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Mobilisation des sous-traitants

Publié le 1 février 2004
Par Claire Bouquigny et Claire Manicot
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La toute nouvelle « Société des officinaux sous-traitants des préparations » (SOTP) entend harmoniser les pratiques liées à l’activité du préparatoire et de la sous-traitance.

C’est la révolution chez les sous-traitants de préparations magistrales. Alors qu’ils se considèrent eux-mêmes comme des marginaux dans le monde de l’officine, ils ont décidé de s’associer. À l’origine de ce mouvement, Dominique Martin-Privat, titulaire à Montpellier, Alain Jayne, titulaire à la pharmacie des Rosiers à Marseille et Fabien Bruno de la pharmacie Delpech à Paris. Ils ont contacté une trentaine de sous-traitants et posé les bases d’une association qui vient de voir le jour en janvier 2004. Tous n’ont pas encore adhéré mais nombre d’entre eux ont manifesté le plus grand intérêt. Ceux qui ont franchi le pas veulent faire évoluer leur pratique professionnelle et faire reconnaître leur spécificité. « Nous souhaitons nous imposer des normes de qualité supérieures aux recommandations existantes, » explique Sylvie Courtin, titulaire de la pharmacie Maubeuge à Paris et secrétaire générale de l’association. « Nous avons créé un réseau relationnel qui va nous permettre d’évoluer et de nous entraider » rapporte Dominique Martin-Privat, la présidente. Et d’après les statuts de l’association, chacun des adhérents se doit « d’adresser toute information utile et toute indication dont il aurait connaissance, susceptible de contribuer aux intérêts de la société ». La réunion inaugurale du 8 janvier a réuni seize titulaires d’officines. Un bon score si l’on estime le nombre des sous-traitants à trente (voir carte). « Je pense que les autres sous-traitants vont se joindre à nous », estime Jean Schies de la pharmacie de l’Europe à Paris.

La sous-traitance au grand jour

Ce ne serait pas étonnant d’autant que leur mobilisation a pris des allures de fête autour d’une coupe de champagne. Tant ils semblaient heureux de se retrouver. Et pour cause, la sous-traitance peut sortir de l’ombre, sans craindre les foudres de la profession. Si les Bonnes pratiques des préparations officinales (BPPO) restent le seul document officiel qui fait état de la sous-traitance en France, les recommandations de mai 2003 réaffirment une réalité qui s’est imposée ces dernières années. Les sous-traitants apprécient désormais sous l’égide de leur association de pouvoir confronter leurs expériences, échanger leurs points de vue, mettre en commun leurs connaissances et discuter de leurs problèmes pour tenter de les résoudre ensemble. Et déjà depuis plusieurs mois, les sous-traitants se réunissent et organisent de véritables groupes de travail.

Les travaux d’une société savante

La première tâche à laquelle se sont attelés Alain Jayne, Didier Bœuf de Pélussin et Michel Saiag de Paris a été d’écrire les statuts de l’association et de définir sa raison d’être. « Nous avons pris le nom de société savante, afin de pouvoir publier les travaux que nous allons effectuer avec des personnes qui font référence en la matière, qu’ils soient universitaires et spécialistes en pharmacologie, en bactériologie, en chimiothérapie… ou qu’ils soient dans la fonction publique, comme responsables de la caisse primaire d’assurance maladie ou inspecteurs à la Direction générale de la Santé », commente Dominique Martin-Privat. Un deuxième groupe de pharmaciens, constitué de Eva Assor (pharmacie Flak), Sylvie Courtin et Fabien Bruno, tous trois titulaires à Paris, a travaillé sur l’écriture des procédures et élaboré un document donnant une trame générale : « chaque pharmacien va se réapproprier ce travail et l’adapter à son propre exercice en fonction de la taille de son officine, de ses locaux et du nombre de préparations qu’il réalise. » Par ailleurs, les pharmaciens travaillent à l’élaboration d’un contrat type de sous-traitance. Ces travaux vont être suivis de nombreux autres et en premier lieu d’un dossier qui traitera des fournisseurs de matières premières. Objectif : réaliser des audits pour vérifier la qualité des produits qu’ils proposent et leur rapidité de réponse à la commande. Ils souhaitent aussi mettre au point avec les fournisseurs des tests d’identification rapides et complets.

L’informatique au service de la sous-traitance

Les sous-traitants disposent de systèmes informatiques de sécurité pour le contrôle des prescriptions de préparation. « Nous refusons de réaliser des préparations aux dosages aberrants ou des mélanges de produits fantaisistes », témoigne Fabien Bruno. « Pour améliorer ces dispositifs, nous travaillons avec des professeurs de pharmacologie et des sociétés informatiques », estime Dominique Martin-Privat. Les produits dont les principes actifs seront reconnaissables par l’apposition de code barres seront scannés en même temps que les ordonnances. Le système informatique analysera automatiquement les données, vérifiera l’absence d’incompatibilités et ne débloquera les balances de pesée que si les doses prescrites sur l’ordonnance se trouvent à l’intérieur d’une fourchette de valeurs. Monique Le Gall (Vieux-Port, Marseille) qui s’est penchée sur ce problème avec Gérard Magnaudeix (Pharmacie Principale, Montpellier) et Dominique Martin-Privat, s’est renseignée sur les systèmes informatiques utilisés par chacun : « je leur demande leur desiderata afin de mettre toutes les idées en commun. »

Une charte de qualité pour tous les membres

Les membres de l’association ont le souci de créer leurs propres normes, afin qu’elles deviennent des règles internes fixées par la société savante, et ils seront tenus, de par l’article 7 des statuts de l’association définissant les devoirs de l’adhérent, de « respecter les dispositions… de la charte de qualité » qu’ils vont édicter au fil des mois. L’adaptation de chacun à ces nouvelles normes va demander un travail de mise à niveau. À commencer par la réécriture des procédures de toutes les étapes de chacune des opérations effectuées au préparatoire à partir du canevas proposé le groupe de travail. Robert Fabre souligne que « chacun devra faire le nécessaire pour arriver aux normes tout en respectant un délai de mise en conformité », car comme le remarque Christian Richard (Dijon), « l’objet de l’association est d’être sans faute par rapport à l’inspection. Il nous faudra être très sélectif dans le cadre des locaux, du matériel ou de la traçabilité. On fait tout un travail qui permettra d’anticiper les demandes futures. » Ainsi la mise en commun de l’ensemble des remarques faites par les inspecteurs de la pharmacie va « nous permettre d’être au top puisque nous tiendrons compte de toutes les critiques qui pourront être faites à chacun d’entre nous », s’enthousiasme Sylvie Courtin. Et de transformer en atout ce qui est aujourd’hui un handicap, à savoir la disparité des contrôles effectués par les inspections régionales de pharmacies. Les sous-traitants savent bien, comme le remarque un pharmacien, que « les inspections différent selon les régions et même selon les moments de l’année où elles sont pratiquées, les inspecteurs adoptant des attitudes différentes vis-à-vis d’un même problème. » Car chacun est libre d’interpréter à sa manière les recommandations légales. Cela vaut aussi pour les préparations pédiatriques qui sont tolérées par l’inspection, sans être toutefois formellement autorisées, dans certaines régions et strictement interdites dans d’autres si elles ne sont pas réalisées avec des principes actifs non conditionnés selon les indications de la loi Talon.

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Le casse-tête des préparations pédiatriques

« Nous sommes régulièrement amenés à réaliser des préparations pédiatriques pour des enfants prématurés souffrant de problèmes cardiaques ou rénaux, d’hypertension ou d’intoxication morphinique. Les médicaments qui permettent de les soigner n’existent pas sous la forme infantile et les médecins ont recours à des molécules conçues et testées pour des adultes dont ils adaptent la posologie. Ces préparations sont complexes à réaliser et nous devons respecter des règles importantes : vérifier que le poids et l’âge de l’enfant sont bien mentionnés, contrôler les contre-indications, les incompatibilités, les pesées et les numéros de lots des principes actifs. Nous ajoutons un traceur coloré et étalonné afin de vérifier que la poudre est bien homogène et nous prenons généralement du lactose comme excipient car les cas d’allergies sont rares » explique Dominique Martin-Privat. Le déconditionnement des spécialités pharmaceutiques dans le but de réaliser des dosages pédiatriques n’est autorisé qu’à l’hôpital. Les officinaux doivent, eux, demander les principes actifs aux laboratoires fabricants mais ceux-ci refusent bien souvent de les fournir et le déconditionnement devient alors une obligation car, en l’absence de spécialités pharmaceutiques adaptées, les préparations magistrales sont le seul moyen de soigner les maladies orphelines. « Le problème est accentué par le fait que nous devons souvent réaliser ces préparations dans l’urgence, ajoute Mme Martin-Privat, et qu’il n’existe aucune littérature scientifique à laquelle nous puissions nous référer en ce qui concerne les doses à administrer par unités de poids corporel et de temps. Nous avons commencé à établir des fiches indiquant les posologies d’une quarantaine de molécules couramment utilisées dans des préparations pédiatriques et nous avons fait validé ces dosages par des médecins hospitaliers. » Et Marc Barthélemy d’ajouter : « il faut que les non-dit viennent sur le devant de la scène, afin que nous puissions faire avancer les choses, qu’il s’agisse de préparations pédiatriques, de tarifs ou de remboursements. » Car dans ces deux derniers domaines aussi, il n’y a pas de texte réglementaire qui soit directement applicable à un exercice officinal actuel.

Pour une harmonisation des remboursements

Le Tarif pharmaceutique national (TPN), que les officinaux devraient utiliser pour calculer les prix des préparations qu’ils réalisent, n’est plus utilisé par personne car il date de 1974 et n’a jamais été réactualisé depuis. Quant aux remboursements des préparations magistrales, il semblerait que la décision soit laissée à l’initiative des responsables des caisses régionales d’assurance maladie, ce qui entraîne de grandes disparités au niveau national. Certains se réfèrent encore à la loi Evin, instituant le déremboursement de toutes les préparations, qui a pourtant été annulée, d’autres s’appuient sur un décret, qui donne une liste restrictive de principes actifs ouvrant seuls droit au remboursement, qui a lui aussi été annulé en 1996. En principe, les préparations ayant une visée thérapeutique ouvrent droit au remboursement mais la personne qui prend la responsabilité d’inscrire PMR (Préparation magistrale remboursable) sur l’ordonnance peut être soit le médecin, soit le pharmacien. Il n’y a pas de règle stricte, ce qui fait dire à un pharmacien : « ce ne devrait être ni l’un, ni l’autre mais la loi qui fixe les règles de remboursement. » L’association des sous-traitants est lancée, elle s’est donnée pour rôle de faciliter l’activité de ses membres « dans le domaine des préparations magistrales en collaboration avec les instances syndicales, ordinales et les pouvoirs publics. » Et… avec l’inspection de la pharmacie car certains souhaitent pouvoir travailler avec un inspecteur « qui soit un référent au niveau national et que nous pourrions appeler en cas de problèmes particuliers à l’exercice du préparatoire. »

Le reportage photo sur le préparatoire (pages 18 et 19) a été réalisé à la Pharmacie Maubeuge, Paris 9e.

Repères

Longtemps la préparation magistrale ne fut jamais préparée à l’avance

D’après le code de la santé publique, une préparation magistrale est « tout médicament préparé extemporanément en pharmacie selon une prescription destinée à un malade déterminé ». Si l’on considérait seulement cette définition, la préparation magistrale ne pourrait être sous-traitée.

La définition de la préparation magistrale a évolué

La définition du code de la santé publique exige a priori que la préparation soit réalisée « extemporanément », c’est-à-dire au moment de la présentation de l’ordonnance au pharmacien. Or cette exigence ne figure pas dans une directive européenne (1) qui doit primer sur le texte national. Le conseil national de l’Ordre en a d’ailleurs tenu compte dans deux décisions disciplinaires (2) estimant possible la réalisation par lots et par avance des préparations magistrales.

(1) N° 65/65/CEE du 26 janvier 1965-JOCE 369/65, 9 février).

(2) CNOP. Déc. 14 mars 2002 (Nouvelles pharmaceutiques 2002, n° 375, 181-185).

Les recommandations officielles de 1988 ont confirmé la possibilité de sous-traiter

La sous-traitance est apparue pour la première fois dans un texte officiel en 1988, dans le guide des Bonnes pratiques de préparations officinales (BPPO), bulletin officiel n° 88/7 bis de la direction de la pharmacie et du médicament.

« Une pharmacie peut exceptionnellement, dans certaines circonstances bien définies, notamment lorsqu’il ne dispose pas de moyens techniques lui permettant d’assurer la qualité de la préparation demandée, confier la réalisation d’une préparation ou la mise en œuvre de contrôles à un tiers, à l’exclusion des identifications. La répartition entre les deux parties des opérations et vérifications effectuées doit être consignée par écrit. Cette pratique n’exonère pas le donneur d’ordre de sa propre responsabilité (…) La sous-traitance ne peut être envisageable que pour les préparations individuelles sur prescription médicale nécessitant la mise en œuvre de procédés très spécialisés ou, à titre exceptionnel ; lorsqu’il existe un problème ponctuel d’approvisionnement en matière première. L’exécution doit en être assurée par un autre pharmacien d’officine, d’établissement de soins ou d’établissement pharmaceutique de préparation en gros de médicaments. »

La sous-traitance remise au goût du jour par l’Adrapharm

En mai 2003, l’Adrapharm a publié des recommandations relatives aux BPP0. La notion du recours à la sous-traitance pour des situations exceptionnelles disparaît.

« Un pharmacien (donneur d’ordre) peut dans certaines circonstances, en particulier lorsqu’il ne dispose pas de moyens lui permettant d’assurer la préparation demandée confier la réalisation d’une préparation à un confrère (sous-traitant) ou confier la mise en œuvre de contrôles à un tiers disposant de moyens adaptés. La répartition entre les deux parties des opérations effectuées doit être consignée par écrit en mentionnant les responsabilités de chacun. Sauf accord écrit du donneur d’ordre, le sous-traitant ne peut lui-même sous-traiter tout ou partie du travail confié. Cette pratique n’exonère pas le donneur d’ordre de sa propre responsabilité. »

Le cas particulier des préparations officinales

Les préparations officinales ne peuvent être sous-traitées. Elles ont par ailleurs la particularité d’être confectionnées d’après des formules figurant au Formulaire national de 1947.

« Nous rédigeons des fiches de préparations pédiatriques pour les molécules les plus utilisées. »

Nous avons monté un dossier sur chacune des 35 molécules les plus couramment utilisées dans les préparations pédiatriques, notant les dosages demandés, téléphonant aux médecins hospitaliers pour qu’ils confirment leurs prescriptions. Nous avons établi un recueil des posologies recommandées en quantités de principe actif par poids corporel et par jour (mg/kg/j). Ces résultats ayant été validés par des médecins de l’Assistance publique, nous les utiliserons comme base de travail dans notre association.

Dominique Martin-Privat, titulaire à Montpellier, présidente de la SOTP.

« Nous souhaitons la généralisation des contrats de sous-traitance. »

Nous préparons un contrat-type qui sera validé par un juriste spécialisé et que chaque sous-traitant adaptera en fonction des particularités de son préparatoire Le contrat de sous-traitance détermine les responsabilités de chacun, il est signé par les deux pharmaciens. Le sous-traitant s’engage à respecter les BPPO et à fournir une préparation irréprochable, correctement étiquetée et réalisée avec des produits tracés, le donneur d’ordre est responsable de la délivrance de la préparation.

Didier Bœuf, titulaire à Pelussin, trésorier de la SOTP.

« Nous suivons de près la question du remboursement des préparations magistrales. »

« J’effectue une veille réglementaire sur les parutions en matière de préparations magistrales : qu’il s’agisse des publications de l’Afssaps ou des décisions de la caisse primaire d’assurance maladie en terme de tarification et de remboursement. Nous espérons que cela va évoluer prochainement car, au niveau de la FSPF et de l’UNPF, nous sommes en train de négocier une nouvelle convention avec la sécurité sociale. La question du remboursement des préparations magistrales devrait être abordée. »

Alain Jayne, titulaire à Marseille.

« Notre volonté est d’améliorer et de faciliter le contrôle des matières premières. »

L’entrée des matières premières, c’est la base des préparations magistrales et l’on n’est jamais à l’abri d’une erreur d’étiquetage. Nous devons vérifier l’identité des substances livrées car nos fournisseurs n’ont pas le label pharmaceutique pour ces produits. Les analyses peuvent être réalisées avec un chromatographe, qui est peu coûteux mais nécessite l’achat de produits supplémentaires, ou avec un spectromètre infra-rouge, qui est très coûteux mais ne nécessite pas d’autre matériel.

Robert Fabre, titulaire à Marseille.

« Pour reproduire avec exactitude, nous élaborons des procédures écrites. »

Avec Fabien Bruno, nous avons recueilli des procédures écrites à partir des normes Iso 9002 pour la forme et en suivant les BPPO pour le fond. Nous avons listé les points qui doivent être décrits pour que les différentes tâches soient accomplies avec exactitude et d’une manière reproductible par toutes les personnes du préparatoire, ceci afin de réaliser des préparations magistrales de qualité constante. Chacun pourra s’inspirer de cette trame pour réécrire ses propres procédures.

Sylvie Courtin, titulaire à Paris, secrétaire de la SOTP.

« Nous faisons tout pour travailler en partenariat avec nos fournisseurs. »

Nous contactons nos fournisseurs de matières premières afin de les visiter sur leur site de fabrication et voir comment ils travaillent. Nous voulons réaliser des audits sur la qualité des produits qu’ils fournissent et leurs délais de livraison et pour travailler en partenariat avec eux en leur donnant des accréditations. Nous souhaitons être mieux informés sur les nouveaux produits qu’ils proposent et sur les différents types d’excipients à utiliser en fonction des principes actifs.

Marc Assor, titulaire à Paris.