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Sexualité au comptoir
Les officinaux ne sont pas toujours très à l’aise sur les questions sexuelles. Pourquoi, comment, le point sur la difficulté d’aborder l’intime au comptoir.
Sexe, les plaisirs à s’offrir soi-même », « Mon premier orgasme », « Sommes-nous toutes des bisexuelles ? », ou encore « La sodomie en 10 points », tous ces titres de magazines en disent long sur la banalisation du sexe. Pourtant, cet envahissement des médias semble s’être arrêté aux portes de l’officine. Parler de contraception ou de dysfonction érectile relève davantage de l’évasif, du jeu de mime ou de périphrases laissant souvent le patient hagard. L’officine est-elle le dernier bastion de professionnels « coincés » face à une liberté sexuelle affichée et revendiquée. Pas si simple…
Le choc des paroles. Il est illusoire de penser que les magazines – féminins surtout – sont le reflet de la vie sexuelle des Français (voir entretien avec le Dr Brenot). Cette médiatisation profite surtout aux aspects « extraordinaires » de la sexualité, homo et bisexualité, hermaphrodisme ou échangisme. « Les magazines n’abordent pas les règles de base, le b, a, ba de la sexualité parce que cela n’intéresse théoriquement personne », analyse le Dr Marie-Hélène Colson, médecin sexologue. Ne leur jetons pas la pierre, ces magazines ont libéré la parole et accompagnent le droit à une sexualité du plaisir féminin depuis ces trente dernières années. « Le modèle sexuel d’aujourd’hui est une sexualité élaborée où l’on prend le temps de l’orgasme féminin qui met en difficulté la sexualité masculine. L’homme va devoir faire la preuve de son érection plus longtemps. La sexualité féminine est également mise à dure épreuve parce que ce n’est pas facile à tous les coups », remarque le Dr Colson. Autre évolution notable de la décennie écoulée, la médicalisation des troubles sexuels. « Des médicaments comme le Viagra ont grandement facilité l’accès à la parole sur la sexualité », analyse le Dr Colson. Dans les cabinets médicaux, peut-être, mais à l’officine, leur délivrance est digne d’un film de Buster Keaton. Sans paroles.
Là où il y a de la gêne… « Un homme a pris rendez-vous avec la titulaire à qui il a dit : « Je viendrai chez vous chercher mon ordonnance de Viagra, mais je ne veux aucune question lors de mes venues » », raconte Marilyn, préparatrice, 42 ans. Si parfois, la plaisanterie prend le contre-pied de la gêne, cette dernière l’emporte. « C’est normal que les patients – comme les officinaux – soient gênés d’aborder les sujets de la sphère sexuelle parce que cela touche à ce qu’on a de plus intime, de plus secret. Il n’est jamais facile d’admettre un tiers dans sa chambre à coucher », explique le Dr Colson. Si elle peut faire rougir, la gêne côté préparateur a d’autres conséquences plus nuisibles. L’embarras dessert la moindre tentative d’un conseil utile. En omettant le rappel d’un mode d’emploi ou d’une durée d’action par exemple. Ainsi les facilitateurs de l’érection nécessitent une stimulation sexuelle. Point besoin de se jeter d’emblée sur sa compagne, le comprimé à peine avalé par peur de rater l’érection, la durée d’action permet de se faire un resto ou un ciné. L’embarras est même source d’amnésie, certaines brochures informatives pour les patients hypertendus ou diabétiques sur les troubles érectiles sont « oubliées ». « Cette brochure pourrait vexer, justifie Grégory, préparateur, 28 ans, j’aurais l’impression d’empiéter sur son intimité. » Mais, il n’oublie jamais de remettre la brochure sur la prévention du pied diabétique… Alors, pas de brochure, pas de trouble ? Point besoin de devenir un inquisiteur en blouse blanche en demandant d’un oeil salace des détails sur les pratiques amoureuses. Alain Giami, directeur de recherche à l’Inserm à l’unité 822 « Santé sexuelle et reproductive » propose « d’utiliser l’alibi de l’information sur le produit et une information très technique pour identifier les circonstances dans lesquels ce produit est administrable. Autrement dit, savoir dire « ce produit se prend dans telle circonstance, entrez-vous dans ce cas de figure ? » La personne dit oui ou non et n’a pas à vous dire le nombre de partenaires avec qui elle a couché, quand et comment. »
La projection bat son plein. Outre la gêne, l’autre écueil est de se baser sur son expérience personnelle, ses peurs ou sa morale. Ainsi cette préparatrice justifie son mutisme lors de la délivrance de Viagra, Cialis ou Levitra, « ça m’écoeure déjà que les vieux le fassent encore. » En tant que professionnel de santé, on devrait pouvoir mettre ses préjugés dans la poche. Pas si facile en fait. « Contrairement à ce que pensent les professionnels de santé, ils n’incarnent pas la science, mais représentent la morale de leur groupe social et de leur culture. Ils sont soumis autant que les autres aux valeurs dominantes et communément partagées », assène Alain Giami. Une blouse blanche bardée de connaissances n’est pas le gage d’une délivrance exempte de jugement. Le directeur de recherche poursuit, « le problème n’est pas de passer du préjugé moral à la rationalité scientifique, mais de changer de morale, c’est-à-dire accepter que les personnes âgées et les jeunes aient droit à une vie sexuelle. » Cette position morale n’est-elle pas à l’oeuvre lors du refus de délivrance de Norlevo aux plus jeunes ou de la mise en avant de sa dangerosité ? Combien d’officinaux font peser le spectre des représailles en disant du haut de leur blouse sans aucune autre explication : « La prise de Norlevo doit être exceptionnelle, la prendre tout le temps serait dangereux. » Ah bon ? Pour la santé, sûrement pas. En revanche, il est vrai que ce n’est pas un bon moyen de contraception : si une femme a des relations sexuelles régulières et choisit le lévonorgestrel comme méthode contraceptive pendant un an, le risque de grossesse est important, évalué annuellement à 19 %.
De l’intrusion à la protection. Certains officinaux pensent aussi que la connaissance des méthodes contraceptives par les femmes est génétique ! Rien de moins vrai, notamment lors de la délivrance de la pilule du lendemain. Un accompagnement minimum est indispensable pour le bon usage. Sébastien, 40 ans et Caroline, 28 ans, proposent l’adresse du planning familial ou une brochure de bonne utilisation. L’accompagnement de Grégory est plutôt minimal, voire minimaliste : « Je demande si c’est pour elle, puis je lui explique comment la prendre par rapport aux derniers rapports, pas plus. » Heu… Pas de question sur les moyens de contraception habituels, les raisons de la demande, la date des dernières règles et des autres rapports sexuels non protégés… S’il y a eu d’autres rapports non protégés dans la semaine, le stérilet est, dans ce cas, un moyen de contraception d’urgence plus indiqué. « Je ne vais pas jusque-là, cela me semblerait indiscret », estime Grégory qui argumente : « Les femmes, notamment les jeunes, sont apeurées. » Certes, même si « l’officine n’est pas un lieu pour mener un interrogatoire très précis », comme l’estime le Dr Colson, poser des questions justes et justifiées et informer à bon escient en proposant de s’isoler restent professionnels. « Les préjugés ne doivent pas s’exercer au détriment de l’intérêt du patient », surenchérit Alain Giami. Mais l’équilibre est difficile à trouver entre intrusion, information et… protection. « Lorsqu’une fille de 12 ans vient demander la pilule du lendemain, vous posez-vous la question de savoir si elle a été abusée ? », demande judicieusement Alain Giami qui suggère de réfléchir au cas pas cas et se demander à chaque fois : « Jusqu’où s’agit-il d’une intrusion dans la vie des gens et à partir de quand est-ce une protection pour les individus ? »
Quand le comptoir a des oreilles. Si comptoir et blouse blanche sont un gage de professionnalisme pour le public, l’officine est un magasin avec des clients qui font la queue et ne perdent pas une miette de ce qui se dit. Chacun a sa tactique pour contourner l’obstacle, du chuchotement à l’exil en bout de comptoir, voire le bureau du titulaire, « mais là tout le monde remarque qu’il y a un « souci » » relèvent les officinaux. Les réticences sont aussi du côté des clients. « Je n’ai pas envie de parler de ma vie intime à mon pharmacien que je peux croiser chez le boulanger », argumente Muriel, cliente, 35 ans. Pourtant, les questions posées par un officinal n’ont pas de visée inquisitrice, mais ont pour but le bon usage, l’observance, et l’information. L’officine flirte avec l’éducation à la sexualité. Ce que ne souhaitent pas forcément les préparateurs interrogés. « La sexualité doit se parler dans un lieu confiné, pas dans un magasin. Je n’ai pas envie de dire et d’entendre ce qui se passe dans mon corps devant les autres », justifie Marylin. Certes, mais « notre rôle officinal va au-delà du simple usage. Promouvoir par exemple le préservatif dans la lutte contre les infections sexuellement transmissibles », souligne Monique Durand, titulaire, Présidente du Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Lorraine et administrateur au Comité départemental d’Éducation pour la Santé de Meurthe et Moselle. Informer, oui, mais éduquer ? « Il n’y a pas de frontière franche entre éducation et information », remarque Monique Durand qui déplore parfois le manque de supports pour mener à bien son rôle d’information. Informer, oui, mais encore faudrait-il être formé. Il suffit de se pencher sur le nombre d’heures consacrée à la sexologie dans les études médicales, « pratiquement rien », dit le Dr Brenot. Quant à la formation de préparateur en pharmacie, n’en parlons même pas, le clitoris est absent des schémas de l’appareil reproducteur féminin… •
PsychologieComment adopter la « sex attitude »
Porphyre a demandé à Marie-Hélène Colson*, quelques clés sur les mots et attitudes à adopter pour aborder au comptoir les questions de la sexualité avec les clients.
Dépistez les demandes implicites
Les dysfonctions érectiles sont fréquentes ches les patients diabétiques, hypertendus ou psychiatriques.
• Soyez réceptif. Osez des questions du style : « Comment ça va chez vous ? ». Humanisez le discours médical.
• Sachez rebondir. Le patient laisse traîner des mots tels que « Vous ne pensez pas que ce médicament fatigue un peu ? ». Dites : « Que voulez-vous dire par « fatigue un peu » ? » Le patient rétorque : « J’ai lu sur la notice que sexuellement, c’était pas ça. » Et là, ouvrez le dialogue: laissez-le s’exprimer et orientez-le si nécessaire vers un médecin.
Distillez régulièrement des informations
• Toute demande (gel lubrifiant, préservatif…) est une ouverture. Proposez l’information de manière simple et observez la réaction. Réticence ? N’insistez pas. Ouvert ? Donnez des informations supplémentaires sans submerger.
Exemple : un homme demande un gel lubrifiant, dites « Est-ce pour la lubrification du préservatif ou pour votre partenaire ? » Enchaînez avec : « Si c’est pour votre partenaire, sachez qu’il existe des gels spécifiques pour la sècheresse vaginale ».
• Informez toujours : deux ou trois informations à la fois. Lors d’une délivrance de Norlevo, dites « Savez-vous qu’il existe de nombreux moyens de contraception, nous pouvons en parler quand vous le souhaiterez ».
• Ne vous découragez pas. Le repli n’est pas forcément un refus total. Les messages peuvent faire leur chemin dans l’esprit du patient qui posera une question une prochaine fois.
Devenez une source fiable
• Pistez la source fiable. Le pire est de colporter des idées fausses. Sans devenir sexologue, informez vous correctement (voir site, bouquins…).
• Considérez votre rôle d’informateur. De nombreuses personnes n’ont pas d’autres lieux que la pharmacie pour s’informer sur les sujets intimes. À méditer.
• Revenez à « la base ». Beaucoup ignorent le fonctionnement physiologique du corps. Expliquez si demande il y a, la complexité de l’érection et ses troubles dus au stress, l’existence de glandes non hormonodépendantes permettant une lubrification vaginale même après la ménopause, le respect de l’écosystème vaginal, la vulve n’est pas « sale »…
• Battez en brêche les idées fausses. Oui le désir est plus une affaire de partenaire que d’âge biologique, non il n’existe pas de femmes vaginales et d’autres clitoridiennes, oui la sexualité est compliquée et rien ne «s’arrange tout seul»…
• Modérez le discours ambiant. Malgré ce que disent les journaux, il n’est pas obligé de faire l’amour trois fois par semaine ni de jouir pour être « normal ». Évitez de généraliser en voulant imposer un modèle normatif. Seul compte le bien-être.
Mettez de côté vos positions morales
• Oubliez vos opinions personnelles. On n’informe, ni ne soigne selon ses ressentis mais par rapport à ce que l’on a appris. Le professionnalisme consiste à dépasser les aspects personnels pour apporter une réponse à une souffrance précise du patient et pas à la sienne propre.
• Usez des mots du patient. S’il dit « bander », dites « bander », s’il dit « cracher », dites « cracher ». Cela évite de le mettre mal à l’aise ou de rendre vos propos inintelligibles.
• Ne soyez pas « voyeur ». Évitez l’interrogatoire inquisiteur, l’officine n’est pas le lieu pour ça.
* Médecin sexologue, directrice d’enseignement au DIU de Sexologie, Facultés de médecine, Marseille et Montpellier. Auteure de « Réaliser sa sexualité », Éd. Flammarion et de « Sexualité au masculin, l’harmonie retrouvée », collection Le conseil en pharmacie, Éd. Michel Servet.
La sexualité des Français aux rayons X
Après celles de 1970 et de 1992, l’enquête CSF (Comportements sexuels des Français)* témoigne d’une évolution des comportements sexuels avec une diversification de la vie sexuelle féminine :
• Hausse du nombre de partenaires déclarés : 4,4 partenaires versus 1,8 en 1970 et 3,3 en 1992)
• Hausse des rapports homosexuels : 4 % des femmes de 18 à 69 ans déclarent avoir eu des pratique sexuelles avec une personne du même sexe.
• Élargissement du répertoire des pratiques : fellation et cunnilingus ont été expérimentés par plus de 80 % d’entre elles.
• Augmentation de l’activité sexuelle chez les plus de 50 ans dans les 12 derniers mois (près de 9 femmes sur 10).
L’enquête met en exergue un paysage amoureux en pleine mutation avec l’arrivée d’Internet dans les scénari des rencontres sexuelles :
• Plus de 10 % des Français se sont inscrits à des sites de rencontre.
• Certains ont prolongé les
courriels par des ébats avec des partenaires rencontrés via le net : entre 4 à 6 % des femmes de 18 à 34 ans et 7 à 10 % des hommes de 18-39 ans.
Mais, si la sexualité est de plus en plus distinguée de ses enjeux de procréation, elle se conjugue toujours au féminin et au masculin. Les femmes dissocient difficilement les enjeux sexuels des enjeux affectifs. Elles sont moins nombreuses que les hommes à considérer que l’on peut avoir des rapports sexuels avec quelqu’un sans l’aimer.
* Enquête commandée par l’Agence Nationale de Recherche sur le Sida et les hépatites (ANRS) et menée conjointement par l’Inserm et l’Ined auprès de 12 364 femmes et hommes de 18 à 69 ans.
Besoin d’aide ?
Trouver un thérapeute, s’informer, quelques sites… • AIHUS (Association inter hospitalo universitaire de sexologie), 03 20 44 64 83, • SNMS (Syndicat national des médecins sexologues), 01 45 53 85 17, • SFSC (Société française de sexologie clinique), 01 45 72 67 62, • CNGOF (Collège national des gynécologues et obstétriciens français), 01 43 43 01 00, • , information et conseils sur la sexualité, adresses des centres • , brochures (modes d’emploi des préservatifs, sexualité, contraception) • , Fil santé Jeunes,
0800 235 236, 7j/7, de 8 h 00 à 24 h 00 .
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