Interpro Réservé aux abonnés

Faut-il encore travailler avec une maison de retraite ?

Publié le 10 avril 2010
Mettre en favori

Fournir des médicaments à une maison de retraite peut constituer une opportunité intéressante. Mais l’exercice est souvent contraignant et encadré. Comment les pharmaciens travaillent-ils avec les maisons de retraite ? L’expérimentation visant à réintégrer les médicaments dans le forfait de soins des EHPAD risque-t-elle de modifier la donne ? Témoignages et avis d’expert.

Aujourd’hui, on estime à 5 000 le nombre de pharmaciens qui collaborent avec des EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) en fournissant des médicaments et du matériel à leurs pensionnaires. Dans ce cadre, il faut noter que, dans environ 40 % des cas, une seule pharmacie assure la fourniture et la dispensation des médicaments aux résidents d’un EHPAD. Pour le reste, les maisons de retraite passent des accords avec deux ou trois pharmacies, parfois davantage.

En général, les pharmaciens qui travaillent avec les établissements pour personnes âgées ne le regrettent pas. Philippe Coulon, titulaire à Ambert, dans le Puy-de-Dôme, fait partie des officinaux qui travaillent régulièrement avec une maison de retraite. « Il y a quatre ans, j’ai signé avec un EHPAD une convention, renouvelable tacitement chaque année, pour la fourniture de médicaments. Quelques mois après, une autre maison de retraite nous a demandé d’intervenir pour les médicaments et le matériel médical. Là aussi nous opérons dans le cadre d’une convention », raconte-t-il. Néanmoins, le titulaire auvergnat reconnaît que le marché est fluctuant dans la mesure où « certains résidants souhaitent acheter leurs médicaments auprès d’autres pharmaciens. Je perds donc assez régulièrement des parts de marché. » En outre, Philippe Coulon déplore que « de plus en plus de maisons de retraites ont recours à une pharmacie à usage intérieur pour se fournir en médicaments ».

Il n’empêche, les collaborations avec ces structures d’hébergement sont bien plus qu’une cerise sur le gâteau. Aujourd’hui, elles représentent une part significative du chiffre d’affaires de l’officine d’Ambert. Pour convaincre les maisons de retraite de travailler avec lui, le pharmacien joue sur le service et la proximité, en mettant en avant une disponibilité forte. « Nous nous sommes engagés à fournir les médicaments six jours sur sept. Par ailleurs, à la demande d’un établissement, nous assurons de façon temporaire les préparations des doses à administrer (PDA). Du lundi au vendredi, l’une de mes collaboratrices se rend dans cet EHPAD pour prendre en charge cette mission. »

Mais, avec l’expérimentation intégrant le forfait de soins dans les EHPAD, cette relation de proximité risque-t-elle de prendre un coup dans l’aile ? Yves Trouillet, président de l’Association de pharmacie rurale (APR) est confiant. « Ce système fonctionne toujours. Néanmoins, il arrive parfois que cette collaboration se transforme en négociations de marchand de tapis. » Pour le patron de l’APR, l’enjeu est clairement de comparer le même service entre une officine et une pharmacie à usage intérieur.

D’ailleurs, les premiers retours d’expériences semblent confirmer que, pour les maisons de retraite, ce service de proximité plaide en faveur des officinaux. Philippe Metge, directeur de la résidence de Coat-ar-Vorch, un EHPAD situé à Fouesnant dans le Finistère, est, lui, persuadé que « la présence d’un pharmacien est primordiale au niveau de la gestion des médicaments ». Cette structure d’hébergement fut l’une des premières à entrer dans l’expérimentation mise en oeuvre par la loi visant à réintégrer le forfait de soins dans les EHPAD. Pourquoi ? L’objectif était d’anticiper l’après-réforme et vérifier si une collaboration de plusieurs années avec l’officine locale pourrait être remise en cause par les textes.

Publicité

Certes, les trois premiers mois de l’expérimentation font apparaître un déficit entre le forfait moyen alloué à ses 66 pensionnaires et les dépenses réelles. Mais cet écart ne semble pas remettre en cause la collaboration avec un pharmacien de proximité. « Nous ne souhaitons pas adhérer à une pharmacie à usage intérieur », annonce Philippe Metge, qui travaille au rapprochement avec un autre EHPAD distant de trois kilomètres afin de lancer une consultation sur 130 lits. Pour mieux travailler avec les professionnels de santé de proximité, la résidence de Coat-ar-Vorch a même mis au point, en collaboration avec son médecin coordonnateur et son pharmacien référent, un livret de bonnes pratiques, qu’elle souhaite voir s’imposer comme un outil de référence en matière de délivrance des médicaments.

Expérimentation, de quoi s’agit-il ?

C’est la loi de financement de la Sécurité sociale 2009 qui a entériné le projet de réintégrer les médicaments dans les forfaits de soins des EHPAD. Depuis décembre dernier, 279 établissements se sont lancés dans l’expérimentation de cette nouvelle organisation des soins dans les maisons de retraite. Concrètement, chaque EHPAD (si elle ne dispose pas de pharmacie à usage intérieur) voit sa dotation de soins augmenter afin de couvrir les dépenses de médicaments. Elle choisit alors un pharmacien référent, qui est rémunéré selon un barême. Ce barême, intégré au forfait de soins a été fixé à 0,35 euro par résident et par jour. Dans l’idéal, l’objectif de l’expérimentation est d’améliorer les prescriptions et le bon usage des médicaments pour les pensionnaires.

Trois questions à Francis Megerlin, maître de conférences en droit et économie de la santé à l’université Paris V

Quel doit être le cadre d’un appel d’offres lancé par un EHPAD pour l’achat de médicaments ?

La maison de retraite peut être proprement acheteur des médicaments (par exemple pour une PUI – pharmacie à usage intérieur). A l’opposé, elle peut n’être qu’intermédiaire entre l’officine et les patients (en l’absence de PUI). Dans ce cas, l’appel d’offres est lancé au nom des résidents, dont la maison de retraite n’est que le mandataire collectif. Encore faut-il qu’existe un tel mandat, et qu’il soit valide. Sans quoi, il y a violation du principe fondamental du libre choix de son pharmacien par le patient. La mise en concurrence des officines sur ce modèle remonte à 2002, avec l’instauration du remboursement individualisé des médicaments. Elle a aussitôt été mise en exergue avec le développement de la préparation des piluliers (PDA – préparation des doses à administrer), devenue une – sinon « la » – clé d’accès à ce marché très convoité, car très rémunérateur. Mais cela est réducteur et donc illégal, car l’acte pharmaceutique doit être accompli « dans son intégralité » : la PDA n’en est qu’une composante subsidiaire, tout le reste doit être assuré. Le problème est que le contenu du service clinique (qui justifie seul la proximité pharmacien-patient) n’est toujours pas clairement défini, alors qu’il est le seul outil légitime de régulation de la concurrence entre officines.

Quelles sont les exigences de ces appels d’offres ?

Certains sont vertueux. Ils visent à réaliser le projet d’établissement au profit des patients (élévation de la qualité et de la sécurité du soin, préparation sous traçabilité totale, lien avec l’équipe soignante, gestion de la pharmacie, etc.). Mais d’autres ne visent qu’à l’obtention de l’avantage financier maximal pour la maison de retraite (ou pour ses personnels et/ou dirigeants). La règle d’or du droit sanitaire et civil est pourtant claire : si une maison de retraite choisit le pharmacien au nom de ses résidents, elle devrait faire ce choix à leur profit, et non au sien.

Comment ce cadre devrait-il évoluer ?

On attend trois leviers : la convention type entre officines et les EHPAD, qui avait été pourtant annoncée par la LFSS 2007 ; les résultats de l’expérimentation du retour des médicaments en forfait de soin et les textes sur les bonnes pratiques de PDA. Ces leviers devraient contribuer à clarifier les pratiques et à développer le service clinique, raison d’être de la pharmacie « de proximité » – sans quoi elle sortira du marché. Mais pour cela, il faut développer, évaluer et valoriser le service pharmaceutique, et pas sur la base d’une marge commerciale. La restructuration du mode de paiement est la clé de l’évolution, mais il n’y a pas encore de consensus professionnel. En attendant, la concurrence règne sur des bases « transitoires ». Cela devrait faire réfléchir sur les évolutions à venir en secteur ambulatoire, et pas seulement en secteur médico-social.

Propos recueillis par François Sigot