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Quand le cancer modifie l’image de soi
La maladie cancéreuse et ses traitements induisent des transformations corporelles qui altèrent l’image de soi. Les soins de support et la socio-esthétique en particulier sont une aide précieuse pour aider les patients à composer avec cette nouvelle image.
Un grand hall lumineux, un espace d’accueil cosy et plusieurs œuvres de l’artiste et plasticien local Jean-Pierre Marszalek. Bienvenue à la clinique des Dentellières, centre de cancérologie privé à Valenciennes (Nord). Au premier étage, place au service des soins oncologiques de support et à son équipe pluridisciplinaire (voir encadré p. 19). L’ambiance est colorée. S’il fait beau, les patients peuvent se détendre sur une terrasse d’inspiration zen. Aujourd’hui, Béatrice B., 62 ans, a rendez-vous avec Isabelle Danna, l’esthéticienne médico-sociale(1) des Dentellières. Après une mammectomie partielle en 2008, la jeune retraitée affronte un deuxième cancer du sein. Elle a débuté une chimiothérapie en février 2021 à la suite d’une mastectomie et d’une reconstruction mammaire fin 2020 : « J’ai encore quelques cheveux mais je porte tout de même une perruque, surtout pour éviter le regard des autres, pointe Béatrice en souriant sous ses mèches grisonnantes. Le cancer est une épée de Damoclès qui chamboule beaucoup de choses ». Les soins oncologiques de support sont définis par une circulaire de 2005 comme « l’ensemble des soins et soutiens nécessaires aux personnes malades tout au long de la maladie, conjointement aux traitements onco-hématologiques spécifiques, lorsqu’il y en a »(2). Ils font partie intégrante du parcours de soins en cancérologie dans le but d’améliorer la qualité de vie des patients et de leur entourage.
Une image de soi altérée
Dès l’annonce du diagnostic, les idées et les images autour du cancer se télescopent. « Peur de la mort, sensation d’être mutilée lorsque la chirurgie procède d’une mastectomie, perte de féminité quand les cheveux tombent, fatigue, pâleur sont des conséquences physiques qui peuvent perturber l’estime de la personne, et donc la confiance en soi, explique Magalie Delage, psychologue des soins de support des Dentellières. Cette idée est si forte que même lorsque les patients n’ont pas de signe extérieur de la maladie, ils ont une perception totalement différente d’eux. Avec le cancer, ils ont perdu leur santé et perçoivent qu’on ne les regarde plus de la même manière ».
L’image du corps et son altération constituent un problème crucial en oncologie, tant pour les patients que pour les équipes soignantes(3). Concept forgé en 1935 par Paul Schilder, un psychiatre psychanalyste autrichien, « l’image du corps humain, c’est l’image de notre propre corps que nous formons dans notre esprit, autrement dit, la façon dont notre corps nous apparaît à nous-mêmes »(4). Elle correspondrait à une vision psychologique où prédomineraient les attitudes et les sentiments éprouvés pour le corps, son apparence physique et la représentation mentale de soi dans son contour, son volume, sa surface, son poids, sa solidité(3). Paul Schilder avance que « dans chacune de nos actions, il n’y a pas seulement le fait que nous agissons en tant que personne dotée d’un caractère, il y a également le fait que nous utilisons notre corps pour agir. Nous vivons constamment avec la connaissance de notre corps ».
Quand le regard des autres se fait pesant
L’image du corps est aussi un fondement de l’estime de soi, cette appréciation que nous faisons de nous, tant individuellement que dans les interactions avec les autres(5). Pour Sylvie Rose, socio-esthéticienne et présidente de l’Instant socio, une association de socio-esthéticiennes (association-linstantsocio.fr) à Perpignan (66), « l’estime de soi, l’image de soi et la confiance en soi fonctionnent de pair ». L’image du corps altérée entre en conflit avec l’estime de soi. « Il y a une dévalorisation par rapport à une image de soi “repère” qui peut chambouler le quotidien et la qualité de vie, et entraîner repli sur soi, isolement et déprime ». Diagnostic, pertes fonctionnelles, mutilation, symptômes, effets indésirables des traitements… le cancer « oblige le corps à une mise en scène permanente et l’esprit à une quête de sens vis-à-vis de la souffrance touchant ce corps »(3). La relation au corps est bouleversée pour la personne, mais aussi « dans la façon dont son corps est vu et investi par les autres »(3).
Sandrine C. a plutôt bien vécu la perte de ses cheveux, cils et sourcils, en préférant porter une perruque : « Le mot cancer étant associé à la mort, je voulais éviter que mes enfants s’entendent demander si leur mère avait un cancer, et qu’on leur répète que cette maladie est fatale ». En revanche, le souvenir des séances de radiothérapie, bien que moins agressives pour le corps, reste pénible : « Aller tous les jours à l’hôpital, côtoyer des gens qui ne vont pas bien psychologiquement, se mettre torse nu à chaque séance devant les soignants, avec mon sein mutilé, je n’en pouvais plus ! »
Une bulle de bien-être
Aux Dentellières, lorsque la porte du cabinet de l’esthéticienne médico-sociale s’ouvre, c’est une échappée pour les patientes. Ici, les pinceaux de maquillage et les tubes de crème ont remplacé les cathéters et les poches à perfusion. Les seuls flacons qui trônent sont ceux de produits dermo-cosmétiques. « Je propose des soins individuels adaptés aux effets secondaires des traitements, détaille Isabelle Danna. J’apporte un peu d’apaisement à la peau réactive et fragilisée par des thérapies qui font mal. J’aide à mieux appréhender certains effets indésirables comme ceux du taxane, très délétère sur les ongles. Je prodigue des soins de manucure et conseille les patientes afin qu’elles poursuivent les soins une fois chez elles ». Chacune repart avec une petite trousse offerte par la marque Mavala et sa gamme spécifique pour les ongles.
Pour les autres soins, Isabelle a l’habitude de travailler avec la marque Ozalys mais en conseille d’autres : « Je m’adapte aux habitudes de la patiente et aux marques qu’elle emploie. Parfois, si elle ne prenait pas soin de sa peau avant la maladie, je parviens à l’initier ! »
Christine L., 56 ans, entame, elle, une hormonothérapie après une mastectomie partielle en 2020. Elle apprécie la bulle de bien-être des soins de socio-esthétique et les ateliers de groupe. « Même si je n’ai pas perdu mes cheveux, j’ai perdu une part de ma féminité lors de la chirurgie. Les ateliers proposés en socio-esthétique m’aident à me recentrer sur moi. J’apprécie les ateliers en petit groupe qui me permettent de ne pas me sentir seule face à la maladie », confie Christine, qui redoute une prise de poids à cause de l’hormonothérapie.
Quand l’esthétique devient sociale
La socio-esthétique permet de retrouver son identité et de restaurer son image de soi. « On va accompagner la personne dans cette forme de reconstruction. On va lui apprendre à s’aimer, à se respecter, à s’affirmer, à reprendre confiance, et reconstruire un désir, une envie, sans contraintes », explique Sylvie Rose, socio-esthéticienne. Un premier levier est l’écoute de « son histoire, de ses difficultés et de ses besoins et attentes spécifiques. Ensuite, je lui présente une planification de tout ce que je peux lui proposer ».
Aux Dentellières, Guislaine D., 65 ans, diagnostiquée en 2020 d’un cancer du sein, ressentait pour sa part « un grand besoin de parler, d’autant que je suis persuadée que la maladie n’est pas arrivée par hasard, mais suite à un choc psychologique. À ce moment-là, il me fallait un petit cocon. Les soins d’Isabelle m’ont permis de me sentir bien ». La socio-esthétique et la prise en charge psychologique sont un gros plus pour elle : « Tout le monde autour de moi voulait me protéger, surtout mon mari, mais moi je voulais continuer à vivre ma vie d’avant, voir mes petits-enfants, sans penser à la maladie. De toute manière, pour moi, j’allais guérir ».
Le toucher pas à pas
La socio-esthétique dispense des soins esthétiques aux personnes fragilisées (voir encadré p. 20) et aide à restaurer l’image de soi. Le toucher est l’un des outils : « J’aide les patientes à mieux appréhender la transformation. Par exemple, la cicatrice de la mastectomie est souvent très difficile à toucher. Je leur donne des conseils pour l’atténuer et l’investir peu à peu, en en prenant soin avec des produits adaptés, en la massant peu à peu, jamais frontalement, car c’est très difficile pour elles », explique Isabelle Danna. « Les personnes fragilisées par la maladie ont souvent du mal à accepter leur nouvelle image. Je les invite à s’auto-masser pour mieux ressentir les choses et retrouver de la bienveillance envers leur visage et leur corps meurtri. Je leur apprends aussi à détourner leur attention vers des zones qui ne sont pas touchées par la maladie, grâce à du conseil en image », détaille Angélique Canick, ancienne esthéticienne devenue socio-esthéticienne dans différentes structures médico-sociales, Ehpad et Espaces ressources cancer et formée à l’école De Luca à Lille (Nord).
Une médiation corporelle
« Ce qui importe est d’être dans le toucher comme outil de médiation. On ne cherche pas un résultat autre que celui de “Je te touche, je t’apaise, la parole se libère”. Notre mission est d’aider la personne à être dans l’écoute, l’empathie et la valorisation. Je me vois comme une éclaireuse pour redonner à la personne fragilisée l’estime de soi », précise Géraldine Toursel-Bonnet, directrice de l’école De Luca. Avant de toucher, il faut tenir compte de l’histoire de vie. « Si une personne a subi des violences physiques, je ne vais pas enclencher le toucher au début pour éviter de réveiller quelque chose en elle, explique Sylvie Rose Je vais commencer par les mains, puis le visage, avant de toucher le corps ». C’est ce qu’elle a fait avec ce monsieur de 77 ans qui, après un cancer du côlon, « ignorait » sa stomie.
Parler pour alléger l’esprit
Le vécu de la maladie est aussi abordé par Magalie Delage, la psychologue des Dentellières : « Je demande à la patiente de mettre en mots ce qu’elle vit, ce qu’elle ressent, pour ensuite qu’elle se décentre du regard qu’on attribue à la maladie. Le fait de mettre des mots, de ne pas tout garder à l’intérieur, allège le poids de la maladie sur le psychisme ». Aucun sujet n’est éludé, même si, de l’aveu de la psychologue, la sexualité reste taboue alors qu’elle perturbe beaucoup : « Les femmes éprouvent une difficulté avec leur propre image et n’acceptent plus de se montrer, d’être touchées ». Sans compter la fatigue et la baisse de libido qui mettent à mal les relations conjugales.
Pour Valérie Sugg, psychologue spécialisée en cancérologie (voir Entretien p. 24), « la sexualité est une question que les patients n’osent pas aborder avec l’oncologue, de peur de passer pour ce qu’ils ne sont pas, comme si certains besoins étaient incompréhensibles face à la maladie. Bien au contraire, ces besoins sont tout à fait audibles et doivent être entendus, compris et comblés ». La sexualité passe par d’autres voies que la pénétration, il y a le toucher, la caresse. « L’idée essentielle étant de ne se forcer en rien, de ne faire les choses que si on en a envie », ajoute Valérie Sugg.
Orienter à bon escient
Bien que moins nombreux, les hommes poussent également les portes des soins de support. « Les soignants pensent à tort que les hommes n’ont pas besoin de soins de support, par un a priori disant qu’ils sont forts et détachés de ces besoins. C’est faux, souligne Magalie Delage. Je reçois aussi des hommes qui ressentent le besoin de parler. Les préoccupations peuvent concerner davantage la manière dont le foyer va faire face à la maladie. L’homme est encore souvent le “chef de famille”, il s’interroge sur ses capacités à faire face et à continuer à faire vivre ses proches ». Face à toutes ces interrogations, il est important que chaque patient reçu en psychothérapie de soutien ou en socio-esthétique puisse être orienté vers le professionnel adéquat pour la meilleure prise en charge. « Même s’il a l’impression d’être seul face à sa maladie, chaque patient doit sentir que de nombreux professionnels sont là pour l’aider. C’est vraiment un gros “plus” par rapport à la prise en charge proposée il y a une quinzaine d’années », se souvient Magalie Delage.
Se reconnecter à soi
Le passage entre les mains d’une esthéticienne paraît parfois incongru dans un contexte de lutte pour sa survie : « Certaines patientes ou leur conjoint refusent les soins dans un premier temps en me disant “Je ne veux pas être maquillée”, pensant juste que mon travail consiste à poser du fond de teint ou des fards. Elles sont dans l’image du paraître, du luxe et de l’inutile. Une fois qu’elles ont reçu un soin et qu’elles en ont perçu les bienfaits pour mieux appréhender la suite des thérapies, elles reviennent », s’émerveille Isabelle Danna.
Chaque petit pas est une victoire. Et de citer cette patiente, mutique, qui faisait un rejet total de son corps et refusait même les traitements. Elle a fini par accepter la reconstruction après quelques séances de soins socio-esthétiques. « À la différence de mon travail en esthétique, ma démarche en socio-esthétique n’est pas dans la recherche des résultats tels qu’une épilation parfaite ou un maquillage de mariage. Je prodigue des soins pour apporter avant tout du mieux-être », explique Angélique Canick. Pouvoir évoquer son vécu avec les modifications corporelles et le mettre en mots peuvent éviter de rester aliéné au cancer…
(1) À la différence de la socio-esthéticienne, l’esthéticienne médico-sociale n’est pas diplômée de la formation certifiante Socio-esthéticienne (voir encadré Se former en socio-esthétique p. 23).
(2) Circulaire DHOS/SDO/2005/101 du 22 février 2005 relative à l’organisation des soins en cancérologie.
(3) Cancer et image du corps : identité, représentation et symbolique, Michel Reich, travail présenté lors des 27es Journées de la Société de l’information psychiatrique, Lille, 24-27 septembre 2008 (www.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2009-3-page-247.htm).
(4) L’Image du corps, Paul Schilder, Gallimard.
(5) Estime de soi-Cancer du sein, sur www.e-cancer.fr > Patients et proches > Les cancers > Cancer du sein > Estime de soi.
Merci à la clinique des Dentellières de Valenciennes (59), à l’équipe des soins de support qui nous a reçus, à Béatrice, Christine et Guislaine, patientes de la clinique, et à Sandrine, patiente francilienne, qui se sont confiées sur le vécu de leur maladie.
La clinique des Dentellières, spécialisée en cancérologie, est située à Valenciennes (59).
Elle prend en charge tous les types de cancers, à l’exception des hémopathies malignes. Elle est dotée d’un service de radiothérapie, d’une clinique de jour et d’une unité de préparation des anticancéreux. Elle propose des soins de support avec une équipe composée d’une psychologue, d’une diététicienne, d’une esthéticienne médico-sociale, d’un éducateur spécialisé en activité physique adaptée, d’une assistante sociale et d’une infirmière d’annonce qui soutient le malade et accompagne le diagnostic du cancer. En 2020, elle a accueilli 1 524 patients en radiothérapie et 8 269 en chimiothérapie.
La socio-esthétique, c’est quoi ?
Reconnue depuis les années 1960, la socio-esthétique fait partie des soins de support en cancérologie depuis le Plan cancer 2003.
Elle consiste en la pratique professionnelle des soins esthétiques aux personnes en souffrance par une atteinte de leur intégrité physique, psychique ou sociale.
Elle s’exerce en milieu hospitalier, carcéral ou médico-social. Les fondamentaux sont le conseil, le toucher et l’écoute.
La socio-esthétique, en aidant à reprendre confiance en soi, va faciliter la relation avec autrui dans le but de préserver l’identité sociale. Écouter, encourager et guider permettent de réapprivoiser le miroir et d’éviter l’isolement en reprenant confiance et en s’acceptant.
Aborder le cancer au comptoirLes conseils de Valérie Sugg, psychologue et autrice
« Dans l’inconscient collectif, le cancer reste associé à la mort, alors qu’on peut en guérir ! Ce n’est pas non plus une maladie contagieuse, on ne risque rien en ayant un geste envers le patient. Les patients veulent qu’on les regarde. Ils ont besoin d’empathie, pas de pitié. Les phrases du style “Soyez fort, le moral c’est 50 % de la guérison” sont à éviter. D’abord parce que c’est faux et parce que l’amélioration n’est pas une question de volonté. Inutile aussi de culpabiliser le patient. Lorsqu’il dit souffrir, il faut le croire. De même que l’apparence ne laisse rien présager. Une femme peut être maquillée, avoir bonne mine, mais vous ne savez pas combien cela lui a coûté pour pouvoir sortir de chez elle.
À l’officine, créez un espace de confidentialité pour que le patient puisse parler. Un lieu où des ressources pour la prise en charge seront disponibles, les coordonnées d’un psychologue par exemple. Restez professionnel, dans votre rôle. Imaginez que la pharmacie est le poste de secours pour le patient, comme à la guerre. Le combat contre le cancer est difficile et vous êtes un relais indispensable ».
Se former en socio-esthétique
Toutes les formations nécessitent le prérequis d’être esthéticienne expérimentée, même s’il est possible de passer le CAP d’esthétique en parallèle. Le Cours d’esthétique privé à option humanitaire et sociale (Codes) de Tours propose une formation certifiante inscrite au RNCP. L’école De Luca (Lille) forme, elle, des esthéticiennes au métier de la socio-esthétique et propose un cursus qui englobe le CAP d’esthétique. Il existe également des DU de socio-esthéticienne : faculté de pharmacie de Nantes, faculté de médecine Sorbonne Université à Paris.
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