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Stagiaires en Roumanie

Publié le 1 juin 2003
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Six élèves du CFA d’Angers ont effectué leur stage de mention complémentaire en Roumanie, grâce à Pharmaciens sans Frontières.

L’occasion d’observer les services de soins, mais aussi de s’immerger dans une autre culture. Reportage.

En Roumanie, le printemps arrive plus tôt qu’en France. Le premier mars. Sans doute parce que la population est pressée de chasser le long hiver rigoureux… La neige commence à fondre et personne ne la regrette… Au fil des mois écoulés, à force d’être dégagée des trottoirs, elle forme le long des rues des monticules devenus gris sous les pots d’échappement des automobiles. Les passants les plus âgés portent encore des toques de fourrure et de longs manteaux mais la jeunesse se ballade déjà en veste courte et tête nue… Pour Sandrine et Pauline, débute une troisième semaine à Iasi au cœur de la Moldavie. Et cette journée n’est pas tout à fait comme les autres. Sur la table du salon où est dressé le petit déjeuner, elles trouvent chacune à côté de leur tasse, un pendentif en forme de fleur attaché à deux fils tressés, l’un blanc, l’autre rouge. C’est un « martisor »,un porte-bonheur que l’on offre en Roumanie pour fêter l’arrivée du printemps. Une fois qu’elles sont attablées, Sylvia, la maîtresse de maison leur apporte une coupe en céramique remplie de pommes et de pâtisseries et une tasse assortie contenant du vin puis elle allume un cierge. Sa fille, Raluca, traduit. Les deux jeunes françaises sont priées de lancer du bout des doigts quelques gouttes de vin à terre, puis de manger les présents pendant que le cierge se consume… Cela afin de communier avec les morts. Car ce premier mars, d’après le calendrier orthodoxe, c’est aussi la fête des morts. Enfin la mère leur remet une offrande de la part de ses ancêtres défunts, la tasse pour Pauline, la coupe pour Sandrine.

Une immersion dans une autre culture

Sandrine et Pauline n’ont pas vraiment eu le temps de réaliser ce qui leur arrivait ce matin-là, mais elles ont eu la sensation de partager un moment d’intimité avec les personnes qui les accueillent. Pour elles, l’hébergement chez l’habitant est tout aussi enrichissant que le stage qu’elles effectuent depuis deux semaines à l’hôpital… Les deux apprenties font partie de l’équipée 2003 de la section mention complémentaire d’Angers qui effectue leur stage hospitalier en Roumanie du 13 février au 7 mars… Pour la dixième année, Michel Soulard, pharmacien bénévole à Pharmaciens sans Frontières en est l’organisateur. En proposant un lieu de stage à 4 000 km du Maine-et-Loire, il entend sensibiliser les jeunes apprenties aux conditions de vie d’un pays en voie de développement et les initier à la mission humanitaire. S’il a choisi la Roumanie comme destination, ce n’est pas par hasard. C’est en 1980 à l’occasion d’un voyage familial en voiture vers la Turquie qu’il découvre la Roumanie. C’était la période la plus sinistre de la dictature sous Ceausescu. Le pharmacien tombe amoureux de ce pays, « cet îlot de latinité dans un océan slave », comme il se plaît à le répéter. « Malgré l’interdiction pour la population de fréquenter des étrangers, nous étions assaillis dans la rue non pas pour de la nourriture mais uniquement pour le plaisir de parler français », se rappelle-t-il. Et l’homme s’est passionné tous azimuts pour l’histoire, la littérature ou encore le cinéma roumain. Après la chute du régime totalitaire (décembre 1989), Michel Soulard participe au premier convoi humanitaire de Pharmaciens Sans Frontière vers Bucarest en 1992. Il découvre une ville ravagée dont le cœur historique sur 520 hectares a été rasé par Ceaucescu qui voulait bâtir la capitale la plus moderne d’Europe. À compter de cette date, il passera chaque année un mois en Roumanie. « J’ai rencontré des infirmières qui venaient de passer plusieurs semaines dans un hôpital et l’idée a germé d’en proposer aux élèves du CFA d’Angers où j’enseignais. »

Soutien du CFA et des laboratoires

Finalement c’est l’année de mention complémentaire après le CAP d’employé d’officine qui se prête à ce type d’expérience. En effet, cette formation prévoit un stage de quatre semaines hors pharmacie. « Le lieu de stage doit permettre d’observer une tâche médicale ou paramédicale, ce peut être l’hôpital mais aussi une maison de retraite, un cabinet vétérinaire, un centre médical d’entreprise », explique Jackie Ansmant, responsable de la formation au CFA d’Angers. Mais jusqu’alors il n’était pas prévu de réaliser ce stage à l’étranger. Et la responsable de formation a dû entreprendre des démarches auprès du rectorat pour obtenir une dérogation. « Le CFA m’a toujours soutenu dans mon entreprise, estime Michel Soulard. De plus chaque année, j’ai obtenu des aides financières. En 2003, les laboratoires UPSA, Fournier Urgo, l’OCP, Alliance Santé et le conseil régional de l’Ordre des pharmaciens ont subventionné l’opération. En définitive, les apprenties ont versé une participation symbolique de 75 euros. » Et pour organiser le stage sur le terrain, le pharmacien fait appel à ses connaissances roumaines. Une préparatrice, Christel Nozay, qui a participé au convoi humanitaire va lui prêter main forte. Spontanément elle se porte volontaire pour accompagner la première édition du stage en 1992… Et elle pose même des congés pour cela. La jeune femme renouvelle l’expérience en 1993 et cette année en 2003. « J’ai joué la mère poule, dit-elle en riant. Avec Michel Soulard, nous alternions chaque jour entre les deux lieux de stage, l’hôpital Spiridon et l’hôpital Sfanta Maria. Les soignants nous ont accueillis sans problème, nous autorisant à aller dans les différents services. » Pour son rapport de stage, chaque élève avait pour mission de suivre le dossier d’un patient et d’observer une tâche en particulier : examen, intervention, soin.

Observation et suivi d’un patient

Hôpital Sfanta Maria, service des brûlés, la petite Alina pousse des petits cris de joie à l’arrivée de Anne-Laure… Pendant une demi-heure, elle va gazouiller tout en jouant avec la balle orange que lui tend la stagiaire. En trois semaines, Anne-Laure est devenue une complice… Et pourtant la partie n’était pas gagnée. « La première fois que je suis entrée, elle a eu peur, raconte la stagiaire. En fait, elle avait peur de toutes les personnes qui portaient des blouses blanches tant les soins sont douloureux. Puis, comme je ne venais que pour passer un moment avec elle, tout s’est arrangé. » Car Alina souffre d’une brûlure à 40 % causée par une flamme dans une cuisine. Elle est hospitalisée depuis six mois et a dû subir trois greffes. « J’ai assisté à la dernière intervention, continue Anne Laure. On a prélevé de la peau sur sa jambe droite pour la greffer sur son dos et sa jambe gauche. » Pour Christel, ce stage permet aux jeunes apprenties d’avoir un contact avec des malades et, en cela, il est très bénéfique. « À l’officine, elles sont derrière un comptoir, elles n’ont pas conscience de la douleur et des symptômes du malade et n’ont jamais assisté à un examen, explique-t-elle. Un stage à l’hôpital peut même parfois constitué un choc. » Et Sandrine de confirmer : « Dès le premier jour, le directeur, le Pr Marin Burlea nous a envoyés Marion, Anne-Laure et moi en salle de soins intensifs. Je n’ai pas trop supporté les odeurs et la chaleur. Et nous avons enchaîné avec des interventions au bloc opératoire… »

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Pauvreté et manque de moyens

Au-delà de la découverte de la maladie, qui, somme toute, est universelle, le stage hospitalier à Iasi a ouvert les yeux aux stagiaires sur les conditions de vie. « En France, les patients sont au maximum trois par chambre, en Roumanie, les salons comme on les appelle comptent huit lits et accueillent parfois jusqu’à douze patients. En plus les familles doivent nourrir leurs patients… » Autre aspect de la vie hospitalière qui a choqué les stagiaires : le manque d’hygiène. « N’importe qui peut assister à une intervention chirurgicale sans vêtements stériles », fait remarquer pauline. Si les médecins semblent en nombre suffisant et possèdent souvent les techniques les plus modernes pour réaliser les interventions les plus modernes, la prévention n’est pas encore organisée. Marion a suivi le cas d’un nouveau-né souffrant d’un Spina bifida et elle a découvert que les femmes ne bénéficiaient d’aucun suivi médical obligatoire pendant leur grossesse. Les médicaments manquent cruellement également. La dame âgée que suivait Vanessa ne pesait plus que 35 kg en arrivant à l’hôpital. Après avoir subi une batterie d’examens, on a diagnostiqué un cancer du côlon avec métastases. Finalement, on l’a invitée à rentrer chez elle… Au manque de moyens, sans doute faut-il ajouter le fatalisme propre aux roumains… « Même si les stagiaires sont choquées des conditions de vie en Roumanie, constate Jackie Ansmant du CFA d’Angers, à leur retour en France elles développent une plus grande ouverture d’esprit et sont plus tolérantes. »

Profil

Anne-Laure Guillot

22 ans

Pharmacie Faligaut (Vihiers).

« Ce stage est une formidable occasion pour découvrir une autre culture. »

Pauline Colineau

23 ans

Pharmacie Trousselle (Angers).

« Une collègue a effectué un stage en Roumanie il y a quelques années. Ça m’a donné envie. »

Sandrine Humeau

19 ans

Pharmacie Choblet (Chenillé).

« J’ai saisi l’occasion de voir un autre pays. C’est la première fois que je vais à l’étranger. »

Vanessa Burgevin

19 ans

Pharmacie Pihel (Les Rosiers S/L).

« Je n’avais jamais pris ni le train ni l’avion. Faire à la fois un stage et un voyage, j’ai dit oui. »

Marion Barini

18 ans

Pharmacie Mutualiste (Angers).

« J’ai été séduite par les photos du stage en Roumanie qu’avait effectué une collègue. »

Mathilde Lorendeau

19 ans

Pharmacie Choblet (Chenillé).

« J’ai tout simplement voulu découvrir un autre pays. »