Métier Réservé aux abonnés

Papa où t’es ?

Publié le 23 septembre 2022
Par Annabelle Alix
Mettre en favori

Désillusion, perte de contrôle, chamboulement psychique et manque de repères sont des sentiments bien connus des futurs et jeunes papas. La dépression les guette, mais les officinaux peuvent leur apporter des solutions.

« Tout le monde sait comment on fait les bébés, mais personne ne sait comment on fait des papas », chantait l’artiste Stromae dans le titre Papaoutai, en 2013. Malgré un chamboulement psychique, une place à trouver dans le foyer et à l’extérieur, des émotions refoulées source de maux physiques ou de refuge dans le travail, les papas actuels sont plus présents et plus investis auprès de leurs (futurs) enfants.

« Après la naissance de ma fille, j’ai laissé tomber mon travail pour m’en occuper pendant trois ans, de A à Z, jusqu’à son entrée en maternelle », raconte Jonathan, 43 ans et papa d’Eva (7 ans). Si les pères au foyer restent rares, les papas s’émancipent aujourd’hui de leur modèle paternel et tentent de relever les défis de la parentalité bienveillante. Non sans difficultés, puisque 8 % sont touchés par la dépression et beaucoup ont du mal à trouver leur place.

Une nouvelle identité

« Devenir parent, c’est se déconstruire homme ou femme, pour se reconstruire père ou mère. C’est s’inscrire dans une nouvelle identité, pose Sarah Benjilany, sage-femme, consultante en lactation IBCLC(1) et formatrice en périnatalité à Enghien-les-Bains (95). Il y a un processus psychique à légitimer. » Comme la femme enceinte, le futur père est renvoyé à son enfance et doit en faire le deuil(2). « Il se réactive des choses en lui, en fonction du bébé qu’il a été, de la mère qu’il a eue, du père qu’il a eu et auquel il s’identifie ou non, développe Solène Ekizian, docteure en psychopathologie et psychanalyste à La Fare-les-Oliviers (13). L’entourage et la société s’enquièrent de la maman et du bébé mais font peu de cas du papa qui, pourtant, est tout aussi chamboulé dans son identité, alors qu’il ne vit pas les transformations dans son corps ».

Autrefois, les rituels de passage d’une étape de la vie à une autre permettaient de circonscrire les angoisses. La couvade rituelle, observée dans le Pays basque médiéval, désigne une coutume selon laquelle un futur père, peu avant l’accouchement de sa femme, se mettait au lit, imitait la grossesse et se plaignait des douleurs de l’enfantement, tandis qu’on lui accordait le traitement des femmes en travail. Le dictionnaire Larousse définit la couvade comme « une coutume rencontrée dans certaines sociétés où, après l’accouchement, le père joue le rôle social de la mère et est au centre des réjouissances. » Ce folklore a déserté l’Occident.

Pourtant, « on ne peut pas s’inscrire dans une nouvelle identité et l’intégrer sans marqueurs, ou alors les angoisses peuvent s’inscrire dans le corps, reprend Sarah Benjilany. La sage-femme observe toute une déclinaison de manifestations psychosomatiques chez les papas : maux de grossesse, problèmes ORL, ostéo-articulaires… Elle parle de couvade psychologique. Solène Ekizian a, elle, observé ce phénomène chez un patient : « Quand sa femme était enceinte, le papa s’est mis à avoir des symptômes : nausées, petits maux de toutes sortes, jusqu’à ce que sa belle-mère se mette à son écoute et commence à prendre soin de lui, avant de l’emmener à la pharmacie. Il est rentré tout heureux, brandissant un test pour une allergie en criant, tout impatient : “On va voir s’il est positif !” « En devenant papa, « on passe du centrage sur soi au centrage sur l’autre, soulève Damien Chamballon, 37 ans, préparateur à Vouillé (86) et papa d’Augustine, 4 ans et demi. Pour les hommes, qui se sentent parfois de grands enfants, qui ont l’habitude d’être un peu maternés et qui doivent soudain se mettre à materner à leur tour, cela peut être angoissant ! « Solène Ekizian rappelle(3) que, « pour le pédopsychiatre français Roger Teboul, l’investissement psychique autour du bébé compterait même plus que l’acte sexuel en lui-même pour que le bébé s’incarne ».

Trouver sa place n’est pas aisé

Face aux chamboulements, le (futur) père a souvent des sentiments ambivalents : enthousiaste, paniqué, heureux, déçu, craintif, fier. Certains se sentent exclus de l’intimité entre la mère et le fœtus, puis avec le bébé(2), notamment pendant l’allaitement. « Un papa m’a même dit un jour que son bébé lui volait sa femme », confie Marie Flecher, naturopathe et doula, accompagnatrice de couples en périnatal à Salon-de-Provence (13) (voir le site naissances-harmonieuses.fr). « En 1944, Winnicott. [pédiatre et psychanalyste anglais] évoquait le fait qu’un père ne peut prendre que la place que la mère accepte de lui donner, rappelle Solène Ekizian(3). Dans les premiers moments de vie, le bébé et sa maman vivent dans l’illusion qu’ils ne font qu’un. L’intervention du père dans cette dyade semble donc dépendre complètement d’elle. Le plus souvent, la place accordée au deuxième parent dépend encore beaucoup de la mère ». Pour Damien Chamballon, les institutions encadrant la naissance n’aident pas le père à prendre sa place. « À la maternité, le personnel s’adressait systématiquement à la maman quand il venait montrer comment faire un soin au bébé. D’une façon générale, dès la grossesse, les professionnels de santé ne parlent qu’aux mamans et continuent après la naissance. Quand on veut prendre la main à la maison, souvent, la mère s’interpose en disant “Laisse-moi, je vais le faire”, car il est communément admis qu’elle sait mieux s’y prendre. On perd confiance, on se sent inutile, on se met en retrait ». Être parent, c’est lâcher prise, c’est tâtonner, se tromper, s’adapter en permanence. « J’ai suivi un papa plein de bonnes intentions avant la naissance de son bébé. Il prévoyait de cuisiner, de masser sa femme, raconte Marie Flecher. Une fois le bébé né, il s’est désinvesti complètement car il n’arrivait pas à trouver sa place. Au point de dormir seul dans le salon, avec des boules Quies pour ne pas entendre le bébé pleurer ! » Moins le papa passe de temps seul avec son bébé, moins il le connaît, moins il le comprend et moins il peut supporter les pleurs ou les contraintes de la paternité(4). C’est un cercle vicieux, lié à l’absence de lien. Face aux difficultés, « l’idéalisation de la naissance en prend un sacré coup », pointe Damien Chamballon. Ultra-planifiée, parfois longuement attendue, à cause des fréquents problèmes de fertilité, la naissance est maintes fois pensée par les futurs parents, nourris dans leur imaginaire par les hashtags #vieparfaite des réseaux sociaux qui n’en dépeignent que les côtés roses. Une fois face au réel, chaque difficulté crée un malaise et active le levier de la culpabilité.

Publicité

Masquer sa peine

Pour faire face, le père prend parfois la fuite, désinvestissant l’enfant et surinvestissant travail et loisirs, réagit avec agressivité, avec bagarres à l’extérieur, blessures sportives, ou sombre dans l’angoisse(2). Ces mécanismes de défense contre ses émotions s’expliquent par le fait que « l’homme ne se connecte pas à ce qu’il ressent », pointe Marie Flecher. « La société l’a décrit comme celui qui doit être fort, qui ne doit pas pleurer, ni s’épancher », déplore Damien Chamballon. Le père refoule ses émotions, et n’ose les partager. « J’ai eu un client, futur papa, qui stressait énormément à l’approche de la naissance de son enfant, à n’en plus dormir, se souvient Angélique, préparatrice. Ce n’est pas lui qui nous en a parlé mais sa femme ! »

« Lors de mes ateliers allaitement, à deux ou trois reprises, j’ai compris que la maman avait pris rendez-vous pour un petit prétexte. Une fois avec eux, je me suis aperçue que c’était en fait le papa à qui l’allaitement posait problème », raconte Eugénie Guyennon, pharmacienne et formatrice en périnatalité. Les pères souffrent encore des stigmates du patriarcat. « Ils sont toujours enfermés dans un schéma qui leur impose de porter financièrement la famille et sont rappelés à l’ordre par le patron s’ils essaient de s’en émanciper, par exemple en partant plus tôt pour aller chercher un enfant malade », note Marie Flecher. De nombreux pères évoquent un sentiment d’injustice, de frustration et un manque de considération de leur rôle dans les médias et au sein de la société(4).

La dépression guette

Un chamboulement psychique sous les radars, une place qui se cherche et non reconnue, des émotions qui ne peuvent s’exprimer, ces difficultés s’ajoutent au rythme effréné des parents, entre travail le jour et réveils nocturnes, organisation matinale militaire et soirées sans répit. Car, en dépit des difficultés, la plupart des pères s’investissent. Environ 80 % assistent à l’accouchement. Près des trois quarts se lèvent la nuit si l’enfant en a besoin et 80 % se libèrent pour faire face à un imprévu, pédiatre, école (voir encadré p. 25). Les artisans et indépendants adaptent pour leur part leurs horaires(5).

La parentalité positive ajoute son lot de difficultés. « Les pratiques éducatives évoluent avec l’actualisation et la vulgarisation des connaissances scientifiques sur le développement de l’enfant, explique Solène Ekizian. La nouvelle génération de parents sait, par exemple, que laisser pleurer un bébé trop longtemps trop souvent est générateur de stress, et donc de cortisol, qui empêche les structures cérébrales de bien se développer ». Elle sait aussi que la présence et l’engagement significatif du père améliorent les compétences cognitives et sociales de l’enfant, leur estime et leur santé mentale(6).

Dans ce contexte, les parents font preuve de présence et d’attention, alors que souvent, tous deux travaillent, et que la famille n’est plus toujours un relais sur lequel compter(7). À l’issue d’un court congé paternité (voir encadré p. 24), le père est vite épuisé physiquement et psychologiquement. Le couple doit aussi retrouver un équilibre. Durant la première année de vie du bébé, les tensions sont fréquentes, c’est le fameux « baby clash ». La dépression paternelle touche 8 % des hommes(4). Cas extrême, « cette dépression du post-partum chez les hommes est souvent le résultat d’un cocktail entre un quotidien difficile, un bébé malade insuffisamment traité par exemple pour un reflux ou des coliques et une fragilité qui se réveille avec la paternité », pointe Solène Ekizian.

Ouvrir une brèche

« Ce n’est pas au pharmacien ou au préparateur de détecter une dépression paternelle naissante ou installée, concède Solène Ekizian, mais il peut être attentif et à l’écoute. Si le client est irritable, perd vite patience, se met facilement en colère ou est fatigué, s’il vous dit qu’il fait des insomnies ou si vous comprenez qu’il travaille beaucoup », la question « Avez-vous eu un bébé récemment ? » peut se poser. Lorsqu’on connaît le client, « on remarque la fatigue, l’humeur pas très joyeuse, note Eugénie Guyennon. On peut alors demander “Comment cela se passe-t-il ? Comment vivez-vous l’arrivée de ce bébé ?” « Certains papas annonceront eux-mêmes la couleur, en restant en général centrés sur un symptôme physique : « Ils viennent chercher quelque chose pour pallier le stress et la fatigue liés à l’arrivée du bébé », raconte Cécilia, préparatrice. Parfois, il faut investiguer, comme l’a fait Mélodie, autre préparatrice : « Le papa m’a dit qu’il dormait très mal. Je lui ai posé des questions pour identifier le problème. Il en est venu à me donner la raison. Je l’ai orienté vers une formule à base de plantes pour l’apaiser et l’aider à dormir. » Pour Sarah Benjilany, « il est important de s’enquérir des papas avec empathie. Au départ, ils vous répondront sûrement que tout va bien, que ce n’est pas eux qui sont enceintes ou viennent d’accoucher, concède la sage-femme. Mais, en insistant, le professionnel de santé ouvrira en eux cette porte légitime, ce droit d’aller mal, d’être écouté et considéré comme un individu qui traverse un bouleversement psychique. Lorsqu’une relation de confiance est déjà instaurée, le regard et la voix du professionnel auront encore plus d’impact. » Damien Chamballon rejoint cet avis : « Même si le papa ne saisit pas tout de suite la perche, la question aura eu le mérite d’ouvrir une brèche, de faire réfléchir. Personnellement, j’aurais été ravi qu’on s’intéresse un peu à moi ! »

Si le besoin se fait sentir ou si le papa le demande, l’officinal peut l’orienter vers son médecin, un psychologue de la protection maternelle et infantile (PMI), à l’hôpital ou en libéral, vers un « réseau périnatalité » ou une unité périnatale mobile. L’idéal est de s’informer de l’offre locale, à l’aide d’ Internet ou de l’application ou du site « 1 000 premiers jours ».

Action prévention

Exerçant dans un lieu de santé de proximité, les officinaux sont en bonne place pour agir sur la prévention. À eux d’aider le papa à investir au plus tôt sa paternité, en s’adressant au père autant qu’à la mère quand les deux sont présents, en utilisant un vocabulaire inclusif : parentalité plutôt que maternage, naissance plutôt qu’accouchement, en aménageant un rayon « parents-bébé » qui évite le look ultra-genré…

Pour Eugénie Guyennon, « l’achat d’un test de grossesse, de compléments alimentaires “conception” ou “grossesse”, d’acide folique ou un sevrage tabagique peut soulever la question d’une grossesse. Si elle est confirmée, il faut parler de la visite pré-conceptuelle gratuite effectuée en couple avec un gynécologue, une sage-femme ou un généraliste. Elle sert à faire le point sur l’état de santé des parents et sur d’éventuelles difficultés : addictions, traitements… »

Quant aux doulas, encore peu connues, ce sont des femmes qui proposent un soutien aux futurs et jeunes parents, de la grossesse à l’après-naissance. À Salon-de-Provence (13), Marie Flecher prépare les futurs parents aux difficultés qu’ils pourraient rencontrer : « Je leur donne de petits conseils, comme inclure des heures de ménage ou des repas dans la liste de naissance. Je les aide à définir une organisation, qui pourra bien sûr évoluer, mais qui pose déjà des points de repère, pour éviter de se faire submerger par la vague du post-natal. C’est le moment de réfléchir à ce que pourrait être le rôle du papa, notamment pendant l’allaitement. Je leur offre aussi une écoute ». Elle propose des ateliers massage papa-bébé. Un moyen de créer le lien, de prendre confiance, de réduire les angoisses. « En général, au départ, les papas approchent timidement les mains, n’osent pas appuyer, ils les chatouillent » observe la doula. Peu à peu, ils prennent confiance, et une véritable complicité se crée avec le bébé. » Et si l’officine proposait des ateliers ? Ateliers portage, massages, allaitement ou parentalité pourraient voir le jour avec l’aide d’intervenants extérieurs, comme « les cafés entre papas ou les groupes de parole », propose Solène Ekizian. Les officinaux peuvent se former pour les organiser eux-mêmes.

Philippine, 29 ans, préparatrice à Toulouse (31), a suivi une formation de babyplanner via son compte personnel de formation (CPF). « J’aide les parents dans l’organisation familiale qui entoure le bébé : conseils en matériel de puériculture, recherche d’une place en crèche, gestion de la liste de naissance…, en fonction des souhaits des parents », explique-t-elle. La préparatrice met actuellement ses nouvelles compétences à l’œuvre en pharmacie, où elle vient de mener son premier atelier allaitement, intégrant la question de la place du père. Elle est désormais la référente parentalité de l’officine et propose des entretiens individuels (Instagram : Newlife_babyplanner). Avis aux amateurs !

(1) Certification International Board Certified Lactation Consultant.

(2) Le vécu des futurs pères pendant la grossesse, Lou Le Brun, 2016.

(3) Thérapie « bébé-parents » d’approche psychanalytique : dispositif d’une micro-analyse, Solène Ekizian, Université Paris Cité, Université fédérale du Minas Gerais, 2021.

(4) Rapport de la commission des 1 000 premiers jours, septembre 2020, ministère des Solidarités et de la Santé.

(5) Être père aujourd’hui, Union nationale des associations familiales, www.unaf.fr, juin 2016.

(6) L’engagement des pères : le rapport 2007-2008 sur la situation et les besoins des familles et des enfants (Québec), www.mfa.gouv.qc.ca

(7) Le rôle des grands-parents dans la vie familiale, Unaf, avril 2020.

L’évolution du père au fil du temps

Tout-puissant dans l’Antiquité, le père endosse des obligations éducatives au Moyen Âge, et pédagogiques à la Renaissance (transmission d’un héritage moral, spirituel, affectif et culturel).

En 1883, l’école obligatoire retire au père sa mission d’éducation, et de plus en plus de lois protègent l’enfant de l’autoritarisme paternel.

Après la Deuxième Guerre mondiale, la famille nucléaire apparaît (indépendance physique du père, de la mère et de leurs enfants vis-à-vis du reste de la famille).

En 1970, alors que les femmes se rebellent contre l’étau patriarcal, l’autorité paternelle est remplacée par l’autorité parentale conjointe dans le code civil. Une étude américaine révèle que les pères sont de plus en plus présents et impliqués dans les soins, l’alimentation et l’éducation de l’enfant.

Cette tendance se renforce dans les années 1980, avec la généralisation du travail des femmes, l’explosion des divorces, les échographies qui permettent au père de partager visuellement la grossesse et les écrits de Françoise Dolto, pédiatre et psychanalyste, vantant une éducation plus respectueuse de l’enfant.

Source : Place du père autour de la naissance : point de vue des professionnels de santé dans une maternité de type III (région Auvergne-Rhône-Alpes), Anaïs Chateau, 2019. À lire sur le site https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02469482/document

Un congé paternité trop court

Depuis le 1er juillet 2021, le congé paternité est de vingt-cinq jours calendaires, contre quatorze auparavant, en plus des trois jours de congé de naissance. Il est de trois à cinq semaines au Québec, de quinze à dix-neuf semaines en Norvège, de sept mois en Finlande. Une étude norvégienne révèle que les pères ayant bénéficié d’un congé ont une meilleure relation avec leur bébé. Plus ce congé est long, plus la compréhension du développement de l’enfant par les pères et leur joie d’être un acteur actif augmentent. Le congé paternité favorise aussi l’alliance co-parentale et promeut le partage équitable du travail et de la vie de famille entre parents(3).

L’égalité progresse lentement

Si les pères s’impliquent de plus en plus auprès de leurs enfants, ils n’égalent pas pour autant l’investissement de la mère, mais les fonctions parentales tendent à se mélanger.

Les papas d’aujourd’hui puisent leurs modèles dans les médias, auprès d’un entourage choisi, dans les valeurs du couple, s’inspirant même de figures féminines, mère, conjointe ou ex-conjointe. Ils créent ensuite leur identité paternelle à partir de leurs aptitudes, de leur personnalité et de leur histoire. 86 % des pères déclarent élever leurs enfants différemment de leurs pères, lesquels étaient peu, voire pas du tout impliqués. Ils se disent plus présents, plus à l’écoute, dialoguent davantage, sont plus proches et plus affectifs. Ces caractéristiques reflètent surtout les pères des milieux favorisés(4).

Plus de 70 % prennent leur congé de paternité, durant lequel 80 % des mères se sentent aidées, voire très aidées. 73 % des pères se lèvent la nuit si l’enfant en a besoin, 80 % des pères se libèrent pour faire face à un imprévu (pédiatre, école…) et 77 % des mères sont très satisfaites de cette implication(*).

Des fonctions interchangeables

Les nouveaux pères adhèrent à une vision égalitaire des rôles parentaux, pensés en complémentarité, avec des différences d’implication qui dépendent davantage des préférences personnelles que du genre(4). Christine Castelain-Meunier, sociologue au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), parle d’une « transformation anthropologique profonde, vers une humanisation du masculin »(**). « Dans certains domaines, la mère jouera désormais le rôle cadrant quand le père se montrera plus souple et rassurant, et dans d’autres, les rôles s’inverseront, en fonction de la personnalité des parents, développe pour sa part Solène Ekizian, docteure en psychopathologie et psychanalyste à La Fare-les-Oliviers (13). Le psychologue Albert Ciccone parle de biparentalité psychique pour désigner les aspects dits maternels et paternels présents en chacun des parents. Il vaudrait mieux parler de “fonction contenante, rassurante” et de “fonction cadrante, limitante” pour désigner ces deux rôles nécessaires et complémentaires ». Cette terminologie permettrait d’intégrer l’interchangeabilité des fonctions entre parents, l’émancipation des stéréotypes de genre observée socialement (voir enquête sur la transidentité, dans Porphyre n° 588-589, juillet-août 2022) et de dédiaboliser l’homoparentalité.

Les mères plus investies

« Je vois pas mal de papas en sortie de maternité qui s’intéressent, posent des questions : à quoi sert la vitamine K1, pourquoi le fer, quelles sont les alternatives à la vitamine D ?, rapporte Cécilia, préparatrice. Ils nous questionnent sur les coliques, les laits infantiles… » Pauline, autre préparatrice, reçoit parfois des papas avec une ordonnance pour un tire-lait. Elle sourit : « Je leur explique tout, et généralement, ils ne sont pas apeurés ».

Malgré tout, les pères sont souvent munis d’un Post-it avisé de leur femme, ignorent le poids de l’enfant, doivent appeler la mère pour répondre aux questions… Certes, « ils s’investissent davantage mais la mère semble encore supporter la plus grande partie de la charge mentale », regrette Aurore, préparatrice. Les mamans passent plus de temps avec les enfants, prennent en charge les trois quarts des soins, du suivi scolaire, des trajets d’accompagnement et le suivi médical demeure l’activité la plus féminisée ; il est géré par la mère chez 61 % des couples. Seules les activités de jeux et de socialisation sont partagées à parts égales(4).

(3) Thérapie « bébé-parents » d’approche psychanalytique : dispositif d’une micro-analyse, Solène Ekizian, Université Paris Cité, Université fédérale du Minas Gerais, 2021.

(4) Rapport de la commission des 1 000 premiers jours, septembre 2020, ministère des Solidarités et de la Santé.

(*) Bébé attentif cherche adulte(s) attentionné(s), Gérard Révérend, 2018, éd. Erès, https://bit.ly/3KIgLfj

(**) À quoi ressemblent les pères en 2022 ?, France Inter, émission du mercredi 15 juin 2022, podcast : https://bit.ly/3Tt3tr0