ou d’un week-end, ou encore le principe de conserver la même pharmacie de garde la plus proche de la maison médicale de garde. Des propositions qui ne séduisent pas Philippe Gaertner, président de la FSPF : « Personne n’acceptera que la pharmacie à côté de la maison médicale soit de garde sept jours sur sept. Contrairement à ce que certains imaginent, il n’est pas envisageable qu’un autre pharmacien du tour de garde vienne dans cette pharmacie car c’est lieu privé. » Le président de la FSPF écarte également l’idée d’un stock de médicaments mis à la disposition des maisons médicales de garde. « Chacun son métier, le médecin est prescripteur et le pharmacien dispensateur. Le jour où on décide de le faire, il n’y aura plus de pharmacie de garde », tranche-t-il. Même sentiment du côté de l’USPO. « Il ne faut pas exporter les difficultés qu’ont les médecins sur les pharmaciens », martèle Gilles Bonnefond, président du syndicat. Quant à l’idée d’un stock de médicament, il se montre très réticent. « Remettre les propharmaciens dans le circuit va désorganiser le système de garde ». Faut-il alors « confier aux agences régionales de santé l’organisation géographique des gardes de tous les professionnels de santé (permanence des soins ambulatoires, gardes pharmaceutiques, gardes ambulancières) », comme le suggère le rapport de la Cour des comptes ? Cette gestion, qui existe déjà pour les médecins, est soutenue par Jean-Michel Béral : « Si on veut aller vers une amélioration, il faudrait regrouper les centres de décision. Cela aboutirait probablement à une modification légale et un redécoupage des gardes pharmaceutiques », affirme-t-il. Cette idée ne convient pas non plus à Philippe Gaertner, qui rappelle que la gestion des gardes pharmaceutiques est gérée aujourd’hui par les syndicats. « La mainmise des autorités publiques risque d’entraîner du côté des professionnels une réaction épidermique dont on ne peut pas mesurer les conséquences », prévient-il, très agacé.

Sur le terrain, le ton est moins tranchant. En Seine-et-Marne par exemple, malgré un département hétérogène où le territoire du Sud est entièrement rural, l’organisation ne connaît pas d’accroc. Selon Stéphane Bour, coprésident du syndicat de pharmaciens, le découpage des secteurs de garde officinale prend en compte les points de garde des médecins. « Dans notre département, l’ARS nous consulte et redessine les secteurs de garde. Cela se passe sans problème », ajoute-il.

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Peu importent les divergences, l’idée d’une meilleure coordination géographique entre permanence des soins et gardes pharmaceutiques est en marche. La mission parlementaire promet de soumettre ses propositions cet automne.

Repères

57millions d’euros

Montant de l’enveloppe totale allouée aux gardes des pharmaciens en 2012.

25 %

Dans un quart des territoires, les médecins assurent leur garde dans un lieu fixe (de type maison médicale de garde).

407

C’est le nombre de sites réservés à la permanence des soins.