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Un chantier à mi-parcours pour les préparateurs et pharmaciens

Publié le 1 avril 2022
Par Anne-Charlotte Navarro
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Une table ronde organisée lors de Pharmagora, les 12 et 12 mars à Paris, a présenté les réformes tant attendues de la formation des pharmaciens et des préparateurs. Quelques points restent à éclaircir, mais le changement est en route.

Depuis la rentrée 2021, la première année commune aux études de santé (Paces) pour devenir pharmacien est supprimée au profit du parcours d’accès spécifique santé (Pass) et de la licence avec option accès santé (LAS). Côté préparateurs, le diplôme d’études universitaires scientifiques et techniques (Deust) de préparateur/technicien en pharmacie s’est installé aux côtés du BP depuis septembre 2021.

Ça « Pass » ou ça « LAS » ?

Jusque-là, un étudiant qui voulait faire pharmacie devait valider son année de Paces. S’il échouait, il n’avait aucun plan B. Aujourd’hui, deux voies d’accès s’offrent à lui : le parcours d’accès spécifique santé (Pass), avec une option mineure d’une autre filière universitaire (droit, économie, lettres, sciences, etc.), ou une licence (biologie, droit, lettres, etc.) avec option accès santé (LAS). « Désormais, lors de son inscription, un jeune doit choisir une “majeure” et une “mineure”. S’il ne réussit pas ses examens dans sa “majeure”, il aura une passerelle vers sa “mineure” sans perdre une année », décrypte Gael Grimandi, président de la conférence des doyens et doyen de la faculté de pharmacie de Nantes (44). Dès son inscription, l’étudiant doit penser à se « recycler » en sélectionnant une autre voie universitaire. « Le choix est très large : droit, littérature, sciences du vivant… De ce point de vue, cette réforme est très bonne », ajoute l’universitaire. Juliette Marat, vice-présidente de l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anepf), se félicite de cette réforme, mais regrette une surcharge de travail : « Dans bon nombre d’université, Pass et LAS sont pensés comme des doubles cursus. Les heures s’ajoutent et les emplois du temps sont surchargés ». Ce n’est pas le choix fait à Nantes, précise Gael Grimandi. « Il y a aussi un manque de moyens financiers. Le choix de la “mineure” est souvent fait par défaut, selon les propositions de l’université », dénonce la représentante étudiante.

Les débuts prometteurs du Deust

« À compter de septembre 2022, a priori seules deux facultés, Nancy et Poitiers (sur les vingt-quatre existantes, NDLR), ne proposeront pas de Deust de préparateur/technicien en pharmacie aux étudiants », se félicite Françoise Brion, professeur émérite à l’université Paris V et responsable du Deust. Ce Deust a permis aux centres de formation des apprentis (CFA) et aux universitaires de repenser ensemble la formation sans bouleverser les règles de l’alternance. Ce diplôme de niveau 5, soit bac + 2, permet « d’acquérir les compétences d’un professionnel de santé et d’acter le changement de la profession. Les élèves sont soumis à des contrôles continus et à des partiels. L’oral est privilégié dans les épreuves, notamment pour le commentaire d’ordonnance. Pour autant, les organisations des cours restent au CFA », explique Nicole Pothier, pharmacienne chargée de pédagogie au CFA de Paris. « Cette réforme va permettre aux préparateurs d’exercer un métier d’accompagnement du patient, en étant formés pour cela. Nous pouvons être fiers d’avoir relevé ce défi », se félicite Daniel Burlet, trésorier de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Pour Philippe Denry, vice-président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), « le pari est gagné car nous avons conservé les deux fondamentaux : une vraie alternance et des compétences actualisées attendues par les pharmacies ». Mais attention, met en garde Gael Grimandi, « cette réforme est au milieu du gué ! Au sens strict du droit, le Deust n’a plus de valeur juridique car il a été remplacé par la licence dans le cadre de la réforme LMD de 2002. Il faut donc réfléchir à une licence au plus vite ». Daniel Burlet acquiesce, mais Philippe Denry se montre plus réservé : « Le gouvernement voulait une marche intermédiaire entre le BP et la licence. C’est le Deust. Une licence doit être pensée en termes de tâches métiers. Il faut d’abord définir ce que les préparateurs licenciés feront, pour ensuite déterminer le contenu de la licence. Il ne faut pas que la licence soit une coquille vide ».

Pas touche au grisbi

Et si les motivations du représentant de la FSPF étaient plus financières qu’autre chose ? Pour l’heure, les partenaires sociaux n’ont pas décidé d’une augmentation de la grille pour les futurs titulaires du Deust. « Pour qu’il soit payé plus, il faut que le préparateur apporte un plus à l’officine. Aujourd’hui, le Deust ne fait qu’acter le changement de compétences du préparateur », analyse Philippe Denry. Oui, mais l’absence de valorisation salariale pour des licenciés bac + 3 semblerait, elle, irréaliste. C’est sans doute là que le bât blesse. « Une licence implique de trouver un modèle économique viable pour investir sur des préparateurs bac + 3, qui pourraient avoir une valorisation de 150 € brut par mois. Ce modèle implique de définir de nouvelles tâches qui, pour l’heure, ne le sont pas », précise Philippe Denry. Françoise Brion estime que « les préparateurs assurent déjà des tâches d’un niveau licence ». Pour elle, comme pour Gael Grimandi et Nicole Pothier, il faut achever cette réforme au plus vite pour acter le changement de rôle du préparateur, d’autant plus « qu’en termes de management, il sera difficilement tenable de diviser les préparateurs », souligne Daniel Burlet. Les négociations de ces prochains mois devront clore cette question dans un sens ou un autre.

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troisième cycle pharmaciens

Le diplôme d’études spécialisées officine encore en pourparlers

Second chantier de la formation des pharmaciens, la réforme du troisième cycle. L’objectif est d’uniformiser les trois filières, officine, industrie et internat, en créant un diplôme d’études spécialisées (DES) d’un an pour officine et industrie, contre quatre ans pour les internes. Cela consistera à rallonger le stage de sixième année et à repenser et réécrire le contenu de cette dernière année sans prolonger les études. A priori, tout devrait être prêt pour la rentrée de 2023, avec une meilleure rémunération des stagiaires, la prise en charge de certains frais et un statut de maître de stage universitaire pour mieux accompagner les étudiants. « L’idée est de rapprocher l’université et l’officine, en permettant aux officinaux d’intervenir en cours. Nous souhaitons une véritable professionnalisation des étudiants », détaille Françoise Brion, professeur émérite à l’université Paris V. « Ce stage long doit nous permettre de nous adapter aux nouvelles missions, mais aussi d’être mieux rémunérés pour aller dans des déserts médicaux », ajoute Juliette Marat, vice-présidente de l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anepf), en charge de l’enseignement supérieur. Philippe Denry, de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), estime que « l’État doit mettre la main à poche pour doubler l’indemnité et permettre à tous d’atteindre un équilibre économique ». Daniel Burlet, de l’Union des syndicats des pharmaciens d’officine (USPO), met en garde : « Nous souhaitons collectivement que ces douze mois de stage permettent à l’étudiant de se former à la pratique de terrain. Mais, attention, le maître de stage doit accueillir un stagiaire pour le former et non pas pour permettre à l’équipe de partir en congés ! » Des précisions sont attendues. À suivre… A.-C. N.

Chiffres clés

70 856 préparateurs en poste, apprentis inclus. 91,7 % de femmes.

Âge médian : 37 ans.

statistiques

Le portrait-robot du préparateur est… une préparatrice

L’Association nationale des préparateurs en pharmacie d’officine (Anppo) a sollicité le socio-économiste Stéphane Rapelli pour établir le portrait de la profession de préparateur en pharmacie. L’étude a été présentée à Pharmagora, le 12 mars. Faute d’organisations représentatives, la profession de préparateur dispose de peu de chiffres. Stéphane Rapelli a utilisé les données de l’Insee et celles de la déclaration sociale nominative (DSN) en 2019. Il y a au total 70 856 préparateurs en poste, apprentis inclus, soit 56 % des salariés de la branche officine. 91,7 % sont des femmes. « Ce taux est très important par rapport aux autres branches professionnelles, dans lesquelles les femmes ne représentent que 51 % des salariés », analyse Stéphane Rapelli. Contrairement aux autres branches, 83,4 % des préparateurs sont en contrat à durée indéterminée (CDI). C’est 8 points de plus que la population générale. En revanche, il n’y a que 73,9 % de contrats à temps plein.

Plus inquiétant, la profession est marquée par un turn-over de 15,6 %. Ce taux est calculé en fonction du nombre de salariés entrant et sortant dans la profession. « À partir de 15 %, il y a un seuil d’alerte », analyse le socio-économiste. Le taux de rotation le plus important (33 %) est observé chez les moins de 29 ans. C’est un taux élévé, surtout que les chiffres analysés datent d’avant la crise de la Covid-19. Il est supérieur chez les hommes (22,4 %, contre 14,9 %). « L’une des raisons de ce turn-over pourrait être le salaire médian* ». Il est de 1 833 € net par mois pour un temps plein, soit en dessous du salaire médian français, qui est de 1 940 €. « Le turn-over touchant plutôt les jeunes, il est probable que la réforme des études de préparateur en cours soit une carte à jouer pour le réduire ». Une chose est sûre, il est nécessaire que les syndicats se mobilisent afin de consolider l’attractivité du métier. A.-C. N.

(*) Cela signifie que 50 % des préparateurs gagnent plus et que 50 % gagnent moins.