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« Dans un système de soins primaires, les non-médecins doivent être en première ligne »
Président de l’Instance de réflexion stratégique pour le développement des soins palliatifs depuis le 1er juin 2023, Franck Chauvin est l’ancien président du Haut Conseil de la santé publique. Médecins, pharmaciens, patients… Son analyse du système de santé ne cherche pas à plaire. Ce qui n’est donc pas pour déplaire.
Faites-vous partie de celles et ceux qui considèrent qu’inéluctablement notre système de santé se dégrade ?
Il est toujours difficile de tirer un bilan très rapide, mais, oui, notre système de santé est à bout de souffle. La ministre de la Santé Agnès Buzyn l’a dit dès 2017-2018, puis le président Emmanuel Macron et enfin, plus récemment, le ministre de la Santé François Braun en évoquant cette fois l’ensemble du système de santé et pas seulement l’hôpital. Mais que signifie « à bout de souffle » ? Le Haut Conseil de la santé publique, même si je n’en suis plus le président, a conduit un travail pour préparer la future stratégie nationale de santé et publié un rapport sur ce sujet. Nous faisons le diagnostic que la crise du système de santé est devenue systémique. Pendant un certain temps, on a pensé qu’elle était conjoncturelle avec le déficit de la Sécurité sociale. Ensuite, elle était considérée comme structurelle. On a donc commencé à modifier l’organisation, les structures, etc. Ce sont toutes les évolutions de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST). Aujourd’hui, elle a changé de nature et est devenue systémique, au sens où elle touche les trois compartiments : le soin avec la crise de l’hôpital, le médicosocial avec la crise des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et la santé publique qui est faible et laissée pour compte. De plus, deux crises transversales sont communes à ces trois compartiments : une crise des acteurs et une autre du financement, ce dernier étant le fondement de l’édifice. Selon notre analyse, il s’agit d’une crise systémique sérieuse qui impose de réfléchir à l’évolution du système.
Je pense qu’il faut adopter une vision plus globale. Ce qui arrive, c’est quelque chose qui a été décrit en 1977 par Gruenberg sous le terme « the failure of success », c’est-à-dire l’échec du succès. Cela signifie que tous les pays dans lesquels l’espérance de vie a augmenté, mais sans améliorer l’espérance de vie en bonne santé, vont avoir des systèmes de soins et de santé qui seront complètement saturés. Ce n’est pas que nous manquons de médecins ou d’infirmières, c’est que le nombre de malades chroniques est trop élevé. Et nous commençons à être submergés. En France, entre 75 et 80 % des décès sont liés à des maladies chroniques et le taux d’augmentation des maladies chroniques est de 2,5 % par an. C’est une transition épidémiologique : petit à petit, toutes les maladies aiguës sont remplacées par les maladies chroniques. Une transition systémique est nécessaire pour s’adapter à ces changements de besoins de la population. Or, la France n’arrive pas à faire évoluer son système de santé.
D’abord, ce constat n’est partagé que depuis quatre ou cinq ans. Le deuxième point, c’est que la dernière grande adaptation de notre système de santé date des années 1970. On a alors transformé les hôpitaux en usines à produire des soins. Le modèle industriel a été incorporé à l’hôpital. Cela a augmenté la qualité. Simplement, on a constitué des grands hôpitaux en périphérie du centre-ville, Paris étant une exception historique. C’est très bien pour une population jeune atteinte de maladies aiguës qui se déplace facilement en voiture. Mais, ça ne convient pas à une population qui vieillit, se déplace difficilement et ne peut plus conduire. La deuxième adaptation avec la régionalisation et les agences régionales de santé n’a pas apporté de réponse à cette question fondamentale de l’accès. En revanche, le secteur ambulatoire peut satisfaire ces besoins par sa proximité, même si le manque de médecins limite cette réponse. On fait ça à la française, c’est-à-dire à l’envers. L’enjeu fondamental pour la santé d’une population, ce n’est pas l’hôpital, mais les soins primaires. C’est là que tout se joue, en matière de prévention, de détection précoce des déterminants de la santé, de prise en charge initiale dès les stades précoces de la maladie, etc. L’hôpital est le dernier maillon de la chaise et devrait être le recours exceptionnel. Ce n’est absolument pas le cas dans notre pays. Les urgences sont sollicitées faute d’organiser les soins primaires. Résultat, les urgences embauchent des médecins généralistes et déshabillent les soins primaires. On marche sur la tête ! Il faut remettre les choses dans le bon sens. Nous avons encore quelques années devant nous pour organiser ces soins primaires. En fait, pour qu’un tel système fonctionne correctement, les professionnels de santé non médecins doivent être en première ligne, par exemple les infirmières et infirmières en pratique avancée. Les médecins ne traitent alors que les états complexes, valorisant leur expertise.
Les pharmaciens sont aussi la première porte d’entrée du système de santé. Quel peut être leur rôle ?
Les pharmaciens sont en effet un très bon exemple en la matière. Je me souviens de discussions avec certains d’entre eux il y a 15 ans. A l’époque, je leur disais : « Arrêtez de discuter pour savoir combien vous allez être payés pour faire ça. Ce n’est pas ça l’important. Essayez de savoir quel rôle vous pouvez jouer, et le reste viendra. » Ce qui me frappe aujourd’hui, c’est la vitesse à laquelle leur métier se transforme. Qui aurait pu imaginer il y a deux ans que les pharmaciens allaient pouvoir prescrire des antibiotiques après avoir réalisé des tests rapides d’orientation diagnostique (Trod) ? Ils ont compris qu’ils étaient des vrais acteurs de la santé publique de proximité. Le pharmacien est le pilier de notre système de santé. Si l’on réfléchit à un système de soins primaires, cette profession a un rôle important qu’elle est en train de façonner elle-même.
Oui, dans le sens où l’on consacre un temps réservé pour parler de prévention. Le système de santé français étant un système égalitaire, on propose à tout le monde la même chose en pensant que tout le monde a la même chance. C’est faux, car tous les systèmes égalitaires sont extrêmement inéquitables. Il y a le problème du dernier kilomètre, géographique, médical, culturel, numérique et social. Ces bilans peuvent, par conséquent, toucher les personnes qui sont éloignées du système de santé. Mais comme tout outil, leur efficacité dépend de la façon dont les gens s’en servent. Les professionnels de santé doivent, en outre, être formés pour que ces bilans de prévention soient vraiment utiles. La majorité pense qu’il suffit de dire aux gens ce qu’il faut faire ou non. Mais ça ne marche pas comme ça. On peut avoir recours à des techniques comme l’entretien motivationnel, les interventions brèves, etc. L’enjeu va être de former les professionnels.
Dates clés
2004 : Directeur délégué du centre Hygée (centre de prévention des cancers de la région Rhône-Alpes Auvergne), puis de l’Institut de Prévention et de santé globale (Presage) à l’université de Saint-Etienne (Loire), directeur de la prévention et de la santé des populations (CHU de Saint-Etienne)
2017- 2022 : Président du Haut Conseil de la santé publique
2023 : Président de l’Instance de réflexion stratégique pour le développement des soins palliatifs
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