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Refaire surface

Publié le 1 septembre 2020
Par Yves Rivoal
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Les pharmacies de centre commercial ont été parmi les plus affectées par les 55 jours de confinement. Au point de remettre en question leur modèle ? Nous avons demandé à six titulaires de faire un point sur la reprise d’activité post-confinement et si cette crise allait les inciter à faire évoluer leur positionnement ou pas…

Après avoir souffert à des degrés divers pendant la pandémie (voir encadré p. 34), les pharmacies de centre commercial n’entrevoyaient toujours pas le bout du tunnel deux mois après le début du déconfinement. Parmi les titulaires que nous avons sollicités pour cette enquête, Catherine Acomat était la seule à observer un retour à la normale en mai et en juin « Nous avons rapidement retrouvé nos 300 clients jour, se félicite cette pharmacienne qui dirige la pharmacie Leader Santé, à Saint-Clair-du-Rhône (38), tout en reconnaissant ne pas être représentative des pharmacies de centre commercial. « Même si je suis installée dans la galerie d’un supermarché Leclerc, nous restons une pharmacie de village orientée coeur de métier puisque 75 % de notre C.A est réalisé sur l’ordonnance. Ce retour à la normale rapide tient aussi au fait que nous avons fait passer la surface de vente de la pharmacie de 50 m2 à 250 m2 il y a un an et demi, et que la parapharmacie, qui était déjà en progression de 20 % avant le confinement, a bien redémarré. »

UN RETOUR À LA NORMALE ATTENDU À LA RENTRÉE

Dans toutes les autres officines, le constat est beaucoup plus morose. « Après le 11 mai, nous avons d’abord enregistré un sursaut. J’ai même cru que nous avions retrouvé nos 800 clients/jour, car le mois de mai est ressorti en progression par rapport à celui de l’année dernière », confie Laurence Charton, co-titulaire avec Romain Bérenguer de la pharmacie installée dans le centre commercial Leclerc Saint-Isidore à Nice (06). Le souci, c’est que cette embellie n’a pas duré. « En juin, les flux ont à nouveau baissé au même niveau que pendant le confinement, et nous avons terminé le mois avec une nouvelle baisse de près de 15 % de l’activité », souligne cette pharmacienne Pharmabest qui avance plusieurs raisons à cette rechute. « L’activité médicale n’ayant pas encore repris son cours, nous n’avons pas retrouvé notre flux habituel d’ordonnances. De plus, nous n’avons pas eu cette année les touristes du mois de juin. J’ai aussi l’impression que la consommation est devenue très erratique. Certaines journées, nous faisons 600 clients jour et d’autres 750. Du coup, nous sommes obligés de nous adapter au jour le jour pour gérer les stocks et les plannings. » Dans sa pharmacie installée dans la galerie marchande du centre commercial Flandre Littoral à Grande-Synthe (59), Pierre Vuillermet observe, lui aussi, un retour très progressif de ses clients. « Jusqu’au 10 juin, nous étions encore à – 30 % en semaine et à – 50 % le samedi. Cela va un peu mieux depuis le 10 juin, avec l’ouverture des frontières avec la Belgique, mais l’activité le samedi reste à des niveaux inquiétants puisque nous sommes toujours à – 40 % », confie le titulaire. Tous les pharmaciens que nous avons sollicités espèrent un retour à la normale d’ici le mois de septembre. Et lorsqu’on leur demande si cette crise sanitaire va les pousser à faire évoluer leur modèle, ou pas, les réponses varient en fonction du positionnement.

UN AVANT ET UN APRÈS COVID-19

Les pharmacies qui ont choisi de privilégier le coeur de métier ont vu leur stratégie validée par la crise sanitaire. C’est le cas, par exemple, de François Loucq, titulaire de la Grande Pharmacie du Pont à Pont-de-Beauvoisin (38). « Il y a quatre ans, quand ma femme et moi avons repris cette officine, située dans un centre commercial hyper U, l’ordonnance représentait moins de 55 %. Aujourd’hui, nous sommes à plus de 60 %, assure ce pharmacien Hello Pharmacie, qui a perdu 10 % de son C.A et 20 % de sa fréquentation pendant le confinement. Car même si nous avons maintenu une activité de parapharmacie forte, nous avons développé en priorité le conseil, la formation des équipes et les animations de santé publique proposées par notre groupement. C’est sur ces éléments là que je parviendrai à me différencier, plus que sur la para également présente en grandes surfaces ou sur Amazon. » Titulaire de la Pharmacie Grand Val à Orvault (44), Catherine Deuil ne regrette pas d’avoir emprunté le même chemin. « Depuis mon arrivée au sein du groupement Les Pharmaciens Associés il y a deux ans, j’ai décidé de me recentrer sur le conseil et la nutrition, et de laisser un peu tomber la para et la beauté, explique cette pharmacienne qui a vu sa fréquentation baisser de 30 % et son C.A de 22 % pendant le confinement. L’objectif étant de maintenir l’ordonnance à 60 % et de basculer les 40 % de la para sur ces nouveaux segments. Du coup, les clients entreront dans ma pharmacie pour autre chose que du prix… » De son côté, Laurence Charton a d’ores et déjà fait évoluer son mode d’exercice car, pour elle, il y aura un avant et un après Covid. « J’ai l’impression qu’avec cette crise sanitaire, les clients se recentrent sur leurs besoins primaires, comme la santé. » La beauté et la cosmétique n’en faisant pas partie, elle envisage, à son tour, de diminuer le nombre de rayons qui leur sont consacrés pour les remplacer par la dermatologie, l’aromathérapie et les compléments alimentaires. « C’est en réassurant nos patients et en renforçant notre compétence métier que je compte limiter la fuite des clients vers les parapharmacies des grandes surfaces qui vendent, elles aussi, des marques leaders comme Avène ou La Roche-Posay », souligne Laurence Charton, qui envisage également d’accroître le nombre d’ entretiens pharmaceutiques et à la vaccination. Mais pas question, pour elle, de toucher à la répartition entre le médicament et la parapharmacie qui représentent chacun 50 % de son C.A : « Quand le médicament baisse, c’est la para qui compense, et inversement… ».

UN BUSINESS MODEL À REPENSER

Titulaire de la pharmacie du Val d’Auron à Bourges (18) et président d’honneur d’Alphega Pharmacie, Philippe Pasdeloup ne compte pas, lui, remettre en question ses dix descentes dédiées à la dermocosmétique. « Je suis persuadé que l’on peut développer le cœur de métier, et en même temps investir dans la commercialité, en essayant de dynamiser le point de vente avec des outils modernes comme la carte de fidélité. Tout cela n’est pas antinomique. » De son côté, Pierre Vuillermet estime qu’il y aura demain, comme hier, de la place pour un modèle de pharmacie positionnée sur les flux et les prix. « Le critère économique va rester un marqueur important », assure-t-il. Pas question donc de prendre des décisions hâtives. Mais, il s’interroge sur son modèle de rentabilité : « Aujourd’hui, les grandes pharmacies de flux comme la mienne vivent sur une marge en grande partie liée à la RFA et à une promesse de croissance. Or, cette année, il n’y aura pas de progression. Et pour les exercices à venir, nous devrons tabler sur des croissances contenues. Il nous faudra donc peut-être basculer d’un modèle où la RFA ne sera plus connectée à des volumes, vers un système basé sur l’exploitation des flux et des parts de marché. Ce qui pourrait aussi m’amener à revoir mon assortiment. Une gamme avec une RFA respectable, mais peu différenciante, et rentable uniquement grâce à la croissance, enrichit le plus souvent le laboratoire et pas forcément mon officine. »

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VERS UNE TRANSFORMATION DIGITALE

Comme la plupart de ses confrères, Philippe Pasdeloup s’interroge aussi sur la modification des comportements induite par l’essor du digital. « Les modes de consommation dans les grands centres commerciaux et dans les commerces de centre-ville sont en train de changer avec l’e-commerce, le clic & collect ou le drive. Toute la question est de savoir si cette tendance se confirmera dans le temps. Pour ma part, j’ai le sentiment que nous ne reviendrons pas en arrière », confie le pharmacien qui vient d’adopter l’application Alphega Pharmacie pour proposer du scan d’ordonnances, du click & collect et de la livraison à domicile. Laurence Charton s’apprête, elle, à investir dans un site e-commerce où les patients pourront acheter et se faire livrer de la parapharmacie et des médicaments. « Pendant le confinement, les pharmacies en ligne ont vu leur C.A exploser. Je me dois de réagir pour ne pas prendre le risque de voir partir une frange de ma clientèle », explique la titulaire.

PLUS DE NATUREL ET DE LOCAL

Lorsqu’on les interroge cette fois sur le danger encouru par le retour au commerce de proximité observé pendant le confinement, les titulaires continuent de croire à la pérennité des centres commerciaux. « Si le comportement du consommateur est effectivement en train de changer, celui-ci reste attaché à la notion de choix et de praticité qui constituent, avec le prix, l’ADN des centres commerciaux et de nos pharmacies, rappelle Pierre Vuillermet. Et ces trois ingrédients suffisent amplement à alimenter notre modèle. » Mais pour lui, les centres commerciaux seraient toutefois bien inspirés de reprendre les codes du commerce de proximité. « Dans mes rêves les plus fous, j’imagine que le centre commercial organise sur le parking un marché hebdomadaire avec des producteurs locaux. » « On le voit depuis quelques années dans l’alimentation, tout ce qui est naturel, bio, écologique ou made in France se développe. Ce phénomène n’épargnera pas la pharmacie. Il va donc falloir faire évoluer nos référencements en dermocosmétique, en nous appuyant sur les laboratoires qui sont en train d’intégrer ces évolutions », renchérit Philippe Pasdeloup. Laurence Charton est, elle, convaincue que ce « consommer mieux » se doublera d’un « consommer moins ». « Notre société d’hyper consommation a probablement vécu et nous sommes arrivés au bout de cette logique, souligne la titulaire. Demain, une femme préférera acheter une seule crème qui lui corresponde vraiment, plutôt que deux comme elle le faisait auparavant. » Toutes ces évolutions n’inquiètent toutefois pas Catherine Acomat. “En Isère, nous avons la chance d’avoir des laboratoires qui misent sur le local et la naturalité. Je les ai déjà intégrés pour répondre au mieux aux attentes des consommatrices”. Elle se montre même résolument optimiste. « Cette pandémie pourrait générer de nouvelles opportunités. Elle a rappelé à tout le monde que la pharmacie était un lieu de santé de proximité irremplaçable. J’espère que cela donnera des idées à nos instances, et que l’on nous confiera demain encore plus de responsabilités. L’autorisation accordée aux pharmacies de pratiquer des Trod Covid-19 constitue une première décision qui va dans le bon sens », conclut la titulaire.

infos clés

1 Les pharmacies de centre commercial situées loin des zones d’habitations, et qui réalisent l’essentiel de leur activité sur la parapharmacie, sont celles qui ont le plus souffert de la crise sanitaire. 2 Deux mois après la fin du confinement, la quasi totalité des titulaires sollicités n’avaient toujours pas retrouvé leur fréquentation et leur C.A habituel. Et ils ne prévoyaient pas de retour à la normale avant la rentrée. 3 S’ils continuent de croire à la pérennité du modèle des pharmacies de centre commercial, certains titulaires envisagent de renforcer leur expertise métier et de s’investir davantage dans les entretiens pharmaceutiques, la vaccination ou les tests.

En plus

Pas tous logés à la même enseigne…

Installé dans la galerie marchande du centre commercial Flandre Littoral à Grande-Synthe (59), un peu au milieu de nulle part, au croisement de deux axes autoroutiers, Pierre Vuillermet a perdu pendant le confinement entre 40 et 50 % de son C.A. « C’est simple, nous sommes passés de 500 clients jour à 250 en semaine et de 1 000 à 200 le samedi », se souvient le titulaire. Cet exemple confirme que les pharmacies de centre commercial implantées loin des zones d’habitations, et qui réalisent l’essentiel de leur C.A sur la parapharmacie, sont celles qui ont le plus souffert de la crise sanitaire. « Et pour celles qui n’avaient pas de structure alimentaire dans leur galerie, cela a été encore pire avec des baisses de fréquentation pouvant aller jusqu’à 70 ou 80 % », ajoute Alain Styl, le directeur général de Pharmabest, où la moitié des 93 adhérents évoluent en centre commercial. A l’inverse, dans les centres commerciaux situés à proximité de quartiers résidentiels, les officines affichant une part prépondérante d’ordonnances ont réussi à limiter la casse avec des baisses d’activité oscillant entre 10 % et 20 %. Philippe Pasdeloup, titulaire de la pharmacie du Val d’Auron à Bourges, a même fait mieux que ça. « Le supermarché Auchan dans lequel je suis installé est situé dans une zone d’habitation, à quatre minutes du centre-ville. Et comme la galerie commerciale est composée essentiellement de magasins de bouche, 70 % des commerçants sont restés ouverts. » Le confinement s’est donc traduit par une diminution du C.A limitée à 5 %.

La baisse d’activité des médecins a pesé sur le C.A des officines

Pendant le confinement, les ventes de médicaments remboursables ont fléchi, pour se stabiliser entre – 10 % et – 20 %, selon les chiffres du Gers (le Groupement des Entreprises pharmaceutiques). Un phénomène en corrélation directe avec le ralentissement de l’activité des médecins (le nombre de consultations s’est réduit de 23 % entre le 13 avril et le 11 mai), ce qui a fortement impacté les grosses officines dans les centres commerciaux, les gares…, plus encore que les pharmacies de proximité.