Métier Réservé aux abonnés

Pourquoi ne pas interdire le E171 dans les médicaments ?

Publié le 27 juin 2019
Par Anne-Gaëlle Harlaut
Mettre en favori

Un arrêté(1) suspend pour une durée d’un an l’autorisation d’utilisation du dioxyde de titane comme additif alimentaire (E171) à compter de janvier 2020. Les médicaments ne sont pas concernés.

Qu’est-ce que le E171 ?

Le E171 est un additif sous forme de poudre constitué de particules de dioxyde de titane (TiO2) micrométriques et nanométriques de quelques dizaines à plusieurs centaines de nanomètres. Une proportion variable, en moyenne 25 % dans les lots du commerce, est considérée nanoparticulaire, ≤ 100 nm.

À quoi sert-il dans les aliments ?

Majoritairement comme colorant. Sa structure de pigment blanc opacifie et blanchit les aliments pour en améliorer l’aspect dans les confiseries (bonbons, chewing-gums, chocolats…), les gâteaux, les plats préparés.

Comme tout colorant alimentaire, son utilisation est réglementée et évaluée au niveau européen par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) qui l’autorise actuellement quantum satis (sans niveau maximal) dans 51 catégories d’aliments.

Pourquoi l’interdire ?

En 2017, une étude de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) suggère que l’ingestion d’E171 induit et promeut la croissance de lésions précancéreuses colorectales chez le rat. Aussitôt saisie pour évaluer l’impact de ces résultats, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) considère qu’ils ne permettent pas, à eux seuls, de remettre en cause les évaluations de l’Efsa mais que des études complémentaires sont nécessaires. Saisie à nouveau en 2019, l’Anses rend un avis similaire(2). Aucun élément n’infirme ou ne confirme les incertitudes quant à l’innocuité du E171 ingéré. Elle réitère ses recommandations de limiter l’exposition des consommateurs, travailleurs et de l’environnement aux nanomatériaux en attendant des risques mieux caractérisés.

Quel est le calendrier à venir ?

« Les études permettant la fixation d’une dose journalière admissible relative à cet additif n’ayant pas été finalisées en temps utile », un arrêté d’interdiction(1) a été pris par les ministres de la Transition écologique et de l’Économie. Il suit le principe de précaution. Le 1er janvier 2020, les aliments ne devront plus contenir de E171 en France. Cette mesure est prévue pour un an, le temps d’obtenir les résultats des études en cours et d’une nouvelle réévaluation de l’Efsa.

Publicité

Y a-t-il du E171 dans les médicaments ?

Le dioxyde de titane est largement utilisé dans plusieurs milliers de médicaments, compléments alimentaires et cosmétiques, comme colorant et agent de formulation : agent de texture, photoprotecteur dans les enrobages… On le trouve sous la dénomination TiO2, dioxyde de titane, E171 ou titanium dioxyde, « mais à de très faibles quantités par rapport à l’alimentaire. En moyenne moins de 0,5 % de la quantité totale d’un médicament », explique Anne Carpentier, directrice des affaires pharmaceutiques au Leem. « Pour les enrobages, les industriels n’utilisent pas le produit pur qui contient le plus de nanoparticules. »

Pourquoi cette interdiction ne concerne pas les médicaments ?

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) précise que la mesure concerne les aliments « mais ne s’applique pas à l’additif en tant que tel afin de permettre son utilisation à d’autres fins ». Notamment dans les médicaments pour lesquels « l’évaluation est sensiblement différente puisqu’une analyse de bénéfices/risques doit être réalisée. Or, un changement d’excipient dans la formulation peut entraîner des variations dans la formulation, d’ordre cinétique, de tolérance, d’acceptabilité chez les patients ». Il faudrait revoir les procédures de développement industriel, ce qui peut prendre plusieurs années avec un risque de rupture brutale d’accès aux médicaments sur le territoire français en cas d’interdiction de l’additif dans les médicaments. « Or, les laboratoires doivent répondre à un impératif d’approvisionnement continu tout autant que de mise sur le marché de produits sûrs », rappelle Anne Carpentier. Et si la dangerosité était avérée après réévaluation européenne en 2020 ? « Les entreprises sont dans les starting-blocks. Elles ont référencé les produits contenant du dioxyde de titane et évaluent les possibilités de l’éliminer, ce qui est plus ou moins complexe selon son utilisation et le degré de reformulation nécessaire ».

(1) Arrêté du 17 avril 2019 portant suspension de la mise sur le marché des denrées contenant l’additif E171 (dioxyde de titane – TiO2), paru au Journal officiel le 25 avril 2019.

(2) Avis de l’Anses relatif aux risques liés à l’ingestion de l’additif alimentaire E171, 12 avril 2019.

NOS EXPERTS INTERROGÉS

→ Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

→ Anne Carpentier, pharmacienne, directrice des affaires pharmaceutiques, Les entreprises du médicament.

Repères

→ 2016 : les expositions des consommateurs au E171 dans ses utilisations alimentaires « ne sont pas de nature à entraîner un risque sanitaire », évalue l’Efsa.

→ 2017 : 1er avis de l’Anses sur l’exposition alimentaire aux nanoparticules de dioxyde de titane. Elle recommande de limiter, de façon générale, l’exposition aux nanoparticules.

→ 12 avril 2019 : second avis de l’Anses(2) identique au premier.

→ 25 avril 2019 : un arrêté ministériel(1) suspend l’autorisation d’utilisation du E171 dans les aliments pour un an à compter du 1er janvier 2020.