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Aider à dire stop au tabac

Publié le 4 décembre 2010
Par Frédéric Thual
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Vincent Loubrieu, pharmacien dans le Maine-et-Loire, s’implique dans la lutte contre le tabagisme. Après avoir suivi une formation diplômante, il organise dans son officine des consultations personnalisées pour accompagner les fumeurs décidés à écraser leur dernière cigarette.

Au comptoir, en face d’un fumeur, tout pharmacien devrait avoir le réflexe de demander “avez-vous l’intention d’arrêter de fumer ?” Le simple fait de poser la question provoque 2 % d’arrêts du tabac. Toute la mission du tabacologue est de travailler sur la motivation. Et de faire savoir que le jour où…, on est là ! », explique Vincent Loubrieu, titulaire de la pharmacie de l’Esplanade à Avrillé (Maine-et-Loire), qui a décroché le diplôme inter-universitaire (DIU) de tabacologie et aide au sevrage tabagique de la région Ouest à l’université d’Angers.

Le déclic de Vincent Loubrieu remonte à 2005. Pour la Journée mondiale sans tabac cette année-là, l’OMS retient le thème : « Les professionnels de santé et la lutte contre le tabagisme. » De son côté, le groupement Giropharm choisit de s’impliquer dans une démarche volontaire en partenariat avec le Réseau hôpital sans tabac (RHST). Et propose à ses adhérents un certain nombre d’outils : dossier d’entretien par le pharmacien (sexe, âge, poids, taille IMC, test de Fagerström, antécédent dépressif, taux de CO…), fiche mémo de tests, guide d’utilisation, suivi personnel du sevrage, recueil et transmission des données, etc. L’objectif ? Devenir un « expert » en la matière.

Adhérent de longue date au groupement et sensible aux problèmes d’addiction, le titulaire de la pharmacie de L’Esplanade se lance dans la lutte contre le tabagisme en 2006. En relation avec l’unité de coordination de tabacologie du CHRU d’Angers, dirigée par le professeur Claude Guillaumin, Vincent Loubrieu poursuit sa formation et se perfectionne à Nantes et à Tours. « Les centres de tabacologie sont très intéressés de savoir qu’il existe des relais sur le terrain, constate le titulaire. A l’inverse, connaître le réseau de tabacologie permet au pharmacien de savoir vers quelle spécialité s’orienter lorsqu’une situation dépasse ses compétences. »

Un diplôme pour devenir expert

Le pharmacien va plus loin et décide d’obtenir le DIU de tabacologie et aide au sevrage tabagique. Etalée sur six mois, la préparation du diplôme représente douze jours de cours, sanctionnés par un examen écrit et la présentation du mémoire devant un jury d’experts. Présenté le 12 octobre dernier, le mémoire de Vincent Loubrieu a obtenu la meilleure note parmi les vingt-quatre postulants (médecin, pneumologue, infirmer, psychologue, cardiologue, sage-femme…). Le titulaire a notamment utilisé les 238 cas transmis par les pharmaciens du réseau Giropharm. « Ces données, fournies par les dossiers des patients et non par du déclaratif, ont permis de mettre en exergue que l’officine reçoit un profil de fumeur spécifique, à savoir une clientèle jeune, âgée de 15 à 34 ans, et majoritairement féminine, souligne Vincent Loubrieu. On ne peut pas demander à chaque pharmacien de passer un DU, mais vouloir lutter contre le tabagisme impose de s’intéresser au sujet. Il faut accepter d’y passer du temps. Le rôle du pharmacien est capital. La manière dont il va aborder le fumeur va conditionner ou non l’arrêt du tabac. »

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Un accompagnement personnalisé

Chaque année, le pharmacien accueille une cinquantaine de personnes. « Quand on évoque le sevrage tabagique, je conseille systématiquement un rendez-vous. » Les consultations ont lieu dans un bureau spécifique à l’étage. « Le fumeur est un sujet ambivalent. Il est en permanence partagé entre les avantages et les inconvénients. Il faut alors l’aider à faire pencher la balance », explique le pharmacien. Le premier entretien dure généralement une heure. Le suivi de la personne a lieu ensuite tous les sept jours.

L’arrêt du tabac est souvent vécu comme un déchirement, difficilement compréhensible par les non-fumeurs. « Face à la personne, nous sommes comme dans une voiture, assis à côté du conducteur. Un relationnel se crée. L’échange humain et intellectuel est très important, souligne Vincent Loubrieu. Le processus de décision est souvent long. Quelqu’un a réfléchi pendant l’été avant de revenir me voir à l’automne. C’est normal, le fumeur se lance dans une phase de découverte. La maturation précède la décision de l’arrêt, puis s’ensuit le processus de maintien. L’éventuelle reprise ne doit pas être vécue comme un échec mais comme une étape. Il n’y a pas de modèle type. Chaque arrêt correspond à l’histoire du patient. » Certains iront jusqu’à la coucher noir sur blanc. « On peut lire de véritables lettres de séparation », témoigne-t-il, repoussant l’idée d’une motivation financière dans la démarche. « Et pour vous ? Que représente la lutte contre le tabac ? Une simple source de revenu ? », s’est d’ailleurs enquis, un brin provocateur, l’un des membres du jury de la Société de tabacologie, lorsque Vincent Loubrieu a présenté son mémoire de DIU. « Ce n’est pas parce que vous passerez une boîte à 45 € que vous allez changer votre mode de rémunération. Ce pourra être au mieux une fidélisation de la clientèle si l’on adopte une démarche globale. De fait, si, comme le préconise la loi HPST, le pharmacien veut réaliser des mini-consultations – et pouvoir revendiquer le forfait de 50 € –, il devra prouver ses compétences. »

L’adjointe et les quatre préparatrices ont également suivi une formation au centre de tabacologie de Nantes pour accroître leurs connaissances et se familiariser avec un discours de sevrage. Leur vision de la lutte anti-tabac a ainsi évolué. « Le comportement change vis-à-vis du fumeur. On comprend que c’est une maladie. L’approche devient différente. C’est un des enjeux de la pharmacie de demain, tel que le préconise la loi HPST. Si le pharmacien est, certes, bien placé pour s’en occuper, il n’est, en revanche, pas question de faire n’importe quoi », prévient le titulaire de l’Esplanade, qui n’exclut pas à l’avenir de revoir l’organisation de l’officine. Pour lui, le sevrage tabagique est, aussi, devenu un véritable outil de management pour motiver son équipe.

Une équipe officinale formée

L’arrêt du tabac est un vrai travail collectif. Le savoir-faire des préparatrices, spécialisées en diététique et en dermo-cosmétique, a été vivement sollicité. « Le problème de la prise de poids est un frein majeur à l’arrêt du tabac. Dans ce cas, les conseils d’un régime alimentaire adapté s’avèrent primordiaux, relève Vincent Loubrieu. Et dès lors que le fumeur s’aperçoit que le temps s’allonge depuis la dernière cigarette, vous prenez conscience que vous l’aidez à retrouver sa liberté… » Pour que la « petite dernière » ne soit plus celle du condamné.

Envie d’essayer ?

LES AVANTAGES

• Emulation autour d’un projet commun pour l’équipe officinale.

• Enrichissement humain.

• Quand le fumeur dispose d’une ou de deux minutes, il est plus facile de pousser la porte d’une pharmacie que de prendre rendez-vous chez un médecin ou dans un centre spécialisé. C’est un des atouts de l’officine.

• Une offre complémentaire aux réseaux de médecins ou de tabacologues pour toucher des publics différents.

• Une source d’activité et de revenu complémentaires.

LES DIFFICULTÉS

• C’est obligatoirement chronophage.

• Impossibilité de prescription.

• Les gens qui ne viennent pas au premier rendez-vous sans avertir.

LES CONSEILS

• Une formation est indispensable.

• Assurer un suivi avec du matériel, comme un kit d’accompagnement. Un testeur de CO2 s’impose.

• Savoir motiver et impliquer l’équipe.

• Utiliser les compétences de l’officine : préparateur en herbo-cosmétologie, diététicienne.

• Savoir passer le relais à des médecins, des centres de tabacologie, des psychologues… L’arrêt du tabac concerne différents domaines (dépression, psychologie, alimentation, dentition…).

• Cibler des périodes dans l’année pour mener des campagnes de prévention et de sensibilisation.