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le reflux gastro-œsophagien

Publié le 1 février 2005
Par Florence Bontemps
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Le reflux gastro-œsophagien, généralement bénin, peut devenir une pathologie chronique pouvant perturber la qualité de vie.

Définition

Le reflux gastro-œsophagien (RGO) est la remontée d’une partie du contenu de l’estomac dans l’œsophage. Ce reflux existe de façon normale chez tous les individus, en particulier après les repas (on parle alors de reflux physiologique). On parle de reflux gastro-œsophagien seulement si le reflux provoque des symptômes désagréables pour le patient (brûlures, liquide acide dans la bouche) ou des lésions de l’œsophage (œsophagites). Ces symptômes peuvent être importants, sans lésions de l’œsophage, et, à l’inverse, être typiques mais avec des lésions. Très rarement, les lésions de l’œsophage peuvent dégénérer vers un cancer.

Diagnostic

Diagnostic à l’interrogatoire

Très souvent, les symptômes sont typiques, avec pyrosis (sensation de brûlure ascendante en arrière du sternum) et régurgitations acides. Ils suffisent à poser le diagnostic et à envisager un traitement.

Diagnostic à l’endoscopie

L’endoscopie digestive permet de visualiser les lésions éventuelles en introduisant une caméra par la bouche dans l’œsophage et jusque dans l’estomac, sous anesthésie locale ou générale. On pratique cette exploration dans les cas suivants :

– chez les patients de plus de 50 ans, même si leurs symptômes sont typiques,

– en présence de symptômes atypiques : douleurs épigastriques, nausées, éructations et manifestations extradigestives (toux, douleurs thoraciques…),

– en présence de symptômes d’alarme : amaigrissement, dysphagie, hémorragie digestive…

Lorsque l’endoscopie est normale et en présence de symptômes atypiques, on pratique la mesure du pH œsophagien (temps passé en dessous du pH 4) à l’aide d’une sonde mise en place par voie nasale pour 24 heures (pH-métrie).

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But du traitement

Le RGO est une affection fréquente et le plus souvent chronique. Le traitement vise donc trois objectifs : soulager les symptômes et rétablir une qualité de vie normale, obtenir la cicatrisation des éventuelles lésions et prévenir les récidives.

Stratégies thérapeutiques

Traitement médicamenteux

Les médicaments disponibles appartiennent à différentes classes thérapeutiques. Ils ont démontré leur efficacité même s’ils ne peuvent apporter une guérison définitive.

• Automédication. Devant des symptômes typiques, la majorité des patients ne consulte pas et a recours à l’automédication, certains médicaments étant délivrés sans ordonnance. Le rôle des officinaux en termes d’information et de conseils est donc primordial (voir encadré).

• Sur prescription. La persistance des symptômes et leur retentissement sur la vie quotidienne incitent les patients à consulter leur médecin. Celui-ci prescrira généralement un traitement continu pendant quatre semaines. Si les symptômes disparaissent complètement après ces quatre semaines, le traitement est arrêté. En cas de récidives espacées, le traitement est renouvelé de façon intermittente ou bien à la demande. Si les rechutes sont fréquentes, un traitement d’entretien est proposé. Parfois, un geste chirurgical est requis.

Recours à la chirurgie

On propose la chirurgie surtout aux patients jeunes lorsqu’ils ne peuvent se passer d’un traitement médicamenteux, leur reflux gastro-œsophagien ayant un retentissement sur leur qualité de vie. La chirurgie consiste à fabriquer une valve antireflux artificielle, en enroulant la partie haute de l’estomac autour de la partie basse de l’œsophage. La voie d’abord cœlioscopique (introduction d’une caméra puis de pinces chirurgicales à travers une incision minime) présente l’avantage sur la chirurgie classique (laparoscopie) d’être beaucoup moins agressive.

Les médicaments

Il existe trois approches médicamenteuses :

– protéger la muqueuse de l’œsophage du liquide acide avec des topiques : alginates, antiacides,

– s’opposer au reflux avec les prokinétiques,

– diminuer l’acidité du contenu de l’estomac pour le rendre moins agressif en cas de reflux avec les antagonistes des récepteurs H2 de l’histamine (anti-H2) et les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP).

Les topiques

Ils sont efficaces sur les symptômes mais leur efficacité est de durée limitée. Ils n’ont pas d’action sur les lésions de l’œsophage constituées.

• Les alginates.

Indications : à la demande, au moment des douleurs, en cas de RGO peu fréquent. Contre-indications : aucune. Mode d’action : ils forment au contact du contenu acide de l’estomac un gel visqueux de pH neutre qui surnage. En cas de reflux, ce gel tapisse la paroi de l’œsophage et la protège en l’isolant de l’acidité gastrique. Effets secondaires : aucun. Précautions : ils doivent être pris à distance des autres médicaments (2 heures avant ou deux heures après) car leur effet « pansement » peut gêner l’absorption d’autres principes actifs.

• Les antiacides

Indications : à la demande, au moment des douleurs, en cas de RGO peu fréquent. Contre-indications : insuffisance rénale et dialyses (risque d’encéphalopathie due à l’aluminium). Mode d’action : à base d’aluminium et de magnésium, ils ont un effet neutralisant ponctuel de l’acidité gastrique. Effets secondaires : constipation due aux sels d’aluminium, diarrhée due aux sels de magnésium. Précautions : tout comme les alginates, ils doivent être pris à distance des autres médicaments.

Les prokinétiques

Les prokinétiques sont des médicaments qui renforcent le tonus du sphincter œsophagien (donc s’opposent au reflux) et accélèrent la vidange de l’estomac. Le principal représentant de cette classe est le cisapride (Prepulsid). Autrefois très utilisé dans le traitement du RGO, le cisapride a subi des restrictions radicales de prescriptions car il peut provoquer des troubles du rythme cardiaque parfois mortels. Il n’est plus indiqué dans le RGO de l’adulte. Les autres prokinétiques (métoclopramide – Primpéran, dompéridone – Motilium, Péridys) sont parfois prescrits dans le RGO, mais seul la dompéridone possède l’AMM. Ils doivent être administrés un quart d’heure avant les repas.

Les antihistaminiques H2

Très employés dans les années 1980-1990, les antihistaminiques H2 le sont beaucoup moins depuis la découverte des inhibiteurs de la pompe à protons qui sont plus efficaces. Indication : traitement symptomatique du RGO ; ils ne permettent pas de cicatriser les lésions d’œsophagite sévères. Mode d’action : les anti-H2 inhibent compétitivement les récepteurs H2 de l’histamine : ils occupent leur place sans entraîner d’effet pharmacologique. La principale conséquence est la diminution de la sécrétion gastrique acide. En cas de reflux, le liquide qui remonte est moins agressif pour la muqueuse de l’œsophage. Effets secondaires : tous les anti-H2 peuvent provoquer des troubles digestifs (diarrhée, constipation), des céphalées et vertiges, généralement sans gravité. Il existe un risque de troubles cardiaques (rare), surtout pour les formes injectables. De plus, la cimétidine (pas les autres anti-H2) peut entraîner, rarement, une gynécomastie (gonflement des seins chez l’homme) et une impuissance. Ces effets ne se manifestent pas lors de prises ponctuelles et à doses faibles en automédication. Contre-indications : tous les antihistaminiques H2 sauf la cimétidine sont contre-indiqués en cas de porphyrie hépatique. Cette maladie rare est un trouble du métabolisme de la porphyrine et de la bilirubine (métabolisme des hématies). Les anti-H2 peuvent déclencher des troubles neurologiques graves chez ces patients prédisposés. Interactions : là encore, la cimétidine se démarque des autres anti-H2 : c’est un inhibiteur du cytochrome P450. Elle ralentit le fonctionnement de ce cytochrome, sorte de station d’épuration de certains médicaments, et peut provoquer des surdosages de ces derniers. Ainsi, la cimétidine est contre-indiquée avec le carvédilol (Kredex), bêtabloquant prescrit chez l’insuffisant cardiaque. Elle nécessite une surveillance rapprochée avec de nombreux autres médicaments à marge thérapeutique étroite (pour lesquels le surdosage toxique est vite atteint) : phénytoïne, anticoagulants oraux, ciclosporine, théophylline… Les posologies conseillées en automédication ne sont pas concernées par ces interactions.

Les inhibiteurs de la pompe à protons

Ce sont les plus efficaces des médicaments du RGO. Indications : ils sont indiqués aussi bien pour soulager les symptômes que pour cicatriser les lésions d’œsophagite. Dans les formes modérées de RGO, on les utilise à demi-dose. Si des lésions précancéreuses existent, les IPP ne les font pas régresser. Mode d’action : les IPP inhibent de façon irréversible les pompes à protons présentes au niveau des cellules de l’estomac. À l’état normal, ces « pompes » (qui sont en fait des enzymes) déversent des ions H+ (les protons) dans l’estomac, contribuant à acidifier le pH. Pour reprendre la synthèse d’acide, l’estomac doit synthétiser de nouvelles pompes, ce qui explique que l’action des IPP soit longue : 24 heures après une prise unique. Les IPP n’agissent pas directement au niveau de l’estomac. La plupart des spécialités sont des formes gastrorésistantes. Elles ne sont libérées que dans l’intestin. Là, elles sont absorbées, puis resécrétées à partir du sang dans la zone des cellules gastriques qui contiennent les pompes à protons. Effets secondaires : les IPP peuvent provoquer des troubles digestifs (diarrhée, nausées, vomissements…) et des céphalées. Interactions : il n’y a pas d’associations contre-indiquées.

Hygiène de vie

Mesures diététiques

Il est conseillé d’éviter les aliments qui diminuent le tonus du sphincter œsophagien inférieur : chocolat, graisses, alcool, café, menthe. La suppression du tabac est également préconisée. Toutefois, toutes ces mesures n’ont pas clairement démontré leur efficacité dans le RGO. Les repas trop abondants et un régime hypocalorique en cas de surpoids sont, en toute logique, recommandés.

Mesures posturales

La surélévation de la tête du lit (cales de 20 cm) est la seule mesure non médicamenteuse qui ait prouvé son efficacité dans le RGO. Elle n’est pas toujours très bien tolérée, pour une question de confort de couchage. Il faut également éviter les postures favorisant le reflux (position penchée en avant, par exemple pour refaire son lacet), de se coucher juste après le repas et de porter des vêtements et ceintures trop serrés.

Adaptation des autres traitements

Certains médicaments sont accusés de favoriser le RGO car ils interfèrent en théorie sur la motricité œsophagienne : théophylline, inhibiteurs calciques, dérivés nitrés, progestérone, bêtabloquants… En réalité, ils n’ont qu’un effet modeste et peuvent être prescrits si nécessaire chez les patients souffrant de reflux.

Évolution

On ne peut pas guérir le RGO, sauf dans quelques cas particuliers par chirurgie. Par contre, en associant mesures diététiques et posturales de bon sens à un traitement médicamenteux pris le plus souvent à la demande, on le rend généralement très supportable.

Gros plan

Traitement du RGO sévère du nourrisson

Le reflux gastro-œsophagien est très fréquent chez le nourrisson et disparaît le plus souvent spontanément entre 1 et 2 ans. Dans quelques cas rares, il entraîne des symptômes graves : malaise, œsophagite rebelle, manifestations respiratoires.

Des laits épaissis

Les épaississants sont efficaces pour diminuer les régurgitations. On utilise soit des pectines cellulosiques (Gélopectose) ou des mucilages (Gumilk) ajoutés au biberon de lait habituel, soit un lait préépaissi (laits AR, Premium, Confort…), plus pratique d’utilisation.

Un couchage sur le ventre

Lorsque le reflux est sévère ou compliqué et seulement dans ce cas, on préconise un couchage sur le ventre (décubitus ventral) sur un plan incliné à 30°, grâce à un matelas et un harnais spécial. Cette mesure va à l’encontre des conseils de couchage sur le dos pour éviter la mort subite du nourrisson. Elle est efficace sur le reflux mais on ne doit pas l’appliquer en cas de régurgitations simples.

Médicaments

Ils sont utilisés successivement en cas d’échec.

• Les antiacides et protecteurs de la muqueuse œsophagienne peuvent être prescrits chez le nourrisson : gel de Polysilane, Gaviscon suspension buvable…

• Le cisapride (Prepulsid) est toujours indiqué dans le RGO du nourrisson. Sa prescription est très encadrée (prescription initiale hospitalière, réservée uniquement à certains médecins et dans le cadre d’un essai clinique ou d’un programme de suivi de la sécurité d’emploi du Prepulsid).

• Les anti-H2 et les IPP sont parfois utilisés. Seul l’oméprazole a été évalué en pédiatrie et peut s’utiliser chez l’enfant de plus d’un an.

Pratique-t-on une deuxième endoscopie de contrôle quand la première a découvert des lésions ?

Non. On pratique un contrôle uniquement si les lésions étaient sévères.

La chirurgie est-elle préférable aux médicaments donnés au long cours ?

Il n’y a pas de consensus. Le choix est difficile et dépend de l’âge du patient, de ses facteurs de risque…

Quelle est la différence entre les suspensions buvables Gaviscon en flacon et en sachet ?

Le goût : arôme fenouil pour les flacons de suspension adulte et arôme menthe pour les sachets.

Quel est l’intérêt des formes effervescentes d’anti-H2 ?

Elles possèdent une activité antiacide immédiate due aux citrates et aux bicarbonates.

Quelle spécialité d’IPP utiliser chez les personnes ayant du mal à avaler ?

Inexium : on peut faire dissoudre les comprimés dans de l’eau plate. Ne pas mâcher les granules gastrorésistantes qui résultent de cette dissolution.

Gros plan

Automédication en pratique

• À l’officine, on peut proposer un traitement chez les patients de moins de 60 ans qui décrivent des symptômes typiques (sensation de brûlures, remontées acides) espacés (moins d’une fois par semaine) et s’il n’y a pas de signes alarmants (amaigrissement…). Le choix s’effectue alors entre les pansements antiacides, les alginates, et les anti-H2 faiblement dosés (cimétidine 200 mg par prise, famotidine 10 mg par prise, maximum deux fois par jour).

Ces thérapeutiques peuvent être associées au sein d’un même médicament (Topalkan, Pepcidduo). À ces doses, il n’y a pas d’interactions médicamenteuses ni de contre-indications.

• Si le RGO est fréquent (une fois par semaine ou plus), il faut inciter à consulter un médecin.

• Chez le patient de plus de 60 ans, il faut être prudent et conseiller de consulter car le risque de complication est plus élevé à cet âge et justifie une surveillance rapprochée.