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Grippe : Et si vous deveniez pharmacien GROG ?

Publié le 14 octobre 2006
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Tous les mercredis d’octobre à avril, le bulletin des GROG (groupes régionaux d’observation de la grippe) fait le point sur la situation épidémiologique du virus grippal en France. Et ce, grâce à la collaboration active d’acteurs de santé sur le terrain. Parmi eux, les pharmaciens ont un rôle encore trop souvent insoupçonné, mais ô combien utile.

Une belle aventure. L’histoire des GROG, c’est avant tout la réalisation d’un projet ambitieux porté à bout de bras par un médecin généraliste. Depuis qu’il a évalué l’ampleur des conséquences médicoéconomiques de la grippe, Jean-Marie Cohen (coordinateur national des GROG) croit dur comme fer à l’intérêt d’un réseau d’alerte et de suivi épidémiologique du virus. Quel type de grippe circule ? Dans quelle région le seuil épidémique est dépassé ? En apportant des réponses claires à ces interrogations, l’objectif n’est autre que d’aider les professionnels de santé et les pouvoirs publics à réagir à bon escient et en temps réel.

« J’ai toujours voulu mettre en relation les soignants de première ligne et les grands virologues, tous experts de la grippe à part entière », explique Jean-Marie Cohen. Nous sommes en 1984 et, à l’époque, il n’eut aucun mal à convaincre Claude Hannoun, alors directeur du Centre national de référence (CNR) grippe à l’Institut Pasteur. A l’aide d’un troisième compère en la personne de William Dab (le futur directeur général de la Santé était encore jeune épidémiologiste à l’époque), le concept voit le jour. « Avec des bouts de ficelles », reconnaît Marie Forestier, responsable de la communication. Qu’à cela ne tienne, les données hebdomadaires des GROG sur la circulation du virus grippal sont devenues un véritable maillon de la veille sanitaire en France avec le partenariat scientifique avec l’Institut national de la veille sanitaire (INVS) depuis 2004, mais aussi en Europe (réseau EuroGROG).

68 pharmaciens vigies.

Si la structure des GROG s’est étoffée au fil du temps (elle se compose aujourd’hui de 20 coordinations régionales), si les deux coordinateurs nationaux (Anne Mosnier et Jean-Marie Cohen) sont devenus des spécialistes de la grippe reconnus sur le plan international, la philosophie du réseau n’en reste pas moins « Des hommes au service de la santé publique en toute humilité ». Aujourd’hui, près de 2 000 bulletins GROG sont envoyés chaque mercredi aux membres du réseau. Tous les mercredis également, les 1 966 abonnés du service d’alerte e-mail (sur le site http://www.grog.org) reçoivent les principaux indicateurs de la semaine : « toujours rien à l’horizon », « plus de A que de B », « viroses de saison »… C’est en quelque sorte la météo de la grippe. Et Marie Forestier de confirmer : « Nous comptons en temps réel les cas de grippe virologiquement confirmés au sein du réseau. »

Mais ce n’est pas tout ! Les GROG surveillent également d’autres épidémies virales respiratoires (dont la bronchiolite), la varicelle et les gastroentérites. Et ce, grâce à la collaboration entièrement bénévole des médecins vigies mais aussi de 68 pharmaciens. Ainsi, Claude Fingerhut, titulaire à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), attend tous les mardis l’appel téléphonique du GROG. A l’autre bout du fil, Marion Quesne, l’animatrice du réseau de pharmaciens au sein de la coordination nationale parisienne, pose toujours la même question : « Quelle est la fréquentation hebdomadaire de l’officine ? » « Nous nous basons toujours sur le même mode de calcul et nous excluons les jours de garde », précise-t-elle. « La réponse ne demande pas un effort démesuré, mais, en retour, nous obtenons des informations intéressantes sur la situation épidémique grippale. Cela permet de savoir à quel point circulent les virus en période hivernale. Parfois, la clientèle s’affole pour rien… », estime pour sa part Claude Fingerhut. S’il s’agit de donner un chiffre, pourquoi alors ne pas le communiquer par informatique ? Parce qu’être pharmacien vigie ne se cantonne pas à l’apport de données chiffrées. « C’est une participation personnelle et ouverte à laquelle nous tenons beaucoup. Le premier contact avec un professionnel de santé se fait souvent avec le pharmacien en cas d’atteinte virale. Nous avons besoin de savoir ce qui se passe de manière qualitative, si la grippe est plus ou moins sévère », assure le Dr Anne Mosnier.

Du coup de fil du pharmacien à la communication ministérielle.

Le quotidien d’une officine est en effet une mine de renseignements. Pour Marion Quesne, le rendez-vous hebdomadaire avec « ses » pharmaciens est un grand moment d’échanges. Comme toute l’équipe du GROG, elle adhère à l’esprit « sérieux mais point dénué d’humour ». Et ses interlocuteurs suivent volontiers : « ça mouche et ça tousse », « Ils ont la crève », « Grippettes de saison », « Ruée sur les antibiotiques »… L’air de rien, ces petits détails qui n’alertent pas forcément la plupart des confrères officinaux peuvent déboucher sur de réelles mesures de prévention.

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Exemple ? Au moment de l’agitation médiatique autour de la grippe aviaire l’automne dernier, vous avez été nombreux à constater l’achat en masse des vaccins antigrippe par les jeunes actifs, risquant d’épuiser les stocks précocement et de nuire à la protection de la population âgée. Le GROG a tout de suite remonté l’information au ministère de la Santé qui a communiqué en faveur d’une vaccination prioritaire des seniors. « Nous comparons le ressenti des pharmaciens avec les informations médicales et biologiques d’une même région, en général tout se recoupe », explique Marion Quesne.

C’est justement ce partenariat avec différents professionnels de santé qu’apprécie particulièrement Corinne Vinay, cotitulaire à Lizy-sur-Ourcq (77). « On sort de notre isolement derrière le comptoir, avec le temps nous avons tissé des liens avec les médecins du réseau qui se trouvent à proximité, nous n’hésitons pas à les appeler pour échanger sur les infections virales du moment. » Autre donnée pharmaceutique précieuse dans le cadre de l’activité grippale : les ventes de médicaments antipyrétiques et antibiotiques (encore trop souvent prescrit en période de grippe). « Un panel de dix spécialités dont la consommation présente une forte augmentation en cas de grippe est défini, et l’OCP donne chaque mardi un indicateur de ventes », rapporte Anne Mosnier.

Résultats région par région.

Autant dire que le mardi, si l’ambiance reste conviviale au siège de la coordination nationale parisienne, l’équipe ne chôme pas ! Sa mission : recueillir les données informatiques en provenance d’une vingtaine de coordinations régionales (médecins généralistes et pédiatres), de SOS Médecins, du service de santé des armées, de médecins du travail… Chacun des médecins vigies devant rapporter des indications précises sur son activité hebdomadaire : nombre d’actes, nombre de visites à domicile, nombre d’arrêts de travail, nombre d’infections respiratoires aiguës par classe d’âge, nombre de bronchiolites chez les moins de deux ans. Ces praticiens ont aussi le devoir d’effectuer des prélèvements rhinopharyngés en cas de suspicion de grippe à l’aide des kits fournis (écouvillon). En 48 heures, le laboratoire détermine s’il s’agit d’une grippe A ou B. Le cas échéant, les CNR se chargent du sous-titrage.

C’est ensuite au « data manager », en la personne d’Isabelle Daviaud, d’afficher les résultats région par région et d’élaborer des graphiques témoignant en seul coup d’oeil de l’importance de l’épidémie grippale. Isabelle Daviaud attend également le compte rendu de Françoise Barat, l’animatrice du réseau GROG-TRS (tests rapides de surveillance). Les 60 médecins du réseau TRS disposent de tests rapides et fiables à 70 % qui délivrent un diagnostic de grippe en 10 minutes. Idéalement, le résultat est envoyé en temps réel au GROG pour une réactivité maximale. « Les premiers cas de grippe déclarés en saison viennent souvent du réseau TRS », confie Françoise Barat.

Après la grippe, le SRAS… et d’autres surveillances ?

Le mardi en soirée, les chiffres sont à leur place dans les tableaux et graphiques. Pour autant, le bulletin n’est pas finalisé. Il faut lui trouver un titre et rédiger le texte résumant la situation hebdomadaire. Nos deux médecins coordinateurs et les vigies qui le désirent (toute proposition de texte est la bienvenue) affûtent leur plume en essayant toujours de faire passer des messages facile à lire. Dans ce cadre, ils insistent beaucoup sur la prévention des viroses par l’hygiène. Sans surprise, l’hiver dernier leur a fait couler beaucoup d’encre à propos de la grippe aviaire. Une fois maquetté, le bulletin est systématiquement relu par les deux CNR (Institut Pasteur et Hospices civils de Lyon) avant d’être envoyé (le plus souvent par Internet) aux membres du réseau. Voilà comment l’information arrive ensuite auprès des soignants et des administrations (Direction générale de la santé, INVS, union régionale des médecins libéraux, observatoires régionaux de la santé…), grâce au travail de fourmi d’hommes et de femmes de terrain engagés.

Et si la parution du bulletin s’arrête en période estivale, n’allez pas croire que l’activité des vigies et des GROG s’arrête. Toute « anomalie » virale est rapportée à la coordination nationale, toujours prête à avertir le ministère de la Santé. « Nous ne sommes pas seulement un réseau d’observation. Nos vigies, qui forment un maillage national, sont mobilisables à tout moment. Ainsi, nous avons sollicité nos médecins du réseau au moment du SRAS pour surveiller tous les cas contacts », rapporte Jean-Marie Cohen. Avec le spectre de la grippe aviaire ou d’une pandémie de grippe, les GROG n’ont pas fini de se rendre utiles. Avis aux pharmaciens qui ont envie d’endosser la casquette de vigie…

CHIFFRES : LES GROG EN CHIFFRES

1 coordination nationale gérée par la société Open ROME.

21 coordinations régionales.

2 000 bulletins envoyés aux membres du réseau chaque semaine.

1 966 abonnés à l’alerte e-mail.

880 vigies au total (taux de participation 85 %), dont :

– 53 pharmaciens « indépendants »,

– 15 pharmaciens Pharmactiv et Pharma Référence,

– 513 médecins généralistes,

– 105 pédiatres,

– 15 centres SOS Médecins,

– 33 SMOG (service militaire d’observation de la grippe),

– 11 médecins du travail,

Financement : un tiers par l’INVS, un tiers par des fonds parapubliques (FAQSV, Sécurité sociale, URML…), un tiers par des laboratoires.

Temoignage : Marie-Hugues Zilliox Titulaire à Scherwiller (Bas-Rhin) « Nous affichons les bulletins GROG dans l’officine »

Mon épouse et moi-même avons une formation de biologiste. Adhérer aux GROG nous a permis de relier notre formation initiale à la pratique au comptoir. Depuis 10 ans, nos relations avec la coordination nationale sont excellentes. Nous n’avons pas affaire à une administration lambda mais à des gens qui ont les pieds dans la boue et qui savent de quoi ils parlent ! Nous devons rester vigilants et signaler par exemple une épidémie de varicelle qui se déclare brutalement. Toutes les semaines, ma femme affiche les principaux résultats des bulletins GROG dans l’officine. A l’heure où beaucoup d’informations circulent sur la santé, il devient primordial de démêler le vrai du faux. La clientèle a conscience que nous ne lui racontons pas n’importe quoi. L’hiver dernier, au moment de la grippe aviaire, on m’arrêtait même dans la rue… En participant au réseau GROG, on se bat également auprès des instances gouvernementales pour la reconnaissance de notre métier. Nous ne sommes pas seulement des vendeurs de boîtes, nous avons aussi un rôle social, d’accompagnement, de conseils. »

Témoignage : François Marcus Titulaire à Cambrai (Nord) « Je veux inciter à la vaccination »

Je suis un fervent défenseur de la vaccination antigrippale ! Alors, bien sûr, j’affiche la carte des GROG dans l’officine. Je prépare même souvent une animation sur écran. Si seulement 5 % de ma clientèle s’y intéresse, ces 5 % méritent d’être informés. Et si, par ce biais, j’arrive à inciter à la vaccination, j’en suis ravi ! Je fais partie des GROG depuis deux ans, je n’y cherche pas une qualification particulière mais un dialogue constructif. L’échange d’informations, j’y crois beaucoup ! Si on ne travaille pas main dans la main avec les médecins dans les réseaux, notre profession ne progressera pas. J’ai réellement l’impression d’aider la recherche. Pourtant, mon travail est loin d’être harassant ou statistique, c’est du ressenti. Mais quel plaisir tous les mardis de parler de sa pratique au comptoir à une personne intéressée ! Bien sûr, j’annonce à la coordination nationale la fréquentation hebdomadaire dans la pharmacie, mais la communication téléphonique ne s’arrête pas là. On discute, on essaie toujours d’analyser les choses… Je ne m’en lasse vraiment pas ! »

Témoignage : Jean-Marc Nouyrit, titulaire à Jallais (Maine-et-Loire) « Mon regard sur les pathologies à changé »

Le GROG ? C’est satisfaisant à la fois sur le plan scientifique et humain. J’aime cette ambiance qui nous sort un peu de notre métier de potard. Car, mine de rien, nous côtoyons de grands chercheurs. Et puis, nous faisons attention aux indices. Mon regard sur les pathologies a changé. J’ai une affection particulière pour le réseau car je sais qu’il est important et je m’y sens vraiment utile. Quand une personne qui se dit grippée arrive à l’officine, je cherche à savoir si toute la famille est malade, si la fièvre est élevée… Au téléphone, tous les mardis avec le siège, on parle de ce que j’appelle « l’air du temps ». Je raconte si je vois un peu de « grippouille » ou si la grippe est « vineuse » [NdlR : provoque des nausées]. Je me souviens aussi avoir insisté sur le fait qu’on oubliait trop souvent les mesures basiques de prévention : ne pas rendre visite à un grippé, se laver les mains… C’est peut-être du bon sens, mais c’est essentiel ! Eh bien, ces recommandations ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd, elles ont été reprises ensuite dans le bulletin… »