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la substitution des opiacés

Publié le 1 décembre 2008
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Traiter une dépendance aux opiacés est une entreprise de longue haleine qui s’appuie sur une alliance entre patient et soignants. La réussite du traitement associe médicaments et prise en charge globale de l’individu.

Opiacés et dépendance

Les opiacés

Les opiacés sont des substances psychoactives dérivées du pavot somnifère : opium (suc du pavot), morphine, héroïne, codéine. L’héroïne, qui se transforme en morphine dans l’organisme, est la plus utilisée de manière illicite. Le plus souvent injectée, elle est recherchée pour son effet « flash » ou de « défonce ».

La dépendance

La dépendance à l’héroïne se définit par trois points essentiels : perte de contrôle de la prise, poursuite de la prise malgré la conscience des conséquences néfastes et désir compulsif de la prise ou « craving ». Les signes biologiques (tolérance et sevrage), souvent présents, ne sont ni nécessaires ni suffisants pour établir le diagnostic de dépendance.

Motivations à la substitution

L’arrêt de la consommation d’opiacés est motivé par la menace de plusieurs types de dommages :

– physiques : risques de contamination virale (hépatite B et C, VIH), d’abcès, de candidoses systémiques dues à la voie injectable, anorexie, constipation, troubles respiratoires, endocardites infectieuses, risque de surdose mortelle…

– psychiques : troubles de l’humeur, insomnies, anxiété, troubles du comportement…

– sociaux : désinsertion et isolement social, marginalisation, complications judiciaires.

Principe du traitement

Les traitements de substitution aux opiacés (TSO) consistent à remplacer des produits et des comportements : le cadre illégal par un cadre légal, les injections par la prise orale, la sensation de « défonce » par l’absence de manque, la multiprise par la monoprise… Le traitement associe des médicaments à une prise en charge médicale, psychologique et sociale permettant d’éviter à long terme la répétition des mêmes comportements.

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Stratégies de prise en charge

Dans les années 80, la prise en charge des dépendances aux opiacés s’inscrivait dans une politique de réduction des risques avec pour finalité la prévention des problèmes sanitaires liés au mode injectable (échanges de seringues, dépistages…). La mise sur le marché de la Méthadone, puis du Subutex, a marqué le tournant des traitements de substitution et l’extension de ses objectifs.

Objectifs des TSO

Répondre à la souffrance du manque à court terme.

Prendre en charge la dépendance avec trois objectifs susceptibles de se succéder : diminuer la consommation des opiacés illicites pour réduire les risques sanitaires ; parvenir à une abstinence complète d’opiacés illicites ; aboutir si possible à l’abstinence complète de toute substance psycho-active illicite et de tout médicament de substitution.

Permettre la prise en charge des pathologies associées (hépatites,VIH, malnutrition, troubles psychiatriques…) et des polyconsommations (alcool, psychotropes, cocaïne…).

Favoriser la réinsertion.

Mise en place

La stratégie varie selon la trajectoire classique « en trois temps » du dépendant : la lune de miel, avec plaisir maximum pendant laquelle la substitution, qui ne « défonce » pas, est impossible ; la gestion du manque, avec alternance plaisir-besoin, pendant laquelle la substitution pallie juste le manque et réduit les risques sanitaires ; la galère, où le besoin devient prédominant, est la phase où une substitution « à haut seuil » peut être envisagée avec suivi régulier et individualisée dans le cadre d’un contrat soignant-patient selon un schéma précis.

Initialisation. La prise initiale doit se faire à l’apparition des signes de manque. Des consultations longues permettent de repérer les conduites addictives, les antécédents médico-psychologiques, le statut socioprofessionnel…

Stabilisation. Les premières semaines de substitution permettent d’équilibrer le traitement à une posologie atteinte par paliers de trois à sept jours, jusqu’à suppression des symptômes de manque et diminution du « craving ».

Entretien. À cette phase on recommande une délivrance de sept jours et des visites de suivi régulières. Des phases de réévaluation sont fréquentes en cas de mauvaises utilisations ou de rechutes (25 à 75 % des patients volontaires parviennent à une dose zéro mais 10 à 70 % rechutent à un an) ; elles ne constituent pas des échecs mais des étapes du traitement.

Durée de traitement

La durée de traitement de substitution aux opiacés, en moyenne de dix ans, peut être poursuivie toute la vie. Seul le maintien de la substitution est un objectif prioritaire, et non l’arrêt du traitement de substitution. Il n’y a jamais d’urgence à arrêter un médicament de substitution aux opiacés. Toute diminution, doit se faire en accord avec le prescripteur, de façon très progressive, pour éviter le syndrome de sevrage.

Les médicaments de substitution aux opiacés

Principes

Comme les opiacés, les médicaments de substitution aux opiacés (MSO) agissent en se fixant sur les récepteurs opioïdes (mu, delta et kappa). Au contraire des produits illicites, ils sont administrés par voie orale, n’ont pas d’effet flash (ne « défoncent pas ») présentent une longue durée d’action, ont peu d’effets euphorisants et entraînent peu de tolérance (besoin de plus, plus souvent). De ce fait, ils suppriment ou préviennent les signes de manque, ne nécessitent qu’une prise quotidienne et sont dénués d’effets renforçateurs (besoins de plus, plus souvent).

Indications

L’indication des MSO est la dépendance avérée aux opiacés à l’exclusion d’un simple usage nocif (usage sans dépendance) qui relève d’une autre prise en charge et de toute dépendance à d’autres substances (cannabis, cocaïne…). La motivation du patient est essentielle.

Choix de la molécule

Une dépendance ancienne, sévère et des difficultés à renoncer à l’injection orientent vers la méthadone. Mais le choix est contraint par le cadre réglementaire (la primoprescription n’est pas autorisée aux généralistes) et la proximité d’un centre de soin : 80 % des patients sont traités par la buprénorphine, accessible en ville.

Les molécules

La méthadone. Mode d’action : comme l’héroïne, la méthadone est un opiacé de synthèse agoniste pur des récepteurs opioïdes mu. De ce fait, la marge thérapeutique est étroite : des décès par surdose sont possibles, surtout chez les sujets naïfs aux opiacés ou en cas de prise concomitante d’héroïne, de benzodiazépine et/ou d’alcool. Administration : sous forme de flacons unidoses de sirop buvable ou en gélules. Les gélules sont réservées aux patients déjà traités par le sirop depuis un an au minimum, stabilisés sur le plan médical et des conduites addictives. Administrée par voie orale, en une prise quotidienne, de préférence le matin. Pour éviter le risque d’overdose, on recommande un délai de 24 heures environ après la dernière prise d’opiacés. La posologie est d’installation progressive jusqu’à une dose comprise entre 60 et 100 mg/jour, parfois supérieure. L’arrêt peut être envisagé par paliers hebdomadaires de 5 à 10 mg. Le sirop peut également être dilué progressivement. Surveillance : la réglementation impose une analyse d’urines avant le début du traitement, une à deux fois par semaine pendant les trois premiers mois puis deux fois par mois. Sont dosés : les opiacés, la méthadone et d’autres substances psychoactives (alcool, cocaïne…). L’aspect « contrôle » doit être dédramatisé : il ne constitue pas une sanction mais le moyen de fixer des objectifs. Surdose : les signes sont somnolence, myosis, troubles aigus cardio-respiratoires (dépression respiratoire, hypotension, collapsus cardio-vasculaire) pouvant conduire au coma et au décès. À forte dose (supérieure à 120 mg/j), la méthadone peut également induire des torsades de pointes. Contre-indications : les moins de 15 ans, insuffisance respiratoire grave. À savoir : la forme sirop qui contient de l’alcool est déconseillée en cas de dépendance alcoolique. Chez le patient diabétique, tenir compte de l’apport de sucre (équivalent d’un à deux morceaux selon le flacon).

Buprénorphine haut dosage (BHD). Mode d’action : la buprénorphine est un agoniste partiel, à la fois agoniste des récepteurs opiacés mu et antagoniste (qui bloque) des récepteurs kappa. Conséquences : meilleure sécurité d’emploi (l’augmentation des doses induit une augmentation des effets indésirables jusqu’à un seuil plafond. Le risque de dépression respiratoire reste limité mais renforcé par la prise associée de benzodiazépines ou l’injection du produit) ; un moindre effet des opiacés pris de façon concomitante (certains récepteurs étant bloqués) et le risque de précipiter un syndrome de sevrage (y compris avec la méthadone). Administration : respecter un délai d’au moins 24 heures entre la dernière prise d’opiacés et la première prise de BHD. La dose journalière s’administre en une fois, par voie sublinguale. Laisser fondre sous la langue sans croquer, ni mâcher pendant 8 à 10 minutes, malgré le goût amer du produit, le matin de préférence pour éviter l’effet excitant. Selon l’AMM, le traitement est d’installation progressive (comme l’arrêt), à la posologie de 0,8 à 4 mg/jour. En pratique, la posologie est plutôt de 4 mg à 8 mg/jour jusqu’à la dose optimale, comprise entre 8 et 16 mg/jour. Quelques signes de manque (frissons, douleurs musculaires, irritabilité et troubles du sommeil) peuvent parfois subsister pendant quatre à cinq jours après initialisation, ce qui correspond à l’adaptation à une nouvelle molécule opiacée. Contre-indications : les moins de 15 ans, insuffisance respiratoire et/ou hépatique sévères. Surdosage : des décès par dépression respiratoire ont été observés le plus souvent en cas de poly-intoxication, notamment avec les benzodiazépines, et en cas d’injection. Un risque de torsades de pointe et de cytolyse hépatique existe en cas de forte dose.

Changer de molécule

Le passage d’un MSO à un autre peut être nécessaire dans certains cas : arrêt progressif des traitements, mauvaise tolérance…

De la méthadone à la BHD : réduction progressive de la dose jusqu’à 30 mg et intervalle libre d’au moins 24 heures avec la première prise de BHD ;

De la BDH à la méthadone : respecter un intervalle libre, d’une durée d’au moins 16 heures.

Suivi du traitement

Surveiller les interactions

Psychotropes : utiles chez les patients qui présentent des troubles du sommeil, des symptômes anxieux et/ou de l’humeur, ils nécessitent une attention particulière, surtout en association à l’alcool car ils présentent un risque d’effet de désinhibition avec passage à l’acte et de dépression respiratoire. Le clorazépate dipotassique (Tranxène) et le flunitrazépam (Rohypnol), dont les effets sont aussi recherchés dans un but de « défonce » et pour gérer la « descente», sont le plus souvent en cause. Le recours à une seule molécule et à une dispensation fractionnée est parfois recommandé.

Antiprotéases : pour la méthadone, de véritables états de manque peuvent survenir avec des inducteurs enzymatiques, en particulier avec certains médicaments anti-VIH (efavirenz, névirapine, ritonavir, nelfinavir). Il est dans ce cas nécessaire de faire des dosages plasmatiques de la méthadone. Pour la BHD, ces antiprotéases agissent en sens inverse (surdosage de BHD).

Repérer les signes d’un mauvais dosage

Les signes d’un sous dosage : état anxiodépressif, irritabilité à distance de la prise, troubles du sommeil, sensation de manque, tendance à raccourcir le délai entre deux prises.

Le surdosage : ralentissement psychomoteur et somnolence.

Mésusage

Buprénorphine haut dosage (BHD). L’usage détourné des MSO concerne en premier lieu la BHD qui est injectable. 13 à 46 % des patients sous BHD l’utilisent aussi par la voie IV qui expose à de nombreux risques (contamination virale, dépression respiratoire, complications locales avec oedèmes, abcès, nécroses, thromboses, endocardites…). Il faut toutefois différencier le trafic (6 % des patients sous BHD seraient responsables du détournement vers le marché noir) des autres mauvaises utilisations qui s’inscrivent dans les difficultés de parcours : autosubstitution en dehors d’un protocole médical (la personne l’achète ou en emprunte pour se substituer seul), usage toxicomaniaque (y compris primodépendants), recours au « sniff » ou à l’injection pour essayer de retrouver un effet flash. Le plan de gestion du risque de détournement paru en 2007 modifie les recommandations d’usage de la BHD en cas de détournements : dispensation quotidienne et contrôlée, prescription de méthadone en cas d’injection persistante, prise en charge en centres spécialisés. Pour les soignants, il est recommandé de déclarer tout cas grave d’abus aux CEIP (Centre d’évaluation et d’informations sur la pharmacodépendance).

Méthadone. Du fait d’un cadre de prescription plus contraignant et de sa présentation galénique, les mauvaises utilisations de la méthadone sont moins fréquentes : environ 17 % des usagers.

Prise en charge psychosociale

L’introduction d’un traitement de substitution, qui implique un deuil des sensations de plaisir liées au produit, peut être l’occasion de l’émergence de troubles psychiques. Les meilleurs résultats sont obtenus quand elle s’accompagne d’une psychothérapie et d’une prise en charge sociale (accès au logement et insertion professionnelle), l’inactivité étant un facteur important de rechute.

Vie quotidienne

Alimentation

Adopter une alimentation riche en fibres et boire 1,5 à 2 litres d’eau par jour peut aider à lutter contre la constipation liée aux traitements de substitution. Éviter la consommation d’alcool qui potentialise les effets de somnolence et le risque de dépression respiratoire.

Automédication

Prévenir du risque accru de dépression respiratoire en cas d’associations à d’autres médicaments (en particulier ceux qui contiennent de l’alcool), l’abus de benzodiazépines mais aussi les antihistaminiques H1. Éviter tous les médicaments d’automédication contenant des opiacés en particulier les antalgiques et antitussifs à base de codéine.

Contraception

Le traitement de substitution normalise le cycle menstruel, souvent déficient sous opiacés illicites, et nécessite de reprendre une contraception.

Voyages

Pour transporter son traitement de méthadone ou de BHD, toujours se munir de l’ordonnance. Pour l’Autriche, la Belgique, la Grèce, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Espagne et le Portugal (états signataires de l’accord de Schengen), demander une autorisation de transport valable 30 jours auprès de la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales. Pour les autres pays, une attestation de transport délivrée par l’Affsaps est nécessaire si la durée de séjour dépasse la durée maximale de prescription. Pour plus de renseignements, contacter l’Unité Stupéfiants et Psychotropes de l’Afssaps au 01 55 87 35 93.

Vie sociale

Changer de réseau. Couper les ponts avec son réseau de consommation (fréquentations, contexte familial défavorable, lieu de vie ou de sorties…) multiplie les chances de réussite. Ne pas rester isolé pour autant : participer activement à son traitement en prenant part à un réseau qui favorise l’approche multidisciplinaire et l’accompagnement psychologique. Pour trouver les adresses des associations et structures spécialisées : , rubrique « Adresses utiles ».

Accompagner l’entourage. L’entourage familial est souvent démuni et à la recherche d’informations. Les informer sur les modalités de traitement et leurs effets indésirables. Insister sur la durée de traitement longue, indéfinie et sur les possibles rechutes qui risquent de jalonner le parcours. Un service d’écoute en ligne est à disposition de tous, patients, famille et soignants : Ligne Drogues Info Service 0 800 23 13 13, appel gratuit d’un poste fixe.

Retrouvez sur WK.Pharma.fr les coordonnées des Centres d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance (CEIP), onglet « Formation », rubrique « Adresses utiles ».

MSO et grossesse : un pronostic amélioré

L’initiation d’un MSO est particulièrement recommandée avant une grossesse désirée ou durant les deux premiers trimestres. Elle est préférable au sevrage brutal et à la poursuite de la consommation d’opiacés (risques liés aux intoxications irrégulières, phases de manque provoquant des souffrances in utéro, injections). Les effets de la buprénorphine semblent comparables à ceux de la méthadone : pas d’effets malformatifs déclarés, stabilité de l’imprégnation foetale en opiacés, diminution de la morbidité périnatale, poids de naissance supérieur. La méthadone sera préférée cependant chez la mère « injecteuse ». En revanche, la prise d’un MSO, quelle que soit la dose, peut être à l’origine d’un syndrome de sevrage chez le nouveau-né. De plus, des posologies élevées de buprénorphine sont susceptibles d’entraîner une dépression respiratoire chez le nouveau-né qui devra systématiquement faire l’objet d’une surveillance particulière.

Quels sont les résultats des traitements de substitution ?

Les impacts positifs

Augmentation nette du nombre de patients traités depuis 10 ans : environ 100 000 dont 80 % sous BHD et 20 % sous méthadone.

Diminution de la mortalité : surdoses liées à l’héroïne divisées par 5 depuis 1994).

Diminution de la morbidité : baisse de l’infection par VIH, amélioration de l’issue des grossesses).

Effondrement des pratiques d’injection : 70 à 80 % en 1995 à 14 à 20 % en 2003.

Amélioration de l’insertion sociale.

Les limites

Zones géographiques dépourvues de Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA).

Détournements et trafics, primodépendants aux MSO : maintien ou renforcement des consommations parallèles (alcool, BZD, cocaine…).

Forte prévalence de l’hépatite C.

Stigmatisation du toxicomane et prise en charge psychologique insuffisante.