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Pourquoi signaler le mésusage d’Ozempic et consorts ?

Publié le 23 mars 2023
Par Christine Julien
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En raison de son effet satiétogène, un agoniste des récepteurs au GLP-1 indiqué dans le diabète fait le buzz sur les réseaux sociaux. Ce qui génère un mésusage et des tensions d’approvisionnement.

Qu’est-ce qu’un agoniste GLP-1 ?

Les agonistes ou analogues GLP-1 (aGLP-1) sont des médicaments administrés par voie sous-cutanée qui augmentent l’action du GLP-1 (voir Repères). Le glucagon-like peptide 1 (GLP-1), ou incrétine, est une hormone intestinale sécrétée par l’intestin lors des repas, qui stimule la production d’insuline en réponse à l’hyperglycémie. Elle agit aussi au niveau central en ralentissant la vidange gastrique et entraîne un effet satiétogène (= diminue la sensation de faim), ce qui réduit la prise alimentaire(1).

Quelles sont leurs indications ?

Les aGLP-1 sont indiqués dans le diabète de type 2. Deux le sont aussi chez les patients obèses non diabétiques pour perdre du poids : le liraglutide (Saxenda) et le sémaglutide (Wegovy, voir Repères).

Quel est le « souci » avec ces produits ?

Le sémaglutide, indiqué dans le diabète sous le nom d’Ozempic, fait l’objet d’un usage détourné pour perdre du poids. Le hashtag #ozempicchallenge sur TikTok aurait fait plus de 600 millions de vues. « Nous avons été alertés dès l’été 2022. Ce phénomène sur les réseaux sociaux avait débuté un peu avant en Australie et aux États-Unis, ce qui a commencé à entraîner des tensions d’approvisionnement », explique le Pr Jean-Luc Faillie (voir Expert), chargé du suivi de pharmacovigilance des aGLP-1 depuis 2008.

De quand datent les tensions ?

En septembre 2022, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) mettait en avant « de fortes tensions d’approvisionnement dues à une hausse de la demande mondiale » des aGLP-1, notamment de l’Ozempic. Avec pour conséquences une distribution contingentée, des reports de primo-prescriptions et la mise en place d’une surveillance active d’Ozempic par l’ANSM et l’Assurance-maladie, basée sur l’analyse des données des ventes et des remboursements, des signalements de mésusage et des déclarations d’effets indésirables.

Quelle est l’ampleur du mésusage ?

Environ 600 000 patients ont reçu un aGLP-1, dont Ozempic pour 215 000 d’entre eux, du 1er octobre 2021 au 30 septembre 2022. Parmi eux, 2 185 bénéficiaires d’Ozempic sont non diabétiques selon l’Assurance-maladie. Le mésusage potentiel pour Ozempic est estimé à environ 1 %.

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Que regroupe le mésusage ?

La prescription hors AMM « un peu justifiée » chez des patients obèses par des spécialistes de l’obésité en attendant la commercialisation de Wegovy, celle « un peu imprudente ou ignorante d’un médecin chez une personne qui a quelques kilos en trop, dans un but esthétique ou de confort, avec un rapport bénéfice/risque pas du tout en faveur de ce médicament », explique le Pr Faillie. Et puis, il y a les ordonnances falsifiées, « plus d’une quarantaine de signalements depuis l’année dernière dans les pharmacies d’Occitanie ».

Quels effets indésirables pour Ozempic ?

Nausées, vomissements fréquents mais peu graves, douleurs au site d’injection. L’ANSM signale aussi le risque d’hypoglycémie, mais le Pr Faillie corrige : « seulement en cas d’utilisation concomitante avec de l’insuline ou des sulfamides. Aucun risque chez les non diabétiques. Il y a une chute de cheveux dans 2,5 % des cas, intéressante à communiquer », notamment aux « mésuseurs » soucieux d’esthétique. Dans le diabète, « on a des effets bien plus rares mais plus graves tels que des pancréatites, des troubles de lithiase biliaire entraînant des cholécystectomies, des constipations très sévères jusqu’à l’obstruction intestinale, de graves allergies, ainsi qu’un signal de cancer thyroïdien observé chez l’animal et possiblement transposable chez l’homme », sur des durées d’exposition plus longues que celles des essais cliniques. « Cela peut être un problème en cas de mésusage. Quand les gens arrêtent ce coupe-faim qui agit sur le centre de satiété, ils reprennent du poids. Ce qui incite à recommencer les prises ». Et à prolonger l’exposition…

Les autres aGLP-1 sont-ils concernés par le mésusage ?

« Tous les aGLP-1 peuvent être utilisés pour perdre du poids de manière détournée. Tous ont potentiellement un effet anorexigène, mais celui du sémaglutide semble plus important, précise le Pr Faillie. Nous avons eu deux cas de prescription hors AMM avec Victoza et un avec Trulicity ».

NOTRE EXPERT INTERROGÉ

→ Pr Jean-Luc Faillie, chef du service pharmacologie médicale et toxicologie du CHU de Montpellier (34) et responsable du Centre régional de pharmacovigilance, de pharmaco-épidémiologie et d’information sur le médicament (CRPV) de Montpellier (34).

Repères

→ Un agoniste ou analogue d’un médiateur naturel ou chimique est une substance capable de se lier à un récepteur et de générer un effet biologique. En plus de son affinité pour le récepteur, il a une efficacité intrinsèque responsable de la réponse biologique consécutive à sa liaison au récepteur.

→ Agonistes GLP-1 indiqués dans le diabète de type 2* : dulaglutide (Trulicity), exénatide (Byetta, Bydureon), liraglutide (Victoza), liraglutide et insuline dégludec (Xultophy), sémaglutide (Ozempic) (voir Porphyre n° 568, novembre 2020).

→ Agonistes GLP-1 indiqués dans l’obésité : liraglutide (Saxenda), sémaglutide (Wegovy, en autorisation d’accès précoce depuis juillet 2022, bientôt commercialisé).

(*) Insuffisamment contrôlé en complément d’un régime alimentaire et d’une activité physique.