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Les aphasies

Publié le 3 septembre 2013
Par Thierry Pennable
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C’EST QUOI ?

L’aphasie est la perte totale ou partielle du langage. Elle est consécutive à une atteinte des aires cérébrales spécialisées dans les fonctions linguistiques, situées dans l’hémisphère gauche pour un droitier et dans celui de droite chez un gaucher. L’aphasie altère de nombreux actes de la vie quotidienne : discuter, comprendre, téléphoner, regarder la télévision, lire, écouter la radio, écrire ou compter. Il y a environ 300 000 aphasiques en France. L’orthophoniste est le thérapeute spécialisé pour tous les problèmes de communication et de langage.

LES CAUSES

L’aphasie est toujours liée à un dommage au cerveau dans les zones du langage, le plus souvent à la suite d’un accident vasculaire cérébral, d’un traumatisme crânien ou d’une tumeur cérébrale.

Accident vasculaire cérébral (AVC)

Il est la cause la plus fréquente d’aphasie. En cas d’AVC ischémique, la circulation sanguine est interrompue dans une zone du cerveau. Les cellules nerveuses de cette zone ne reçoivent plus d’oxygène, de glucose et autres substances nutritives. Ces tissus se nécrosent si le flux sanguin n’est pas rétabli en quelques minutes.

En cas d’AVC hémorragique, c’est la compression exercée par l’hématome qui est responsable de la destruction cellulaire.

Traumatisme crânien

Un choc reçu sur la tête ou une fracture du crâne est une cause d’aphasie si les zones cérébrales responsables du traitement du langage sont touchées.

Tumeurs

Elles peuvent également toucher les zones du langage. La tumeur, en se développant par multiplication désordonnée des cellules du cerveau, comprime les zones qui l’entourent.

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Autres

Des processus inflammatoires dans le cerveau, comme par exemple une méningite, peuvent générer des troubles du langage selon l’aire cérébrale concernée.

DIFFÉRENTES VARIANTES

Les aphasies regroupent des formes très variables et sont classiquement distinguées selon la fluidité du langage.

Aphasies non fluentes

Elles entraînent une forte réduction du langage ; tout essai de communication représente un effort considérable. Parmi elles, on distingue :

→ l’aphasie de Broca(1) (voir ci-contre) ;

→ l’aphasie globale : toutes les fonctions du langage sont touchées, l’expression comme dans les formes sévères d’aphasie de Broca, et la compréhension comme dans les formes sévères d’aphasie de Wernicke(1) ;

→ l’aphasie transcorticale motrice et mixte : altération des capacités langagières caractéristiques des traumatismes crâniens.

Aphasies fluentes

Ici, le débit de parole peut être normal, logopénique (peu de paroles) ou logorrhéique (flux de paroles) en fonction de la sévérité de l’atteinte :

→ l’aphasie de Wernicke (voir p.37) ;

→ l’aphasie de conduction : compréhension orale et écrite généralement conservée, mais lecture altérée ;

→ les aphasies anomiques : compréhension maintenue, mais troubles de l’utilisation des mots employés de façon incohérente (paraphasies) ;

→ l’aphasie transcorticale sensorielle : les lésions cérébrales disparates entraînent des troubles de la compréhension du langage oral et écrit ;

→ l’aphasie sous-corticale : syndromes aphasiques variables liés à une lésion des structures sous-corticales (situées entre le cortex et les ventricules).

APHASIE DE BROCA

Physiopathologie

C’est une aphasie motrice consécutive à des lésions dans l’aire de Broca, qui a un rôle central dans la production du langage articulé (voir infographie). Le patient conscient de son trouble manifeste souvent de l’irritation ou du découragement. La pathologie peut évoluer jusqu’au mutisme, avec un risque élevé de dépression.

Symptômes

Le langage est réduit :

→ quantitativement par une diminution du débit de parole et du nombre de mots par phrase qualitativement ;

→ qualitativement par des erreurs de grammaire, de syntaxe et de construction de la phrase.

Le patient ne peut formuler oralement ses idées, mais la compréhension orale et écrite est généralement préservée. L’aphasie évolue souvent vers une perturbation de l’écriture et de la compréhension des textes écrits, avec une compréhension orale conservée. L’aphasie de Broca est caractérisée par l’impossibilité de trouver le mot juste et l’emploi de mots impropres ou l’inversion de syllabes (« balavo » pour lavabo). Le patient parle peu, avec une parole hachée, des phrases courtes, un vocabulaire restreint et un débit ralenti. Le patient peut mêler des éléments automatiques, élocutions courantes ou formules toutes faites comme des formules de politesse ou des jurons.

APHASIE DE WERNICKE

Elle fait partie des aphasies fluentes avec troubles de la compréhension.

Physiopathologie

L’aire de Wernicke est le siège de la compréhension des différents signes du langage où sont associées les informations provenant des aires auditive et visuelle. Il existe deux types d’aphasie de Wernicke caractérisés :

– soit par des mots déformés ;

– soit par la substitution de mots de sens apparentés (paraphasie).

La personne n’a pas conscience de son trouble et s’étonne qu’on ne la comprenne pas, ce qui peut engendrer de l’agacement.

Symptômes

Le langage est abondant, voire logorrhéique. L’emploi d’un mot pour un autre est fréquent (couteau pour cuillère par exemple), jusqu’à un véritable jargon avec déformation ou transposition de syllabes et de mots. Le discours est désorganisé et incompréhensible même si le vocabulaire reste fourni. Le débit peut être normal ou rapide et presque incontrôlable. Le patient n’a pas de retour critique sur ce qu’il dit et continue à parler sans s’interroger sur le sens de son discours. La compréhension écrite ou orale est très fortement perturbée, même si l’écriture copiée est normale.

APHASIE POST-AVC

Chaque année, sur les 130 000 personnes victimes d’un AVC en France, 30 000 deviennent aphasiques. Les recommandations de la HAS(2) prévoient que le patient rencontre un orthophoniste dès sa prise en charge initiale à l’hôpital.

La prise en charge orthophonique se déroule de la phase aiguë jusqu’au stade de stabilisation, six à douze mois après l’AVC. Ensuite, la fréquence des séances est progressivement réduite jusqu’à interruption de la rééducation lorsque le patient regagne une autonomie suffisante. Des progrès sont toujours possibles. Il n’y a pas de guérison de l’aphasie car celle-ci est rarement totale, mais selon les personnes, les progrès et la récupération peuvent être très importants.

Le suivi par un orthophoniste peut s’effectuer en hôpital, dans un établissement de réadaptation, à domicile ou en cabinet privé.

AIDES À LA COMMUNICATION

Le choix d’une aide technique doit être adapté aux possibilités du patient. L’utilisation d’une ardoise magique ou d’un calepin est possible si la capacité d’écrire est conservée.

Les images

Des plaquettes d’images de situation avec la description écrite au-dessous (« boire », « avoir chaud ») peuvent être employées avec le patient qui a gardé la compréhension (aphasie de Broca par exemple). Elles ne sont pas toujours adaptées en présence d’un trouble de la compréhension (Wernicke). Dans tous les cas, c’est au soignant ou à l’entourage d’engager la démarche, de prendre la plaquette et de montrer les images, car ce n’est pas un outil de communication habituel pour un adulte. Exemple : « Plaquette de communication » réalisée par Dominique Benichou, orthophoniste en exercice libéral à Nantes et en unité neurovasculaire au CHU Laennec de Nantes (44). À télécharger et à imprimer sur www.chu-nantes.fr > questions fréquentes.

Les cahiers

Sur le même principe que les plaquettes d’images, ils permettent d’enrichir la conversation par le choix d’images de situations personnalisées en fonction des besoins et des goûts du patient. Réalisé par le patient et la famille, le cahier de communication est divisé en thèmes (habillement, alimentation…). Chaque rubrique est enrichie au fur et à mesure des besoins du patient par des images « parlantes » avec leur signification écrite au-dessous.

Le « cahier de communication » doit être utilisable par toutes les personnes qui gravitent autour du patient (auxiliaire de vie, soignants, etc.). Pour des questions plus personnelles (photos de la famille par exemple), il est possible de créer un « cahier de vie » réservé aux proches.

(1) Du nom de leurs découvreurs respectifs, Paul Broca, chirurgien français (1824-1880), et Carl Wernicke, neuropsychiatre allemand (1848-1905).

(2) Accident vasculaire cérébral : prise en charge précoce, HAS, mai 2009.

Conduite à tenir face à l’aphasie

– Continuer à parler au patient qui, malgré les difficultés de compréhension, saisit les aspects non verbaux du langage (mimiques, gestes…) ;

– utiliser des phrases courtes et des questions fermées (réponses par oui ou non, ou par un signe de tête). Attention, la personne peut confondre le oui et le non, il est parfois utile de vérifier si vous vous êtes bien compris ;

– employer un ton de voix normal si le patient n’a pas de troubles auditifs ;

– si le patient ne comprend pas, répéter d’une autre manière et laisser du temps pour la réponse ;

– ne pas faire croire au patient qu’on l’a compris si ce n’est pas le cas ;

– l’aphasique se fatigue vite et cela influence la qualité de la communication (compréhension et expression), respectez cette fatigue ;

– les injures et le tutoiement sont souvent involontaires, tolérer le manque de contrôle verbal.

Urgence 114

Le 114 est un numéro d’urgence au service des personnes ayant des difficultés à parler ou à entendre. La personne, victime ou témoin, peut alerter et communiquer par SMS ou par fax, 24 h/24, 7 j/7. Pour anticiper, le modèle de fax d’urgence est sur www.urgence114.fr