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Essentielles et pourtant si fragiles nos petites pharmacies
Alors que l’économie des officines dites moyennes et grandes semble se stabiliser, les quelque 4 000 autres qui réalisent moins de 1 million d’euros de chiffre d’affaires annuel tirent la langue. Quel remède leur administrer ? Le sujet divise et la réponse est peut-être à trouver dans les pays qui ont mis en place des solutions pour soutenir les pharmacies de leurs zones rurales.
Toucher au réseau officinal a toujours été un sujet éminemment complexe. « Le dispositif le mieux adapté pour soutenir la présence des officines les plus fragiles nécessaires à une bonne couverture territoriale et essentielles à la continuité de services aux patients est actuellement celui de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP), soutient Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Une ROSP à muscler en y introduisant de nouveaux critères liés au zonage ou à l’implication du pharmacien dans les missions de santé publique. » Autre piste envisagée par son syndicat : une majoration sur les honoraires de dispensation avec application d’un coefficient multiplicateur différent, à l’image de la France d’outre-mer.
Si les petites structures peinent à relever les défis de la mutation officinale, voire risquent de disparaître, « c’est à cause de l’honoraire à la boîte (avec la baisse des unités) et la désertification médicale », martèle Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Opposé à un système de subvention qui consisterait « à faire les poches des uns pour donner aux autres », il soutient que les nouveaux honoraires de dispensation vont améliorer l’économie des petites officines dont la patientèle âgée est surreprésentée, notamment en milieu rural. Un souffle que devrait renforcer « l’évolution du rôle du pharmacien correspondant prévu dans la loi de santé , assure-t-il. Car il va fluidifier la prise en charge des pathologies chroniques. Quant à la pharmacie de premier recours dans la prise en charge des soins non programmés, c’est une forme de réponse à la désertification médicale. »
Pour Luc Besançon, fondateur et directeur de la société de conseils Pharmacy and Consulting, « les aides doivent s’inscrire dans une vision claire avec des objectifs de santé formalisés. Il faut définir au préalable ce que l’on attend. Il faut également mettre en place des indicateurs pour évaluer les effets des politiques menées. En France, il n’existe pas encore une telle vision. Pour savoir quelles pharmacies sont essentielles et doivent être soutenues, il faut s’appuyer sur les besoins des populations et les attentes des patients en milieu rural et en milieu périurbain. Cela nécessite d’avoir une vision de l’évolution à 10 ans des pratiques des professionnels de santé et de la démographie. »
Sur fond de divergences syndicales
Une évolution raisonnée du réseau, Philippe Besset y est favorable. « Les objectifs quantifiés d’évolution du réseau des officines [en clair, la détermination du nombre d’officines excédentaires] sont prévus dans l’article L. 162-16-1 du Code de la sécurité sociale qui sert de support à la convention pharmaceutique », rappelle-t-il. Le type même de l’objectif irréalisable selon Gilles Bonnefond. « Avec Frédéric Van Roekeghem, ancien directeur général de la Cnam, nous avons très rapidement plié les gaules car cette disposition est inapplicable. » Il est certes bien difficile de s’en tenir aux seuls ratios associant un nombre de pharmacies à un nombre d’habitants sans prendre en compte des singularités géographiques ou autres.
Estimant que le rôle d’un syndicat pharmaceutique n’est pas de « supprimer 5 000 officines pour que les 15 000 restantes puissent vivre mieux », le président de l’USPO relance sa proposition d’autoriser des confrères à racheter des pharmacies voisines qui n’ont pas trouvé de repreneur au bout de 2 ans de mise en vente et de les transformer en « établissement secondaire ». Ouvert quelques jours par semaine, il est tenu par un pharmacien adjoint responsable pour éviter une fermeture créant un désert pharmaceutique.
De son côté, Philippe Besset souffle une nouvelle vision des fermetures de pharmacies, privilégiant un concept davantage centré sur la présence de pharmaciens dans les territoires. « Des regroupements et des fermetures actives ne me gênent pas si le maillage territorial est garanti. Ce que je défends, ce ne sont pas les murs, c’est le nombre de pharmaciens libéraux, le nombre de salariés et les patients. Il n’est pas normal que des titulaires partant à la retraite mettent la clé sous la porte sans pouvoir être indemnisés. Quant à ceux en exercice, il faut que tous soient volontaires pour réaliser les nouvelles missions. »
Deux questions pas plus
Anticipant déjà les prochaines négociations conventionnelles, la FSPF vient de lancer une étude pour s’inspirer des exemples mis en place dans d’autres pays. L’étranger justement. Luc Besançon, qui a supervisé le rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publié en 2019 « The legal and regulatory framework for community pharmacies in the WHO European Region », insiste sur 2 questions centrales selon lui pour construire une politique stratégique d’accès aux médicaments et aux soins pharmaceutiques : « Comment maintenir une viabilité économique pour les pharmacies en zone rurale ou périurbaine, là où elles sont indispensables ? Comment attirer les pharmaciens dans ces zones ? »
En Espagne, une indemnité mensuelle calculée sur une base de facturation de 12 500 € à la caisse d’assurance maladie peut être versée aux pharmacies sous certaines conditions comme la participation à des activités de promotion de la santé. En Ecosse, le gouvernement garantit un revenu minimum mensuel de 3 804
(environ 4 400 €) pour une pharmacie identifiée comme essentielle, ouverte au moins 30 heures par semaine. Ce revenu est ajusté au nombre d’heures d’ouverture. Pour être éligibles à cette aide, les pharmacies doivent répondre à 2 critères : distribuer au moins 1 400 médicaments ou dispositifs et être à au moins 3 km de la pharmacie la plus proche. En Suède, après la libéralisation du secteur pharmaceutique, un fonds a été créé pour soutenir les pharmacies rurales qui sont distantes de plus de 32 km d’une autre pharmacie, qui dégagent un chiffre d’affaires annuel pour les médicaments délivrés sur ordonnance compris entre 1 000 000 et 10 000 000 de couronnes suédoises (soit environ entre 93 000 € et 930 000 €) et qui sont ouvertes toute l’année. Au total, 30 officines sont ainsi aidées, sur les 1 422 que compte le pays. La somme allouée a représenté 10 000 000 de couronnes suédoises en 2016.
Au final, un choix toujours politique
D’autres formes de soutien peuvent être mises en œuvre afin de former et d’attirer les professionnels de santé là où on a besoin d’eux. En Australie, les personnes originaires d’un milieu rural bénéficient d’une bourse spécifique. Les pharmaciens qui exercent en zone rurale ont également un budget de formation. Un service, sans frais pour eux, leur assure de se faire remplacer en 24 heures, s’ils doivent s’absenter. S’ils sont maîtres de stage, ils reçoivent également une bourse afin d’encourager l’accueil de stagiaires. Certains pays n’hésitent pas à réserver des places dans les facultés de santé pour les étudiants issus des zones rurales.
Les solutions existent donc. « Puisque l’on parle de l’Australie, le gouvernement a adopté il y a déjà plusieurs années une politique liée aux médicaments avec 4 objectifs dont ceux de l’accessibilité aux médicaments (et donc aux pharmacies) et du bon usage. », explique Luc Besançon, avant de conclure : « Construire un vrai plan stratégique d’accès aux soins, y compris pharmaceutiques, est un choix politique ».
À RETENIR
• 3 589 pharmacies n’ont qu’un seul titulaire exerçant lui-même sans adjoint.
• Le chiffre d’affaires (CA) HT des pharmacies de moins de 1 M€ de CA a diminué de 2,09 % entre 2017 et 2018 et l’excédent brut d’exploitation (EBE) de 9,19 %
• Tenir des objectifs quantifiés d’évolution du réseau apparaît excessivement complexe.
• Pour soutenir les officines en milieu rural et périurbain, l’Espagne, la Suède, l’Ecosse ou encore l’Australie ont déjà mis en place des initiatives innovantes.
LES CHIFFRES CLÉS DES PETITES OFFICINES
PAR FRANÇOIS POUZAUD
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