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Délégation de compétences : de l’importance des protocoles locaux
A la différence des protocoles de coopération de portée nationale, les protocoles locaux sont écrits des propres mains des professionnels de santé qui les utilisent dans un cadre d’exercice coordonné. Parce que le besoin existe, un protocole sur la douleur et l’abcès dentaire commence à se mettre en place au niveau local, impliquant dentistes et pharmaciens d’officine. Inspirant.
Après les protocoles de coopération nationaux, voici les protocoles locaux. Les premiers sont autorisés depuis mars 2020 entre les médecins généralistes et les pharmaciens d’officine et infirmiers sur quatre thématiques : brûlures mictionnelles, odynophagie, rhinoconjonctivite allergique et éruption vésiculeuse de l’enfant. Ils sont validés par la Haute Autorité de santé (HAS) et par arrêté ministériel. Les seconds se déploient depuis peu à l’initiative et au seul usage d’une équipe de professionnels. Ils ne nécessitent pas d’avis préalable de la HAS mais en suivent les recommandations. Dans les deux cas, les protocoles prennent place dans le cadre d’une structure d’exercice coordonné : maison de santé pluriprofessionnelle (MSP), centre de santé (CDS) ou communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). Ce sont ces structures qui donnent au protocole sa caractéristique « locale », développée selon les besoins d’une patientèle ou d’une population sur un territoire donné.
Un déficit d’implantation des dentistes
Couvrant 36 communes, soit un bassin de 28 000 habitants, la CPTS Nord-Aisne est pionnière dans l’élaboration de ce type de protocole. Elle a mis au point une délégation d’acte des chirurgiens-dentistes vers les pharmaciens qui cible la prise en charge des douleurs et des abcès dentaires. Une thématique travaillée à partir de fin 2021 à l’initiative de l’union régionale des professionnels de santé (URPS) pharmaciens de Corse, en lien avec une représentation des chirurgiens-dentistes sur l’île, et également en Nouvelle-Aquitaine. Pourquoi cette thématique en particulier ? « Les douleurs dentaires représentent 4 % des demandes des soins non programmés à l’officine, soit davantage que les troubles urinaires, estimés à 3 % », justifie Guillaume Racle, pharmacien et cofondateur de la CPTS Nord-Aisne. De plus, en Corse, le maillage territorial des chirurgiens-dentistes est insuffisant, souligne-t-il. La douleur dentaire draine de nombreux passages aux urgences et consultations de médecins généralistes. La problématique est la même à Oléron, en Charente-Maritime. Et comme en Corse, cette île voit sa population se démultiplier en période estivale. « Nous sommes confrontés à une grande difficulté d’accès aux chirurgiens-dentistes et aux soins en urgence. C’est ainsi que le centre 15 est pas mal sollicité l’été pour des douleurs dentaires alors qu’il est déjà sursaturé », pointe Mehdi Djilani, pharmacien titulaire à Saint-Pierre-d’Oléron (par ailleurs président du groupement Totum Pharmaciens). Il est à l’initiative de la mise en œuvre du protocole douleurs et abcès dentaires au sein de la MSP Ile d’Oléron Nord. Cette structure multisite comprend cinq officines qui se sont engouffrées dans le projet depuis la mi-juillet. A ce jour, 12 pharmaciens titulaires et adjoints ont été formés, de même que trois infirmiers. « Le protocole ne peut être appliqué que par ceux qui ont suivi la formation. Il est lié au diplômé, pas à l’officine », précise Mehdi Djilani. Comme pour les protocoles nationaux, le modèle ne peut fonctionner qu’avec un délégué, en l’occurrence un pharmacien, et un délégant, qui donne son aval à son intervention. A Oléron est arrivée la perle rare : un dentiste qui s’est installé sur l’île au printemps, rapidement submergé de rendez-vous mais prêt à s’engager. « De surcroît, il est enseignant vacataire à la faculté de Bordeaux (Gironde). Il a assuré la partie physiopathologie de la formation, que nous avons construite avec lui », rapporte le pharmacien titulaire. Au fil de son déploiement, les chirurgiens-dentistes devraient se montrer favorables à cette évolution. « De toute façon, dans la majorité des cas, ils ne peuvent pas intervenir sur le plan chirurgical sur le patient tant que l’abcès n’est pas dégonflé. En consultation d’urgence, le médecin rédige une ordonnance type, rappelle Guillaume Racle. Pour le pharmacien, cela consiste à donner une réponse pharmacologique avant un acte chirurgical. Contrairement au protocole sur la cystite par exemple, le délégant voit toujours revenir vers lui le patient après sa prise en charge à l’officine. »
La possibilité de prescrire des antibiotiques
Rien ne peut se faire sans suivre le protocole établi, notamment son arbre décisionnel. Le pharmacien s’assure en premier lieu de l’éligibilité des patients. « Certains viennent avec des douleurs dentaires, mais ils ne remplissent pas les critères d’inclusion. Par conséquent, nous continuons de leur proposer un conseil pharmaceutique. Pour les autres, le protocole nous évite de perdre du temps à chercher des solutions que l’on ne trouvait pas au final », assure Mehdi Djilani. Les critères d’exclusion sont, par exemple, l’âge (inférieur à 15 ans), une grossesse ou plus spécifiquement une difficulté à saliver, une dent qui bouge, un gonflement étendu à la gorge. Des questions sont posées si le dossier médical n’est pas accessible. Une anamnèse permet d’être en capacité d’identifier la gravité de l’abcès. Après avoir prescrit la réponse thérapeutique adéquate, le pharmacien dispense un bain de bouche et un antalgique de première ou de seconde intention (paracétamol et codéine). Si nécessaire, il est capable d’instituer un traitement d’amoxicilline ou, en cas d’allergie, de clindamycine. Ces médicaments apparaissent sur une ordonnance de délégation portant le nom du dentiste délégant, l’identité du délégué et de la structure commune.
Des protocoles locaux évolutifs
Pour parvenir à cette prise en charge, plusieurs étapes doivent être franchies. Il faut tout d’abord décider d’une thématique. « Au sein de la structure, nous focalisons sur une nouvelle pratique à mettre en place. Puis nous documentons une bibliographie sur le sujet et rédigeons un squelette de protocole avec des exigences de qualité et de sécurité », détaille Guillaume Racle. Le dossier finalisé est déposé auprès de l’agence régionale de santé (ARS). « Sans retour de sa part, le protocole est tacitement validé et il peut être mis en place immédiatement. Sinon, il est suspendu et il doit être revu. » Le système offre des latitudes à ses utilisateurs. Ainsi, la durée et le modèle de la formation ne sont pas standards. Ils sont fixés par les professionnels. « Nous pouvons apporter des modifications sur certains critères d’inclusion selon les feed-back, indique Mehdi Djilani. Cela se fait à la marge. Par exemple concernant l’évaluation de la douleur, une intensité supérieure à 7 constitue un critère d’exclusion. Peut-être serons-nous amenés à passer à 5. » Si certaines évolutions peuvent être discutées et engagées, le protocole en cours est indiscutable. Il doit être suivi à la lettre. Notamment pour des raisons assurantielles. « Chaque professionnel est responsable de sa partie. Le dentiste n’est pas responsable à la place d’un pharmacien qui sortirait du cadre du protocole », relève Guillaume Racle. Cette nouvelle activité s’inscrit dans la responsabilité civile professionnelle et doit être déclarée à l’assureur. Le pharmacien informe le dentiste de cette prise en charge. Dans la structure interprofessionnelle, un tableau est tenu à jour avec l’identité du bénéficiaire et le pharmacien qui a appliqué le protocole. Les tableaux consolidés, mais ne comportant pas ces informations, sont transmis à dates fixes à l’ARS pour le règlement. La rémunération s’effectue sur le fonds d’intervention régional. A la MSP d’Oléron, le binôme est payé 25 € par protocole mis en œuvre, dont 9 qui reviennent au dentiste délégant. Le pharmacien est donc rémunéré 16 €. Pour ces protocoles locaux, qui ont réellement démarré cette année, l’avenir semble prometteur. « Ils ont pour vocation d’être diffusés et adaptés selon les besoins sur le territoire national, mis à disposition de toutes les officines, qu’elles soient impliquées ou non dans une structure d’exercice coordonné », considère Guillaume Racle. A la Fédération des CPTS dont il est administrateur, les initiatives se multiplient. « Nous avons essayé d’identifier les demandes qui n’avaient pas de réponse au comptoir ou auxquelles nous répondions de façon non optimale. » Le pharmacien est aussi à l’origine de protocoles dans d’autres domaines allant des plaies simples aux infections sexuellement transmissibles, en passant par les conjonctivites bactériennes. Sur l’île d’Oléron, Mehdi Djilani s’intéresse plus particulièrement au soin des plaies en premier recours. « Nous recevons beaucoup de patients qui se sont blessés. Notre intervention doit maintenant être protocolisée. »
Lancement à gorge déployée
Dans les cinq officines participantes, près de 40 patients ont bénéficié entre mi-juillet et fin septembre du protocole douleurs et abcès dentaires déployé par la maison de santé pluridisciplinaire (MSP) Ile d’Oléron Nord. « Ils ont vécu cela comme une bonne surprise, témoigne l’adjointe Alison Cuny depuis le comptoir de la pharmacie de Saint-Pierre. Aucun d’entre eux n’a refusé d’entrer dans le protocole. Il a fallu leur en expliquer le principe pour recueillir leur consentement et pour qu’ils ne s’étonnent pas de ne pas le retrouver ailleurs. » La pharmacienne s’est lancée au terme d’une réunion décrivant le protocole dans sa version définitive et incluant une formation de deux heures sur la douleur dentaire. « Une chique ou un petit gonflement, c’est assez évident à reconnaître. Si l’abcès se situe dans le cou ou à la gorge, nous orientons la personne vers un médecin ou un dentiste. » Selon l’adjointe, une communication commune pourrait être affichée l’an prochain dans l’officine lorsque les protocoles odynophagie et cystite seront opérationnels
Un cadre réglementaire
Dans son article L.4011-1, le Code de la santé publique (CSP) ouvre la porte aux protocoles de coopération. Ainsi, les professionnels de santé travaillant en équipe « opèrent entre eux des transferts d’activités ou d’actes de soins ou de prévention ou réorganisent leurs modes d’intervention auprès du patient ». Selon l’article L.4011-4-1 du même code, les professionnels de santé engagés dans un exercice coordonné (MSP, CDS ou CPTS) et signataires d’un accord conventionnel interprofessionnel avec l’Assurance maladie peuvent, à leur initiative, élaborer et mettre en œuvre des protocoles de coopération locaux. Ceux-ci doivent d’abord avoir été intégrés dans leur projet de santé. Ils ne sont « valables qu’au sein de l’équipe de soins ou de la communauté professionnelle territoriale de santé qui en est à l’initiative » et satisfont aux exigences essentielles de qualité et de sécurité mentionnées à l’article R.4011-1 du CSP.
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