Métier Réservé aux abonnés

Pharmaciens, préparateurs, le ministre vous a entendus

Publié le 3 novembre 2014
Par Annabelle Alix, Caroline Bouhala et Christine Julien
Mettre en favori

La mobilisation des professionnels de santé a payé. Le gouvernement conserverait les trois piliers de l’officine : le monopole pharmaceutique, le maillage territorial et la propriété. En attendant la mise en place concrète des mesures, les professionnels de la pharmacie restent prudents. Rien n’est encore joué.

Exit le projet de loi sur la croissance et ses 6 milliards d’euros de pouvoir d’achat. Bienvenue à celui qui va « libérer l’activité et restaurer l’égalité des chances économiques ». Emmanuel Macron, le ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, a présenté, le 15 octobre, la philosophie des mesures « qui seront travaillées tout au long des mois à venir ». Parmi elles, des propositions concernent les professions réglementées et les officines en particulier. Il s’est voulu rassurant. L’ouverture du capital serait limitée, le monopole sur la vente de médicaments, préservé, et les règles d’installation assouplies sans déstabiliser le maillage territorial.

Faciliter l’installation

Le ministre estime qu’il y a « parfois trop de rigidité dans les critères d’installation pour les professions réglementées. Plus particulièrement dans les pharmacies, où le manque d’ouverture du capital […] rend problématique la capacité à investir, parfois à se regrouper et, pour les plus jeunes, à accéder aux responsabilités suffisamment tôt ». Il suggère de simplifier les règles, de concert avec la ministre de la Santé, Marisol Touraine, « avec une simplification massive des conditions d’installation des pharmaciens […]. Avec deux ou trois règles, sans contrôles excessifs menés par les administrations, on peut faire plus simple, plus vite et mieux pour le territoire ».

Les règles seront assouplies « surtout dans le but de faciliter les regroupements », précise Philippe Besset, président de la commission économie de l’officine à la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « C’est du moins sous cet angle que nous avons envisagé la mesure en réunions de concertation ». Prudent, il en reconnaît les intérêts, tout en prônant une étude au cas par cas, en donnant un exemple : « Dans les Pyrénées, deux pharmacies se meurent actuellement dans deux villages à cause notamment des inondations passées car des campings dévastés n’ont pas rouvert. Faciliter le regroupement de ces officines pourrait les sauver ».

Pour Emmanuel Macron, un accès simplifié à la profession pour les officinaux aurait pour but de préserver le maillage territorial, « pour qu’il y ait des pharmacies partout où c’est nécessaire ».

Pas de pharmacies « Leclerc »

Interrogé sur la volonté de Michel-Édouard Leclerc de faire vendre des médicaments par des pharmaciens dans ses grandes surfaces, le ministre de l’Économie a développé son raisonnement : « Si on simplifie les règles d’installation des pharmacies, rien n’empêche Monsieur Leclerc d’avoir une officine de pharmaciens dans son Leclerc ou devant… Ce pharmacien aura l’indépendance d’un professionnel de santé parce que […] les médicaments vendus sont aussi ceux que nous remboursons. Ces professionnels de santé pourront être dans les grandes surfaces, mais ils seront indépendants et non salariés de la grande surface ». Un pharmacien indépendant dans un supermarché, c’est un peu flou… Peut-être s’agit-il d’une méconnaissance du sujet car il existe déjà des officines installées dans les centres commerciaux. L’avenir le dira…

Publicité

Une ouverture a minima du capital

Quant à l’ouverture du capital « entre les professionnels », Emmanuel Macron ne dit pas si elle concernerait seulement des pharmaciens et des adjoints en particulier, ou s’il serait possible pour des préparateurs d’investir leur pécule dans une officine. Là encore, nul ne le sait, même si Philippe Besset évoque les adjoints : « Ces jeunes pourraient ainsi mettre un pied dans l’investissement, tout en conservant les avantages d’un statut salarié ».

Le pharmacien de la FSPF soulève aussi la possibilité d’un retrait progressif du titulaire en fin de carrière qui revendrait alors progressivement les parts de son entreprise. Quant au jeune désireux de s’installer, il pourrait voir dans cette mesure un coup de pouce à l’achat comme alternative à la cotitularisation. Mieux s’organiser entre pharmaciens sur le terrain implique également de mieux le faire sur le Net. Le gouvernement souhaite assouplir les critères de vente de médicaments en ligne pour un pharmacien, et seulement un pharmacien a-t-il insisté, afin de « moderniser la profession, d’être plus efficace ».

Le « conseil » reste dans les pharmacies

Emmanuel Macron a pris également sa décision – avec les autres membres du gouvernement – de ne pas procéder à la commercialisation de médicaments en grandes surfaces : « Je n’ai pas vu d’études convaincantes montrant que les effets d’une commercialisation des médicaments non prescrits en supermarché changeraient la vie des Français drastiquement ». Il a rappelé que « le conseil des pharmaciens est un élément important pour les Français ». Et enfoncé le clou sur France Inter le lendemain : « Supprimer l’exclusivité de la vente de médicaments même non prescrits en pharmacie ne crée pas beaucoup de valeur, n’a pas beaucoup d’intérêt et déstabilise énormément. Je confirme qu’on ne mettra pas de médicaments [en vente] dans les grandes surfaces ».

En revanche, la possibilité d’une refonte des autorisations de mise sur le marché (AMM) est confirmée, la ministre de la Santé travaillant sur le « déréférencement de certains médicaments, qui pourront ainsi être vendus en supermarché ». Les AMM étant du ressort notamment de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), rien n’est encore décidé ou fait…

Bon pied, bon œil

Les propositions « santé » du projet de loi du ministère de l’Économie seront intégrées dans le futur projet de loi santé de Marisol Touraine, plus à même de mener un travail de concertation plus large avec les professionnels de santé. Les consultations continuent… mais les craintes demeurent.

Les syndicats n’ont pas désarmé, poussant les pharmaciens à poursuivre les pétitions, l’affichage en vitrine et l’interpellation des élus. La FSPF invite aussi les pharmaciens à se tenir prêts pour une nouvelle manifestation nationale à Paris avec l’Union nationale des professions libérales (UNAPL) en fonction de l’évolution du projet de loi. « Nous avons le sentiment d’avoir été entendus, concède Philippe Besset de la FSPF, mais nous attendons maintenant la déclinaison des mesures dans le projet de loi avant de crier victoire ». Et de préciser que « l’enfer est dans les détails ».

Reverrons-nous bientôt la quasi-totalité des pharmaciens et préparateurs arpentant les rues de France et de Navarre en tenues de combat – blouses, brassards, pancartes – pour un deuxième mardi vert ? Le 30 septembre, l’heure était grave, parce qu’« habituellement, la solidarité entre officines est plutôt rare », nous avait confié Amélie Braban, préparatrice à Saint-Étienne et manifestante. Aujourd’hui, on peut le dire, la mobilisation a bien payé.

Chronologie des faits

30 septembre : manifestation des professionnels libéraux.

1er octobre : réunion entre syndicats de titulaires (FSPF, USPO et UNPF), ordre des pharmaciens, ministères de l’Économie et de la Santé.

6 octobre : deuxième réunion.

9 octobre : L’UNAPL réunit en urgence son conseil national (présidents des 62 syndicats adhérents). Décision de poursuivre la mobilisation (affiches, pétition, interpellation des parlementaires et élus). Programmation d’une manifestation si le texte de loi ne répond pas aux attentes.

30 octobre : date butoir de retour du rapport de mission du député Richard Ferrand sur l’impact territorial du projet de loi.

Les trois piliers de l’officine… aujourd’hui

1. Le monopole pharmaceutique : les médicaments ne sont pas des produits comme les autres. Ils sont soumis à une autorisation de mise sur le marché (AMM) et leur vente est réglementée. Ils ne peuvent être vendus qu’en officine et par des pharmaciens.

2. Le maillage territorial : les pharmaciens ne peuvent pas s’installer n’importe où. La commune d’implantation doit franchir le seuil des 2 500 habitants pour justifier l’ouverture d’une première officine. Une autre peut ouvrir à chaque tranche de 4 500 habitants supplémentaires.

3. Le capital : les pharmaciens sont les seuls à pouvoir détenir des parts de chiffre d’affaires d’une officine. Ils ne peuvent en revanche en posséder qu’une, dans laquelle ils doivent exercer personnellement leur profession. Cette règle est garante de leur indépendance.