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DANS LA COURSE MAINTIEN À DOMICILE
À sa sortie d’hôpital, le patient ne passe pas toujours directement par la case pharmacie. Les prestataires de santé à domicile l’ont parfois directement démarché ou se sont fait connaître en amont auprès des hôpitaux et des infirmiers libéraux. Le pharmacien souffre-t-il de son manque de réactivité ou bien fait-il les frais d’une concurrence déloyale de la part de ces prestataires ?
Ils nous piquent le marché, c’est de la concurrence déloyale ! », confie un pharmacien sous le sceau de l’anonymat, pour ne pas « avoir d’ennuis ». Car les pharmaciens entretiennent des relations commerciales avec les prestataires de santé à domicile (PSAD) auxquels ils sous-traitent l’activité de livraison de matériel médical, tout en voyant d’un mauvais œil l’indépendance de ces derniers lorsqu’ils facturent le matériel au patient sans passer par la pharmacie. Philippe Minighetti, titulaire à Arles (Bouches-du-Rhône), raconte q’un de ses patients avait besoin d’une chaise de douche mais ne l’a pas prise, faute de remboursement. « Un jour, chez lui, j’ai vu la chaise. Son prestataire l’avait livrée, probablement en facturant autre chose à la place et en lui affirmant que ce modèle était pris en charge chez eux… » Michel Siffre, membre du bureau URPS-pharmacien en PACA en charge du projet « coordination des soins à la sortie de l’hôpital », s’étonne de l’attitude de certains prestataires : « Le patient arrive chez lui et, avant qu’il ait pu voir son pharmacien, un prestataire de santé à domicile lui livre une quantité de matériel souvent bien supérieure à ce qui est nécessaire, le tout facturé à la sécurité sociale. À l’issue des soins, le prestataire récupère le matériel inutilisé. Je vous laisse imaginer ce qu’il en fait ensuite ».
Aux pharmaciens d’occuper le terrain
Didier Le Bail, pharmacien d’officine à Grasse (Alpes Maritimes), jette un regard sans complaisance sur ses confrères : « Les pharmaciens se plaignent de l’omniprésence des PSAD à l’hôpital qui s’emparent du marché, mais les prestataires ne font qu’occuper le terrain. Si nous restons dans notre pharmacie, immobiles, en attendant que les patients apportent leur ordonnance, si nous ne sommes pas capables d’aller au-devant de leurs besoins, ne nous plaignons pas de cette évolution. » Didier Le Bail a préféré pour sa part prendre l’initiative en proposant à l’URPS un projet de coordination ville/hôpital (voir encadré) qui sera expérimenté avec l’hôpital de Grasse et les professionnels qui le souhaitent, y compris les PSAD. « Tout le monde, y compris un prestataire, pourra entrer dans l’association dans la mesure où il respecte notre charte éthique. Si le prestataire peut offrir un service que le pharmacien est incapable d’assurer, je ne vois pas pourquoi on ne devrait pas faire appel à lui. Je connais peu de pharmaciens qui puissent mettre en place une oxygénothérapie à domicile et assurent la permanence de nuit. »
Pour Jean-Philippe Alosi, délégué général du Synalam (Syndicat national des prestataires de santé à domicile), le pharmacien n’est simplement pas en mesure d’assurer l’acheminement, la maintenance du matériel et la permanence 24 heures/24, 7 jours/7. « Le pharmacien peut manquer de temps et de réactivité, mais en aucun cas le prestataire ne prend sa place. Lors d’une sortie d’hôpital, le partage des tâches est extrêmement clair : le pharmacien s’occupe des médicaments et remplit le dossier pharmaceutique, le prestataire veille au matériel. » Gaël Donadey, pharmacien et PDG de la société prestataire Homeperf, pense qu’il faudrait désamorcer ce conflit entre pharmaciens et prestataires : « On ne prend pas leur travail, on leur en amène au contraire avec les ordonnances de sorties hospitalières qui ne leur arriveraient jamais si le prestataire n’était pas là pour assurer l’organisation des soins à domicile ».
Philippe Durand, titulaire à La Teste-de-Buch (Gironde), n’a lui non plus pas attendu pour s’investir dans le maintien à domicile. « Quand j’ai commencé à vendre du matériel médical en 1984, il n’y avait pas beaucoup de pharmaciens qui s’aventuraient dans ce domaine ». C’était pourtant un pari gagnant car aujourd’hui il réalise près de 25 % de son chiffre d’affaires dans le matériel médical. Il possède son propre matériel, dispose de son personnel qualifié et de ses propres véhicules de livraison, d’un tunnel de désinfection, d’un entrepôt de stockage pour le matériel (150 m2) ainsi que d’un showroom pour que les patients puissent essayer le matériel. Et ce sans être en conflit avec les prestataires : « Nous leur confions toutes les activités qui nécessitent une astreinte (oxygénothérapie, pompes à perfusion, etc.). »
Le patient doit garder son libre choix
Michel Siffre, en lutte contre le détournement de clientèle, rappelle qu’il est impératif de laisser le libre choix au patient. « A sa sortie d’hôpital, ce n’est pas au médecin de décider où le patient doit faire exécuter son ordonnance. » Cela dit, selon lui, pour les chefs de services hospitaliers, il est avantageux de recourir aux PSAD. Ils peuvent ainsi déléguer la coordination des soins au prestataire. « Malheureusement, ce calcul apporte plus d’insécurité aux patients : les prestataires ne sont bien souvent pas des professionnels de santé et constituent un intermédiaire supplémentaire entre l’hôpital et le pharmacien. »
Infirmier coordinateur chez IP santé, Bastien Triouleyre donne la priorité aux intervenants médicaux du patient (pharmaciens et infirmiers). « Quand il y a un caractère d’urgence et que la pharmacie du patient n’a pas les produits en stock, on sait où les trouver, selon la zone géographique. Après ce dépannage exceptionnel, on commande à nouveau les produits à la pharmacie du patient. » Un pharmacien de région parisienne nous a confié, de son côté, avoir ainsi diversifié son activité. « Je fais livrer dans toute la région [par une société de livraison spécialisée dans les médicaments et le matériel médical, NdlR]. Cela peut représenter plus d’un quart de mon chiffre d’affaires. » De son côté, Bastien Triouleyre rapporte que chez IP Santé, aucun accord commercial n’existe avec des pharmaciens. « 99 % de nos patients sortent de l’hôpital. C’est là que nous nous faisons connaître. »
La publicité (à l’hôpital, en libéral, auprès des patients)
Si le patient est théoriquement libre de son choix, la réalité est un peu différente. C’est le personnel hospitalier qui propose au patient un prestataire. « Nous avons une équipe qui se déplace dans les hôpitaux afin de faire connaître nos atouts, nos forces. Nous avons une plaquette d’information qui est présentée par des infirmiers avec une spécialisation commerciale. Chez d’autres prestataires, ce sont des commerciaux purs », explique Bastien Triouleyre. Selon Marilène Lacaze, infirmière à Gustave-Roussy, ils sont nombreux à se disputer le marché : « Au moins deux fois par semaine, un nouveau prestataire vient m’expliquer qu’il est meilleur que son concurrent. Il y a ceux qui vont juste essayer d’avoir un rendez-vous et ceux qui nous invitent à dispenser une formation (rémunérée) auprès des infirmières libérales, ce qui est une façon d’acheter leur entrée à l’hôpital. » Certaines techniques bien rodées n’ont plus cours à Gustave Roussy, qui compte parmi les rares hôpitaux à posséder une organisation très rigoureuse (voir encadré p. 36). « Avant ce système de coordination, les prestataires offraient à chaque service hospitalier ses petits avantages (petits-déjeuners, invitations à des conférences à l’étranger…) ce qui leur permettait de s’assurer du quasi-monopole des sorties hospitalières. » En pratique, les prestataires recrutent directement les patients dans les services, comme ce fut le cas pour Camille, tétraplégique à la suite d’un accident de voiture. « Pour le matériel de sondage, j’ai rencontré un commercial d’une société prestataire de santé lors de mon séjour au centre de rééducation. J’ai le numéro des commerciaux, je les appelle directement quand j’ai besoin de matériel et ils me l’envoient par transporteur ». Elle ne bénéficie en revanche d’aucun coordinateur pour ses soins à domicile, ni au centre de rééducation, ni chez son prestataire, ni chez son pharmacien. Et pourtant elle est assistée de six infirmières à domicile et d’une sur son lieu de travail qui assurent ses soins, cinq fois par jour.
L’organisateur de soins idéal n’est pas le même pour tout le monde
Pourtant tous les acteurs de santé s’accordent à dire que le coordinateur est essentiel dans le maintien à domicile. Si Marilène Lacaze estime que ni le pharmacien, ni le prestataire de santé ne devraient assumer le rôle de coordinateur (même si chacun doit coordonner son intervention), Bastien Triouleyre défend quant à lui la qualité de sa prestation de coordinateur de PSAD : « C’est l’infirmier du prestataire et non l’infirmier libéral (IDL) qui rencontre le patient à l’hôpital pour préparer la sortie. On note le besoin de matériel, de médicaments, on s’informe sur la capacité de l’IDL du patient à effectuer les soins, on demande à la pharmacie si elle dispose des médicaments et on prend rendez-vous si besoin avec l’infirmière pour lui expliquer le fonctionnement du dispositif médical au domicile du patient ». Pour les patients de Philippe Durand, dans le bassin d’Arcachon, c’est souvent l’IDL qui est le pivot de la coordination des soins. La pharmacie ne s’en occupe pas et bien souvent les médecins ne sont pas spécialisés dans le matériel médical. À Paris, Geneviève Bridier, IDL, n’a pas vraiment identifié de coordinateur de soins. « Notre interlocuteur privilégié est le médecin hospitalier pour les soins médicaux, ou à défaut, le médecin traitant. Comme ils sont parfois injoignables, nous appelons le pharmacien pour un conseil sur les médicaments ou la posologie. Enfin pour les problèmes techniques, nous contactons le prestataire. »
En 1997, après une thèse d’exercice sur le rôle du pharmacien dans la prise en charge du patient à domicile à la faculté de pharmacie de Marseille, Gaël Donadey a créé la société Homeperf. Il défend logiquement l’importance du prestataire « les services à domicile nécessitent une logistique et une structure lourdes que l’officinal ne peut fournir. » Pour cet entrepreneur, « on pourrait très bien envisager que certains pharmaciens se spécialisent pendant leurs études pour devenir prestataires de santé à domicile, à l’instar des pharmaciens responsables Bonnes pratiques de dispensation d’oxygène (BPDO). À mon avis, le diplôme de pharmacien n’est pas suffisamment utilisé pour prendre le relais de la pénurie médicale. » Il propose même la création d’une section au sein de l’ordre pour les pharmaciens responsables BPDO et les pharmaciens prestataires. Après les sections officine, industrie et répartition, les facultés de pharmacie proposeront-elles peut-être un jour une section « prestations de santé à domicile »…
Sondage directmedica
Sondage réalisé par téléphone du 1er au 4 octobre 2013 sur un échantillon représentatif de 100 pharmaciens titulaires en fonction de leur répartition géographique et de leur chiffre d’affaires.
Distinction entre MAD et HAD
Le maintien à domicile (MAD) consiste à réaliser les soins au domicile du patient pour lui permettre de vivre chez lui. Il est initié par le médecin référent hospitalier lorsqu’il décide que le patient peut être soigné à domicile.
L’hospitalisation à domicile (HAD) consiste à faire intervenir une structure hospitalière à domicile. Cette structure possède un nombre de lits déterminé qui est défini par l’ARS et qu’elle ne peut dépasser. Ces structures sont indépendantes des hôpitaux. C’est le coordinateur des soins qui décide, en fonction de la complexité des soins à apporter, s’il faut mettre en place une HAD ou un suivi par les professionnels libéraux.
Dans certaines situations (activité professionnelle maintenue, patient à activités multiples…), l’HAD est contraignante car les horaires ne sont pas toujours précis pour les soins. Elle ne peut pas non plus être mise en place si la personne est seule et alitée, car le personnel de l’HAD ne peut détenir les clés du domicile.
Sondage directmedica
Didier Le Bail, titulaire à Grasse
« Une association de professionnels de santé pour simplifier la vie des patients »
« La loi HPST attribue au pharmacien le rôle de coordinateur de soins, il nous a paru aberrant de laisser occuper le champ par les prestataires. La plupart du temps, le patient ne sait même pas que le pharmacien est capable de satisfaire ses besoins ! Nous lui proposons donc de lui simplifier la vie en lui amenant ses ordonnances chez le professionnel compétent, en lui apportant son matériel à domicile, en lui envoyant une infirmière pour lui expliquer le fonctionnement des dispositifs médicaux… Nous avons créé une association à Grasse, dont les statuts sont actuellement en attente de validation par l’URPS-pharmacie. La fonction de coordinateur sera remplie par une personne extérieure qui n’est ni pharmacien, ni médecin, ni kinésithérapeute, mais qui connaît suffisamment les actes, un peu comme un secrétaire plurimédical. Ce coordinateur, actuellement en cours de formation, sera payé par l’association, avec des subventions de l’URPS et des cotisations. Les membres seront des professionnels libéraux (pharmaciens, infirmiers, prestataires, kinésithérapeutes…) Ceux qui ne voudront pas adhérer à l’association se verront facturer le service du coordinateur pour chaque acte ou chaque patient, la plateforme de coordination jouant le rôle de “fournisseur d’affaire”. Nous allons soumettre le projet aux différents ordres (médecin, pharmacien, infirmier) pour recueillir leur aval éthique. L’activité devrait démarrer au cours de l’année 2014. »
Sondage directmedica
Sur votre activité « maintien à domicile », pratiquez-vous des dépassements sur certains matériels de la LPP ?
INTERVIEW : MARILÈNE LACAZE, RESPONSABLE D’UNE UNITÉ DE COORDINATION INFIRMIÈRE À L’INSTITUT GUSTAVE-ROUSSY À VILLEJUIF (VAL-DE-MARNE)« Celui qui a le moins d’intérêt est le mieux placé pour coordonner »
Quel est l’intérêt du coordinateur à l’hôpital ?
Une bonne coordination permet d’éviter des complications lors du retour à domicile et de réaliser des économies sur les dépenses de matériel remboursé par la sécurité sociale. L’hôpital n’a aucun gain financier direct dans la coordination. Nous avons calculé qu’à Gustave-Roussy, le coût d’une coordination de sortie est de 72 euros par patient, qu’il faut comparer au surcoût de plusieurs milliers d’euros d’une hospitalisation plus longue ou d’une complication au retour à domicile. Les situations à problèmes sont justement celles dans lesquelles les patients sortent de l’hôpital avec les ordonnances dans la poche sans que les soins ne soient organisés par un coordinateur intrahospitalier.
Pourquoi le coordinateur ne serait-il pas la pharmacie du patient ou le prestataire de santé ?
Il faut absolument un coordinateur, qu’il soit à l’hôpital ou dans une structure externe. À mon avis on ne peut pas avoir une bonne coordination si elle est réalisée par le fournisseur de matériel, que ce soit le prestataire de santé ou le pharmacien, car on ne peut pas être juge et partie. Celui qui a le moins d’intérêt est le mieux placé pour coordonner. De plus, un coordinateur interne ou « intégré » a accès à l’ensemble du parcours de soins.
Comment organisez-vous la sortie de vos patients ?
Nous travaillons avec une dizaine de prestataires de santé à domicile sélectionnés selon un cahier des charges très strict. Chaque prestataire se voit attribuer le même nombre de patients par type de soin et est évalué chaque année. Si le patient souhaite travailler avec un prestataire en particulier, nous respectons son choix. À Gustave-Roussy, tous les médecins doivent passer par le système de coordination, sinon l’ordonnance n’est pas validée ni transmise au prestataire. Pour répartir le travail entre les prestataires, nous assurons un même volume à chacun.
Pour éviter que ne soit facturé trop de matériel, nous demandons à chaque renouvellement d’ordonnance un état des lieux des stocks chez le patient. Certains prestataires ont été évincés car ils délivraient trop de matériel.
Vous ne travaillez pas avec les pharmacies ?
Comme tous les patients ont une pharmacie, nous travaillons systématiquement avec elle pour les médicaments. Mais nous travaillons directement avec les prestataires pour le matériel, car le plus souvent la pharmacie sous-traite avec le prestataire, et en cas de défaillance du prestataire, nous ne pouvons maîtriser la situation alors même que nous sommes responsables des soins prescrits. C’est typiquement le cas avec l’oxygène médical. On ne contacte le pharmacien que si l’ordonnance comporte un médicament particulier, ou pour s’assurer de la disponibilité des médicaments (les dosages élevés de morphines, certains antibiotiques, vitamines, oligoéléments…) Dans ce cas Gustave-Roussy faxe l’ordonnance à la pharmacie. Faute de temps, on ne peut les appeler. Les infirmières de coordination ne sont pas là pour contrôler et corriger les prescriptions des médecins référents, il arrive que des erreurs se glissent dans les prescriptions. Là, vigilance et rôle d’alerte du pharmacien sont primordiaux. La coordination reste à leur disposition pour rectifier. Aux pharmaciens d’être vigilants !
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