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pleins feux sur la Marne

Publié le 1 octobre 2002
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Avec un taux de délivrance de 50 % de génériques du Répertoire, la Marne occupe le peloton de tête des départements français en matière de substitution.

Quatre millions d’euros d’économie sur une année. Voilà le résultat d’un partenariat exemplaire entre officinaux, prescripteurs et caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de la Marne en faveur des génériques. Mais ce qui a permis un véritable décollage, c’est sans aucun doute l’engagement des pharmaciens de ce département. Plusieurs pharmacies marnaises obtiennent des chiffres records en matière de délivrance de génériques. « Dès la mise en place du droit de substitution en juin 1999, nous avons vu décoller les génériques, se réjouit Dominique Tymczyck, chargé de la régulation des dépenses de santé pour la CPAM de la Marne. Nous approchons le taux de 50 % de génériques à l’intérieur du Répertoire. Certaines pharmacies ont même un taux de 80 %, la majorité tourne autour de 60 %.»

Union des officinaux pour les génériques.

La Marne est un département où les pharmaciens sont particulièrement unis. « L’union syndicale a permis d’insuffler un véritable dynamisme pour promouvoir les génériques dans le département », explique Patrick Fortier, pharmacien à Saint-Martin-d’Ablois et président du syndicat des pharmaciens de la Marne. Le syndicat compte en effet 140 officines sur 190, soit 70 % des pharmacies du département. « Nous avons choisi une attitude préventive, c’est-à-dire promouvoir les génériques afin que l’État ne nous baisse pas nos marges », souligne Patrick Fortier. En effet, selon le protocole d’accord signé en septembre 1999, l’Assurance maladie a accordé une marge équivalente sur le médicament générique ainsi qu’une remise en échange de quoi la profession s’engageait à réaliser un objectif de substitution à hauteur de 35 %. Ainsi, en vendant un médicament générique – par principe moins cher que le princeps –, le pharmacien ne perdra pas d’argent. La marge reste la même. Autrement dit, sur un princeps de 10 euros, le pharmacien touchera par exemple 2 euros de marge. Sur le générique correspondant de 7 euros, il touchera la même marge soit 2 euros. « Financièrement, cela reste cependant une opération blanche, compte tenu du temps que nous passons à convaincre nos clients. Le surplus de marge est largement utilisé en dialogue, en information des patients », continue Patrick Fortier. Le pharmacien bénéficie d’une remise de 10,74 % sur l’achat des génériques s’il les achète directement aux laboratoires (ce qui n’est pas toujours le cas avec les grossistes-répartiteurs). Là aussi cela demande un engagement de la part du pharmacien qui doit donc prévoir une livraison particulière. « Les transports routiers sont de qualité déplorable en France. Nous recevons souvent des cartons éventrés, détériorés, et il faut vérifier systématiquement les livraisons », déplore le président du syndicat. Qui plus est, les officinaux doivent aussi mettre au point de nouvelles stratégies de rangement pour que la substitution soit facilitée et devienne un acte naturel pour l’ensemble de l’équipe officinale : génériques à côté des princeps, fiches de stocks, tiroirs communs… Et Patrick Fortier de préciser : « C’est un véritable déménagement pour la pharmacie. »

Le dynamisme des préparateurs.

Les titulaires ne sont pas seuls dans leurs officines. Et la réussite de la Marne est aussi due à l’implication des préparateurs. « Nous sommes tous très motivés pour délivrer des génériques. C’est nous qui choisissons le médicament, cela revalorise notre rôle en tant qu’acteurs de santé. L’acte pharmaceutique reprend ainsi toute sa dimension », souligne Delphine Martin-Corrales, préparatrice à la pharmacie Froment de Mourmelon-le-Grand. Comme pour la délivrance des médicaments, les préparateurs ont également le droit de substituer, sous le contrôle du pharmacien. Au comptoir, ce sont de fait des interlocuteurs privilégiés des patients pour expliquer l’intérêt des médicaments génériques. « Je rappelle souvent que l’argent économisé avec les génériques permet d’investir et d’améliorer notre système de santé », poursuit Delphine. Car le dialogue avec les assurés sociaux reste le seul moyen pour faire accepter les génériques. Pharmaciens et collaborateurs de l’officine assurent passer beaucoup de temps à convaincre les patients. Ceci représente certes un travail supplémentaire, mais cette nouvelle responsabilité est autrement plus valorisante que la simple délivrance de médicaments. « Je vais souvent chercher les deux boîtes de médicaments, le princeps et le générique. Je montre aux patients qu’il s’agit du même principe actif, du même dosage. Puis je retourne la boîte en insistant sur la différence de prix, et j’explique l’intérêt pour l’assurance maladie », explique Péguy Krauffel, préparatrice à la pharmacie Germain de Reims. Mais il arrive que les clients ne soient pas du tout convaincus. « Certains patients pensent que les génériques sont des médicaments au rabais. Il faut sans cesse expliquer », assure Péguy Krauffel. Et d’autres associent confusément les génériques à des produits dangereux. « Une patiente m’a dit encore récemment qu’elle ne voulait pas de produits génériquement modifiés », déplore Alain Froment, titulaire à Mourmelon-le-Grand.

Part des génériques ; [Unité de génériques rapportés aux unités du répertoire]

Encore des résistances.

Sans compter les résistances liées à la représentation et à la signification du médicament. « Les patients nous font de plus en plus confiance. Mais pour certains produits comme le Lexomil ou le Prozac, il est très difficile de substituer », précise Dominique Germain, titulaire à Reims. Pour les psychotropes, la couleur même de la boîte, des comprimés, est importante pour les patients. Enfin, il est évident qu’un traitement de longue durée sera plus difficilement substituable qu’un traitement de courte durée. Le dialogue est parfois difficile pour arriver à convaincre les assurés sociaux, et ce d’autant plus si leurs médecins restent hostiles à la substitution. Cette hostilité entretient les résistances des patients. Et pourtant les médecins marnais sont plus sensibilisés qu’ailleurs. Car, dès 1998, avant tout le monde, la Marne a autorisé ses médecins à prescrire en dénomination commune (DC). En d’autres termes, elle autorise le remboursement des ordonnances sur lesquelles seul le nom du principe actif est inscrit.

Département pilote pour la prescription en DC.

Mais pourquoi la Marne s’est-elle distinguée avant l’heure en faveur de la prescription en DC ? Car, rappelons-le, celle-ci ne sera légalisée et généralisée à toute la France seulement au début de l’année 2002. Si la Marne a adopté cette mesure avant-gardiste, c’est grâce à la mobilisation des professionnels de santé et de l’Assurance maladie. La CPAM de la Marne, qui s’était inquiétée dès 1996 d’une augmentation de 13 % des dépenses de médicament, voulait absolument favoriser les médicaments génériques dont les ventes stagnaient en dépit des opérations de sensibilisation en direction des professionnels de santé et du grand public. « La DC est la clé de la réussite, précise Dominique Tymczyck, de la CPAM de la Marne. Elle permet notamment de jouer sur le degré d’acceptation des malades qui ont plus confiance en leur médecins qu’en leur pharmacien. » De leur côté, les médecins étaient favorables aux prescriptions en DC. « Cela leur permet de se réapproprier leur rôle de prescripteur, sans s’occuper du prix du médicament et des noms de marque », ajoute de son côté Jean-Paul Brulé, médecin et président de la Commission conventionnelle paritaire locale des généralistes. Quant aux pharmaciens d’emblée favorables aux génériques, ils savaient que seule une volonté commune permettrait le développement des génériques.

Des motivations économiques.

« Les médecins réticents à la substitution ne marquaient pas directement «non substituable» sur les ordonnances, mais faisaient des remarques à leurs patients. Avec la DC, nous avons enfin trouvé un consensus », explique Patrick Fortier. Résultat, si tous les médecins n’ont pas changé leurs habitudes de prescription, il y a moins de résistance affichée. Les pharmaciens de la Marne substituent encore beaucoup. « C’est très important pour nous de participer à la maîtrise des dépenses de santé, poursuit Patrick Fortier. Car si les dépenses ne cessent d’augmenter, on baissera demain notre marge. Il faut faire preuve de pragmatisme, être adulte et responsable. » Issam Moussly, pharmacien à Pleurs, petit village près d’Épernay, sacré par la presse « champion de France des génériques 2001 » partage les mêmes convictions. « Avec mon équipe, nous nous sommes engagés dans ce challenge en tant que citoyens et professionnels de santé, analyse-t-il. Les économies réalisées avec les génériques vont permettre d’investir dans la recherche médicale, de mettre au point de nouveaux médicaments. » Marc Sautreau, titulaire d’une pharmacie à Reims, quant à lui, ne cache pas qu’il s’est engagé en faveur des génériques pour des raisons économiques (marge supplémentaire sur les génériques), mais aussi de par exemple près de quinze médicaments contenant de l’amoxicilline). « De plus, ajoute-t-il, la substitution est une réelle opportunité pour les pharmaciens et les préparateurs, qui peuvent ainsi se réapproprier leur rôle actif en matière de délivrance de médicaments. » Mais la Marne doit faire mieux. « Nous espérons encore augmenter le recours aux génériques, ajoute Dominique Tymczyck. De plus, le Répertoire des génériques va prendre de plus en plus d’importance ». Le Mopral, qui arrive par exemple en tête des médicaments remboursés par l’assurance maladie, sera généricable en 2004. D’autres médicaments coûteux vont aussi tomber dans le domaine public, et le Répertoire des génériques devrait ainsi s’enrichir de nouvelles molécules importantes en termes de marché. Les principaux princeps dont le brevet arrive à expiration sont l’Alfatil, le Lipanor, le Rulid (2003), le Ciflox, le Mopral, le Stilnox, le Zestril, le Xatral (2004) et le Zeclar, le Zocor et le Zoloft (2005).

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La mobilisation continue.

Les 4,2 millions d’euros d’économie engendrés dans la Marne grâce aux médicaments génériques peuvent sembler modestes par rapport aux dépenses totales de la pharmacie, qui avoisinent les 150 millions d’euros. Mais rappelons que les médicaments génériques ne représentent qu’une petite part du marché pharmaceutique (3,1 % du marché du médicament remboursable sur l’an 2000) qui, toutefois, a passé la barre des 5 % sur le mois de juillet. Les génériques devraient faire un nouveau bond grâce à l’accord du 5 juin 2002, en vertu duquel la consultation médicale a été revalorisée à 20 euros en échange de la rédaction de 25 % des lignes de prescription en DC. « Cette revalorisation de la rémunération des médecins se traduit dans la Marne par un surcoût de 7 millions d’euros sur une année. Il est prévu que ce surcoût soit compensé par les économies réalisées avec les génériques. Nous pensons que la compensation est possible, mais le pari n’est pas encore gagné », fait remarquer Dominique Tymczyck. Et la CPAM de la Marne poursuit sa mobilisation. Afin d’inciter les médecins à prescrire en DC et non plus en nom de marque, elle compte distribuer aux prescripteurs de la région un nouveau logiciel informatique d’aide à la prescription en DC. Par ailleurs, elle entend s’adresser directement aux consommateurs de médicaments en diffusant des documents explicatifs sur les génériques. Le slogan de cette nouvelle campagne sera « Les médicaments génériques, acceptez-les en toute confiance »

L’essor des génériques

Les ventes de génériques s’accélèrent. Le marché du générique en DCI a même atteint un niveau record avec 44,6 millions d’euros en juillet dernier. Sans doute la conséquence de la consultation à 20 euros accordée aux médecins en échange d’un engagement à prescrire en DCI… Résultats : les champions du générique en l’an 2000, la Meuse ou la Marne (départements ayant entrepris des actions de sensibilisation auprès des professionnels de santé), sont désormais rejoints. S’il est encore impossible de comparer les ventes sur deux années, les statistiques de la Sécurité sociale en 2001 n’étant pas disponibles à l’heure où nous imprimons, nous pouvons nous risquer à une comparaison de l’année 2000 avec le seul mois de juillet. La Marne est passée de 40,6 % à 49,63 % (pourcentage d’unités de génériques vendues en France à l’intérieur du Répertoire). Et devant elle, une dizaine de départements pour le mois de juillet 2002 (de 50 à 55 %). Par ailleurs, désormais l’écart est moindre qu’en l’an 2000 entre les départements, ceux substituant le moins restant la Corse (27,50 %) et Paris (27,65 %), contre respectivement 14,6 % et 17,8 % sur l’année 2000.

Équipe de la pharmacie Froment à Mourmelon-le-Grand

Alain Froment titulaire

« J’ai un taux de substitution de 78,8 %. Je me suis impliqué, avec toute mon équipe, dans la promotion des génériques pour respecter l’accord signé entre notre profession et l’Assurance maladie. En contrepartie de la promotion des génériques et de l’utilisation de la carte Vitale, l’État a en effet accepté de renégocier notre marge dégressive lissée sur certains médicaments. C’est du donnant-donnant, il faut être responsable. »

Delphine Martin-Corrales, préparatrice

« Le fait de proposer un médicament générique revalorise notre rôle. Dans notre pharmacie, toute l’équipe s’est mobilisée, mais il est vrai que notre titulaire s’est aussi vraiment engagé. Ceci dit, les prescriptions en DCI ne facilitent pas toujours notre travail. Nous avons parfois du mal à trouver la bonne molécule, et c’est une surcharge de travail pour nous. Quoiqu’il en soit, je suis très favorable aux génériques car je pense que l’argent économisé va permettre d’investir ailleurs. »

Séverine Vignot, préparatrice en intérim

« Je suis également favorable aux génériques car il est important de faire des économies de santé. Certains patients refusent catégoriquement les génériques, je ne les force jamais dans ce cas à prendre ces médicaments. Lorsque le médecin prescrit en DCI, c’est cependant plus facile de les persuader. »

Amélie Tison, stagiaire élève en 2e année de BP

« Il n’est pas toujours facile de convaincre les patients à accepter les génériques, mais ils comprennent cependant de mieux en mieux. De plus, le Répertoire ne cesse de s’enrichir, et il faut se familiariser avec tous ces nouveaux noms. Nous avons commencé au centre de formation à apprendre les DCI, ce qui facilite ma tâche. Et nous disposons à la pharmacie d’un logiciel qui permet d’avoir la correspondance princeps-génériques. »

Précautions d’emploi et excipient à effet notoire

Les médicaments génériques sont inscrits dans le Répertoire des groupes génériques élaboré par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Une spécialité de référence et ses génériques forment un groupe générique, groupe à l’intérieur duquel peut s’exercer le droit de substitution. L’Afssaps rappelle que certaines spécialités contiennent des excipients dits à effet notoire (mentionnés dans le Répertoire), qui peuvent donc nécessiter des précautions d’emploi :

– pour la substitution d’une spécialité ne contenant pas d’excipient à effet notoire, il est recommandé de choisir une spécialité en étant également dépourvue ;

– pour la substitution d’une spécialité contenant un ou plusieurs excipients à effet notoire, il est recommandé de choisir une spécialité générique contenant le ou les mêmes excipients à effet notoire ou une spécialité générique partiellement ou totalement dépourvue de ces excipients à effet notoire. Cependant, la substitution par un générique contenant des excipients à effet notoire (non présents dans la spécialité prescrite) est possible lorsque, après interrogatoire, il apparaît que l’utilisateur ne présente pas de risque de survenue d’effets secondaires liés à ces excipients.

Le Répertoire et ses mises à jour peuvent être consultés sur le site de l’Afssaps à l’adresse suivante :

Prescrire en DC : l’avenir du générique

Pour stimuler la consommation de génériques, la prescription en dénomination commune (DC) a été légalisée par la loi de financement de la Sécurité sociale 2002. En contrepartie d’une revalorisation du coût de la consultation (18,5 euros à 20 euros), selon l’accord passé le 5 juin 2002, les médecins généralistes se sont engagés notamment à rédiger en DC 25 % de leurs lignes de prescription dont la moitié pour des molécules relevant du Répertoire des génériques.

Les avantages de la prescription en DCI

• Pour les officinaux

– Il leur est plus aisé de convaincre les patients réticents à la substitution, étonnés qu’un médicament dont le nom n’est pas celui inscrit sur l’ordonnance leur a été délivré. Or la prescription en DC permet d’avoir une concordance des noms figurant sur l’ordonnance et sur la boîte de médicaments. La grande majorité des génériques portent désormais le nom de la molécule suivi de l’identification du laboratoire en suffixe.

– Le pharmacien et le préparateur retrouvent leurs rôles d’acteurs de santé et de professionnels du médicamentà part entière puisque c’est eux qui vont devoir choisir le produit.

• Pour les médecins

– Ils sont libérés de toute contrainte de coût dans l’élaboration de son ordonnance.

– Ils retrouvent leur rôle de professionnels du traitement, ils peuvent se concentrer sur leur tâche de diagnostic et de stratégie thérapeutique

– Le recours à la DC permet de réduire le nombre d’appellations de marque de 6 500 à 1 700 molécules et allège par conséquent la mémoire du prescripteur.

– La DC a été créée pour être compréhensible par tous les prescripteurs, pharmaciens et patients, quelle que soit leur nationalité.