Métier Réservé aux abonnés

Pourquoi le déremboursement des médicaments anti-Alzheimer fait grincer ?

Publié le 30 juin 2018
Par Anne-Gaëlle Harlaut
Mettre en favori

Les médicaments indiqués dans la maladie d’Alzheimer seront déremboursés à compter du 1er août prochain suivant les recommandations émises en 2016 par la Haute Autorité de Santé (HAS).

Quels sont ces médicaments ?

Il s’agit des quatre molécules, princeps et génériques, indiquées dans le traitement des déficits cognitifs dans la maladie d’Alzheimer et pris en charge à 15 % : les anticholinestérasiques, dans les formes légères à modérées, tels donépézil (Aricept), rivastigmine (Exelon), galantamine (Reminyl), et la mémantine (Ebixa), dans les formes modérées à sévères.

Pourquoi les dérembourser ?

En 2016, le service médical rendu par ces médicaments est jugé « insuffisant pour justifier leur prise en charge ». Cet avis de la HAS se base sur les données cliniques qui confirment une efficacité « au mieux modeste », uniquement établie à court terme (< 1 an), et la survenue d’effets indésirables, notamment digestifs et neuropsychiatriques, voire des troubles du rythme, des chutes… Leur risque étant majoré par de potentielles interactions médicamenteuses chez des patients âgés avec les bêtabloquants, les psychotropes… Enfin, leur coût annuel a été estimé en 2015 à environ 90 millions d’euros pour l’Assurance maladie.

Pourquoi maintenant ?

En 2016, le ministère de la Santé avait refusé de suivre l’avis de la HAS en l’absence d’un protocole de soins adapté, jugeant la prescription médicamenteuse comme un support essentiel au suivi des patients. Or, le 25 mai dernier, la HAS a publié un guide et des fiches pratiques (voir Repères) relatifs au parcours de soins et d’accompagnement de la maladie d’Alzheimer. Les thérapies psycho-comportementales et réadaptatives sont mises en avant mais le traitement médicamenteux, s’il reste cité comme « pouvant être prescrit », n’est plus une recommandation. Le professeur Christian Thuillez, président de la commission de transparence de la HAS, estime que ce parcours de soins « va rendre des services bien meilleurs » que les médicaments.

Pourquoi certains patients et professionnels contestent ?

Dans un communiqué de presse(1), la Fondation Vaincre Alzheimer affirme que l’efficacité de ces médicaments est « certes modeste mais (…) significative » sur la cognition, les activités de la vie quotidienne et le comportement, notamment sur l’agressivité et l’apathie. Elle regrette qu’une récente étude(2), qui aurait confirmé leur efficacité sur le long terme, n’ait pas été prise en compte par la HAS. « Depuis 15 ans qu’on les prescrit, on constate que certains patients déclinent plus lentement et même, un effet rebond à l’arrêt pour certains patients », remarque le Professeur Hanon (voir encadré), qui continuera à les prescrire. Avec la crainte d’une médecine à deux vitesses, partagée par l’association France Alzheimer. Cette dernière pointe(3) l’iniquité entre les familles qui pourront ou non poursuivre le traitement en payant (ndlr : environ 30 euros mensuels) et redoute la sortie « dangereuse » du parcours de soins de ceux qui n’en ont pas les moyens. « On risque aussi un report vers d’autres médicaments tels les psychotropes, dont les risques iatrogènes, notamment de chutes, sont supérieurs à ceux des médicaments visés quand on respecte les précautions de prescription », ajoute le Professeur Hanon. Pour lui, opposer les prises en charge est incompréhensible : « Le parcours de soins, nous le pratiquons déjà. Le volet médicamenteux est une chance supplémentaire pour les patients ». Agnès Buzyn a assuré sur Europe 1 que « tout l’argent économisé sera réorienté vers l’accompagnement (…), soit pour les Centres Mémoire, soit pour le secteur médicosocial », mais la question de la recherche inquiète aussi : « Sauf s’ils payent leurs médicaments, je vais devoir arrêter mes études en cours avec des patients sous anticholinestérasiques », regrette le Pr Hanon. France Alzheimer demande « tout au moins » que la décision soit accompagnée de moyens financiers conséquents pour la recherche.

Que dire au comptoir ?

La prescription ou non reste une décision à prendre avec le médecin, seul juge de l’intérêt. Au vu de l’efficacité modeste et du risque d’effets indésirables, les autorités ne justifient pas la prise en charge par la collectivité.

Publicité

(1) « Déremboursement des médicaments symptomatiques Alzheimer : le grand leurre », juin 2018.

(2) Howard R. et al. “Nursing home placement in the Donepezil and Memantine in Moderate to Severe Alzheimer’s Disease (DOMINO-AD) trial : secondary and post-hoc analyses”. Lancet Neurol. 2015.

(3) « Et maintenant, la prise en soin est-elle plus efficace ? », communiqué de presse, 28 mai 2018.

NOTRE EXPERT

→ Pr Olivier Hanon, gériatre cardiologue à l’hôpital Broca de Paris (75), vice-président de la Société française de gériatrie et gérontologie.

Répères

→ 2011 : la commission de la transparence (CT) de la HAS estime que le service médical rendu par les médicaments symptomatiques de la maladie d’Alzheimer est faible.

→ 2016 : la CT considère qu’ils n’ont plus de place dans la stratégie thérapeutique, la HAS donne un avis favorable à leur déremboursement…

→ Avril 2018 : le laboratoire Janssen-Cilag annonce l’arrêt de commercialisation du Reminyl au 30 novembre.

→ 25 mai 2018 : la HAS publie un « Guide parcours de soins des patients présentant un trouble neurocognitif associé à la maladie d’Alzheimer ou à une maladie apparentée ».

→ 1er juin 2018 : un arrêté au Journal officiel entérine le déremboursement des médicaments au 1er aout 2018.