Automédication : l’industrie pharmaceutique roule pour l’officine

Automédication : l’industrie pharmaceutique roule pour l’officine

Publié le 16 septembre 2014
Par Laurent Lefort
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Les laboratoires pharmaceutiques pourraient-ils tirer profit d’une future ouverture du monopole des médicaments non remboursés ? Leur position sur le sujet ne flirte-t-elle pas avec l’ambiguïté ? Le 17 septembre, l’Afipa* organise le 4e Forum de l’automédication et du selfcare, pendant lequel il sera débattu des enjeux du secteur avec les représentants des syndicats de pharmaciens, l’agence du médicament, des parlementaires et des industriels. La veille de cette manifestation, Pascal Brossard, président de l’Afipa, répond point par point aux questions accusatrices. Et fustige ce qu’il juge être une approche court-termiste du dossier.

Quelle analyse portez-vous sur le climat pesant qui règne sur l’officine et en particulier sur les menaces concernant le monopole ?

Avancer des arguments qui sont faux, utiliser de mauvaises études, le tout avec l’argent public, qu’est-ce d’autre qu’une manœuvre politicienne et purement démagogique ? Arrêtons de raconter des mensonges. En matière de prix de médicaments d’automédication, la France est, avec le Royaume-Uni, le pays le moins cher en Europe de l’Ouest. Mettre en avant des chiffres erronés ne sert qu’à faire de l’esbroufe. Et sans entrer dans le détail, les prix montent moins vite que l’inflation. En revanche, la TVA, elle, a grimpé à deux reprises et le rapport de l’Inspection générale des finances n’en tient même pas compte. C’est un scandale. Arrêtons de trouver de mauvaises solutions à de vrais problèmes. Aujourd’hui on a une vision à court terme : à 3 mois, à 6 mois. Mais la vision qu’il faut avoir à 3 ans ou à 5 ans en matière de déficit public, où est-elle ?

Mais vous alors, que préconisez-vous ?

Une vision plus large de l’organisation du système de soins. Il n’y a plus assez de médecins généralistes, le système ne fonctionne plus. Les autres pays ont déjà décidé qu’il fallait responsabiliser les patients. Qu’est-ce qu’on attend, nous ? L’automédication responsable permet à chaque professionnel de santé de jouer son rôle. Si la pratique devait rester en l’état, on pourrait évidemment avoir des discussions à n’en plus finir sur l’opportunité d’ouvrir ou non le marché. Mais l’Afipa préfère défendre une vision de l’automédication à long terme.

C’est-à-dire ?

De plus nombreuses pathologies devront être prises en charge dans le domaine de l’automédication avec des médicaments plus complexes, certains triptans par exemple. Qui dit extension de la technicité dit conseil de qualité, inscription au dossier pharmaceutique, suivi de pharmacovigilance, assurance qu’il n’y ait pas de produit de contrefaçon et on peut allonger la liste. Et ça, cela relève du pharmacien d’officine.

Parmi les rumeurs qui circulent, on entend pourtant que certains laboratoires seraient prêts à franchir les portes de la GMS…

Alors, je vais vous répéter la position de l’Afipa approuvée à l’unanimité par le conseil d’administration, sans discussion entre nous sur ce point : nous souhaitons que l’automédication reste dans les prérogatives du pharmacien d’officine.

Et dans 3 ou 5 ans ?

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C’est la position d’aujourd’hui qui est importante ! Il faut arrêter un peu avec la théorie du complot et des méchants industriels qui agissent en sous-main. Et dans 3 ou 5 ans ? Et dans 3 ou 5 ans, ils verront les choses telles qu’elles seront. Point.

En même temps, la confusion qu’ont pu générer certaines marques ombrelles – qui, rappelons-le, mêlent AMM, statuts de complément alimentaire ou de dispositif médical – développées par de grands noms de l’automédication n’a t-elle pas précipité ce qui arrive aujourd’hui ?

Peut-être. Ces exemples de marques ombrelles avec cohabitation de plusieurs statuts différents n’ont jamais réussi à faire l’unanimité à l’Afipa. Mais pourquoi certains labos les ont-ils développées selon vous ? Pour aller dans un autre circuit de distribution ? Bien sûr que non. Vous vous êtes penché sur la complexité de la législation pour un médicament d’automédication ? La raison est toute simple : il est beaucoup plus facile de monter un dossier pour un dispositif médical ou pour un complément alimentaire.

Et les propositions d’évolution qui circulent actuellement concernant les prix, les canaux d’approvisionnement, vous en pensez quoi ?

A ce sujet, je suis atterré par la position de certains syndicats. Imposer un prix ? C’était un système en vogue il y a 30 ans. Sur les prix, le marché joue bien son rôle. Les prix étant libres, il y a une concurrence forte : laboratoires entre eux, officines entre elles. Dans le même ordre d’idée, entendre que les marques des génériqueurs vont développer le marché, c’est ridicule. Les prix sont déjà tellement bas. Aller encore plus bas ? Le médicament à 50 centimes ou à un euro, c’est ce que l’on veut ? Un médicament a une valeur, il est fabriqué en Europe, voire en France, il est sécurisé. On évoque souvent le problème des écarts de prix. Mais il y a aujourd’hui des structures mises en place par le législateur qui permettent de les limiter. Après tout acheter mieux, c’est aussi un peu le job des pharmaciens, non ?

Justement, économiquement parlant, quel serait l’impact du passage des médicaments de prescription médicale facultative en GMS ?

L’automédication représente aujourd’hui 9 % de la marge des pharmacies. Dans les autres pays qui ont récemment fait passer l’automédication en GMS, le poids de ce marché est d’environ 10 % dans la grande distribution contre 90 % en pharmacie. A terme, si cela arrivait en France, 10 % pourraient donc partir de l’officine. L’impact est mineur. En revanche, stratégiquement, si la PMF quitte le circuit exclusif de l’officine, on ne pourra jamais plus ouvrir le champ de l’automédication à des médicaments pointus. In fine, ce choix du passage en GMS créera un véritable frein au développement.