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Accro à un réseau toxico
Cotitulaire à Marseille, Robert Gabriel n’a jamais pu limiter son univers à l’officine. Depuis 2000, au sein du Réseau santé addiction Sud du centre hospitalo-universitaire Sainte-Marguerite à Marseille, il coordonne les 120 officines qui dispensent les traitements de substitution. Une façon d’affirmer que les toxicomanes sont avant tout des patients.
Le mardi matin, Robert Gabriel, cotitulaire de la pharmacie Dromel à Marseille, n’est pas derrière le comptoir mais dans le service de psychiatrie du Pr Lançon, au centre hospitalo-universitaire (CHU) Sainte-Marguerite. Il occupe le bureau du Dr Karine Bartolo, praticienne hospitalière et coordinatrice du Réseau santé addiction Sud. Il récupère les dossiers de toxicomanes pris en charge par le réseau puis appelle les pharmaciens qui délivrent Méthadone et Subutex. Objectif : recueillir les informations auprès des officinaux, répondre à leurs questions, voire les inviter à participer à une réunion où professionnels de santé hospitaliers et libéraux font le point sur une dizaine de toxicomanes. Robert Gabriel explique : « Je me suis donné comme règle de ne pas téléphoner à mes collègues depuis mon officine mais de le faire sur mon temps libre, à l’hôpital, dans ma voiture et, parfois, de chez moi. Je ne veux pas d’interférences entre mes activités d’officinal et celles du réseau. Ce n’est pas toujours évident à gérer, notamment en cas d’urgence. » Parallèlement, il profite de ces appels pour convaincre ses collègues de détenir un stock de produits suffisant pour délivrer sans attendre le traitement : « L’accès aux produits de substitution doit être plus facile que celui du deal, sinon, cela ne sert à rien. »
Lutter contre la frilosité des confrères
« La prise en charge des toxicomanes est très complexe. Elle ne se borne pas à distribuer du Subutex ou de la Méthadone tous les 14 jours, mais à considérer le malade dans ses dimensions sociales, psychologiques, médicales, etc. Le patient est souvent désocialisé, sans domicile, sans travail, sans famille. Il peut être aussi dépendant d’autres produits, dont l’alcool. Il présente généralement plusieurs pathologies : VIH, hépatite C… Il faut aussi être conscient que le traitement dure longtemps et qu’il est entrecoupé de nombreuses rechutes. » Il poursuit : « Le pharmacien est au coeur du dispositif car au contact régulier du patient. Il sait s’il présente des signes de manque, s’il est alcoolisé, s’il vient chercher son traitement en avance ou en retard, ou encore s’il demande en même temps des Stéribox. Autant de signes qui conduisent à donner l’alerte au médecin hospitalier référent et au médecin de ville, permettent de complèter le dossier informatique du patient (en accès réservé) et d’adapter le traitement lors des réunions bimensuelles auxquelles je participe comme pharmacien coordinateur. »
Tout a démarré en 1998, quand le programme de substitution s’est mis en place. Le Dr Karine Bartolo cherchait des pharmacies volontaires pour dispenser Subutex aux patients suivis par le Centre des addictions. « A l’époque, les pharmaciens étaient très frileux et ils le restent. Ils avaient l’impression d’être des dealers légaux : Subutex, prescrit par des médecins de ville sans précision sur le dosage, donnait lieu à des dérives : approvisionnement auprès de plusieurs pharmacies du fait du nomadisme médical, possibilité d’injection, de revente, etc. On leur demandait aussi de donner des Stéribox, procédure initiée par mon ami Stéphane Pichon (NdlR : aujourd’hui président du Conseil régional de l’Ordre). Jeune officinal, il se battait alors pour faire accepter un dispositif qui évitait la transmission du VIH. A la décharge des officinaux, il n’est pas facile d’accueillir les toxicomanes parmi les autres clients. »
Solidité et soutien psychologiques
Invité par le Pr Lançon, chef du service psychiatrique et du Centre des addictions, à une réunion sur les modalités de délivrance de Subutex, Robert Gabriel se retrouve avec des praticiens hospitaliers. Ensemble, ils décident de structurer leur action en créant un réseau ville-hôpital pluridisciplinaire. Robert Gabriel entre ensuite au conseil d’administration du réseau comme administrateur puis comme trésorier. Depuis, en dehors des professionnels de l’hôpital, le réseau regroupe 60 généralistes libéraux, 20 infirmiers et travaille avec 120 pharmacies. « Nous suivons 200 patients. C’est peu et beaucoup à la fois. Peu par rapport au nombre de toxicomanes dans le département. Beaucoup parce qu’il ne s’agit pas seulement de les soustraire à la dépendance, mais de les réinsérer dans la société et leur milieu familial. Nous ne sommes pas les seuls à travailler dans ce domaine. »
S’impliquer à fond demande une certaine solidité psychologique. Il faut accepter les critiques de l’entourage qui ne comprend pas toujours pourquoi on s’investit. Robert Gabriel commente : « Cela ne constitue pas une bonne carte de visite ! Il serait plus simple de s’occuper des diabétiques ou des cancéreux (NdlR : ce qu’il fait par ailleurs). Ce réseau correspond à mon éthique. La personne qui vient chercher son traitement dans l’officine n’est pas un toxicomane. C’est un patient comme les autres qui souffre d’une pathologie que nous traitons et que nous accompagnons dans sa prise en charge afin qu’il puisse s’en sortir. A ceux qui me disent que c’est honteux de prendre du Subutex ou de la Méthadone toute sa vie, je réponds que les hypertendus prennent, eux aussi, un traitement au long cours ! Quant aux rechutes, elles ne sont pas propres aux toxicomanes mais à tous ceux qui sont dépendants d’une drogue, le tabac par exemple. Il ne faut pas stigmatiser la rechute, mais essayer de comprendre pourquoi elle est arrivée, parler avec le patient et se garder de tout jugement. Quand je me sens inutile parce que le patient auquel je délivre de la Méthadone depuis trois ans n’avance pas, j’ai parfois envie de décrocher. Alors j’en parle aux psys du réseau et je reprends confiance. »
« A l’officine, je suis devenu plus humain »
« Il faut accepter les échecs, les décès (3 ou 4 l’an dernier), les retours en prison, et être heureux quand un ancien toxicomane reprend une vie normale. Cela montre que c’est possible, que mes efforts ne sont pas vains et que je dois continuer à convaincre mes confrères de nous aider. » L’implication au sein du réseau a renforcé la manière dont le titulaire considère l’exercice du métier. « Je n’ai jamais souhaité être un pharmacien cantonné dans son officine. J’ai l’impression que, lorsque l’on s’enferme, on réduit son champ de vision. » Cette conviction, partagée par son associé Philippe Lance (ancien président du syndicat départemental), l’a conduit à exercer à une époque le poste de secrétaire général du syndicat et à être engagé, jusqu’en 2009, dans la formation des préparateurs au Centre de formation des apprentis de Marseille. Quant à sa pratique à l’officine : « Je suis un peu moins technicien et un peu plus humain. Je ne me focalise plus sur l’analyse de l’ordonnance et son commentaire. Je suis plus attentif au patient. Ce n’est pas un malade que j’ai devant moi mais une personne qu’il faut considérer dans sa globalité parce que tout est important. »
Envie d’essayer ?
Les avantages
– Elargit son champ de vision.
– Permet de sortir de l’officine.
– Donne l’occasion de travailler en réseau, avec d’autres professionnels de santé, des travailleurs sociaux, etc.
– Améliore sa pratique à l’officine.
– Permet de se former et d’accroître ses compétences.
– Fait du pharmacien un acteur de santé reconnu.
Les difficultés
– Le temps passé.
– L’incompréhension de l’entourage.
– L’implication psychologique.
Les conseils de Robert Gabriel
– « Pour disposer de temps disponible, il faut s’associer avec un titulaire qui a la même vision de l’engagement en dehors de l’officine. »
– « Un officinal doit faire partie d’un réseau ville-hôpital du type diabète, oncologie, toxicologie, VIH, bientôt Alzheimer, ou autre. Il y va de la sauvegarde de son métier. S’il ne s’implique pas, il deviendra transparent, on l’oubliera et ce sera la fin du monopole. Bien entendu, on ne lui demande pas de s’impliquer comme moi ou d’autres pouvons le faire. »
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