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La post-transplantation d’organe

Publié le 23 avril 2018
Par Florence Dijon-Leandro
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Le patient transplanté est un patient chronique particulier. La greffe d’un organe améliore significativement son espérance de vie, mais impose un important traitement immunosuppresseur à vie. Son observance rigoureuse, au début et au long cours, est vitale et nécessite un accompagnement de qualité.

La maladie

Physiopathologie

Transplantation

La greffe d’un organe repose sur le don d’organes et la compatibilité entre un donneur et un receveur (lire Porphyre n° 541, avril 2018 ).

Les indications dépendent de l’organe concerné : insuffisance rénale chronique avancée (voir Dico + ci-contre ) pour le rein, cirrhose évoluée (voir Dico + p. 26 ) pour le foie, diabète de type I pour le pancréas…

Les objectifs. En palliant l’insuffisance terminale d’un organe, il devient possible d’éviter un décès, d’augmenter l’espérance ou la qualité de vie, ou de réduire les coûts par rapport à des alternatives thérapeutiques, telle la dialyse pour l’insuffisance rénale.

Seul le suivi des greffes d’organes solides sera abordé ici, c’est-à-dire principalement rein, foie, cœur, poumons, pancréas et intestin. Il est alors plus juste de parler de transplantation et de transplant que de greffe et de greffon car l’opération chirurgicale va rétablir la continuité vasculaire selon le principe d’anastomose, c’est-àdire la connexion entre les vaisseaux sanguins du donneur et ceux du receveur, à la différence de nombreux tissus greffés sans anastomose, telles la cornée, la peau…

Principes immunologiques

• Deux grands systèmes permettent à l’organisme de distinguer ce qui lui est propre, le soi, de ce qui lui est étranger, le non soi.

→ Le système ABO, à l’origine des groupes sanguins A, B, AB et O, s’exprime essentiellement à la surface des globules rouges.

→ Le système HLA (Human Leukocyte Antigen), plus vaste et plus complexe, com prend des molécules propres à chaque individu, un peu comme une carte d’identité, et participe à la réponse immune adaptative.

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Pour limiter le risque de rejet, donneur et receveur doivent être ABO-compatibles et au maximum HLA-compatibles. Cette règle varie cependant selon les organes car le foie est un organe où la compatibilité HLA s’avère moins importante.

Bilan pré-greffe

À la fois clinique et paraclinique, avec examens d’imagerie, biologie, épreuves fonctionnelles, etc., le bilan pré-greffe se fait sur plusieurs semaines mais parfois aussi dans l’urgence, par exemple dans le cas d’une hépatite fulminante, mortelle si une greffe de foie n’a pas lieu rapidement.

Le bilan vérifie notamment l’absence de contreindication rédhibitoire, tels un cancer actif ou en rémission depuis trop peu de temps, une polypathologie mal équilibrée, une maladie infectieuse évolutive, un risque de mauvaise observance en raison de troubles psychiatriques…

Comme le patient attend parfois plusieurs années avant d’être greffé, les résultats du bilan pré-greffe sont réactualisés au besoin durant l’attente, et le patient met à jour ses vaccins (voir p. 31 ).

Opération de transplantation

• La transplantation est une opération chirurgicale d’une durée variable selon les organes, de trois à quinze heures. Après l’opération de greffe, le patient est en soins intensifs ou en réanimation, où l’on surveille ses fonctions vitales et la reprise de la fonction du greffon. En parallèle, un traitement immunosuppresseur est mis en route car le système immunitaire réagit immédiatement face à l’organe étranger. Le risque est le rejet de la greffe.

La durée de l’hospitalisation post-opératoire est variable, notamment selon l’état du patient à l’arrivée dans le service. Elle permet de préparer le patient à sa « nouvelle vie » et de se familiariser avec le traitement immunosuppresseur qu’il va devoir suivre.

Complications post-greffe

Rejet de la greffe

Définition

Le rejet est un processus immunologique par lequel l’organisme d’un receveur réagit contre l’organe d’un donneur considéré comme étranger. Si le rejet est sévère, il peut aboutir à une destruction du transplant. Le risque est fortement diminué grâce aux traitements immunosuppresseurs.

D’un point de vue immunitaire

Le rejet de greffe désigne une « attaque immunitaire » de l’organe transplanté. Cet organe est en quelque sorte un intrus, ou non soi. Des fragments de l’organe sont présentés aux lymphocytes T du receveur. En présence de divers signaux de stimulation et de co-stimulation, les lymphocytes T s’activent, sécrètent des cytokines (voir Dico + ) comme l’interleukine 2 et amplifient la réponse immunitaire vis-à-vis du greffon. Différents mécanismes se mettent en place : une toxicité cellulaire, ou cytotoxicité, une sécrétion d’anticorps, une phagocytose, une inflammation… Ils conduisent à la destruction du greffon.

Différents types

• Rejet hyperaigu : il est dû à la présence chez le receveur d’anticorps cytotoxiques spécifiques du donneur. Ce rejet apparaît très rapidement, parfois sur la table d’opération. Il a aujourd’hui quasiment disparu grâce à la réalisation systématique d’un cross-match lymphocytaire avant la greffe. Il s’agit d’un test de compatibilité entre le sérum du receveur et les lymphocytes du donneur, obligatoire avant toute transplantation. Si ce test est positif, c’est que le receveur possède des anticorps anti-HLA spécifiquement dirigés contre des antigènes du donneur, avec un risque important de rejet hyperaigu. En général, cette positivité est une contre-indication à la transplantation.

• Rejet aigu : il survient essentiellement dans les premiers mois de greffe. Son incidence dépend de l’organe greffé et du type de traitement immunosuppresseur. On distingue :

→ le rejet cellulaire : mise en jeu de lymphocytes T et de cellules inflammatoires, sans formation d’anticorps dirigés contre le transplant ;

→ le rejet humoral : production d’anticorps dirigés contre le transplant.

• Rejet chronique : il apparaît progressivement, en général au bout de plusieurs années de greffe. Ce rejet est d’origine multifactorielle. Parmi ces facteurs, une réaction immunitaire latente chronique, la présence de comorbidités, la toxicité des médicaments anti-rejet (anticalcineurines, voir p. 28)…

Autres complications

Les autres complications post-greffe sont surtout dues à l’immunosuppression au long cours et sur lesquelles l’officinal peut avoir une action. Néanmoins, il en existe d’autres, notamment celles liées à l’opération, à une récidive de la maladie initiale…

• Complications infectieuses. Le risque infectieux évolue au cours du temps.

→ Le premier mois, les infections sont nosocomiales, liées à l’hospitalisation.

→ Entre un et six mois, elles sont opportunistes, liées au déficit immunitaire et proches de celles qui sont observées chez un patient VIH-positif non traité.

→ Après six mois, ce sont des infections communautaires, à germes classiquement rencontrés dans la population générale.

→ Les infections sont de tous les types : bactériennes, virales, fongiques ou parasitaires. Parmi les infections opportunistes graves faisant l’objet d’une prévention spécifique (voir plus loin ), citons la maladie à cytomégalovirus (CMV) et la pneumocystose, qui est une atteinte pulmonaire due au champignon Pneumocystis jiroveci.

• Complications tumorales. Les traitements antirejet diminuent l’immunosurveillance (voir Dico + p. 27) et rendent le patient transplanté plus à risque de développer des cancers, notamment cutanés, avec des carcinomes baso– ou spinocellulaires, ou des cancers viro-induits avec des lymphomes, notamment les formes non hodgkiniennes dues au virus Epstein-Barr (ou EBV), des sarcomes de Kaposi dus à un herpès virus HHV8 et des cancers du col de l’utérus causés par un papillomavirus HPV…

• Complications métaboliques et cardio-vasculaires. Certains médicaments comme les corticoïdes et les anticalcineurines favorisent la survenue de complications ou les aggravent : surpoids, diabète, dyslipidémie, athérosclérose, hypertension…

Diagnostic du rejet

Ce diagnostic repose sur un faisceau d’arguments. Les examens cliniques et paracliniques s’accompagnent d’une analyse histologique du greffon. Celle-ci met en évidence les lésions issues de la réaction immunitaire du patient transplanté vers son transplant, et constitue le diagnostic de certitude du rejet.

Par exemple, en cas de rejet aigu du rein, le patient peut présenter une hypertension, une prise de poids, voire une fièvre et une augmentation du volume du rein. Sur le plan biologique, la créatininémie est élevée, la présence de sang dans les urines (hématurie) signe une dégradation rapide de la fonction rénale. En cas de rejet chronique, l’insuffisance rénale s’installe peu à peu, la créatininémie augmente et s’associe à une protéinurie, et le patient est souvent hypertendu.

Évolution du rejet

• Le rejet aigu, en l’absence de traitement, peut rapidement aboutir à la perte de l’organe. Par contre, le transplant peut être sauvé si un traitement non plus préventif mais curatif est rapidement mis en place, par exemple des corticoïdes à haute dose. Le pronostic dépend du mécanisme immunitaire. Ainsi, il est bon en cas de rejet cellulaire mais plus réservé en cas de rejet humoral.

• Quant au rejet chronique, il se dépiste mais demeure difficile à traiter. Il contribue à la diminution de la durée de vie des greffons.

Suivi post-greffe

• Particulièrement complexe, le suivi du patient transplanté repose sur un ensemble d’examens cliniques et paracliniques. Les consultations et explorations programmées sont de plus en plus espacées, mais restent très fréquentes. Par exemple, dans le cas d’une transplantation rénale au-delà des trois mois post-transplantation, l’examen clinique a lieu deux fois par mois entre le quatrième et le sixième mois, une fois par mois entre le septième et le douzième mois, une fois tous les un à quatre mois au-delà de la première année(1).

• Ce suivi rapproché permet de surveiller le transplant et de repérer les premiers signes d’un rejet, mais aussi de vérifier le traitement immunosuppresseur, d’évaluer le risque cardio-vasculaire, ou encore de dépister précocement un cancer induit par les immunosuppresseurs.

• Le plus souvent, le suivi est une collaboration entre le centre de transplantation du CHU, où le patient se rend au moins une fois par an, le spécialiste hors CHU et le médecin généraliste. Ce dernier peut gérer les co-prescriptions du patient et doit être consulté rapidement devant tout symptôme évocateur d’infection, tel que fièvre, toux, essoufflement, rhume, signes urinaires.

• D’autres praticiens sont impliqués au cas par cas : cardiologue, endocrinologue, dermatologue, gynécologue, chirurgien-dentiste… Les patients doivent toujours penser à prévenir les différents professionnels de santé qu’ils sont transplantés. Les personnes transplantées bénéficient d’une prise en charge à 100 % (ALD 28).

Le traitement

Objectifs

La stratégie thérapeutique globale comprend deux volets :

• un traitement immunosuppresseur qui a pour but de limiter le risque de rejet du greffon, et donc de prolonger sa durée de vie. Il vise surtout le rejet aigu ;

• un traitement préventif (voir plus loin) et la gestion des comorbidités. Le patient transplanté a souvent une « ordonnance à rallonge », avec des antidiabétiques, des antihypertenseurs, un protecteur gastrique…

Stratégie

En général, la stratégie thérapeutique immunosuppressive comprend deux temps.

• Le traitement d’induction : mis en place immédiatement après l’opération et pour une durée de quelques jours seulement, à base d’immunosuppresseurs injectables dits d’induction (voir Info + ). Il vise à diminuer l’incidence des rejets aigus des premières semaines post-greffe.

• Le traitement d’entretien : moins agressif que le traitement d’induction mais tout aussi nécessaire pour prévenir les rejets aigus. Le plus souvent, il s’agit d’une bi– ou d’une trithérapie comprenant des corticoïdes, des anticalcineurines et des antimétabolites. Ces médicaments agissent à différents niveaux de la reconnaissance et de la réaction immunitaire entre le transplant et le receveur pour permettre à celui-ci de « tolérer » son nouvel organe.

Les stratégies les plus récentes tentent d’épargner au maximum les classes médicamenteuses les plus iatrogènes, à savoir les corticoïdes et les anticalcineurines, qui sont sources d’effets indésirables importants et notamment métaboliques.

Médicaments immunosuppresseurs

Caractéristiques générales

• Toutes les molécules augmentent le risque infectieux et néoplasique en raison de leurs propriétés immunosuppressives : elles permettent à l’organisme de « tolérer » le greffon mais elles l’empêchent d’éliminer correctement les agents infectieux d’une part et les cellules tumorales d’autre part.

• Certains immunosuppresseurs sont des médicaments à marge thérapeutique étroite et/ou dont l’exposition peut être très variable d’un individu à l’autre. En particulier, les anticalcineurines et les inhibiteurs de mTOR – et parfois aussi les antimétabolites – bénéficient d’un suivi thérapeutique pharmacologique (STP). Ce STP est un dosage des concentrations sanguines souvent résiduelles, suivi d’une adaptation posologique si nécessaire.

Tous sont à prescription initiale hospitalière semestrielle, sauf les corticoïdes.

Anti-inflammatoires stéroïdiens

• Molécules : bétaméthasone (Célestène) méthylprednisolone (Medrol), prednisolone (Solupred) et prednisone (Cortancyl). Ils sont prescrits à dose rapidement dégressive, voire arrêtés, et dans de très rares cas jamais démarrés.

• Mode d’action : les corticoïdes agissent essentiellement par voie génomique et régulent positivement ou négativement la transcription de nombreux gènes. Dans la prévention du rejet, leur action est à la fois immunosuppressive, par diminution de la synthèse de cytokines, et antiinflammatoire.

• Effets indésirables : au long cours, hypertension artérielle, diabète, prise de poids, atrophie musculaire, ostéoporose, cataracte, glaucome, atrophie cutanée, acné, insomnies, troubles psychiques, perturbations biologiques (hypokaliémie, hyperlipidémie…)…

• Surveillance : bilans biologiques réguliers pour surveiller la kaliémie, la glycémie, les lipides sanguins, ostéodensitométrie, suivi ophtalmologique… Le patient bénéficie de co-prescriptions au cas par cas : potassium, antidiabétiques, biphosphonates…

Anticalcineurines

• Molécules : ciclosporine (Neoral) et tacrolimus (Adoport, Advagraf, Envarsus, Modigraf, Prograf).

• Mode d’action : comme leur nom l’indique, ces molécules inhibent indirectement la calcineurine, une protéine stimulant l’activité de plusieurs facteurs de transcription, impliquée dans la synthèse d’interleukine 2, cytokine qui joue le rôle de facteur de croissance des lymphocytes T. Il s’ensuit une baisse de la prolifération des lymphocytes T et une inhibition de leur réponse face au greffon.

• Effets indésirables : néphrotoxicité aiguë ou chronique, hypertension artérielle, céphalées, troubles digestifs, tremblements, atteinte mus culo-squelettique, perturbations biologiques (hyperkaliémie, hyperlipidémie surtout sous ciclosporine, hyperglycémie surtout sous tacrolimus). Avec la ciclosporine : hirsutisme, hypertrophie gingivale, hépatotoxicité. Avec le tacrolimus : alopécie, diabète, troubles visuels et neurologiques, insomnies.

• Surveillance : mesure de la pression artérielle, bilans biologiques pour surveiller les taux plasmatiques, les fonctions rénale et hépatique, l’hémogramme et les constantes métaboliques.

Antimétabolites

• Molécules : azathioprine (Imurel) et surtout acide mycophénolique, ce dernier disponible sous forme de prodrogue (mycophénolate mofétil, Cellcept) ou de sel de sodium (mycophénolate sodique, Myfortic). Le mycophénolate sodique a initialement été développé pour générer moins de troubles digestifs, mais les RCP mentionnent encore les diarrhées comme un effet indésirable très fréquent…

• Mode d’action : inhibition de la synthèse des purines, et donc des acides nucléiques, ce qui empêche la progression du cycle cellulaire, et donc la prolifération des lymphocytes T. L’azathioprine est une prodrogue qui se transforme en 6-mercaptopurine, analogue des bases puriques et jouant le rôle de leurre biochimique auprès des enzymes de la voie de synthèse des purines. Le mycophénolate, lui, inhibe directement l’enzyme inosine monophosphate déshydrogénase (IMPDH), et donc la synthèse des nucléotides à base de guanine.

• Effets indésirables. Azathioprine : hématotoxicité par myélotoxicité, troubles digestifs, hépatotoxicité. Acide mycophénolique : hématotoxicité, risque tératogène, troubles digestifs, dont diarrhées.

• Surveillance : hémogramme très régulier dans les deux cas. Azathrioprine : toutes les semaines pendant huit semaines, puis au moins tous les trois mois. Acide mycophénolique : toutes les semaines pendant le premier mois, puis deux fois par mois au cours des deuxième et troisième mois, puis une fois par mois durant le reste de la première année. Tests de grossesse avec l’acide mycophénolique. Pour prévenir le risque tératogène de l’acide mycophénolique : contra ception efficace tout au long du traitement et après l’arrêt jusqu’à six semaines chez la femme, trois mois chez l’homme. Durant ces mêmes périodes, pas de dons du sang et de sperme.

• Législation : en plus pour l’acide mycophénolique, accord de soins pour les femmes en âge de procréer.

Inhibiteurs de mTOR

• Molécules : évérolimus (Certican), sirolimus (ou rapamycine : Rapamune).

• Mode d’action : en inhibant de façon indirecte l’enzyme mTOR (Mammalian Target of Rapamycin, en français, cible de la rapamycine chez les mammifères. En fait, on lui a donné son nom d’après les molécules qui agissent sur elles), ces deux principes actifs bloquent la prolifération et l’activation lymphocytaires.

• Effets indésirables : troubles de la cicatrisation, dyslipidémie, œdèmes, protéinurie, hématotoxicité, arthralgies, stomatite, thromboses, pneumopathies interstitielles…

• Surveillance : bilan lipidique avant le début du traitement, puis régulièrement après, avec instauration d’un régime et d’un traitement au besoin, dosages plasmatiques résiduels, hémogramme…

Bélatacept (Nulojix, à l’hôpital)

Cette protéine de fusion soluble est un bloqueur sélectif de la costimulation qui inhibe l’activation des lymphocytes T. Ce médicament est indiqué chez le transplanté rénal qui, en phase d’entretien, se rend à l’hôpital en général toutes les quatre semaines pour une administration intraveineuse. Le traitement immunosuppresseur comprend toujours des médicaments à prendre tous les jours, mais leur nombre est réduit et l’adhérence du patient est globalement meilleure.

Prévention anti-infectieuse

Molécules

L’association triméthoprime-sulfaméthoxazole (Bactrim) ou des aérosols de pentamidine (Pentacarinat) contre la pneumocystose, le valganciclovir (Rovalcyte) ou le valaciclovir (Zelitrex) contre le cytomégalovirus (CMV) sont utilisés mais, en général, ces traitements ne sont plus prescrits au-delà des six premiers mois.

Vaccins

Les vaccinations(2) doivent être mises à jour selon le calendrier vaccinal « standard », de préférence avant la transplantation parce que l’immunodépression post-greffe diminue la réponse immunitaire aux vaccins et contre-indique la réalisation de certains d’entre eux (voir tableau à gauche ). Aucune vaccination n’est réalisée durant les six premiers mois post-greffe. Ensuite, la vaccination antigrippale annuelle est recommandée, y compris pour l’entourage. Les vaccinations anti-pneumocoque et anti-hépatite B sont également préconisées pour le patient.

Conseils aux patients

Observance

Une bonne observance des traitements immunosuppresseurs est essentielle et conditionne leur efficacité. Pourtant, de nombreuses officines peuvent avoir le cas d’un patient transplanté qui tarde à venir chercher son traitement sur l’étagère des « promis ». 15 à 30 % des transplantés rénaux présentent une observance médiocre, surtout après plusieurs années de greffe, lorsque la surveillance médicale est plus espacée.(3)

• Aborder le sujet. Lorsque cela est possible, parler avec le patient de sa façon de gérer son traitement, ce qui permettra, sans le juger ni le sermonner, d’en savoir plus sur les raisons d’une éventuelle inobservance : complexité du traitement, effets indésirables, troubles psychiques, isolement social…

• Piluliers, oui mais attention ! Les gélules de tacrolimus, les formes orodispersibles ou effervescentes des corticoïdes ne doivent être retirées de leur blister qu’au moment de les avaler, car ces médicaments sont sensibles à l’humidité. Faire de même avec les médicaments à base d’acide mycophénolique, en raison de leur caractère tératogène.

• Rappeler les modalités de prise (voir tableau p. 30). Faire ramener les médicaments non utilisés ou périmés à la pharmacie.

• En cas d’oubli : pas de règle universelle. Consulter la notice pour la marche à suivre. Exemple : pour Néoral, prendre la dose dès que l’oubli est constaté, sauf quand il est presque l’heure de la dose suivante. En cas de doute, le patient doit contacter son centre de transplantation.

• Limiter le risque infectieux. Adopter quelques règles de base : lavage de mains, désinfection des plaies, viandes et poissons bien cuits, respect de la chaîne du froid, hygiène de la cuisine et du frigo, eau en bouteille en dehors du domicile.

Automédication

La ciclosporine et le tacrolimus sont les molécules les plus à risque d’interactions médicamenteuses, car elles sont à la fois substrat et inhibiteur du CYP3A4 et de la glycoprotéine P. Mais, de façon générale, quel que soit le traitement immunosuppresseur, toute forme d’automédication est à déconseiller.

• En vente libre, penser aux antalgiques : les AINS et l’aspirine sont néphrotoxiques, les antiacides diminuent l’absorption des autres médicaments, et même le paracétamol est source d’hépatotoxicité (et de greffe hépatique…) en cas de surdosage.

• Attention aux thérapies dites naturelles. Le millepertuis, antidépresseur, mais aussi inducteur enzymatique, réduit l’efficacité des anticalcineurines. Certaines plantes immunostimulantes comme l’échinacée risquent d’interférer avec les immunosuppresseurs.

L’alimentation peut être à risque : le pamplemousse (fruit et jus) est un inhibiteur enzymatique qui favorise les surdosages en anticalcineurines, le thé vert riche en tanins peut interférer avec les immunosuppresseurs.

Vie quotidienne

Alimentation

• Conseiller un régime équilibré, riche en fruits et légumes et pauvre en sucres rapides, en graisses et en sel.

• Adapter l’alimentation pour prévenir les complications cortico-induites telles que :

→ l’ostéoporose, avec des produits riches en calcium et en vitamine D comme le lait, les yaourts et certaines eaux ;

→ l’hypokaliémie grâce aux fruits et légumes, légumineuses, fruits secs, épices, persil ;

→ la fonte musuclaire, avec des protéines animales et végétales.

Psychostimulants

L’arrêt du tabac est fortement recommandé, de même que la limitation de la consommation d’alcool afin de prévenir le risque cardio-vasculaire et en raison de leur rôle carcinogène.

Activité physique

Encourager la pratique d’une activité sportive dans le cadre de la prévention cardio-vasculaire.

Soleil et luminosité

Le recours à une protection solaire (crème, teeshirt, chapeau, lunettes…) est indispensable pour limiter le risque de cancer cutané.

Soutien

La greffe bouleverse durablement la vie du patient (voir témoignage p. 27 ). Si besoin, celuici peut être orienté vers un professionnel ou vers une association de patients (voir En savoir + ci-contre ).

(1) Suivi ambulatoire de l’adulte transplanté rénal au-delà de trois mois après transplantation, Haute Autorité de santé, novembre 2007.

(2) Vaccination des personnes immunodéprimées ou aspléniques, recommandations, Haut Conseil de la santé publique, 2nde édition, décembre 2014. Sur www.hcsp.fr

(3) Améliorer l’adhésion au traitement en transplantation rénale : un enjeu majeur, Kessler M., Néphrologie & thérapeutique 2014 ; 10: 145-50.

Avec l’aimable participation du Dr Tristan Legris, néphrologue, praticien hospitalier au Centre de néphrologie et de transplantation rénale de l’hôpital de la Conception à Marseille (13).

Info+

→ Lorsque la greffe concerne de vrais jumeaux homozygotes, le patient greffé peut développer une tolérance naturelle vis-à-vis du greffon, et donc se passer d’un traitement immunosuppresseur.

Dico+

→ Insuffisance rénale chronique avancée : maladie rénale chronique sévère, caractérisée par un débit de filtration glomérulaire inférieur à 20 ml par minute pouvant nécessiter un traitement de suppléance tel qu’une hémodialyse ou une dialyse péritonéale, ou une greffe.

Dico+

→ Cirrhose : grave maladie de foie, essentiellement due à l’alcool, aux hépatites chroniques virales B et C, au surpoids, et pouvant entraîner une perte des fonctions hépatiques.

→ Cytokines : protéines qui permettent la communication entre les cellules du système immunitaire.

Contre-indications des médicaments*

→ Corticoïdes (contre-indications relatives) : tout état infectieux, à l’exclusion des indications spécifiées ; certaines viroses en évolution, notamment hépatites, herpès, varicelle, zona ; états psychotiques encore non contrôlés par un traitement.

→ Acide mycophénolique : femmes en âge de procréer en l’absence de méthode contraceptive hautement efficace et/ou d’un test de grossesse négatif à l’initiation du traitement, grossesse et allaitement.

(*) Hors hypersensibilités et interactions. Sources : RCP des médicaments.

Témoignage
Monsieur M., 57 ans

« J’ai conscience d’être une sorte de survivant »

« J’avais 49 ans quand on a diagnostiqué chez moi une maladie de Berger*. À l’époque, je travaillais énormément en tant qu’avocat et mes enfants étaient encore petits. La maladie a conduit à l’insuffisance rénale sévère et m’a imposé de rentrer rapidement en dialyse. Cela a duré sept ans et demi et généré une souffrance physique et morale incroyable. En parallèle, j’étais sur liste d’attente et mon parcours a été particulièrement chaotique. J’ai rejeté mon premier greffon au bout de sept jours. J’ai ensuite été appelé à quatre reprises mais, à chaque fois, la greffe ne pouvait finalement pas se faire. Ma greffe définitive a eu lieu en novembre 2007. J’ai conscience d’être une sorte de survivant. Aujourd’hui, je prends de nombreux médicaments, des immunosupresseurs à vie, mais pas seulement. À cause de la cortisone, j’ai développé un diabète, que j’essaie de rendre minimal avec une bonne hygiène de vie, mais je suis obligé de prendre des antidiabétiques et de m’injecter de l’insuline quotidiennement… J’ai conscience que les médicaments antirejet ne sont pas une assurance non plus, et qu’il faut prendre soin de l’organe que l’on m’a donné, pour prolonger au maximum sa durée de vie. Il existe une certaine responsabilité vis-à-vis du défunt et de sa famille. »

(*) La maladie de Berger, ou néphropathie à IgA, est une maladie rénale auto-immune caractérisée par des dépôts d’anticorps de type IgA au niveau des glomérules rénaux.

Dico+

→ Immunosurveillance : capacité du système immunitaire à détecter et à éliminer les cellules anormales. La survenue d’un cancer résulte donc d’une prolifération cellulaire anormale et d’une défaillance de l’immunosurveillance. Les cellules ayant échappé à ce filtre peuvent continuer à proliférer et mener à un cancer.

Info+

→ Parmi les immunosuppresseurs d’induction, les anticorps polyclonaux, ou sérums antilymphocytaires tels que Grafalon et Thymoglobuline sont des immunoglobulines de lapin dirigées contre les lymphocytes T humains. C’est un « traitement de choc » entraînant une importante déplétion lymphocytaire. Lorsque le risque immunologique est moindre, sont utilisés les anticorps monoclonaux, tel le basiliximab (Simulect) dirigé spécifiquement contre l’antigène CD25 (= chaîne alpha du récepteur de l’IL2) impliqué dans la prolifération des lymphocytes T.

Interview

“Un jour d’arrêt de traitement peut entraîner un rejet, il faut donc appeler le patient qui tarde à renouveler”

Dr Tristan Legris, néphrologue, praticien hospitalier au sein du Centre de néphrologie et de transplantation rénale de l’hôpital de la Conception à Marseille (13).

Quelle est la durée de vie d’un greffon ?

Dans le cas du rein, les dernières données françaises dont nous disposons grâce à l’Agence de la biomédecine montrent que la médiane de survie se situe à treize ans et demi en cas de donneur décédé et sans doute à plus de vingt ans en cas de donneur vivant. Cela dit, un patient qui bénéficie du « meilleur » rein possible mais qui ne prend pas correctement son traitement sort de ces statistiques et peut réduire à néant ses chances de garder son nouveau rein.

Quelle place pour l’éducation thérapeutique du patient ?

L’éducation thérapeutique du patient est présente tout au long du parcours de soins. Avant la greffe, le patient sur liste d’attente doit être préparé psychologiquement, il peut notamment participer à des réunions d’information. Pendant les dix à quinze jours que dure l’hospitalisation, les infirmières aident le patient à s’approprier peu à peu son traitement. Puis, par la suite, chaque consultation est l’occasion de faire un point avec lui.

Quelle place occupe l’officinal dans le suivi ?

Le rôle de l’équipe officinale est essentiel car elle a souvent une vision d’ensemble des médicaments pris par le patient, ce qui lui permet par exemple de repérer des interactions médicamenteuses et de prendre rapidement contact avec le prescripteur. Lorsqu’une personne tarde à venir chercher ses médicaments, il ne faut pas hésiter à l’appeler, car un jour d’arrêt de traitement peut entraîner un rejet.

Des innovations thérapeutiques sont-elles en cours ?

Les traitements actuellement disponibles sont tellement efficaces dans la prévention du rejet aigu que les industriels ne s’intéressent pas au développement de nouvelles molécules. Par contre, de nombreux protocoles de recherche portent sur le traitement et la prévention du rejet humoral, et testent plusieurs anticorps monoclonaux dans ce sens.

En savoir+

→ L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) propose un dossier très clair sur la transplantation :  Information en santé > Dossiers d’information > Transplantation d’organes » target= »_blank »>www.inserm.fr > Information en santé > Dossiers d’information > Transplantation d’organes.

Vigilance au moment de la délivrance

→ Le tacrolimus existe sous forme à libération immédiate dans Adoport, Modigraf, Prograf, à raison de deux prises par jour, ou prolongée dans Advagraf, Envarsus avec une prise par jour. Attention, toutes ces spécialités ne sont en aucun cas interchangeables, y compris lorsque le dosage est le même. En particulier, Adoport n’est pas un générique de Prograf, et il n’existe pas de groupe générique pour le tacrolimus.

→ Le mycophénolate mofétil en gélules existe sous forme de princeps (Cellcept) et de générique (Biogaran, EG Labo, Mylan…). Mais attention, le mycophénolate mofétil fait partie des molécules exclues du dispositif « tiers payant contre génériques », aux côtés de la lévothyroxine, de certains antiépileptiques, tels lamotrigine, lévétiracétam, topiramate et valproate de sodium, et de la buprénorphine. La substitution est possible mais non systématique. Si le patient ne souhaite pas le générique, il n’est pas obligé de faire l’avance des frais.

En savoir +

→ Le site de l’Agence de la biomédecine propose de nombreux documents sur la greffe à télécharger : www.agencebiomedecine.fr

Associations de patients

– Foie : association Phénix, http://assocphenix. org ; Fédération nationale des malades et transplantés hépatiques (TransHepate), www.transhepate.org

– Rein : association France Rein, www.francerein.org, Renaloo, www.renaloo.com

– Cœur et/ou poumons : Fédération France greffes cœur et/ou poumons (FGCP), www.france-cœur-poumon.asso.fr

À RETENIR

→ La transplantation d’organes peut parfois apparaître comme un « traitement miracle » mais elle n’est pas sans contrepartie. En particulier, elle implique la mise en route rapide d’un traitement immunosuppresseur afin de limiter le risque de rejet du greffon.

→ Plusieurs classes d’immunosuppresseurs sont utilisées en même temps pour agir en synergie, limiter les doses de chaque médicament co-administré et maîtriser le risque d’effets indésirables.

→ Le patient transplanté est un patient particulièrement surveillé, à la fois concernant la viabilité de l’organe et la tolérance aux traitements.

→ L’hygiène de vie du patient transplanté doit permettre de limiter au maximum les effets indésirables métaboliques et cardio-vasculaires des traitements immunosuppresseurs. Pour autant, les co-prescriptions sont la plupart du temps inévitables et doivent faire l’objet de la même observance rigoureuse.