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Exercice coordonné : un critère pour s’installer
L’interprofessionnalité devient peu à peu un des critères de choix d’installation des nouveaux titulaires. Mais comment choisir sa future officine pour développer l’exercice coordonné ? Des experts répondent.
« L’interprofessionnalité est un élément que les futurs titulaires n’inscrivent pas assez dans leur cahier des charges au moment de s’installer, regrette Emmanuel Bay, président directeurgénéral de l’Auxiliaire Pharmaceutique. Probablement parce qu’ils ne sont pas suffisamment sensibilisés à ce mode d’exercice qui devrait assurer demain la place du pharmacien dans le parcours de soins. » Expert-comptable au cabinet FCC, Louis Maertens estime, lui, que les choses sont en train d’évoluer dans le bon sens. « C’est vrai que les titulaires âgés de 50 ans et plus nourrissent une forme de scepticisme à l’égard de l’interprofessionnalité, reconnaît-il. Mais les jeunes générations y voient un enjeu de santé publique, pour l’exercice de leur art et pour l’équilibre financier de leur officine. » Gérant du Cabinet conseil Riberry, Matthieu Riberry est sur la même longueur d’onde. « Les pharmaciens s’inscrivent de plus en plus dans l’interprofessionnalité, ce qui va dans le sens de l’histoire, assure-t-il. Elle est d’ailleurs désormais présente dans un dossier sur deux que nous accompagnons, avec une vraie volonté des futurs titulaires de la développer. »
A la recherche de la pharmacie idéale
Lorsqu’on lui demande de dessiner le portrait-robot de la pharmacie idéale, Béatrice Bouvet, responsable du cabinet Pharmathèque pour la région Rhône-Alpes, fixe le cadre. « Toutes les typologies d’officines sont concernées dans des zones où le parcours de soins doit être simplifié, qui peuvent connaître une désertification médicale, et où la population a un réel besoin de santé et d’accès aux soins, souligne-t-elle. Ceci étant dit, mieux vaut privilégier des pharmacies en zones rurales, semi-rurales, ou en périphérie des grandes villes, et éviter celles où l’activité est dominée par une clientèle de passage comme les centres commerciaux. Une officine de centre-ville peut également être ciblée à condition qu’une organisation de type communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) soit déjà en place. »
Hervé Ferrara, le directeur du cabinet Pharmacessions, n’exclurait pas, lui, les pharmacies de centre commercial du périmètre de recherche. « Il est préférable de cibler les pharmacies de cœur de métier où la ventilation des ventes se concentre à 75 ou 80 % sur le taux de TVA de 2,1 %, reconnaît-il. Mais ce projet peut aussi avoir du sens dans une officine de centre commercial disposant d’un socle de chiffre d’affaires (CA) solide sur l’ordonnance et d’un flux important de clientèle, le développement de l’interprofessionnalité pouvant lui permettre d’être moins soumise à la volatilité du marché et des prix sur la parapharmacie. »
Un environnement médical
Autre critère essentiel à prendre en compte : l’environnement médical. « La pharmacie idéale devrait être entourée de médecins généralistes, de spécialistes et de professions paramédicales, mais c’est de plus en plus rare, rappelle Hervé Ferrara. Et si elle est installée sur un territoire où une CPTS fait déjà travailler tout l’écosystème en synergie autour des patients, c’est encore mieux. » Les officines seules au village et sans généralistes autour ne doivent pourtant pas être écartées. « Dans ce cas, le pharmacien peut envisager la création d’une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) afin d’attirer des médecins et des professions paramédicales, idéalement au-dessus ou à côté de la pharmacie, rappelle Nicolas Trikian, expert-comptable au cabinet C2C Pharma. Cela permettra de recréer un flux de prescriptions qui sécurisera la pérennité de l’officine. Mais ce pari est très risqué lorsque le titulaire se lance seul dans l’aventure. En revanche, s’il parvient à intégrer dès le départ un ou deux jeunes médecins au projet, celui-ci se révèle souvent gagnant. Le pharmacien apporte son assise et sa puissance financière à la construction du bâtiment. Le jeune praticien se chargeant, lui, de convaincre un ou deux camarades de la faculté de médecine de venir le rejoindre, les jeunes médecins préférant aujourd’hui travailler au sein de structures pluridisciplinaires. L’expérience montre aussi que dès qu’il y a un ou deux généralistes dans la boucle, c’est beaucoup plus facile de fédérer infirmières, dentistes, kinésithérapeutes… »
Pour Brigitte Bouzige, l’ancienne vice-présidente d’AVECsanté, une MSP ne doit pas forcément être au-dessus ou à côté de la pharmacie. « Je me suis toujours battue contre cette idée, confie-t-elle. Dans ma bourgade, les Salles-du-Gardon, elle est installée dans un bâtiment de 1 400 m2 situé de l’autre côté du village. Et cela a très bien fonctionné puisqu’elle héberge aujourd’hui trois médecins généralistes, alors qu’il n’en restait plus qu’un avant, un cardiologue, une quinzaine d’infirmières, une sage-femme, un psychologue, des kinésithérapeutes, deux podologues et une orthophoniste. Se sont également greffés à la structure, hors les murs, les deux autres officines, des infirmières, une diététicienne et un ostéopathe. »
Une surface suffisante
La surface de la pharmacie doit aussi entrer en ligne de compte dans la réflexion. « Pour s’inscrire pleinement dans le parcours de soins, le titulaire ne peut pas se contenter de bricoler en recevant les patients dans son bureau, estime Hervé Ferrara. Mieux vaut disposer d’un local qui abritera a minima une ou deux pièces de confidentialité de 10 à 15 m². » Les petites officines ne doivent toutefois pas être exclues du champ de recherche pour Louis Maertens. « Il ne suffit pas d’avoir trois cabines pour faire de l’interprofessionnalité, rappelle-t-il. C’est la volonté du pharmacien et des autres professionnels de santé de s’engager qui conditionne la réussite d’un tel projet. Ce n’est donc pas parce que la surface est exiguë qu’il ne faut pas se lancer. Au contraire, en rejoignant une MSP hors les murs ou une CPTS, le titulaire va pérenniser son CA grâce à la prescription. »
« Les petites officines doivent d’autant moins être écartées lorsqu’elles offrent des possibilités d’extension de la surface de vente, en reprenant le salon de coiffure d’à côté, ou de transfert dans des locaux plus grands, ajoute Nicolas Trikian. Transfert qui peut d’ailleurs être l’occasion de lancer un projet de création de MSP. C’est ce qu’a fait l’une de mes clientes qui a installé sa pharmacie dans une aile d’un bâtiment en U qu’elle a fait construire, l’autre aile étant occupée par les médecins et les paramédicaux à qui elle a revendu les murs afin de les fidéliser sur la structure. » Pour Matthieu Riberry, un élément pénalise toutefois les petites officines. « Elles fonctionnent en général avec des équipes assez réduites, souvent sans pharmacien adjoint, rappelle-t-il. Or, pour faire vivre l’interprofessionnalité, le titulaire doit pouvoir dégager du temps. En termes d’effectifs, je privilégierais donc une officine de taille moyenne comprenant a minima un pharmacien adjoint et une équipe de préparateurs bien staffée. »
Un impact favorable
Tous les experts s’accordent pour dire que l’interprofessionnalité impacte favorablement l’économie de l’officine. « Cela se traduit souvent par une progression du chiffre d’affaires au-delà de la moyenne, qui peut atteindre 5 ou 10 % en fonction du projet et du nombre de professionnels de santé fédérés, constate Béatrice Bouvet. Et cette progression bénéficie en général à tous les taux de TVA, et plus particulièrement au 2,1 et au conseil. » « Une de mes clientes, qui a créé il y a cinq ans une MSP hors les murs, me confiait récemment qu’elle recevait chaque année 10 000 € de versement de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) au titre de l’inclusion et du suivi de patients au sein de la MSP, ajoute Emmanuel Bay. Ce qui est loin d’être négligeable car il faut vendre beaucoup de médicaments pour dégager 10 000 € de marge. Elle m’expliquait aussi que grâce à la MSP, sa pharmacie était devenue l’officine référente du secteur pour les professionnels de santé mais aussi pour les patients. » Béatrice Bouvet estime toutefois que la dimension économique ne doit pas être le seul moteur. « Pour que cela marche, Il faut que le pharmacien ait envie de développer son expertise et sa pratique sur les nouvelles missions pour répondre aux besoins d’accès aux soins de sa patientèle et améliorer la prise en charge des patients », rappelle-t-elle.
Le développement de l’interprofessionnalité implique d’ailleurs un changement de paradigme. « Il faut que tous les professionnels de santé, pharmaciens compris, acceptent de mettre leur individualisme de côté et apprennent à partager, souligne Brigitte Bouzige. En retour, tout le monde y gagne. Comme les agendas des professionnels de santé de la MSP de mon village sont tous complets depuis longtemps, cela a rejailli sur les trois pharmacies qui en font partie. Cela nous a notamment permis d’amortir le choc des années difficiles avant Covid puisque les CA ont été maintenus, voire augmentés. »
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