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la dépendance à l’alcool

Publié le 1 octobre 2009
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La dépendance à l’alcool s’installe progressivement. C’est une pathologie qui entraîne une grande souffrance pour le patient et l’entourage. Lorsque la décision d’arrêter l’alcool est prise, un accompagnement médical et parfois social et psychologique doit être mis en place.

Définition

L’alcoolodépendance est une pathologie chronique qui s’installe progressivement. Elle se définit par la perte de la maîtrise de la consommation d’alcool. La personne ne peut plus se passer de boire sous peine de souffrances physiques et psychiques.

Symptômes

L’alcoolodépendance se caractérise par :

– un désir compulsif de boire ;

– une augmentation de la tolérance à l’alcool : le patient doit augmenter sa consommation pour ressentir les même effets ;

– l’apparition de signes cliniques caractéristiques : tremblements des extrémités, visage oedémateux, sueurs ;

– l’apparition d’un syndrome de manque en cas d’arrêt de la consommation d’alcool : anxiété, agitation, troubles du sommeil, sueurs, tremblements, tachycardie, nausées, vomissements. Ces signes sont calmés par la prise d’alcool. Dans le cas inverse, ce syndrome peut se compliquer de crises convulsives et de troubles de la conscience pouvant entraîner un delirium tremens et nécessiter une hospitalisation.

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Evolution

Outre les décès qui lui sont directement attribuables, l’alcool a de nombreuses répercussions : au niveau digestif (cirrhose, pancréatite, hépatite alcoolique…), cardiovasculaire (hypertension artérielle, troubles du rythme cardiaque…), neurologique (déficit en vitamine B1 entraînant une encéphalopathie alcoolique). La consommation d’alcool favorise l’apparition des cancers de la bouche, du pharynx, du larynx, de l’oesophage (d’autant plus en cas de tabagisme associé). Elle est également responsable de troubles psychiques (troubles de l’humeur, anxiété…). Ce tableau clinique est de plus aggravé en cas de polyintoxication : cannabis, benzodiazépines…

Objectif du traitement

L’abstinence prolongée apporte des bénéfices en terme de mortalité, de prévention des complications dues à une consommation excessive d’alcool, d’amélioration des capacités de la mémoire, d’amélioration de la qualité de vie du patient (sur le plan relationnel dans la vie sociale et familiale).

Stratégie thérapeutique

Phase de sevrage

Dans un premier temps, l’objectif est l’arrêt complet de l’alcool : c’est l’étape du sevrage.

La phase de sevrage proprement dite dure sept voire dix jours. Le sevrage est réalisé en ambulatoire ou en institution. Hors contexte d’urgence, il doit être programmé et le patient doit être motivé à l’arrêt. Le sevrage en institution est indiqué en cas d’échec au sevrage ambulatoire ou lorsqu’on craint la survenue de complications (delirium tremens, convulsions).

Médicaments du sevrage. En ambulatoire, l’administration de benzodiazépines est préconisée (sauf contre-indications) pour prévenir l’apparition des crises convulsives et du delirium tremens et réduire les signes du sevrage (anxiété, troubles du sommeil…). Elles sont administrées durant sept jours maximum (sauf codépendances, complications psychiatriques…) pour éviter tout risque de dépendance. Le méprobamate (Equanil) possède une AMM dans l’aide au sevrage mais n’est quasiment plus employé et ne devrait plus l’être : il ne prévient pas les crises convulsives et présente un risque létal important en cas d’intoxication volontaire. Le tiapride (Tiapridal) possède une indication dans les états d’agitation importants y compris ceux liés au sevrage alcoolique. Il est indiqué en association à la benzodiazépine lorsque l’administration de celle-ci est insuffisante. A titre préventif, la vitamine B1 ou thiamine (Benerva, Bevitine) est administrée systématiquement (généralement 500 mg/jour pendant dix à vingt jours voire plus).

Mesures associées. Pour lutter contre la déshydratation presque toujours systématique, le sevrage doit s’accompagner d’une hydratation suffisante (au moins 2 l/jour, puis en fonction de la soif). Les déficits en vitamines étant fréquents, il peut être proposé en association à la vitamine B1, vitamine B6 ou pyridoxine (Becilan…), vitamine PP ou nicotinamide (Nicobion), de l’acide folique (en particulier chez la femme enceinte).

Maintien de l’abstinence

Dans un deuxième temps, il est nécessaire de maintenir cette abstinence à long terme et de prévenir les rechutes. L’administration d’acamprosate (Aotal) et/ou de naltrexone (Revia) n’est pas systématique mais peut aider au maintien de l’abstinence. La durée recommandée d’utilisation de l’acamprosate est de un an. Pour la naltrexone, le RCP de Revia précise une durée limitée à trois mois (en l’absence de données sur une durée supérieure) ; le RCP de Naltrexone Mylan (médicament générique) recommande un traitement initial de trois mois mais indique qu’il peut être poursuivi si nécessaire. L’utilisation du disulfiram, médicament à effet antabuse, n’est plus recommandée.

Accompagnement psychologique et sociale

La pathologie est hautement récidivante d’où l’importance du suivi, du soutien psychologique et des mouvements et associations d’entraide.

Médicaments du sevrage

Benzodiazépines

Les benzodiazépines (BZD) ont l’effet le mieux démontré sur le syndrome de sevrage alcoolique. Les BZD à demi-vie longue (type diazépam, médicament de référence) préviennent mieux les crises convulsives que les BZD à demi-vie courte (oxazépam, clotiazépam…) et elles entraînent moins de risques d’abus ultérieurs. Les BZD à demi vie courte sont parfois préférées chez le sujet insuffisant hépatique ou chez la personne âgée (meilleure tolérance). Mode d’action : agoniste spécifique sur un récepteur central. Action myorelaxante, anxiolytique, sédative, hypnotique, anticonvulsivante, amnésiante. Mode d’emploi : traitement court avec diminution progressive des doses sur sept à dix jours. Différents schémas d’administration sont possibles. Par exemple : 10 mg quatre fois par jour les trois premiers jours puis réduction progressive de la posologie. Risque de dépendance en cas de traitement prolongé. Prudence chez la personne âgée : risque de sédation et/ou effet myorelaxant favorisant les chutes. Contre-indications : insuffisance respiratoire sévère, apnée du sommeil, myasthénie, insuffisance hépatique sévère.

Méprobamate

Anxiolytique (carbamate, mécanisme d’action mal connu). Ne devrait plus être utilisé (risque létal important). Mode d’emploi : traitement court de une à trois semaines avec réduction progressive de la posologie. Risque létal important en cas d’intoxication aiguë. Contre-indications : insuffisance respiratoire ou hépatique sévères, occlusion intestinale (huile de ricin).

Tiapride

Antipsychotique (antagoniste dopaminergique). Mode d’emploi : traitement de un à deux mois. Posologie d’instauration progressive chez le sujet âgé. Adaptation de la posologie en cas d’insuffisance rénale, arrêt du traitement en cas de signes évoquant un syndrome malin des neuroleptiques (fièvre, pâleur, sueurs, trouble de la conscience, rigidité musculaire). Contre-indications : tumeur prolactino-dépendante, phéochromocytome. Risque d’allongement de l’intervalle QT notamment si association à certains médicaments.

Médicaments d’aide au maintien de l’abstinence

Acamprosate

Mode d’action : stimule les récepteurs du GABA et antagonise les récepteurs au glutamate. Mode d’emploi : traitement à débuter dès le début du sevrage. S’administre de préférence en dehors des repas si la tolérance digestive est bonne. Non recommandé chez le patient de plus de 65 ans. Les effets indésirables de type gastro-intestinaux (diarrhée) sont modérés et transitoires. Contre-indications : insuffisance rénale.

Naltrexone

Mode d’action : antagoniste opiacé. Mode d’emploi : traitement à débuter juste après la phase de sevrage. Surveillance : surveillance de la fonction hépatique. Des nausées sont fréquentes à l’initiation du traitement. Le médicament peut être introduit à demi-dose pour limiter cet effet indésirable. Contre-indications : insuffisance hépatique sévère ou hépatite aiguë, dépendance aux opiacés (risque d’apparition d’un syndrome de sevrage sévère), personne âgée de plus de 60 ans. Proscrire toute association à des dérivés opioïdes sous peine d’inefficacité (codéine…).

Disulfiram

Disulfiram est utilisé, bien qu’il ne soit plus recommandé.

Mode d’action : inhibition de l’acétaldéhyde-déshydrogénase entraînant en présence d’alcool une élévation de la concentration en acétaldéhyde, à l’origine de manifestations déplaisantes : bouffées congestives du visage, nausées et vomissements, sensation de malaise, tachycardie, hypotension (effet antabuse). Mode d’emploi : administration au petit déjeuner après une abstinence d’au moins 24 heures. Les symptômes apparaissent 10 minutes après l’ingestion d’alcool même en petite quantité (excipients des médicaments…) et durent entre 1/2 heure et plusieurs heures. Une consommation d’alcool jusqu’à deux semaines après l’arrêt de la prise peut entraîner ces effets. Contrôle renforcé de l’INR pour les patients sous traitement par antivitamines K. Contre-indication : insuffisance hépatique ou respiratoire sévères, insuffisance rénale, diabète, atteintes neuropsychiques ou cardiovasculaires, épilepsie.

Suivi du traitement

Phase de sevrage

Accompagner l’arrêt de l’alcool. Si possible développer un climat de confiance de manière à ce que le patient puisse se confier. L’encourager dans son arrêt de l’alcool au premier jour du sevrage (certains patients se débarrassent des bouteilles d’alcool, d’autres non).

S’assurer que le patient ne reste pas seul. Il est important qu’il soit entouré de personnes qui vont le soutenir et peuvent également surveiller la prise correcte des benzodiazépines.

Surveiller la prise médicamenteuse. Lui proposer durant cette période de passer tous les deux jours à la pharmacie pour donner des nouvelles : ceci peut permettre de déceler des signes témoignant d’une posologie insuffisante (agressivité, agitation…) ou au contraire excessive (somnolence importante…). Proposer au patient ou à la famille de rapporter à la pharmacie les comprimés de Valium restants à la fin de la période de sevrage. Ne pas conduire durant cette période (risque de somnolence).

Reconnaître les signes d’alerte qui peuvent traduire un delirium tremens et qui nécessitent de contacter au plus vite le médecin : mouvements anormaux, confusion, désorientation, tremblements, sueurs. Si nécessaire, contacter le médecin par téléphone.

Maintien de l’abstinence

Profiter de chaque renouvellement d’ordonnance pour prendre des nouvelles. La reprise épisodique de l’alcoolisation (sous acamprosate ou naltrexone) ne contre-indique pas la poursuite du traitement.

Vie quotidienne

Soutien psychologique

Il est important que le patient se sente soutenu, chez lui… mais aussi à la pharmacie, pour pouvoir parler sans crainte des difficultés rencontrées. L’encourager en mettant en avant les points positifs ressentis : récupération du goût donc de l’appétit, plaisir de se remettre à table, sommeil retrouvé et de meilleure qualité, envie de se remettre en valeur, de prendre soin à nouveau de soi… Une psychothérapie peut être conseillée : elle est utile au cas par cas, si elle est bien menée et si elle correspond aux attentes du patient. En plus ou à la place d’une psychothérapie, les associations de patients et d’entraide offrent un soutien important. Le patient est particulièrement réceptif aux conseils donnés par des personnes auxquelles il peut s’identifier. L’objectif est de changer ses habitudes, de s’investir dans des activités qui vont écarter l’envie de boire.

Alimentation

Bien s’hydrater durant la phase de sevrage pour lutter contre la déshydratation : 2 litres par jour d’eau, de tisanes, de jus de fruits…

Apporter des vitamines. Expliquer l’importance de la prise des vitamines prescrites même si elles ne sont pas remboursées : une carence peut exposer à des troubles graves. Dans tous les cas et d’autant plus si le patient ne prend pas les vitamines prescrites (faute de moyens), conseiller de manger chaque jour des fruits et légumes : les cuire à la vapeur ou sous forme de soupes pour préserver les vitamines ou boire l’eau de cuisson des légumes.

Avoir une alimentation équilibrée, riche en protéines et féculents (les patients sont souvent dénutris), pas trop grasse (pour ne pas surcharger encore le foie). Les compléments alimentaires (type Renutryl ou Fortimel…) peuvent être utiles pendant une quinzaine de jour le temps que le patient retrouve une alimentation suffisante.

Soins dentaires

Inciter à prendre un rendez-vous chez le dentiste : l’alcool est cariogène et agressif pour la muqueuse buccale.

En cas de rechute

Ne jamais crier victoire trop tôt car la rechute est toujours possible. Ne pas culpabiliser le patient car la période d’arrêt durant laquelle le patient n’a pas consommé d’alcool aura été profitable. La rechute n’est pas un échec mais une étape vers un sevrage définitif. Le patient n’est plus « le consommateur satisfait » qu’il a été avant le sevrage. L’aider à identifier les facteurs de rechute afin de développer des stratégies d’évitement (vision des bouteilles d’alcool, fréquentation de lieux de consommation d’alcool, angoisse, dépression…) et l’encourager à reprendre contact avec un médecin alcoologue de préférence et avec un mouvement d’entraide.

Être à l’écoute des proches

L’arrêt de l’alcoolisation du patient est une étape également difficile pour l’entourage. Le patient doit retrouver sa place au sein de sa famille ce qui implique une réorganisation parfois difficile. Ne pas minimiser les difficultés rencontrées par la famille et orienter si nécessaire vers une aide psychologique ou sociale. •

* D’autres benzodiazépines peuvent être utilisées.

Comment prendre en charge les codépendances ?

• Alcool/tabac : l’arrêt de l’usage du tabac a une incidence favorable sur le sevrage alcoolique. Une substitution nicotinique peut être mise en place en même temps que le sevrage alcoolique. À l’hôpital, la clonidine est parfois utilisée hors AMM.

• Alcool/benzodiazépines : l’hospitalisation est le plus souvent nécessaire. Le sevrage s’effectue en deux étapes : sevrage alcoolique avec benzodiazépine (BZD) pendant sept jours (maintien voire augmentation de la BZD déjà consommée ou changement pour une BZD à demi-vie longue) puis sevrage de la BZD en réduisant progressivement la posologie.

• Alcool/opiacés : sevrage en milieu hospitalier associant BZD, clonidine et antalgiques. Si le patient est sous traitement de substitution (méthadone, buprénorphine), un sevrage ambulatoire peut être envisagé.

• Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA) www.anpaa.asso.fr

• Alcooliques Anonymes-AA, 29 rue Campo Formio 75013 Paris. Permanence téléphonique : 0820.32.68.83 www.alcooliques-anonymes.fr

• Ecoute alcool : 0811 91 30 30 (de 14 heures à 2 heures 7 jours/7)