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« Elles voient en nous des femmes debout ! »

Publié le 27 septembre 2023
Par Christine Julien
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« Vivre comme avant ». Les bénévoles de cette association réunissent des femmes qui ont rencontré le cancer du sein dans leur parcours de vie. Une fois formées, elles proposent une écoute à celles qui traversent cette épreuve.

Quel est l’objectif de l’association Vivre comme avant ?

Créée en 1975, l’association « Vivre comme avant » regroupe une centaine de femmes bénévoles qui ont vécu un cancer du sein, préparées à écouter celles qui vivent cette maladie. Visite dans les hôpitaux et cliniques, écoute téléphonique, cette aide est complémentaire à l’action des soignants. L’association participe à des relectures de recommandations professionnelles, de brochures pour des laboratoires pharmaceutiques… Nous travaillons en complémentarité avec le maillage associatif et médical. Nous offrons aux patientes un moment d’écoute, de partage et d’échange avec une femme qui a aussi vécu la maladie, et qui a vu sa vie bousculée.

Quelles sont vos particularités ?

Toutes les bénévoles ont eu un cancer du sein. Nous sommes la seule association dédiée au cancer du sein à intervenir en milieu hospitalier, au chevet des malades, grâce à notre agrément avec le ministère de la Santé et à la convention juridique signée avec 70 établissements. Nos interventions sont cadrées, avec une obligation de confidentialité. Nous ne donnons aucun avis médical, ni ne faisons de démarche commerciale. Le deuxième filtre est l’autorisation des médecins hospitaliers. Certains, très favorables, proposent à leurs patientes, ou via les infirmières, un échange avec une femme qui a vécu ce qu’elles traversent. Ils peuvent inclure la visite de la bénévole dans leur protocole de soins. On n’entre pas à l’hôpital comme ça ! Tous les ans, nous créons de nouvelles conventions.

Où rencontrez-vous les patientes ?

Nous n’avons pas de local, ne recevons pas chez nous ni n’allons à domicile. Nous intervenons dans les services de chirurgie mammaire, en hôpital de jour et lors de permanences dans les Maisons des usagers en extérieur ou dans des centres sociaux.

Quel est le profil des femmes que vous recevez ?

Le parcours de chaque femme est spécifique, aussi bien vis-à-vis de la maladie que du contexte relationnel, social et économique dans lequel elles se trouvent. Mais certaines étapes provoquent des émotions similaires. Comme le choc de l’annonce, qui fait passer de « je n’étais pas malade » à « il va falloir que je me soigne », qui remet en cause les projets : l’achat d’une maison, faire un bébé… Puis, l’inquiétude et l’angoisse liées à « comment je vais faire face à tout ça ? », la peur de la mort et la perte du sentiment d’immortalité. L’après est un autre moment particulier. Avec l’hormonothérapie qui impacte le quotidien, la peur de la récidive, se réorganiser…

Des thématiques sont-elles récurrentes ?

Oui. Regarder la cicatrice après une mastectomie et la perte des cheveux sous chimiothérapie sont les contenus les plus visités sur notre site et les thèmes les plus abordés lors des visites. La première fait écho au sein, symbole de la féminité, de l’identité de la femme, de la sexualité, quels que soient l’âge, la culture, l’accompagnement. On passe beaucoup de temps sur la perte du sein : « Je ne me reconnais plus », « Je suis un monstre »… Les femmes nous disent : « Je ne pourrai plus serrer mon enfant sur mon sein », « Mon sein est parti, c’est celui qui donnait le plus de lait quand j’ai allaité »… La perte de cheveux sous chimiothérapie est un autre critère de perte de la féminité. Le cumul des deux est encore plus impressionnant. Mais on ne peut pas faire de copier-coller. On ne sait pas ce qu’il y a derrière chaque cas. On est sur de l’humain.

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Il y a des paroles maladroites ?

Oh oui ! On a toutes en réserve « les mots qui tuent » ! Entre bénévoles, nous nous « lâchons »parfois et répétons ce que nous avons entendu et qui nous a « mises à terre ». Nous arrivons à en rire. « Le premier jour où je suis revenue au boulot, une collègue m’a dit : « Oh là là, ma sœur est morte de ça au bout de dix opérations », raconte Annie. Autres phrases entendues : « Y a pas que toi qui a des problèmes », « Tu es sûre que tu as eu un cancer ? Tu n’as pas perdu tes cheveux ! » « Pourquoi tu fais une reconstruction mammaire puisque tu n’as pas de mec ? », a entendu une bénévole divorcée.

Que se passe-t-il à l’intérieur de soi en entendant ces phrases ?

On est cassée, on est hyperfragile, on se sent blessée. Alors on s’isole, on ne parle plus… C’est ça le danger. Cela peut entraîner de l’agacement qui peut dégénérer en colère, en phrases blessantes parce qu’on a une telle frustration d’avoir vécu cette maladie. Et la personne en face ne comprend pas.

Comme une agression de plus ?

Oui. Il y a aussi les petites phrases : « C’est un petit cancer, il se guérit bien », « Ne t’inquiète pas », « Tu es courageuse »… Ne t’inquiète pas ne se décrète pas ! Nous n’avons pas d’autre choix que de nous soigner. Cela ne relève pas du courage, même s’il en faut. L’entourage a aussi l’envie de passer à autre chose après. Si l’on évoque sa peur de la récidive ou sa fatigue, les proches ne veulent pas forcément l’entendre, alors que demeure une certaine fragilité. On peut ressentir aussi un « cancer blues » une fois les traitements terminés, avec une sorte de vide.

Y a-t-il des femmes qui ne veulent pas vous parler ?

Parfois, elles ne sont pas prêtes. Elles ne veulent voir personne, s’isolent, il y a trop de chagrin. Si l’infirmière nous dit que la dame ne se sent pas prête, nous reportons. Et rappelons dix jours après. Et là, ça peut durer plus d’une heure ! Depuis la Covid, les patientes sont davantage en demande et nous avons plus de retours positifs des infirmières, qui nous disent : « Elles sont plus apaisées, plus sereines une fois que vous êtes passées », « Cette dame ne parlait pas, ne voulait rien faire. On a réussi à l’amener à la cafétéria prendre un café ».

Comment réagissez-vous devant une femme qui ne veut pas parler ?

« Depuis 2018 que je suis bénévole, je n’ai connu qu’un refus. Cette dame était très en colère. Elle était jeune, elle en avait après les médecins, après la vie. J’ai juste dit que son émotion était légitime, que je la partageais, que je la comprenais. Sur son chevet, il y avait une photo de ses enfants et je lui ai dit : « Je vais vous laisser. Je vois que vous êtes très bien accompagnée. Sur votre photo, votre mari vous entoure de ses bras, vos enfants sont sur vos genoux. Je vous fais confiance, je sais que vous êtes bien entourée » raconte Marie-Christine. La conversation s’est alors enclenchée et a duré plus d’une heure. Elle a pu déverser sa colère, analyser les causes et parler de ce qu’elle pouvait faire pour rebondir. »

Que leur apportez-vous ?

Elles peuvent tout dire car elles ne nous connaissent pas. Nous entrons en résonance avec le vécu qu’elles traversent. Nous ne parlons pas de notre propre expérience, sauf quelques bribes si la femme nous le demande.

Le fait de ne pas vous connaître aide-t-il à s’exprimer ?

Elles osent l’indicible, ce qu’elles n’auraient peut-être pas dit à des proches. Devant nous, elles osent se lâcher : « Il faut que je tienne dix ans parce que mon fils a 10 ans et à 20 ans il n’aura plus besoin de moi », « Qu’est-ce que je vais dire à mes enfants ? », « Mon mari pleure avec sa maman au téléphone, je ne le supporte pas », « Mon mari m’étouffe… » Elles osent pleurer. Elles déchargent leurs tensions. Parfois, elles ne font que nous regarder. « Un jour une dame m’a demandé : « Est-ce que vous avez vu ce que j’ai regardé chez vous quand vous êtes entrée dans la chambre ? » raconte Annie. Je lui ai dit « Non », et elle m’a répondu « Votre poitrine ! » Elles voient en nous des femmes debout, avec des silhouettes de femme. Une autre fois, une dame ne disait pas un mot. Elle était derrière son drap, ses larmes coulaient. J’ai dit : « Je me permets de vous demander pourquoi vous souhaitiez me voir. » Elle m’a répondu : « Je voulais voir quelqu’un qui était debout. » Il y en a qui vont poser plein de questions, raconter leur parcours, ça sort. C’est bien.

Le fait d’être une « étrangère » peut créer un espace de liberté ?

On est anonymes, il n’y a pas de lien affectif, et on ne va rien dire. Ce n’est pas une relation dans la durée. Elles peuvent nous rappeler. On laisse nos coordonnées, mais on n’est pas psy… Nous sommes les témoins de l’espoir. Elles voient quelqu’un debout. Elles nous disent : « J’ai envie d’être comme vous ». On a retrouvé une vie sociale, on a continué le boulot, on a élevé nos enfants. On a une bonne qualité de vie. « Il s’est passé vingt ans entre mon opération et maintenant. J’ai d’autres soucis… La vie continue », analyse Annie

Les femmes vous voient une fois ?

Oui. Celles qui nous rappellent sont celles qui sont seules. Les associations locales, les soins de support prennent le relais… Les femmes trouvent d’autres moyens de s’exprimer. L’épreuve fait aussi grandir. Il y a des forces, des relais qu’on trouve en soi ou ailleurs.

Que se passe-t-il de si important en seulement une heure ?

On désamorce la bombe ! On libère la charge émotionnelle très forte à ce moment-là. Derrière l’abstrait de la guérison, elles ont du concret.

« J’ai eu la visite d’une bénévole quand j’étais malade. Ça fait plus de vingt ans et je m’en souviens très bien, relate Annie. Elle m’a dit des choses que je voulais entendre, que je n’osais pas exprimer. La perte du sein à 40 ans… Quand cette femme m’a dit : « Moi aussi je l’ai vécu, voilà ce qui existe », j’ai dit : « Eh bien ça ne se voit pas. Comment je vais faire ? Je ne ressemble plus à rien. Vous aussi vous avez une prothèse ? »

Pour certaines, tout s’arrête ! Et nous sommes là, les témoins, parce qu’on l’a vécu. On ne leur dit pas que leur vie d’avant va revenir tout de suite, mais ça va revenir. On l’a vécu, on est crédibles. « Je n’ai pas eu de visite en chambre au moment de l’intervention et j’ai vraiment ressenti la solitude, même si je suis un bon petit soldat et gère plutôt bien les émotions, Je ne voulais pas parler à mes enfants, ni à mon conjoint, c’était trop personnel. J’avais une peur atroce. Je me suis sentie vraiment seule… » confie Marie-Christine.

Les officinaux doivent-ils orienter vers une association ?

Le rôle des pharmacies est important. Que les officinaux essaient de créer un espace de confidentialité et qu’ils les chouchoutent, par exemple en leur donnant des échantillons de produits ! Peau sèche, sécheresse vaginale, cuir chevelu irrité… « Vous pouvez essayer ça, qu’en pensez-vous ? » signifie « Je sais ce que vous avez, je ne le dis pas haut et fort, mais je peux comprendre. » Il s’instaure une relation privilégiée parce que le cancer du sein, ce n’est pas rose… Cela peut être gris, et parfois noir aussi…

Marie-Christine Diarra, présidente de l’association « Vivre comme avant »,

Annie Brousse, ancienne présidente et chargée de la communication.

Vivre comme avant

www.vivrecommeavant.fr

Pour avoir les coordonnées de la bénévole proche de chez vous, cliquez sur « Où nous trouver » sur la page d’accueil ou appelez au 01 53 55 25 26, l’anonymat est respecté.