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Les escarres

Publié le 27 octobre 2021
Par Thierry Pennable
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Hormis les soins de la plaie elle-même, les moyens mis en œuvre pour la prévention et le traitement des escarres, techniques de positionnement du patient ou utilisation de supports, sont similaires. Mise en décharge de la plaie et nutrition adaptée sont essentielles.

La maladie

Définition

Une origine ischémique

• L’escarre est une lésion cutanée, la plupart du temps consécutive à une hypoxie tissulaire provoquée par une compression excessive et prolongée des tissus mous entre un plan « dur » et une saillie osseuse. Ce qui en fait une plaie d’origine ischémique (voir Dico+).

• L’arrêt ou l’insuffisance de la circulation sanguine est alors à l’origine d’une zone de nécrose et d’ulcération des tissus mous : graisse, muscles, tissus fibreux, vaisseaux sanguins et lymphatiques, nerfs.

• Les escarres sont plus fréquentes dans les zones où l’os est près de la peau, au niveau des hanches, sacrum, talons, chevilles et coudes, mais elles peuvent concerner toutes les zones corporelles (voir encadré Localisations p. 40).

Des dégâts en profondeur

• « Une plaie de dedans en dehors » est l’expression utilisée pour décrire la forme conique à base profonde de l’escarre. Les dégâts en profondeur sont bien plus importants que la lésion cutanée visible ne le laisse supposer.

• Le rôle de la pression et de la perte de mobilité est prédominant. Une pression sur un point du corps maintenue quelques heures suffit pour que surviennent les premières lésions (rougeurs).

Physiopathologie

Aussi appelée « plaie de pression », une escarre peut débuter en deux heures. Lorsque la pression exercée sur une zone cutanée n’est pas levée par un changement de position, elle provoque un écrasement des tissus et une ischémie, qui se traduit localement par une mort cellulaire et l’apparition d’une nécrose. La pression peut être directe ou par cisaillement, ces deux phénomènes pouvant être associés.

Pression directe

• La pression à l’origine d’une escarre correspond à une force exercée perpendiculairement entre un plan rigide et une proéminence osseuse. La compression des tissus mous provoque une occlusion, et donc :

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→ une insuffisance ou une interruption de la microcirculation vasculaire du tissu = ischémie ;

→ une diminution des apports en oxygène que le sang distribue aux tissus = hypoxie tissulaire.

• Si cette pression est très prolongée et/ou très forte, les lésions irréversibles évoluent vers une nécrose.

Cisaillement

• La force est exercée de façon tangentielle entre les tissus superficiels retenus par leur contact avec une surface (dossier de fauteuil…) et les tissus profonds, muscles et tissus sous-cutanés, tirés vers le bas par la gravité. Comme la pression perpendiculaire, le cisaillement, surtout dû à un glissement, provoque une ischémie.

• Le sacrum est la zone la plus concernée lorsque le patient glisse alors qu’il est installé dans son fauteuil ou dans son lit avec le tronc relevé à plus de 30°.

Classification

Une escarre est décrite selon l’aspect de la plaie, ou stade, ses dimensions, avec mesure de la surface et de la profondeur, et sa localisation. La classification du National Pressure Ulcer Advisory Panel (NPUAP), la plus utilisée, distingue quatre stades de l’escarre selon l’étendue des lésions (voir infographie).

→ Stade I : érythème persistant ou qui ne blanchit pas sur une peau saine.

→ Stade II : atteinte partielle de la peau, ou phlyctène.

→ Stade III : perte complète de tissu cutané (tissu graisseux visible).

→ Stade IV : perte tissulaire complète (muscle/ os visible).

La description et l’évaluation de l’escarre sont indispensables pour définir une stratégie de traitement.

Facteurs de risque

Les facteurs de risque extrinsèques, locaux et indépendants du patient, sont associés aux facteurs intrinsèques liés à l’état de la personne.

Facteurs extrinsèques

Outre la pression et le cisaillement, on distingue :

• l’humidité : facteur aggravant le risque d’escarre, l’humidité prolongée (transpiration, fuite urinaire…) fragilise ou endommage l’épiderme protecteur. L’humidité peut accentuer une friction cutanée, source de formation ou d’aggravation de l’escarre, par exemple le frottement de la peau contre des vêtements ou des draps ;

• la friction et la macération sont des facteurs aggravants par l’ouverture initiale de la peau. La friction correspond à une lésion directe sur la peau provoquant une abrasion.

Facteurs intrinsèques

• La dénutrition est un facteur de risque majeur.

• L’immobilité contrainte (plâtre, contre-indication médicale au lever, pathologies neurologiques…) est due au grand âge ou à des troubles moteurs ou de la conscience.

• Pathologies associées : neurologiques (hémiplégie, paraplégie…), incontinence urinaire et/ ou fécale, diabète, artériopathie oblitérante des membres inférieurs, baisse du débit circulatoire (hypoxémie) avec anémie, hypotension…

• Les facteurs iatrogènes : médicaments sédatifs, anesthésie…

• Les facteurs psychosociaux : perte du niveau d’estime de soi, paraplégie en phase de déni ou d’abandon, syndrome de glissement…

• Un défaut d’information : méconnaissance et/ ou non-respect des consignes préconisées, par le patient ou par les professionnels.

• Autres : âge, antécédents d’escarres, état de la peau, déshydratation.

Étiologies

• L’escarre « accidentelle » est associée à un trouble temporaire de la mobilité et/ou de la conscience. L’escarre de décubitus, la plus fréquente, est liée à l’immobilisation prolongée. La moitié des escarres du sujet âgé survient après un accident vasculaire cérébral (AVC) et une fracture du col fémoral.

• L’escarre « neurologique » est liée à une pathologie chronique, motrice et/ou sensitive : neuropathies diabétiques ou éthyliques, origine iatrogène (sous un plâtre, en post-opératoire…). Elle survient surtout au niveau du sacrum ou du trochanter, avec un risque élevé de récidive.

• L’escarre « plurifactorielle » est liée au confinement au lit et/ou au fauteuil de patients poly-pathologiques, en réanimation, en gériatrie ou en soins palliatifs. Les localisations sont multiples.

Signes cliniques

Une rougeur persistante

• L’apparition d’une rougeur persistante sur une zone d’appui doit faire suspecter la formation d’une escarre. Pour identifier une rougeur persistante, il suffit d’appuyer légèrement avec le doigt sur cette zone rouge durant trois secondes, puis de relâcher. Si la peau blanchit au point de pression puis se recolore en rouge, il n’y a pas d’escarre en formation. Si la peau demeure rouge, c’est une « escarre de stade I » (voir infographie p. 39).

• Une escarre peut passer en quelques heures d’une simple rougeur persistante à une plaie profonde. Les mesures de prévention sont urgentes (voir plus loin). Au stade I, l’escarre est encore réversible. Après la rougeur, si l’appui est maintenu, la peau se détériore et l’escarre se transforme en une plaie plus ou moins profonde. Au stade le plus sévère – stade IV – (voir plus loin), l’escarre atteint l’os, avec un risque d’infection grave (ostéite).

Évaluation de l’escarre

Plusieurs éléments sont évalués par le soignant pour suivre l’évolution de l’escarre et la reconstruction des tissus(1) :

→ couleur de la plaie, observée après nettoyage ;

→ surface de la perte de substance, mesurée avec une réglette millimétrée ou un calque ;

→ profondeur, évaluée avec un stylet ou une réglette millimétrée ;

→ topographie (= localisation) de la plaie reportée sur un schéma ;

→ signes d’infection : érythème, chaleur locale, œdème, suppuration, odeur. Ils justifient un prélèvement bactériologique pour guider la thérapeutique ;

→ contact osseux, noté comme facteur de gravité ;

→ fistulisation lorsqu’une connexion anormale se forme entre un organe et l’escarre. Exemple : fistule urétro-périnéale avec escarre périnéale.

Complications

• Complications locales. Les escarres qui ne guérissent pas peuvent entraîner des fistules superficielles ou qui relient la plaie à des structures profondes adjacentes, par exemple une escarre sacrée reliée aux intestins. Ce qui provoque infection bactérienne de la peau et des tissus sous-cutanés (cellulite) et des calcifications tissulaires.

• Les complications infectieuses peuvent être locales ou générales : ostéite, arthrite, bactériémie, méningite, endocardite, septicémie…

Suivi

Le suivi de l’escarre est réalisé par l’infirmière en charge des soins locaux de la plaie, en collaboration avec le médecin prescripteur des soins. La transmission régulière de la description et de l’évaluation de l’escarre est indispensable à l’ajustement des traitements en fonction de l’évolution de la plaie.

Les traitements

Objectif

Le traitement de l’escarre est avant tout préventif car, une fois constituée, elle peut être longue et difficile à traiter. La durée moyenne de cicatrisation des escarres est évaluée à 271 jours (Assurance maladie, 2015). La prise en charge vise la guérison de la plaie le plus vite possible.

Stratégie thérapeutique

Hormis les soins de la plaie elle-même, les moyens mis en œuvre pour la prévention et le traitement sont similaires : bon état nutritionnel, techniques de positionnement du patient ou utilisation de supports et d’accessoires.

Traitement préventif

La prévention vise à contrecarrer les facteurs de risque. Ces derniers sont évalués par les soignants, au moyen d’un jugement clinique et d’une échelle validée d’identification des facteurs de risque.

Évaluation du risque d’escarre

Plusieurs échelles d’évaluation des facteurs de risque de survenue d’escarre (s) sont utilisées pour la prise en charge. Toute échelle comporte des limites, compensées par une évaluation clinique de la situation du patient. L’échelle de Braden est la plus efficace(2) (voir tableau ci-dessous), même si l’échelle de Norton, rapide et simple, est plus souvent employée.

État nutritionnel

La prévention vise à assurer l’équilibre nutritionnel, prenant en compte le poids, l’indice de masse corporelle (IMC) et une perte de poids récente. Une carence d’apport alimentaire sera compensée par une reprise progressive des apports protéiques et caloriques. On recommande les apports suivants.

• Apports énergétiques et protéiques.

→ 30 à 35 kcal/kg de poids corporel par jour et 1,25 à 1,5 g de protéines/kg de poids corporel par jour pour un apport satisfaisant d’azote, pour les adultes à risque de dénutrition et pour les personnes âgées. Si les besoins ne sont pas couverts par l’alimentation, il faut recourir aux compléments nutritionnels oraux (CNO), à haute teneur en calories (HC) ou en protéines (HP). L’apport entéral ou parentéral peut être envisagé(3).

• Vitamines et minéraux.

→ Alimentation équilibrée, avec des aliments riches en vitamines et en minéraux.

→ Suppléments riches en vitamines et en minéraux lorsque l’apport alimentaire est médiocre ou si des déficiences sont confirmées ou suspectées.

Hydratation

Les liquides sont indispensables au transport des nutriments (vitamines, minéraux, glucose…). Ils permettent de :

• fournir et encourager une consommation quotidienne de liquide fixée selon les objectifs de santé et les comorbidités ;

• détecter les signes de déshydratation, y compris le changement de poids, la turgescence de la peau, la diurèse, un taux de sodium sérique élevé.

• assurer un apport hydrique supplémentaire en cas de déshydratation, température élevée, vomissements, transpiration profuse, diarrhées, ou plaie (s) fortement exsudative (s).

Mobilisation

Le but est d’éviter les appuis prolongés par diverses méthodes : mise au fauteuil, verticalisation, reprise de la marche, alternance positions assise et couchée. Il est recommandé d’effectuer des changements de position toutes les deux ou trois heures en tenant compte du patient (âge, pathologie), de ses besoins et habitudes.

• Mobilisation précoce des patients alités.

→ Se lever et marcher dès que possible, sauf incapacité. Des séances de mobilisation active (voir Dico+), par des mouvements volontaires du patient, compensent la détérioration clinique souvent observée en cas d’alitement prolongé, et évitent des rétractions musculo-tendineuses aggravant le risque d’escarre par les positions vicieuses.

→ Adopter des durées progressives au fauteuil selon leurs conséquences sur l’escarre.

• Repositionnement au lit.

Préconiser :

→ la position couchée plutôt qu’assise si le patient la tolère et si son état le permet ;

→ la position latérale avec une inclinaison à 30°, en alternant côté droit, dos et côté gauche.

À éviter :

→ la position couchée sur le côté à 90° à cause du risque de pressions (trochanter…) ;

→ une élévation de la tête du lit à 30° car elle expose le sacrum et le coccyx à des pressions et cisaillements ;

→ tout glissement vers le bas du lit.

• Repositionnement au fauteuil. La position assise est importante pour un patient souvent alité. Elle réduit les risques d’immobilité, favorise la réhabilitation, l’alimentation et la respiration.

Observation de l’état cutané

L’observation et la palpation régulières de l’état cutané permettent d’examiner les zones à risque et de détecter tout signe précoce d’altération cutanée.

Le massage et la friction des zones à risque sont à proscrire à cause de leur effet traumatisant car ils diminuent le débit microcirculatoire moyen. L’effleurage à main ouverte durant deux à trois minutes lors des changements de position est parfois effectué, mais il est à proscrire dès le stade I.

Veiller à l’hygiène

La toilette corporelle doit être quotidienne, avec savon respectant le pH, rinçage et séchage soigneux, et précautionneuse sur les zones à risque. En présence d’incontinence ou de transpiration abondante, renouveler si possible les soins d’hygiène à chaque change pour éviter irritation et macération.

Utilisation des supports

De nombreux supports existent : lits, matelas, surmatelas, coussins de siège, coussins et accessoires de positionnement. Leurs principales qualités sont la réduction des pressions aux points d’appui, la diminution des effets de cisaillement et de friction, le contrôle de l’humidité et la facilitation des soins.

Le choix des supports dépend du niveau de risque, du nombre d’heures passées au lit et/ ou au fauteuil, du degré de mobilité du patient, de la fréquence des changements de position et de la possibilité ou non d’un transfert lit/ fauteuil (voir tableau p. 44).

Traitement curatif

On ne traite pas seulement une plaie mais un malade. Quel que soit le stade de l’escarre, les mesures de prévention précédemment citées sont à intensifier.

Les soins de la plaie, un bon état nutritionnel, les techniques de positionnement du patient et l’utilisation de supports sont la base de la prise en charge après évaluation de la plaie et du patient.

Repositionnement du patient

En l’absence de contre-indication, le repositionnement est recommandé pour tout porteur d’escarre(3). Il évite le maintien de la pression qui retarde, voire empêche, la guérison et peut entraîner une aggravation supplémentaire.

• La fréquence des changements de position est individualisée selon l’état général et cutané, la tolérance des tissus, le niveau d’activité et de mobilité, le support de redistribution de la pression utilisé et les objectifs du traitement (voir Avis du spé).

• Précautions. À chaque repositionnement : vérifier la réduction ou la redistribution des pressions ; éviter de positionner le patient sur des proéminences osseuses et les pressions de cisaillement ; utiliser des outils d’aide aux transferts afin de réduire les pressions ; surélever la personne pour la déplacer et ne pas la faire glisser ; recourir à des techniques simples : alèse de positionnement… ; respecter les principes de sécurité de la manutention manuelle ; ne pas laisser le matériel de manutention sous la personne après emploi, sauf si conçu à cet effet ; éviter de placer la personne sur des tuyaux, des systèmes de drainage…

• Repositionnement au lit (voir Traitement préventif).

• Repositionnement au fauteuil. En cas d’escarre (s) au niveau du sacrum ou de l’ischion :

→ limiter l’assise journalière à trois fois par jour pendant des périodes = à 60 minutes ;

→ utiliser un support de position approprié et/ou des techniques de positionnement ;

→ éviter une position droite en cas d’escarre à l’ischion, car cet os supporte le poids du corps en position assise.

Nutrition

Un état de dénutrition est un facteur de retard de cicatrisation et de risque d’infection. Toute personne avec escarre doit bénéficier de l’intervention d’un diététicien ou d’une équipe interprofessionnelle spécialisée en nutrition pour une évaluation complète(3). Les recommandations sont identiques à celles de la prévention. En cas d’escarre de stade III ou IV ou d’escarres multiples, si les besoins nutritionnels ne sont pas couverts avec les CNO HC et HP, un recours à des suppléments à haute teneur en protéines, arginine et micro-nutriments est recommandé(3).

Soins de la plaie

Les escarres cicatrisent par bourgeonnement et contraction de la plaie (voir encadré p. 42). Tout est mis en œuvre pour supprimer la nécrose (tissus morts) le plus vite possible. On doit ensuite respecter le bourgeonnement en maintenant un milieu humide. La réépidermisation peut se faire grâce à la chirurgie (greffe) si la plaie est importante.

• Nettoyer la plaie permet de retirer les résidus de pansements et les fragments de tissus dévitalisés. Ils entraînent un risque infectieux important et empêchent une cicatrisation optimale.

• L’escarre est nettoyée à chaque réfection de pansement avec du sérum physiologique ou de l’eau du robinet, au mieux au jet d’eau, en appliquant une pression suffisante pour nettoyer sans créer de dommages tissulaires ou d’apports bactériens. La peau périlésionnelle est nettoyée et séchée pour éviter la macération.

• L’usage systématique des antiseptiques est fortement déconseillé à cause de leur cytotoxicité et du risque de provoquer des résistances bactériennes locales. Leur usage est réservé au nettoyage d’escarre présentant des débris, une infection, une forte présence bactérienne confirmée ou suspectée(3).

• La détersion naturelle, phase de la cicatrisation (voir encadré p. 42), assure le nettoyage du foyer lésionnel indispensable à la poursuite du processus de cicatrisation. Lorsqu’elle est insuffisante, il y a un risque d’évolution vers une inflammation chronique. Une détersion externe doit être mise en place par le soignant pour compléter la détersion physiologique.

→ La détersion mécanique avec une curette ou un bistouri est indiquée dès l’apparition d’une nécrose, dont l’excision permettra l’évolution vers la cicatrisation. Différer une détersion mécanique indiquée et/ou la remplacer par une détersion autolytique à l’aide des pansements revient à reporter la cicatrisation et à allonger la durée de souffrances morales et/ou physiques pour le patient. La détersion mécanique est en général un « soin propre » et non « stérile », aseptique. Toutefois, le risque de déclencher une bactériémie incite à un lavage avec un antiseptique avant d’intervenir sur une escarre de stade IV et/ou localisée sur l’articulation d’un orteil et/ ou sacrée malodorante, suintante, avec un abcès. Cette détersion potentiellement douloureuse nécessite parfois un antalgique avant les soins et/ou un anesthésique local : Emla, Xylocaïne…

→ Détersion autolytique. Certains pansements renforcent la détersion enzymatique naturelle en maintenant un milieu humide et en retirant les débris nécrosés et la fibrine.

→ La détersion chirurgicale est indiquée(5) en cas de nécrose tissulaire importante ; d’exposition des axes vasculo-nerveux, des tendons ou des capsules articulaires, ou de l’os ; d’infection ; de bactériémies ou de septicémies à partir de l’escarre.

Pansements

Principes

Les pansements peuvent être utilisés à tous les stades de l’escarre. Propriétés du pansement, phase de la plaie (détersion, bourgeonnement, épidermisation) et importance des exsudats guident le choix.

Les pansements maintiennent la plaie dans un environnement humide propice à la cicatrisation. Humide ne veut pas dire macération. Les exsudats de la plaie ne doivent pas être trop importants. Le pansement doit également autoriser les échanges gazeux en étant imperméable aux bactéries extérieures.

Familles de pansements

Se reporter à la patho « Les plaies chroniques » parue dans Porphyre n° 548, décembre 2018.

• Chaque famille de pansements, selon sa composition, est indiquée selon le stade de la cicatrisation. Ainsi, un pansement avec beaucoup d’eau, comme un hydrogel, sera utilisé pour la détersion des plaies sèches ou peu exsudatives, fibrineuses ou nécrotiques, car en distillant progressivement les 70 à 90 % d’eau qui les composent, ils hydratent les débris fibrino-leucocytaires produits par la plaie et facilitent leur élimination.

• La Haute Autorité de santé a émis, en 2011, des préconisations selon le stade de cicatrisation, quelle que soit la plaie (ulcères, escarre…) : alginates et hydrogels pour la détersion, interfaces, hydrocellulaires et vaselinés pour le bourgeonnement, interfaces et hydrocolloïdes pour l’épidermisation. Hydrocolloïdes, hydrocellulaires et fibres pour toutes les phases.

Préconisations

Françaises(1)

• Plaie anfractueuse (= profonde et sinueuse) : pansement hydrocolloïde pâte (DuoDerm…) ou poudre (Comfeel…), alginate ou pansement en fibres (Aquacel, Biatain Fiber, UrgoClean…) ou hydrocellulaire adapté à la forme cavitaire.

• Plaie exsudative : alginate, hydrocellulaire ou hydrofibre.

• Plaie hémorragique : alginate (Algostéril, Biatain alginate, Sorbalgon, Suprasorb A…).

• Plaie bourgeonnante : pansement vaseliné (Grassolind Neutral, Jelonet…), hydrocolloïde (Comfeel, DuoDerm…) ou hydrocellulaire (Askina Foam, HydroTac, Mepilex…).

• En voie d’épidermisation : hydrocolloïde mince (DuoDerm Extra-mince…), film de polyuréthane, hydrocellulaire ou pansement vaseliné.

• Plaie malodorante : pansement au charbon (Actisorb, Askina Carbosorb…) et/ou à l’argent.

Internationales(3)

• En prévention : hydrocolloïdes extra-minces et siliconés multicouches.

• Pour le traitement de l’escarre(3)

→ Hydrocolloïdes : escarres propres de stade II, de stade III non infectées et peu profondes, escarres profondes en association avec un pansement de comblement pour remplir la perte de substance.

→ Films transparents : pour le débridement autolytique si la personne n’est pas immunodéprimée, comme pansement secondaire sur des alginates ou autre pansement de comblement utilisé sur une longue période (de trois à cinq jours).

→ Hydrogels : nécrose sèche, escarres peu profondes et très peu exsudatives, plaies sèches, escarres douloureuses.

→ Alginates : escarres fibrineuses, exsudatives, infectées si l’infection est traitée.

→ Pansements argent : escarres infectées ou fortement colonisées, escarres à haut risque d’infection.

→ Pansements au miel : escarres de stades II et III.

Supports

La prévention et le traitement passent par l’utilisation de supports de redistribution des pressions pour décharger ou augmenter la surface d’appui et diminuer l’intensité des pressions(5) : lits, matelas, surmatelas, coussins de sièges, coussins et accessoires de positionnement.

Classification

Faute de données probantes solides, les bénéfices et les risques de la plupart de ces supports ne sont pas clairement établis(6). La classification des dispositifs médicaux d’aide à la prévention et au traitement des escarres de la liste des produits et prestations remboursables (LPPR) de l’Assurance maladie se base sur la durée de remboursement des produits, et non sur des critères d’efficacité. Plus la classe augmente, plus la durée de prise en charge est longue(7) :

→ sous-classe 1A : un support maximum par an (coussin, matelas ou surmatelas) ;

→ sous-classe 1B : un support maximum tous les deux ans ;

→ classe 2 : un support maximum tous les trois ans ;

→ classe 3 : un support maximum tous les cinq ans.

Mécanismes d’action(8)

• Supports statiques. En se déformant, ces supports passifs répartissent le poids du patient sur une plus grande surface et diminuent la pression à chaque point du corps. Dans cette catégorie, on trouve les matelas de mousse de densité uniforme ou différente, matelas en mousse et air, matelas à air, à eau, en latex, en gel, en mousse viscoélastique (mousse qui se déforme sous l’action du poids et de la température corporelle du patient dite à « mémoire de forme » car le temps de retour à sa position initiale est plus long par rapport à une mousse de haute résilience (HR), surmatelas en polyvinyle, en néoprène, à eau, à air statique.

• Supports dynamiques. Ils font constamment varier la pression exercée sur chaque zone corporelle selon deux mécanismes :

→ supports à air continu, dont les éléments se gonflent ou se dégonflent en fonction des mouvements du patient ;

→ supports à air alterné, dont les éléments se gonflent et se dégonflent de façon régulière et alternée, et changent constamment les zones de pression.

• Les coussins de siège ont en commun avec les matelas leur principe de fonctionnement mais comme le poids est réparti sur une surface moins grande, il est difficile de diminuer la pression d’interface. Les différents types de coussins sont en gel viscoélastique ou gel fluide aqueux, mousse monobloc ou découpée à plots, mousse à mémoire de forme, en gel et mousse, à eau, à air pré-gonflés ou gonflés selon le poids, à pression alternée.

Intérêt thérapeutique

Les différents supports ont des actions similaires et s’emploient indifféremment en prévention ou en traitement. En pratique, les supports statiques sont utilisés en prévention de l’escarre, les supports dynamiques pour son traitement. Dans tous les cas, leur apport est important par rapport à un matelas ou un coussin ordinaire.

Objectifs thérapeutiques(8)

• En prévention, réduire le risque d’escarre en évitant les pics de pression, soit par une meilleure répartition corporelle de la pression, soit en limitant la durée de pression avec des supports dynamiques.

• En traitement, obtenir la cicatrisation en assurant une pression nulle sur la plaie, tout en prévenant la survenue d’escarre supplémentaire.

Les conseils aux patients

Observance

Expliquer l’importance de respecter les temps d’immobilisation prescrits en les mettant en balance avec les conséquences d’une cicatrisation qui se prolongerait : pas de guérison ou aggravation de la plaie, contrainte des soins et du positionnement, risque infectieux (ostéite en particulier).

Automédication

Ne pas modifier les prescriptions de dispositifs médicaux ou des temps d’alitement sans en référer au préalable au prescripteur.

Vie quotidienne

Alimentation

État nutritionnel

• Rappeler qu’un état de dénutrition altère toutes les phases de la cicatrisation et augmente le risque d’infection. En cas de perte d’appétit, des collations réparties dans la journée, avec des aliments riches en protéines, peuvent être mieux acceptées que des repas complets.

• Accroître l’apport énergétique et protéique d’une ration alimentaire sans en augmenter le volume en enrichissant les pâtes, riz, potages et gratins avec de la poudre de lait entier ou du lait concentré entier (3 cuillères à soupe  8 g de protéines), du fromage râpé (20 g  5 g de protéines), des œufs (1 jaune  3 g de protéines), de la crème fraîche épaisse (1 cuillère à soupe  80 calories), du beurre fondu ou de l’huile (1 cuillère à soupe  75-90 calories), ou des poudres de protéines industrielles (1 cuillère à soupe  5 g de protéines)(9).

Compléments nutritionnels

Les compléments nutritionnels oraux (CNO) sont utilisés en plus et non à la place de l’alimentation orale habituelle, qui doit être maintenue et favorisée. Les prendre au moins une heure et demie avant ou après un repas pour ne pas couper l’appétit et pour une consommation d’énergie et de macronutriments supérieure.

Une fois ouvert, les CNO se conservent deux heures à température ambiante, 24 heures au réfrigérateur.

Aide à la toilette

Sont à proscrire :

→ les frottements énergiques, au profit de gestes doux et circulaires ;

→ les massages ou frictions des zones à risque d’escarre car cela diminue le débit microcirculatoire et a un effet traumatisant pour la peau ;

→ les produits alcoolisés sur la peau, qui augmentent le dessèchement et la fragilité. Privilégier les produits doux et non irritants ;

→ les brusques écarts de température sur les zones à risque : pas de sèche-cheveux…

Positionnement

• Positionnement adéquat du patient pour prévenir ou pour traiter une escarre.

• Positions correctes des accessoires destinés à éviter le glissement du patient dans le lit ou le fauteuil : coussins, cales…

• Soulever la personne pour la déplacer dans le lit afin d’éviter les frottements sur la peau.

• Éviter la position allongée sur le côté à 90° qui favorise la survenue d’escarre sur les hanches.

• Éviter la position semi-assise prolongée au lit car elle entraîne une forte pression et un risque de glissement et de cisaillement.

• Observer la peau des zones à risque lors de chaque changement de position, à la recherche d’une rougeur cutanée.

Avec l’aimable participation du Docteur Pierre Rumeau, Hôpital de jour de médecine gériatrique et télémédecine et Centre ressource en escarres gériatriques, hôpital Purpan, à Toulouse (31).

(1) Prévention et traitement des escarres de l’adulte et du sujet âgé, Anaes, 2001.

(2) Avantages et limites de l’utilisation des échelles pour l’évaluation et la prévision des risques d’escarres en SSIAD/HAD, Sante Service Limousin, 2015.

(3) Prévention et traitement des escarres, European Pressure Ulcer Advisory Panel (Epuap), 2014.

(4) Diagnostic de la dénutrition de la personne âgée, HAS, mars 2020.

(5) Les escarres, Revue francophone de cicatrisation, juillet/septembre 2017.

(6) Quels sont les bénéfices et les risques des différents types de lits, matelas et surmatelas dans le traitement des escarres ?, Cochrane, mai 2021.

(7) Mémo fournisseur de biens médicaux, novembre 2016, sur ameli.fr

(8) Sur le site escarre.fr

(9) Dénutrition chez la personne âgée (> 70 ans) et aide à la prescription des Compléments nutritionnels oraux (CNO), mars 2015, sur ameli.fr

Dico +

→ Une ischémie est une diminution ou un arrêt de l’apport de sang dans une partie du corps, et donc d’oxygène.

Info +

→ Les personnes en bonne santé ne développent pas d’escarres en général parce qu’elles changent de position en permanence, sans s’en rendre compte, même en dormant.

Info +

→ La population cible des patients à risque d’escarre peut être estimée dans une fourchette large comprise entre 470 000 et 1 220 000 patients vivant à domicile en France (source : Cnedimts, HAS, 2009).

Dico +

→ Mobilisation active : mouvements volontaires du patient provoqués par des contractions musculaires.

→ Mobilisation passive : mouvement obtenu sans la participation du patient à l’aide de techniques manuelles ou instrumentales, par kinésithérapie ou appareils mobilisateurs.

La cicatrisation

Afin de réparer le tissu lésé, l’organisme met en place une série de processus cellulaires, appelée la cicatrisation, en trois phases.

→ Phase 1 : la détersion assure le nettoyage du foyer lésionnel indispensable à la poursuite de la cicatrisation. Elle élimine tous les tissus nécrosés. Elle se fait par clivage enzymatique grâce à des enzymes provenant des cellules spécialisées de la réaction inflammatoire (leucocytes, macrophages) et des micro-organismes qui colonisent naturellement la plaie (germes saprophytes cutanés qui passent de l’épiderme en profondeur), le tout sous la forme d’un exsudat.

→ Phase 2 : une fois détergé, le fond de la plaie bourgeonne s’il est bien vascularisé. Le « bourgeon charnu », ou tissu de granulation, est une sorte d’arbre vasculaire accompagné de cellules conjonctives (fibroblastes, macrophages) produisant des fibres de collagène. Comblant peu à peu la plaie, ce bourgeon s’accompagne d’une contraction centripète (de la périphérie vers le centre) des berges de la plaie. Il doit être rouge vif, plan, grumeleux non hémorragique et peu suintant.

→ Phase 3 : l’épidermisation, ou épithélialisation, survient lorsqu’un tissu de granulation sain comble la perte de substance et se trouve au niveau de l’épiderme. Elle se fait de façon centripète à partir de l’épiderme des berges qui pousse à la surface du bourgeon charnu. Une fois la dernière cellule épidermique mise en place, la vie de la cicatrice commence. Le tissu de granulation se transforme, sur plusieurs mois, en tissu conjonctif jeune qui retrouve progressivement les propriétés mécaniques de la peau.

Avis du spé

“Il arrive que des escarres soient incurables”

Dr Pierre Rumeau, Hôpital de jour de médecine gériatrique et télémédecine/ Centre ressource en escarres gériatriques, hôpital Purpan, à Toulouse (31).

Dans certains cas de pathologies chroniques et multiples, survenant le plus souvent chez des personnes âgées ou atteintes d’un cancer, l’analyse spécialisée peut conclure au fait que des escarres soient incurables. Ce diagnostic doit être posé par des acteurs spécialisés et les soignants de proximité, après avoir discuté de toutes les hypothèses thérapeutiques. Il est émis dans le cadre d’une analyse bénéfice/ risque, souvent en concertation avec la famille. Ce diagnostic va induire des traitements spécifiques, avec un focus sur la douleur, les odeurs et la propreté. Le diagnostic posé permet une déculpabilisation des soignants de proximité, y compris vis-à-vis de la famille, face à une plaie qui ne guérit pas. L’escarre incurable doit être évoquée au plus tôt en cas d’escarres multiples du rachis ou de l’occiput, surtout si elles surviennent en quelques jours. Une évolution imprévue et bénéfique de l’état général fait, pour sa part, rediscuter de la conduite à tenir.

Info +

→ Les dispositifs médicaux d’aide à la prévention et au traitement des escarres ont fait l’objet d’une réévaluation par la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (Cnedimts) de la Haute Autorité de santé en 2009. L’objectif est de revoir les conditions d’inscription. Un projet de nomenclature a même été prévu, mais rien n’a bougé depuis douze ans !

En savoir +

→ Recommandations de l’European Pressure Ulcer Advisory Panel (EPUAP), Prévention et traitement des escarres : guide de référence abrégé, 2e édition, 2014. epuap.org

→ Référentiel de l’Association francophone des soins oncologiques de support (Afsos), Escarres : prévention et prise en charge, 2016. afsos.org (onglet « Référentiels »)

→ Vente et location de lits médicaux et accessoires (matelas, surmatelas, coussins anti-escarres), Mémo fournisseurs de biens médicaux, Assurance maladie, 2016, sur ameli.fr (en tapant le titre dans un moteur de recherche).

À RETENIR

SUR LA MALADIE

→ L’escarre est une plaie d’origine ischémique due à une compression excessive et prolongée des tissus mous entre un plan « dur » et une saillie osseuse.

→ La compression des tissus mous est causée par une pression directe sur une proéminence osseuse ou par un cisaillement si le patient glisse sur un plan incliné.

→ L’humidité est un facteur aggravant le risque d’escarre.

→ Les escarres sont classées en quatre stades.

→ Le risque d’escarre est déterminé par des échelles d’évaluation (Norton, Braden…) et une évaluation clinique.

SUR LES TRAITEMENTS

→ Le repositionnement du patient est recommandé, sauf contre-indication médicale.

→ Éviter tout glissement du patient vers le bas au lit ou au fauteuil. À partir de 30° d’élévation de la tête du lit, le sacrum est à risque de pressions et de cisaillements.

→ Le contrôle de l’état nutritionnel et des apports nutritionnels et hydriques adaptés sont indispensables.

→ Différentes classes de pansements sont utilisées selon l’évolution de la plaie.

→ La détersion de la plaie peut être mécanique, autolytique, avec des pansements actifs, ou chirurgicale.

SUR LES CONSEILS

→ Des compléments nutritionnels oraux (CNO) peuvent être prescrits si les besoins ne sont pas couverts par l’alimentation.

→ Inciter les proches aidants à s’informer des bonnes pratiques d’installation et de mobilisation auprès de l’infirmière ou du kinésithérapeute.

→ Éviter les massages et les frictions des zones à risque d’escarre.

→ Éviter les produits de soin contenant de l’alcool sur la peau d’une personne à risque d’escarre.

→ Ne pas modifier les temps d’alitement ou de fauteuil prescrits sans en référer au préalable au prescripteur.

Localisations fréquentes des escarres

Les localisations les plus fréquentes sont le sacrum (40 % des escarres) et les talons (40 %), suivis par les ischions (région fessière en position assise au fauteuil) et les trochanters (région de la hanche, en position couchée sur le côté), et l’occiput (arrière de la tête) en pédiatrie.

Source : site escarre.fr