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Recherche manager désespérément

Publié le 1 juin 2010
Par Nathalie Da Cruz
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Petites et grandes, les pharmacies sont des entreprises qui ont besoin de managers. Les titulaires sont encore loin du compte…

J’ai travaillé dans une pharmacie près de Toulouse. Nous étions quatre, deux titulaires et deux préparateurs. Les deux titulaires ne s’entendaient pas du tout. Chacun des deux préparateurs avait choisi un camp opposé. Bref, nous étions deux contre deux. J’ai fini par quitter cette officine. Par la suite, j’ai appris qu’elle marchait très mal. La clientèle ressentait cette tension et préférait aller voir ailleurs. » Sylviane est une préparatrice expérimentée. Elle a roulé sa bosse dans une dizaine d’officines. Anecdote parmi tant d’autres, son récit illustre l’importance de mettre en place un bon esprit d’équipe dans une pharmacie. Pour avancer, l’officine a besoin d’un chef, d’un véritable manager. Il est encore rare à l’officine.

Management oui, mais encore… « Le management est un ensemble de techniques d’organisation des ressources hommes et produits pour faire fonctionner l’entité entreprise afin d’obtenir une performance satisfaisante » explique Marc Montaldier, directeur associé de Management Academy (voir encadré p. 17). Loin de l’organisation mécanique productiviste du Taylorisme de la fin du XIXe siècle, le management de ces quarante dernières années fait la part belle à la motivation humaine. « Le terme manager vient de l’italien maneggiare de contrôler, avoir en main, du latin manus, auquel se rajoute la notion de « ménager » du XVe siècle en France, consistant à gérer les ressources humaines et financières de la maisonnée » poursuit Marc Montaldier. Un manager est le dirigeant d’une entreprise. Il veille à la bonne marche économique mais aussi à l’organisation du travail, les deux étant indissociablement liées. Le bon fonctionnement d’une équipe, la coordination des tâches mais aussi des humeurs de chacun lui incombent. Le manager est une sorte d’entraîneur sportif qui s’assure de la bonne cohésion entre les joueurs. Dans les officines, le manager est le plus souvent le – ou les – titulaire qui détient le capital et recrute le personnel. Porphyre a décidé de sonder les préparateurs afin de savoir si les titulaires sont de bons managers.

Absent, aveugle et sourd. Les résultats sont éloquents. Près de 70 % des préparateurs sondés (voir p. 15) estiment que leur titulaire n’est pas un bon manager ! Pour 30 % d’entre eux, sa devise est « Diviser pour mieux régner », incompatible avec l’esprit d’équipe. « Ma titulaire actuelle est un peu parano, toujours sur la défensive. Par conséquent les membres de l’équipe sont aussi sur la défensive, et l’ambiance a tôt fait de dégénérer » poursuit Sylviane, la préparatrice toulousaine. Il est clair que la communication, un des dix points clé du management (voir p. 15), est un maillon faible officinal. Mauvaise, elle peut aussi être toxique. Dominique, préparatrice dans une officine près de Lyon, supporte mal les « parasitages » de son titulaire : « Alors que je suis en train d’expliquer quelque chose au comptoir à un client, il s’immisce dans la conversation. Parfois, il me coupe la parole pour mettre son grain de sel. » À mauvais escient, trop de parole peut révéler un manque de confiance du titulaire avec pour conséquence une délégation au compte-gouttes. Claire, pharmacienne adjointe à Paris, estime que « rares sont les titulaires qui se mettent au niveau des membres de l’équipe et qui les laissent prendre des initiatives ». Encore faut-il que le titulaire soit présent et assume son rôle de chef d’orchestre.Préparatrice dans le Sud-Est, Catherine garde un souvenir amer de son apprentissage : « Le titulaire n’était pas souvent là et deux préparatrices avaient pris le pouvoir. Chaque fois que je faisais une erreur, elles marquaient une croix sur un cahier, me menaçant d’en parler au titulaire au bout de cinq croix… C’était l’enfer ! »

Portrait-robot du manager idéal. À la question « qu’est-ce qu’un bon manager ? », plusieurs constantes émergent parmi les préparateurs interrogés. Tout d’abord, une répartition des tâches claire. Pour Francis, préparateur en Haute-Savoie, « chaque poste doit être clairement défini, de préférence par écrit. La place de chacun doit être admise et reconnue par tous, sans contestation possible ». Autre revendication des employés, des responsabilités et une délégation de missions. Rien n’est plus démotivant que d’effectuer des tâches répétitives, sans pouvoir prendre d’initiatives de temps à autre. « Délégation et motivation sont liées » explique Marc Montaldier « un employé a besoin avant tout de reconnaissance. Parmi les facteurs de motivation sont retrouvées l’envie d’être impliqué dans la résolution des problème, l’opportunité de réussir sa vie professionnelle et d’être promu. Les employés souhaitent que leur travail soit reconnu s’il est bien fait et veulent être évalués par rapport aux autres et par rapport à leurs capacités et à leur place dans l’entreprise. Ils souhaitent aussi du respect. C’est lorsque vous déclenchez tout ça chez eux que vous les managez. » Ces témoignages recoupent les résultats du sondage Porphyre. Les préparateurs estiment être bien managés lorsque la délégation de tâches est intéressante et la répartition du travail satisfaisante (58 %). Sont également plébiscitées une écoute de qualité (55 % des cas) et une motivation transmise à l’équipe, via un enthousiasme et des projets (44 %). « C’est en les faisant participer et voter lors des nouveaux projets que l’on a le plus de richesse d’idée et le plus de reconnaissance pour chacun qui aura mis sa pierre » surenchérit Marc Montaldier. Sans oublier la reconnaissance sonnante et trébuchante. « Être reconnu passe aussi par de petites primes de temps en temps », estime Mathieu, préparateur à la pharmacie de la Gâtine (Parthenay).

À la décharge des titulaires. Le grand fossé entre les désirs des préparateurs et la réalité a pour origine semble-t-il la formation de leur titulaire. « Le pharmacien a le sentiment d’avoir fait de tels efforts dans ses études que le management ne lui vient pas à l’esprit » suggère Marc Montaldier, un expert, qu’il soit ingénieur, médecin ou pharmacien, n’imagine pas avoir besoin de management. » Ce que reconnaît François Roosen, titulaire à Pamiers (Ariège) : « À la fac, j’ai été très bien formé au médicament. Je pensais que cela suffisait pour être un bon pharmacien. Or, avec vingt ans de recul, je me rends compte que ce n’est pas du tout le cas ! » Même si le management fait timidement son entrée dans les facs, le terme était inconnu de la plupart des anciens installés. « En six ans d’études, j’ai eu douze heures de gestion et absolument aucun cours sur le management ! » déplore Claire, pharmacienne adjointe à Paris. Démunis, les titulaires se débrouillent comme ils peuvent. Ils tâtonnent, jouent au petit bonheur la chance, tentant différents schémas de management. Pour Francis, préparateur, « il y a deux types de titulaires : ceux qui mettent en place une organisation classique, avec une hiérarchie et des missions définies. Et ceux qui n’organisent pas. Le titulaire est le soleil autour duquel gravitent les employés comme des satellites tous identiques. C’est un schéma déroutant pour l’équipe ». Pour Jean-Paul Sécheresse, consultant (voir p. 19), il existe différents profils de managers : « le titulaire froid, distant et autoritaire ; le titulaire paternaliste, qui veut se faire aimer de son équipe ; ou encore celui qui préfère faire la politique de l’autruche et ignorer les tensions au sein de son équipe. » Cette politique est aujourd’hui complètement désuète, voire dangereuse, au moment où l’économie officinale tremble sur ses bases.

Un management ad hoc pour croix vertes. La conjoncture économique impose plus que jamais un management précis. « Pendant longtemps, le secteur générait des marges généreuses. Aujourd’hui, la donne a changé, il faut développer la parapharmacie et l’OTC », indique Bernard Soccodato, co-gérant de Socco Consult, consultant et formateur. « L’ouverture des marchés, le potentiel de réflexion des gens mieux informés sur les médicaments et la santé grâce aux medias, remettent en cause le statut du pharmacien qui doit se battre avec les mêmes armes que les autres entreprises autour de lui. Le management prend alors toute sa nécessité » avertit Marc Montaldier. Sans oublier les spécificités de l’entreprise « officine » tels les horaires à rallonge et une superficie de travail limitée. Difficile de faire une pause et de se débarrasser des éventuelles tensions. « Nous sommes presque les uns sur les autres ! » commente Sylviane, préparatrice à Toulouse. Mieux vaut travailler dans un cadre organisé et serein. Enfin, les officines grandissent d’année en année (voir p. 15). Une équipe composée de vingt personnes requiert une organisation au cordeau. « Nous recevons en moyenne 800 clients par jour. Chez nous, ça turbine au comptoir ! Chaque personne de l’équipe est indispensable pour une bonne réactivité. Les différents maillons de la chaîne doivent travailler de concert » témoigne Vanessa Boulier, préparatrice dans une pharmacie de centre commercial à Rouen. Plus qu’une mode, le management devient alors une nécessité pour les titulaires. Ici et là, nombre d’entre eux se lancent dans des sessions de formation continue dédiées au management.

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L’inné et l’acquis du management. Titulaire à Pamiers depuis 1987, François Roosen, 50 ans, a vite ressenti le besoin de se former. « Ce qui m’intéresse, c’est d’acquérir des outils pour améliorer les relations humaines. Actuellement, je suis une formation Manager leader avec le centre de gestion agréé (CGA) de Midi-Pyrénées. Toutes les formations m’ont permis d’instaurer des règles de gestion de groupe : la libre verbalisation (parler « vrai à la personne », en disant la vérité et en s’adressant à la bonne personne), la non violence ou le respect des autres. » Jean-Paul Sécheresse, consultant, insiste sur l’importance du « management participatif » (voir p. 19). Même écho chez Socco Consult dont la méthode consiste, en premier lieu, à obtenir l’adhésion de l’équipe aux objectifs de l’entreprise. « Au début, nous recevons chaque salarié individuellement et nous faisons un audit, détaille Bernard Soccodato. Lors des réunions, nous faisons émerger ce qui pose problème : le stock, le comptoir, le manque de conseil associé à l’ordonnance… À chaque fois, nous faisons accoucher la solution par l’équipe. » Se former est utile mais pas forcément nécessaire. « Certains titulaires ont naturellement le sens de l’enthousiasme et savent injecter un bon esprit d’équipe. D’autres y parviennent après avoir réfléchi sur leur attitude » estime Jean-paul Sècheresse. Non formés au management, Isabelle et Pierre Bournier titulaires à Parthenay, interrogent régulièrement leurs pratiques. Leurs orientations portent leurs fruits puisque l’équipe est stable et semble se sentir bien. « Mes deux titulaires étaient froids et pas reconnaissants, relate Pierre. Une fois patron, j’ai décidé de prendre le contre-pied de cette attitude et de donner des marques de reconnaissance à mon équipe : des primes, mais aussi un petit mot chaleureux quand une vitrine est bien faite, par exemple. » Isabelle, son épouse, est soucieuse de favoriser la prise d’initiatives : « À mon arrivée il y a deux ans, deux préparatrices m’ont demandé de modifier la disposition des gammes. Je leur ai fait confiance sans vérifier le travail derrière elles. » Pour Michel Bord, titulaire à Montfort-en-Chalosse (Landes) depuis vingt-cinq ans, une formation n’est pas indispensable, notamment dans les petites équipes : « Les conditions d’un management efficace, c’est un peu de bon sens des deux côtés, patrons et salariés, de l’expérience, et de la communication. Il faut se dire les choses, percer les abcès sans tarder. » Formation ou pas, bon sens perdu ou retrouvé, l’art de manager s’apprend même chez les doués du management. Que le titulaire soit dans ses tubes à essai ou charismatique en diable, une méthodologie permet toujours de faire le point, ne serait-ce que pour taire les mauvaises habitudes. À charge aussi aux employés de se laisser manager…

Titulaires en chiffres

38 % des pharmaciens choisissent de devenir titulaires.

54 % des titulaires sont des femmes.

Plus de 65 % des pharmaciens inscrits à l’Ordre sont des pharmaciennes.

En 2008, 21,2 % des officines étaient exploitées par un seul pharmacien.

33 % des officines (contre 20,2 % en 1998) regroupent trois pharmaciens diplômés ou plus (titulaires ou adjoints à temps complet ou partiel).

Source : Ordre des pharmaciens, « Les pharmaciens – panorama au 1er janvier 2009 ».

Les 10 compétences-clés du management*

• la capacité à motiver : écoute des préparateurs ;

• la gestion du changement : nouvelle concurrence et nouvelle consommation ;

• la gestion de la délégation : gestion des capacités et productivité de l’entreprise ;

• la communication : écouter et parler ;

• le service client : délivrance, conseil, gestion ;

• la négociation : délai fournisseur…

• l’organisation et évaluation des performances : entretiens, évaluation, objectifs…

• la mise en place du planning et des objectifs ou planning stratégique : prévisions et anticipation (nouvelles prestations ou service client…) ?

• le recrutement, l’embauche et la fidélisation ;

• la gestion du stress.

* Adapté à l’officine selon Management Academy.

Organismes

Se former au management

• Associations loi 1901, les Centres de Gestion Agréés (CGA) proposent des outils de gestion et des formations aux petites entreprises. Il en existe 114 en France. Renseignement sur le site de la fédération : www.fcga.fr.

• Management Academy est un organisme de formation agréé dédié aux compétences en Management. Le programme complet couvre les 10 compétences fondamentales d’un bon manager en 24 modules. Les cessions, en général une matinée par mois, abordent chacune deux modules par des supports vidéos, des exercices interactifs et la mise en place d’un plan d’action personnel pour une mise en situation rapide et un suivi individuel.

Possibilité de programme « à la carte ».

Contacts : Nathalie Collonges et Marc Montaldier – Directeurs Associés, 156 Bd Péreire 75017 Paris. Tél : 01 77 11 73 55. Contact : contact@managementacademy.fr. Site : www.managementacademy.fr

• JPS consultants : jpsconsultants@wanadoo.fr

• Socco-Consult : www.soccoconsult.com. Tél : 04 42 24 43 60. soccoconsult@orange.fr

• Le MBA Marketing à l’officine de l’Ecole de management de Strasbourg ouvre en octobre 2010. Dédié aux pharmaciens, il apporte des outils spécifiques à l’officine : gestion comptable, pilotage des performances économiques et management du personnel. Diplôme préparé en un an (trois jours de cours par mois pour une vingtaine de places). Contact : Marie Henry. Tel : 06 60 32 21 54. Courriel : henridonsez@free.fr ou Isabelle Barth Tél : 06 84 51 41 05. Site : www.em-strasbourg.eu/formations/emba-marketing-de-la-pharmacie-d-officine-7.html

• Les groupements de pharmacies organisent des formations au management. Création des Quality Management System (QMS).

Un management réussi

Le Maroc en Buggy, la Laponie en motoneige…

Les deux titulaires de la pharmacie Bronsard-Cocheteux, à Liévin (Pas-de-Calais) ont mis en place un management digne d’une grande entreprise. L’équipe part en séminaire chaque année. Maroc, motoneige en Laponie, Prague…, la semaine est consacrée aux loisirs et à l’émergence d’un esprit d’équipe, via la présence d’une formatrice. « Cela crée des souvenirs inoubliables et soude l’équipe. Nous sommes plus tolérant entre nous » souligne Karine Barchechath, préparatrice. Des avantages financiers sont également octroyés. « Les employés bénéficient de primes individuelles, d’un intéressement au résultat – un mois de salaire minimum – et de l’abondement d’un plan d’épargne-entreprise », précise Jean-Louis Cocheteux, co-titulaire. D’ailleurs, le chiffre d’affaires augmente de 15 % par an depuis trois ans. « Il faut valoriser et remercier mais aussi impliquer toute l’équipe. Nous organisons des réunions mensuelles auxquelles participe tout le monde et dont le compte rendu est affiché. » Répartis en deux équipes dirigées par un cadre, les dix-huit salariés travaillent sur quatre jours. « En cas de problème, nous alertons notre cadre qui tente d’apporter une solution dans la journée, témoigne Karine. Nous sommes écoutés et soutenus. C’est important. »