Métier Réservé aux abonnés

Se spécialiser pour avancer

Publié le 1 février 2003
Par Claire Manicot
Mettre en favori

En pleine incertitude sur l’avenir de la profession, la spécialisation responsabilise les préparateurs et leur permet de s’investir dans la vie économique de l’officine.

C’est comme s’ils avaient leurs propres boutiques, estime Sonia Abecassis, titulaire d’une pharmacie Forum Santé à Corbeil-Essonne (77). Mes préparateurs gèrent leurs rayons de A à Z. Ils établissent les commandes, vérifient les factures, reçoivent les représentants, négocient, organisent les animations. » Ajoutez le sens de l’accueil à leur compétence et le tour est joué. Vous avez des professionnels hors pair. Bien dans leurs baskets, les douze préparateurs de la pharmacie Abecassis, inspirent tellement la sympathie qu’ils vous donneraient vite envie, aussitôt franchi le seuil de l’officine, de leur acheter une brosse à dents à tête ronde, un savon hydratant pour peaux sensibles ou un préservatif lubrifié avec réservoir… Car c’est bien connu, une personne qui sait être à l’écoute du client va lui donner le conseil compétent qui inspire confiance.

Déléguer pour mieux gérer l’officine. Sonia Abecassis a fait le choix de spécialiser ses collaborateurs… « Une personne seule ne peut plus gérer une officine qui compte vingt employés, explique-t-elle. Quand j’ai doublé mon chiffre d’affaire en 2000, il me fallait de façon urgente m’organiser. Je me suis dit, soit je m’associe, soit je donne des responsabilités à mes salariés. J’ai préféré la seconde solution. » Première étape : la pharmacienne recrute en septembre 2000 une préparatrice au top dans le domaine des achats et du merchandising, Nadia Messemene, qui va devenir son véritable bras droit. Tout roule, mais la pharmacienne veut aller plus loin. Deuxième étape, en 2001, avec Nadia, elle concocte une organisation (avec organigramme à l’appui !) qui donne à chacun, préparateur et pharmacien adjoint, une responsabilité précise : diététique, vétérinaire, homéopathie, hygiène et capillaire, douleur, orthopédie… Mais ce sont encore Nadia et elle-même qui s’occupent des achats… En 2002, elle leur cède à chacun une responsabilité totale de leur spécialité. « La clef, c’est passer les commandes, dit-elle. Sinon, ils ne peuvent vraiment s’investir, ils se contentent d’aménager les rayons et de recevoir les caisses de produits et de médicaments. Donner au préparateur une véritable autonomie, c’est l’associer à une politique de développement de l’officine, c’est en faire un véritable partenaire. »

Objectif, devenir performant. Si tous les pharmaciens de France n’ont pas encore adopté cette philosophie du management, la spécialisation du préparateur fait son chemin. Comme dans beaucoup de corps de métier, les préparateurs sont logiquement amenés à acquérir une spécialité pour devenir des professionnels performants. Car en officine comme ailleurs, l’arborescence des connaissances à assimiler est telle que nul ne peut prétendre pouvoir assurer dans tous les domaines. Qui plus est, tous les acteurs de la pharmacie se retrouvent dans la spécialisation. Les préparateurs d’abord, car ils se sentent responsabilisés et ont la possibilité d’évoluer au sein d’une profession qui ne laisse que très peu de débouchés. Les titulaires ensuite, qui peuvent ainsi déléguer et motiver leurs collaborateurs. Enfin les clients, qui viennent aussi et surtout pour demander conseils à des professionnels référents. Les groupements de pharmacie ont d’ailleurs bien compris l’intérêt de la spécialisation et encouragent fortement leurs adhérents à aller dans ce sens. Ils organisent des formations à leur intention. « Les pharmacies qui veulent garder leur équipe et continuer à exister doivent répondre aux attentes des consommateurs. Et pour cela, il faut être compétent. Comme personne ne peut être compétent dans tous les domaines, il est aujourd’hui nécessaire de se spécialiser », fait remarquer Lucien Benattan, pharmacien titulaire et responsable de Pharma Référence. « Le préparateur généraliste est mort, l’avenir est aux préparateurs spécialisés et formés. L’officine qui existera demain sera pluridisciplinaire, avec des hommes et des femmes spécialisés pour chaque rayon », estime de son côté Luis Morales, ancien préparateur devenu directeur général de Plus Pharmacie. Pour autant, il faut prendre en compte la taille de l’ensemble des officines sur le territoire français… « Une spécialisation pure et dure n’a pas de sens dans certaines officines étant donné les effectifs réduits. Les préparateurs doivent rester polyvalents. Pour autant, il est important qu’ils aient accès à des formations pour rester compétents » ajoute Sébastien Natale, responsable de la communication à Forum Santé.

Devenir un professionnel de santé référent. Les préparateurs, sont tout à fait partants pour se spécialiser. Dans certaines officines, la spécialisation tient à la volonté des titulaires. Christelle Schwartz, préparatrice dans la pharmacie du Cygne à Sarreguemines (Moselle), a dû se former en homéopathie à la demande de son titulaire. « Aujourd’hui, je me sens valorisée professionnellement car je suis considérée comme la personne référente en homéopathie. » Vanda Vignocchi, titulaire d’une pharmacie à Ermont (Val d’Oise), a confié à ces six préparateurs une activité spécifique. Deux sont responsables de la phytothérapie, l’aromathérapie et la diététique, un de la cosmétique et des produits vétérinaires, un autre de l’homéopathie, et un préparateur diplômé s’occupe du rayon podologie et orthopédie. Enfin, un préparateur est considéré comme le manager de toute l’équipe, et il est aussi directeur des achats. « Mes préparateurs sont à part entière gestionnaires de leurs rayons. Ils font les achats nécessaires, organisent les animations. Je pars du principe que cette autonomie les responsabilise et les motive », ajoute Vanda Vignocchi. Mais dans la plupart des cas, ce sont souvent les préparateurs qui choisissent de se perfectionner dans tel ou tel domaine. « Je me suis d’abord formée en homéopathie et en phytothérapie. Ensuite, je me suis portée volontaire pour délivrer les ordonnances des clients sous morphine alors naturellement je me suis spécialisée dans le domaine des stupéfiants », explique Valérie Farrugia, préparatrice dans la pharmacie des Fontenelles à Saint-Malo. Jean-Louis Gasquet, préparateur dans la pharmacie des Graves à Bordeaux, a choisi de se spécialiser dans les procédures de télétransmission. « Par goût, je me suis désigné moi-même responsable de la télétransmission. Tout le monde a trouvé que je le faisais bien, et je m’occupe maintenant de la plupart des procédures et l’on fait appel à moi en cas d’erreur ou d’anomalie. »

Publicité

Responsabilisation et motivation vont de pair. Les préparateurs accueillent tous avec satisfaction ces nouvelles responsabilités. « C’est beaucoup plus motivant », souligne Jean-Louis Gasquet. Valérie Farrugia gère par exemple seule son rayon homéopathie, et passe elle-même les commandes. « Je le soigne particulièrement bien, mon rayon. Lorsqu’une nouveauté arrive, je la mets de suite en avant. Je m’investis beaucoup plus en étant ainsi responsabilisée », estime-t-elle. Pour certains collaborateurs de l’officine, la spécialisation permet de sortir de la traditionnelle fonction de préparateur au comptoir. Jonathan Perriault, préparateur à la pharmacie Provost à Creysse en Dordogne, a par exemple eu l’opportunité de devenir le webmaster du site Internet mis en ligne par la pharmacie. Et Jonathan Perriault n’est pas peu fier de son site d’informations, lequel présente aussi bien des articles de fond sur les médicaments ou les pathologies, comme des avis d’alerte sanitaire ou encore des outils interactifs permettant de dialoguer avec les patients. Le site reçoit la visite de 100 à 200 internautes par jour, étudiants, collaborateurs de l’officine et grand public. « En lisant les articles que nous mettons en ligne, en répondant aux questions posées par les internautes, toute l’équipe a été obligée de s’informer et d’accroître considérablement ses connaissances professionnelles », souligne-t-il. Jonathan Perriault se dit être un « préparateur heureux ». Qui plus est, cette spécialisation est également rassurante pour son avenir. « Si demain je devais trouver un autre poste, cette spécialisation serait incontestablement un plus ».

La formation s’impose. Certains préparateurs spécialisés se sont formés « sur le tas ». La plupart ont cependant suivi des formations, dispensés par les laboratoires, les groupements ou dans des instituts spécialisés. « Dès que je reçois une invitation pour une formation, je l’affiche, précise Vanda Viggnochi. À chacun de téléphoner et de s’organiser pour suivre la formation. Les salariés sont rémunérés pendant leur temps de formation ou ils récupèrent ensuite ». De son côté, Sonia Abecassis estime que la formation continue est obligatoire. « Lorsqu’un de mes collaborateurs se rend à une session, je lui demande de faire un compte-rendu devant ses collègues. Ainsi, tout le monde accroît ses connaissances et ses compétences », déclare-t-elle. Pour Gérard Magnaudeix, titulaire de la pharmacie populaire à Montpellier, la formation, est un gage de confiance en ses collaborateurs. « Une de mes préparatrices spécialisée en homéopathie a carte blanche pour organiser son rayon ». Mais pour lui, spécialisation ne veut pas dire activité unique. « Nous ne sommes pas en effectif suffisant. »

Quel salaire pour quelle responsabilité ? Les préparateurs spécialisés ont souvent une compensation financière, même si beaucoup préfèrent ne pas donner de chiffre, afin de ne pas créer des tensions à l’intérieur de l’équipe. Pour remercier ses collaborateurs, Sonia Abecassis a versé fin 2002 une prime qui tient compte d’un ensemble de critères : assiduité, présentation, disponibilité et aussi l’augmentation du chiffre d’affaire du rayon rapportée à l’augmentation du chiffre d’affaire globale de la pharmacie. « Les ventes de certains de mes rayons ont explosé. La dermocosmétique a augmenté de 34 %, la diététique de 21 % et les huiles essentielles de 60 %, se réjouit Sonia Abecassis. Pour l’instant, les préparateurs suivent l’évolution des ventes par le nombre d’unités vendues. Plus tard, dès qu’ils maîtriseront mieux ces chiffres, nous parlerons d’évolution en marge. » La motivation de l’équipe se traduit par son dynamisme commercial. « Des clients font des kilomètres pour venir dans notre pharmacie. J’ai actuellement près de 300 000 familles dans mon ordinateur », ajoute-t-elle. Mais tous les titulaires n’ont pas la même approche. » La réticence de certains provient essentiellement du fait que les pharmaciens ont du mal à laisser partir leurs collaborateurs en formation pour acquérir une spécialité. Il faut en effet des équipes importantes pour se permettre cela. Or, les pharmaciens ont de plus en plus de mal à trouver des assistants et des préparateurs », précise Lucien Benattan de Pharma Référence. Quoi qu’il en soit, les titulaires qui ont responsabilisé leurs collaborateurs ne semblent avoir aucun problème de recrutement. À la pharmacie Abecassis, c’est même le monde à l’envers en ces temps de pénurie. Il y a une file d’attente de candidats.

Content

« J’ai un contact privilégié avec les clients »

« Ma titulaire m’a confié la gestion du rayon diététique minceur et j’ai suivi une formation de trois jours dispensée par le groupement Forum Santé. Je conseille ainsi les clientes qui veulent suivre un régime hyperprotéiné. Je les reçois à leurs demandes en rendez-vous privés dans une petite pièce de l’officine, spécialement aménagée pour l’occasion. Ces conseils spécialisés représentent une part importante de mon activité. L’été, il m’arrive d’avoir trois rendez-vous par jour. Je reçois les clients près d’une heure lors du premier rendez-vous, puis environ une demi-heure tous les quinze jours. Mon objectif est d’accompagner les clients du début à la fin de leur régime, tout en veillant à leur santé. Car on ne peut pas faire n’importe quoi avec les hyperprotéinés, il existe des contre-indications. Ce ne sont pas des produits nocifs, mais il faut savoir les utiliser correctement. J’adore ce que je fais. Le conseil spécialisé m’a permis de me perfectionner professionnellement, et j’ai un contact privilégié avec les clients ».

Aurore Robert Préparatrice, Pharmacie Abecassis (77)

Pas content

« Mon métier de préparatrice n’a pas évolué à l’officine »

» Ma première expérience professionnelle dans une pharmacie d’un petit village girondin a été extraordinaire, la pharmacienne titulaire était très respectueuse. Mais j’ai du venir habiter à Marseille, et là, je suis tombée sur un pharmacien hystérique. Il ne nous donnait aucune responsabilité, ses collaborateurs se sentaient diminués. À l’officine, j’étouffais, j’avais l’impression de tourner en rond avec la même clientèle tous les jours. J’avais besoin de relever un nouveau challenge. J’ai alors décidé de changer, et j’ai accepté un poste au sein des laboratoires Distri B3. J’ai été embauchée au départ pour effectuer des pesées et passer des commandes, puis je suis montée en grade. Aujourd’hui, je suis responsable du secteur Ventes officines et je dirige une équipe de quatre personnes. Je ne suis pas encore cadre. C’est le même problème qu’à l’officine, j’ai des responsabilités, mais le statut ne suit pas. Cependant, je n’ai pas à me plaindre question salaire, qui est le double d’un salaire d’un préparateur en officine. »

Laurence Delguel Préparatrice, responsable du secteur Ventes officines, laboratoires Distri B3.

Expérience

De la spécialisation à la gérance d’une société

Jean-Claude Carrié, aujourd’hui âgé de 55 ans, a été préparateur pendant une trentaine d’années. Il n’a d’ailleurs pas vraiment choisi de quitter cette profession qu’il adore, mais il a simplement accepté d’occuper le poste de gérance de la société ACM, basée à Bègles (Gironde), que lui a proposé un pharmacien. Spécialisé dans le matériel médical depuis plusieurs années au sein de la pharmacie de Jean-Paul Akbaraly, à Talence dans la banlieue de Bordeaux, Jean-Claude Carrié a d’abord accepté un mi-temps sur la pharmacie et la société ACM qui commercialise du matériel médical. Celle-ci a été créée avec les capitaux de la pharmacie Akbaraly. Avec l’essor d’ACM, Jean-Paul Carrié passe à temps plein pour la société en 1997. Il en est le gérant, et est salarié d’ACM. « Je ne regrette pas d’avoir accepté ce poste. Aujourd’hui, je suis responsable d’un magasin, de mes achats, de mes ventes, et c’est très valorisant pour moi-même », explique-t-il. Au sein de la pharmacie dans laquelle il exerçait, il avait déjà un certain nombre de responsabilités et était assimilé cadre. Au niveau salaire, il n’a cependant pas beaucoup évolué depuis son dernier poste à l’officine en tant que responsable du rayon matériel médical. « Je ne tire pas d’avantages en terme de salaire pour un surcroît de travail », regrette-t-il. « Car je suis bien loin des 35 heures, et je ne compte même plus mes heures ». La société ACM est ouverte tous les jours de 9 h 00 à 12 h 00 et de 14 h 30 à 19 h 00, exceptés le lundi matin et le samedi après-midi. Jean-Claude Carrié, qui s’occupe aussi de la gestion, des achats et des ventes, de la facturation avec les caisses, est seul derrière son comptoir pendant les heures d’ouverture. « Le travail en équipe me manque un peu parfois. D’un autre côté, mes tâches sont très diversifiées. Et c’est aussi un challenge personnel que j’ai relevé en montrant que je pouvais m’occuper seul d’ACM », précise-t-il. Pour seconder Jean-Claude Carrié, l’actionnaire de la société a accepté d’embaucher une secrétaire et un livreur à mi-temps. Le pharmacien a aussi proposé à Jean-Claude Carrié de devenir actionnaire d’ACM, mais celui-ci n’a pas encore pris sa décision. « M’occuper de la gérance d’ACM est plus un défi qu’une promotion. Et cela demande beaucoup de motivation, notamment en terme de formation personnelle. Je me suis certes épanoui à l’officine, mais je trouve dans mon travail actuel une nouvelle ouverture professionnelle. »