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Jamais sans mon pharmacien
Armé de patience et de persévérance, Jean-Philippe Vesin, titulaire d’une petite officine de Denain, a redonné le goût de vivre à une fidèle patiente dépressive en l’accompagnant pas à pas sur la voie de l’observance. Un bel exemple de ce dont un pharmacien est capable en matière d’« éducation thérapeutique ». En attendant un texte législatif ?
En quasi trente ans d’exercice, ce n’était pas la première fois que Jean-Philippe Vesin quittait son comptoir pour accompagner un patient dans sa maladie, l’aider à l’apprivoiser et, surtout, à bien observer son traitement. Mais, cette fois, sans sa vigilance, qui sait ce qu’il serait advenu ?
Madame T., ancienne enseignante, est cliente de la Pharmacie Gambetta de Denain depuis de longues années. Un divorce mal vécu, la retraite, souvent facteur de dévalorisation de soi-même… et, doucement mais sûrement, c’est la plongée dans un profond état dépressif. De façon de plus en plus pressante, Mme T. va demander à l’équipe de la Pharmacie Gambetta des boîtes supplémentaires d’anxiolytiques et d’antidépresseurs. Jean-Philippe Vesin s’en inquiète. Et mène son enquête. Egare-t-elle ses médicaments ? En consomme-t-elle trop ? Une chose est sûre, il juge que le médecin traitant, avec qui il a par ailleurs un relationnel difficile, rédige les ordonnances de façon trop complaisante. Le titulaire se décide à agir : « Nous courrions trop de risques, aussi bien en complétant un éventuel oubli qu’en refusant l’avance d’un produit », explique-t-il. Il fallait d’autant plus agir que la patiente commençait à se désocialiser. Madame T. ne sortait plus de chez elle, ne voulait plus voir personne et accumulait les problèmes familiaux. Il y avait urgence.
Les médicaments livrés tous les jours à domicile
Jean-Philippe Vesin, d’un commun accord avec le reste de l’équipe, décide dès lors d’organiser une délivrance journalière au domicile de madame T. Restait à la convaincre d’accepter. La relation de confiance qu’il a su nouer avec elle y parviendra. Nous sommes en octobre. Il est décidé que Jean-Jacques Ruelle, le préparateur de la pharmacie, se rendra tous les jours chez Mme T., qui habite à seulement 300 mètres. Finalement, ce sera jusqu’à trois fois par jour ! En effet, bien que la patiente sexagénaire tolérait bien le début de traitement comme la mise en place de la délivrance journalière à domicile, il lui arrivait de déclarer avoir perdu son pilulier journalier et, donc, pour l’équipe officinale, de ne pas pouvoir vérifier si les médicaments avaient bien été pris. « Ou alors les doses préparées pour le soir disparaissaient : l’ensemble des doses de la journée avait été pris en une seule fois », se souvient Jean-Philippe Vesin.
Après trois mois de suivi quotidien, Mme T. commence à devenir plus raisonnable. « Constatant un léger mieux dans son attitude, nous pensions que le temps était venu de ne lui apporter ses médicaments que trois fois par semaine au lieu de venir quotidiennement. Et puis, nous approchions des fêtes de fin d’année. Nous allions devenir moins disponibles et il fallait donc que Mme T. s’y habitue… », se justifierait presque le titulaire. Mais le mois de janvier qui suivit fut chaotique : Mme T. s’est mise à prendre tous les médicaments qu’elle avait devant elle d’une traite, à appeler la pharmacie pour obtenir de nouvelles doses. Elle oscillait entre des périodes de quiétude et de forte anxiété. « Un jour, nous l’avons retrouvée à terre, presque nue, ne sachant pas expliquer ce qui lui était arrivé et, de toute façon, n’arrivant pas à s’exprimer clairement, raconte Jean-Philippe Vesin. Au bout d’une vingtaine de minutes, elle avoua avoir pris de l’alcool et tous ses médicaments, soit deux jours de traitement. Elle avait chuté. Une autre fois, elle se mit à nous parler de suicide, tout en précisant qu’elle n’aurait jamais la force de le faire. »
Un travail d’écoute de longue haleine
L’inquiétude grandissant au sein de l’équipe, il n’était pas question de baisser la garde. Et, après deux semaines sans incident, le pharmacien décide de passer à deux visites par semaine, ce que la patiente accepte. Patatras ! En février, Mme T. fait une rechute. « Lorsque nous devions passer, elle levait le verrou de la porte d’entrée et nous attendait dans le noir, assise sur son canapé. Nous prenions alors le temps de discuter. » Le mois suivant, Jean-Philippe Vesin, ne sachant plus que faire, se tourne vers le Groupe d’écoute et d’information sur la dépendance de Valenciennes, un centre spécialisé de soins pour toxicomanes situé à une dizaine de kilomètres de Denain, pour leur demander conseil. « Le GREID nous a alors recommandé de rester à deux délivrances par semaine, mais sur un autre schéma : madame T. se déplacerait jusqu’à l’officine le mardi et nous lui apporterions la délivrance le vendredi, explique le titulaire. Nous lui en avons parlé et, ensemble, avons décidé de commencer ce nouveau dispositif quinze jours plus tard, soit fin mars. »
Mais le projet sera repoussé d’une nouvelle semaine, la patiente refusant de venir chercher son traitement à la pharmacie. « Ayant beaucoup grossi, elle refusait de se montrer », indique Jean-Philippe Vesin. A force de persuasion, elle viendra finalement, tous les mardis, et apparaîtra de plus en plus active et gaie. Même si elle se montrera encore parfois très énervée et appellera de temps à autre la pharmacie plusieurs fois par jour pour confirmer un doute, le travail d’accompagnement se poursuivit jusqu’à l’été. Les visites à domicile s’espacèrent, pour laisser place à une relation de confiance.
Après les deux mois de fermeture estivale, Jean-Philippe Vesin eut le plaisir de constater que sa patiente se portait mieux et, surtout, était devenue autonome. « Aujourd’hui, elle ne prend plus qu’un antidépresseur et une benzodiazépine, a suivi de son propre chef une cure d’amaigrissement à Saint-Amand, revoit sa famille, garde ses petits-enfants. Autant de bonnes nouvelles… dans l’attente d’une législation de ce type de prestation d’accompagnement thérapeutique ! » Le titulaire de la Pharmacie Gambetta espère mais n’y croit pas d’ici les quelque cinq années qui le séparent de sa retraite. Qu’importe. Cela n’empêchera pas ce ch’ti de continuer à rester vigilant depuis son comptoir.
Envie d’essayer ?
Les avantages
– S’engager dans ce type d’action permet d’être reconnu professionnellement.
– Accompagner un patient et réussir à améliorer son état n’a pas de prix, humainement parlant !
Les difficultés
– Mettre en place un tel suivi nécessite de s’organiser à l’officine, avec toute l’équipe, afin de se rendre disponible. Il ne faut d’ailleurs pas compter son temps !
– Le temps pris sur son activité n’est pas rémunéré.
– Le pharmacien manque d’un statut clair pour pouvoir pratiquer un tel accompagnement de manière totalement sécurisée.
Les conseils de Jean-Philippe Vesin
– « Un accompagnement thérapeutique pouvant s’avérer de longue durée, armez-vous de patience et d’écoute ! »
– « N’hésitez pas à faire appel aux structures existantes spécialisées pour vous faire aider et conseiller. »
– « Avant de vous lancer, assurez-vous de la présence d’un entourage autour du patient concerné et essayez de rapidement sentir une écoute et du positivisme de sa part… Le risque d’échouer sera sinon, malheureusement, d’autant plus grand. »
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