Dictionnaire des sigles Réservé aux abonnés

« LES PHARMACIENS NE SONT PAS UTILIS ÉS ACTU ELLEMENT DANS LEURS PLEINES COMPÉTENCES »

Publié le 17 mars 2012
Par Claire Bouquigny
Mettre en favori

Se réunir et échanger des idées entre pharmaciens et scientifiques de tous pays pour faire évoluer les pratiques professionnelles, c’est ce que prône la Fédération internationale pharmaceutique par la voix de son président Michel Buchmann, un pharmacien suisse.

LE MONITEUR DES PHARMACIES : Pourquoi la FIP a-t-elle été créée ?

MICHEL BUCHMANN : La FIP a été créée en 1912 avec l’objectif d’assurer la qualité des médicaments, lesquels étaient alors essentiellement produits dans les officines. A l’époque, il était primordial de contrôler et de standardiser la qualité des principes actifs qui entraient dans la composition de ces médicaments artisanaux, notamment à travers les pharmacopées. Les fondateurs de la FIP voulaient créer une pharmacopée internationale qui définisse des standards de qualité reconnus et imposés dans tous les pays. Ces travaux ont été transférés vers l’Organisation mondiale de la santé à sa création en 1948. Entre-temps, le médicament s’est industrialisé et des systèmes d’assurance maladie ont été mis en place. Le pharmacien, qui était payé par une marge sur la fabrication de produits médicamenteux, s’est retrouvé rémunéré par le même principe de marge prélevée sur un produit manufacturé. Il a de ce fait perdu son statut de scientifique du produit pour devenir un distributeur-dispensateur de médicaments. Et la FIP, qui était une organisation de scientifiques, a élargi ses activités à la sphère des pratiques.

Quelle est la mission de la FIP ?

Elle consiste à améliorer la santé mondiale, en faisant progresser la pratique et les sciences pharmaceutiques afin d’améliorer dans le monde entier la découverte, le développement, l’accessibilité et l’usage rationnel de médicaments appropriés, de qualité et présentant un rapport coût/efficacité favorable. Cette définition a été élaborée lors du congrès de Bâle en 2008, et elle figure dans le document intitulé « Vision 2020 ». La FIP est une organisation non gouvernementale reconnue par l’Organisation mondiale de la santé. C’est une plate-forme de réflexions, de débats, de discussions et d’échanges de pratiques nouvelles au niveau mondial. La FIP a aussi élaboré des standards de bonnes pratiques pharmaceutiques qui recommandent que des normes nationales soient établies en matière d’éducation sanitaire, d’approvisionnement en médicaments et en dispositifs médicaux, d’automédication, d’amélioration de la prescription et de la dispensation des médicaments par les pharmaciens. Ces bonnes pratiques ont été adoptées par l’Organisation mondiale de la santé et la FIP en 2011. Elles stipulent que pour qu’un traitement soit efficace, le patient doit le comprendre et y adhérer et le pharmacien doit s’assurer que les messages des prescripteurs ont été bien compris. Le rapport dit aussi que l’Organisation mondiale de la santé et les gouvernements jugeront les pharmaciens sur leurs performances. Le texte officiel a été remis à tous les gouvernements du monde entier.

Comment peut-on passer à la mise en pratique des recommandations de la FIP ?

La FIP n’a pas vocation à interférer avec les politiques nationales pharmaceutiques. Elle étudie et documente les différences entre les pays, elle peut proposer mais elle n’agira dans un pays particulier qu’à la demande des organisations membres. En effet, chaque pays a ses particularités en matière d’organisation de santé (système de sécurité sociale, de remboursement, de réglementation, de régulations, etc.). Sans oublier les enjeux politiques qui nécessitent un traitement discret lors d’échanges informels avec les responsables de tel ou tel Ordre ou association nationale. C’est pourquoi la FIP ne définira jamais une solution idéale qui serait applicable dans tous les pays. Au sein de la FIP, chaque participant peut exprimer son opinion et s’informer des expériences en cours dans les autres pays. Il peut ensuite y réfléchir et proposer des réformes à ses ministères de tutelle. Certains facteurs comme la propriété du capital de l’officine, le monopole de distribution des médicaments, les prix fixes de ces derniers et les règles démogéographiques de répartition des officines sont débattus durant nos congrès. Ils peuvent être perçus, selon les participants, comme des freins à l’innovation ou comme des conditions indispensables à maintenir dans l’intérêt des patients.

Publicité

La FIP défend-elle une position particulière concernant le monopole ?

Par définition, tout monopole doit être justifié. Il est donc primordial que les pharmaciens disposant d’un monopole de dispensation des médicaments aient à l’esprit les raisons pour lesquelles ce monopole leur a été conféré et ce que la société en attend en retour. Du point de vue étatique, la liberté de commerce ne peut être restreinte que si l’intérêt public en est largement bénéficiaire. En Europe, la question du monopole de la propriété du capital a été tranchée par la Cour de justice européenne qui a jugé qu’il était acceptable que la propriété du capital soit réservée à des pharmaciens. En effet, le propriétaire non pharmacien peut développer l’aspect commercial de son entreprise aux dépens des services que peuvent en attendre les patients. D’autres continents, en revanche, ont permis le développement de chaînes de pharmacies sous condition de présence d’un pharmacien responsable. Pour conserver le principe d’un pharmacien propriétaire d’une ou de quelques pharmacies, il faudra prouver que les patients sont largement mieux pris en charge dans ces structures. Le dire seulement ne suffira pas, il faudra le démontrer par des faits.

Comment envisager les collaborations interprofessionnelles pour développer l’usage responsable des médicaments ?

Pour que les médecins, les pharmaciens et les infirmiers puissent assumer ensemble la responsabilité du résultat d’un traitement, ils doivent sortir de leurs tours d’ivoire et mettre en place des comportements qui leur permettent d’ajouter leurs compétences respectives. La FIP a adopté une déclaration sur les pratiques de collaboration interprofessionnelle. Elle affirme que chaque association, dans chaque pays, doit travailler sur 7 points. Ce sont l’accès approprié aux dossiers médicaux des patients, une communication performante entre les pharmaciens et les autres professionnels de santé, une application de consensus cliniques basés sur les preuves, le développement des compétences des pharmaciens, la mise en place de systèmes de gestion de la qualité et, enfin, le développement d’un cadre réglementaire approprié et d’un modèle économique nouveau et viable. Les pharmaciens doivent prendre l’initiative et s’approcher des autres soignants pour leur démontrer leurs intentions et leur potentiel de valeur ajoutée. Ils doivent mettre au centre de leur préoccupation les patients qu’ils rencontrent chaque jour afin de créer ce lien de confiance indispensable à la compréhension et à la réussite des traitements. L’avenir sera nettement plus incertain pour les pharmaciens qui resteront isolés dans leur officine et sans interaction avec les autres professionnels de santé !

Faut-il rémunérer les services fournis par les pharmaciens d’officine ?

Le débat sur la rémunération des pharmaciens intéresse le monde entier car une substance active ne devient un médicament qui sauve des vies qu’avec l’ajout des conseils éclairés des professionnels de santé que sont les pharmaciens. Les pharmaciens doivent donc faire comprendre au public, aux assureurs et aux politiciens la vraie nature de leur métier. Ils offrent deux sortes de prestations qui sont la mise à disposition d’une structure (officine) et les services fournis dans cette structure. Afin de pouvoir dispenser des médicaments, ils investissent dans un local conforme aux normes légales, dans un stock de médicaments et d’autres produits de santé, un équipement informatique et de laboratoire et ils s’adjoignent les services d’adjoints et de préparateurs chargés de les aider dans leur tâche. Ils immobilisent de l’argent dans leur entreprise afin de pouvoir offrir un accès sûr et efficace aux médicaments, ce qui en fait une sorte de service public sur base financière privée. Par ailleurs, les pharmaciens entretiennent des relations de confiance avec d’autres professionnels de santé et apportent des compétences intellectuelles qui leur permettent de valider les ordonnances, vérifier leur authenticité, contrôler si le médicament convient à la personne, si la dose prescrite est correcte et s’il y a des interactions et des contre-indications connues. Ils portent en définitive l’entière responsabilité d’une dispensation sous contrôle, ce qu’ils peuvent manifester en cosignant l’ordonnance selon les bonnes pratiques pharmaceutiques. Ces deux types de prestations doivent être rémunérés de manière différente et transparente et en conformité avec des objectifs de rentabilité et de réalité économique. C’est une évolution indispensable si un Etat souhaite conserver un réseau de pharmacies efficace. Une rétribution en pourcentage de la marge ne rétribue le pharmacien qu’au hasard du prix des médicaments et non en fonction de la valeur ajoutée apportée. Ses activités de conseil ne sont pas proportionnelles au coût du médicament, alors que sa rémunération l’est. Pour la FIP, si les politiques désirent que les activités des pharmaciens répondent aux besoins actuels et futurs des patients, ils vont devoir changer leur façon actuelle si étriquée de voir l’activité des pharmaciens et faire évoluer leur mode de rémunération.

Dans quel sens les études de pharmacie devraient-elles évoluer ?

Le futur pharmacien devra terminer ses études avec un cerveau pétri de sciences, assorti de toutes les attitudes et méthodes de travail nécessaires à la pratique ambulatoire. Il devra être formé en sciences cliniques et avoir acquis des compétences en matière de médecine, d’hygiène, d’écologie, de communication, d’économie et de sciences sociales. Toutes ces connaissances lui permettront d’être intégré dans les équipes de soins. Demain, nous ne parlerons plus de médecine de premier recours ou de proximité, mais de soins médicaux, pharmaceutiques et infirmiers de premier recours. Il ne s’agira pas de missions nouvelles mais de l’assurance que les patients reçoivent les meilleurs soins possibles à travers une collaboration entre professionnels qui reconnaissent leurs compétences respectives et travaillent ensemble. La tâche de préparer ces nouveaux enseignements pour former à la fois des scientifiques performants et des praticiens aux larges compétences incombe aux universitaires. Cette mission leur est confiée par les gouvernements qui leur octroient dans ce but des facultés de pharmacie et des budgets conséquents. Les gouvernants doivent se souvenir des montants investis et ne pas oublier par la suite d’utiliser les professionnels compétents à leur juste valeur afin de bénéficier d’un retour sur leurs investissements. La FIP ose affirmer que les pharmaciens ne sont pas utilisés actuellement dans leurs pleines compétences. La FIP et l’OMS recensent actuellement les facultés de pharmacie du monde entier afin de créer un réseau des doyens de ces institutions pour qu’ils puissent discuter entre eux de ces nouvelles orientations et prendre les mesures adéquates pour innover, et ce partout dans le monde.

Comment se passent les échanges entre pharmaciens sur le plan international ?

La FIP est un formidable espace d’échange d’idées et d’informations pour toutes les disciplines professionnelles, quels que soient les pays dans lesquels elles s’exercent. C’est de ce bouillonnement que naît l’innovation. Tout le monde peut s’exprimer librement et rencontrer les experts et leaders de la profession venant des quatre coins du monde. Notre congrès mondial réunit chaque année au moins 3 000 collègues. Le programme est vaste, tous les thèmes actuels de la pratique et des sciences pharmaceutiques y sont abordés et chacun peut construire son propre programme de formation. Des discussions informelles ont lieu dans les couloirs ou lors des manifestations sociales qui complètent le programme. Ces rencontres continuent au-delà du congrès par des échanges d’e-mails et des forums de discussion. Chaque pharmacien ayant décidé de devenir membre de la FIP(1) et de participer activement à nos débats en ressortira transformé. Il verra se concrétiser des tendances qui aujourd’hui sont globales et il pourra imaginer les réformes indispensables à entreprendre. Il n’importera pas des idées et des projets mais il les adaptera aux besoins de son pays. Les pharmaciens ont besoin de cette vision internationale car leurs compétiteurs ont organisé cette veille stratégique. Ne pas le faire c’est prendre le risque de ne pas être préparé suffisamment tôt.

Quelles manifestations sont prévues pour le centenaire de la FIP ?

En 2012, la FIP va célébrer son centenaire lors de son congrès annuel qui se tiendra à Amsterdam du 2 au 8 octobre. Il est ouvert à tous les pharmaciens et étudiants en pharmacie, qu’ils soient membres ou non de la FIP. A cette occasion, la FIP a convaincu la ministre de la Santé des Pays-Bas d’organiser un sommet mondial des ministres de la Santé sur le thème des « Bénéfices de l’usage responsable des médicaments ». Ce sommet réunira 36 ministres environ provenant des six régions du globe définies par l’OMS. Le ministre de la Santé français, qui sera désigné après l’élection présidentielle, fait partie de la liste des invités, et nous espérons le recevoir. En préambule à ce sommet, trois tables rondes sont organisées par la FIP sur les thèmes de l’adhésion des patients à leurs traitements, du bon médicament pour le bon patient et du pouvoir de l’information partagée. Elles sont parrainées par le World Economic Forum et la fondation Bill & Melinda Gates. Les conclusions de ces tables rondes seront présentées aux ministres afin qu’ils s’en saisissent pour élaborer leur déclaration ministérielle d’Amsterdam. En réponse à celle-ci, les associations membres de la FIP signeront la Déclaration du centenaire qui constituera un signal politique fort de notre engagement pour améliorer la santé. Une table ronde sur l’innovation et les besoins nécessaires pour construire notre avenir professionnel est également organisée (2).

(1) La cotisation annuelle est de 94 € pour un pharmacien et de 47 € pour un étudiant.

(2) Le programme complet du congrès est disponible sur www.fip.org/amsterdam2012.

Michel Buchmann en 6 dates

1971 Diplôme de pharmacien à l’école de pharmacie de l’université de Lausanne.

1978 Adhésion à la FIP en tant que membre individuel .

1987 Elu au comité exécutif de la section des pharmaciens d’officine de la FIP.

1996 Elu président de la section des pharmaciens d’officine de la FIP.

2000 Elu vice-président et membre du bureau de la FIP.

2010 Elu à la présidence de la FIP.

Qu’est-ce que la FIP ?

La FIP, fédération mondiale des praticiens et scientifiques de la pharmacie, regroupe 127 associations membres de 90 pays : Ordres, syndicats et organisations scientifiques, auxquels s’ajoutent environ 4 000 membres individuels. Toutes les disciplines y sont représentées : officine, hôpital, industrie, armée, académie, communication, recherche, formation et sciences pharmaceutiques. Les jeunes pharmaciens sont représentés avec 800 à 900 membres au sein du Young Pharmacists’ Group.

La gouvernance de la FIP est assurée bénévolement par des membres élus des associations nationales adhérentes. Elle est structurée en trois conseils : le Conseil de la pratique pharmaceutique, le Conseil des sciences pharmaceutiques et le tout récent Conseil en charge d’initiatives dans le domaine de la formation. La FIP, dont le siège est à La Haye (Pays-Bas), possède un budget annuel de 2,5 millions d’euros, provenant des cotisations des membres et des revenus des congrès mondiaux.