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Ma pharmacie se regroupe avec une autre

Publié le 1 décembre 2018
Par Magali Clausener
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Votre titulaire vous a annoncé qu’il se regroupait avec une autre officine. Demain, vous travaillerez au sein d’une équipe plus grande, avec de nouveaux patrons et peut-être dans un autre lieu. Ce bouleversement est aussi une opportunité pour travailler mieux et autrement.

Ce matin, coup de massue. Le titulaire a réuni l’équipe pour vous dire qu’il se regroupait avec l’officine voisine de quelques centaines de mètres. Dans quelques mois, vous et vos collègues allez rejoindre l’équipe « d’en face » et travailler dans/pour une nouvelle pharmacie. Un véritable cataclysme après plusieurs années passées dans « votre » officine avec les autres préparateurs. L’émotion vous submerge et très vite l’inquiétude monte. Comment cela va-t-il se passer ? Quelques jours plus tard, vous pensez à tous les changements qui vont avoir lieu. Les questions s’enchaînent. « Va-t-on modifier mes horaires ? Pourrai-je prendre les congés de cet été que je viens tout juste de poser ? Mon salaire et mon contrat de travail seront-ils identiques ? Quelles vont être les conséquences pour moi ? » Vous n’avez, pour l’instant, aucune réponse ! « Ces questions sont normales et légitimes, mais il ne faut pas réagir à vif. Le préparateur doit prendre le temps de la réflexion afin de poser les bonnes questions au titulaire, qui doit y répondre », explique Laure-Emmanuelle Foreau, dirigeante et consultante au sein de la société Praxipharm. Effectivement, la balle est dans le camp du titulaire. Il est le seul à pouvoir vous présenter le projet et son déroulement.

Des projets différents

Un regroupement n’est pas décidé du jour au lendemain. Généralement, les titulaires des deux officines, voire plus, ont élaboré leur projet depuis des mois avant de l’annoncer à leurs équipes. D’ailleurs, ils le dévoileront aux préparateurs et pharmaciens adjoints deux ou trois mois avant sa concrétisation, une fois réglés tous les aspects administratifs et financiers. « L’équipe est toujours informée lorsque tout est ficelé. Ce qui est logique. La temporalité n’est pas la même pour les titulaires, qui travaillent sur le regroupement souvent depuis un an », remarque Laure-Emmanuelle Foreau. En outre, un regroupement peut recouvrir différentes situations. Le pharmacien A va racheter l’officine du pharmacien B, qui part à la retraite, et les deux équipes vont travailler dans l’officine A ou dans une nouvelle structure C, ce qui correspond à un transfert. Ou bien le pharmacien A et le pharmacien B s’associent et fusionnent leurs équipes, soit dans l’une des deux officines A ou B, soit dans une pharmacie spécialement construite. Il peut aussi arriver que les deux équipes travaillent dans la pharmacie A ou B, le temps que les travaux d’une nouvelle officine soient achevés.

Chaque regroupement est donc un projet particulier, mais dans tous les cas de figure, les titulaires concernés doivent expliquer les tenants et les aboutissants du projet. « La responsabilité du dirigeant est de jouer la transparence et la pédagogie. La transparence permet de lever les peurs qui sont des représentations, parce que nous sommes dans le flou. La pédagogie permet d’expliquer le pourquoi du regroupement. En fait, l’équipe doit avoir des réponses à trois questions : “À quoi ça sert ?”, “Comment cela fonctionne ?” et “Qu’est-ce que cela m’apporte ?” », observe Philippe Lebas, créateur de la société Evok, spécialisée dans le conseil en management des professionnels de la santé.

Le management idéal

Idéalement, la mise en œuvre du regroupement doit comporter plusieurs étapes managériales. La première est l’annonce du projet par chaque titulaire à son équipe. Cette phase peut permettre de répondre aux premières interrogations, en particulier sur les contrats de travail. Lors d’un rachat, les contrats de travail des salariés sont transférés au repreneur, et se poursuivent (voir encadré). La deuxième étape consiste à organiser une rencontre entre les deux équipes pour qu’elles fassent connaissance. L’idée est d’organiser cet événement hors du contexte professionnel de façon conviviale. Ce qui n’empêche pas d’aborder toutes les questions relatives au projet. « L’objectif est d’avoir la vision stratégique de l’entreprise afin de pouvoir ensuite savoir quelle va être sa place, son rôle, sa fonction au sein de ce projet », commente Laure-Emmanuelle Foreau.

La raison du regroupement peut être économique, comme l’atteinte d’une « taille critique » pour faire face à la baisse du chiffre d’affaires et/ou à la diminution de la population de la commune. Il peut s’agir également d’optimiser le réseau officinal ou de proposer à la clientèle de nouveaux services, notamment dans un espace de vente plus grand. La rencontre des équipes est aussi importante car, bien souvent, les collègues de demain ont été des « concurrents » durant de longues années.

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Le titulaire peut aussi organiser des entretiens individuels afin de mieux connaître les nouveaux membres de son équipe, leurs compétences, leurs désidérata en termes de tâches (par exemple, s’occuper des commandes), d’intérêt pour les rayons, d’horaires. Si les équipes doivent travailler dans un nouveau lieu, le titulaire a tout intérêt à leur montrer les plans et à demander aux préparateurs leur avis sur certains points. Une bonne façon d’impliquer tout le monde pour que chacun s’approprie le projet.

Enfin, les préparateurs doivent savoir quelles sont les responsabilités de chaque titulaire, notamment lorsque leur « ancien patron » devient un associé. « Il faut indiquer à l’équipe qui va être en charge du planning ou des commandes, remarque Laure-Emmanuelle Foreau. Il est humain de s’adresser au titulaire avec lequel vous avez travaillé durant de nombreuses années. Cette répartition des responsabilités entre les pharmaciens permet une meilleure intégration des anciennes équipes. »

Être proactif

Il est possible qu’après l’annonce du regroupement, le titulaire n’organise aucune réunion pour répondre aux questions ou n’organise aucune rencontre avec l’autre équipe. De quoi rester dans l’incertitude. « Le titulaire doit accompagner le changement et aider son équipe. La difficulté est d’être concentré sur le projet et pas assez sur l’humain. Le collaborateur peut aussi être aidant pour son titulaire, estime Laure-Emmanuelle Foreau. L’équipe a un rôle à jouer et ne doit pas rester passive. Le préparateur peut demander à voir son titulaire pour avoir des réponses. Il peut même l’inciter à organiser une réunion avec l’autre équipe. Le préparateur doit être proactif. »

Pour Philippe Lebas, le préparateur doit rapidement provoquer le dialogue si le titulaire ne le fait pas. « Nous n’avons pas hésité à poser des questions après l’annonce. J’étais en apprentissage et je voulais savoir comment cela allait se passer. Finalement, j’ai poursuivi mon apprentissage dans la nouvelle structure et j’ai même été embauchée. Il faut communiquer, ça aide beaucoup et cela permet d’anticiper », explique Aurore Faure-Geors, préparatrice à Toulon (83), qui a ellemême vécu un regroupement de deux officines en 2014.

Philippe Lebas conseille aussi d’être force de proposition dans le cadre de la nouvelle organisation. « Il ne peut y avoir que des oreilles attentives », juge le consultant. Il conseille même de susciter des mini-réunions ou des entretiens individuels avant le regroupement et un mois après si cela n’est pas prévu. Une manière de faire le point sur ce qui va ou pas, et de résoudre d’éventuels dysfonctionnements avant que des conflits ou une mauvaise ambiance s’installent.

Open mind toute

Avoir l’esprit ouvert est aussi important. Un regroupement représente une opportunité pour les préparateurs pour sortir de la routine, travailler différemment, avoir de nouvelles responsabilités.

« Dans mon ancienne pharmacie, les titulaires géraient les commandes, relate Aurore Faure-Geors. Après le regroupement, nous sommes allés travailler dans l’officine qui nous a rachetés. Les titulaires ont davantage délégué les tâches et les ont réparties entre les préparateurs. Le travail est plus varié. Nous avons également suivi plusieurs formations pour que tout le monde puisse conseiller les gammes que nous ne vendions pas auparavant. » Dans certains cas, la constitution de binômes comprenant un préparateur de chaque « ancienne » équipe constitue une solution non seulement pour mieux organiser le planning et les congés de chacun, mais aussi pour réussir l’intégration. L’équipe qui accueille les nouveaux peut également anticiper leur arrivée, notamment pour les mettre au courant des procédures et les former si besoin au logiciel. Selon Laure-Emmanuelle Foreau, « il faut faire du changement une chance ». Et s’adapter même si cela est difficile dans les premiers temps. Il ne faut pas non plus penser que la nouvelle organisation va se mettre en place en quelques semaines. C’est surtout vrai lorsque les deux équipes réunies emménagent dans une nouvelle officine où tout le monde doit prendre ses marques. « Avec le recul, je pense que le regroupement s’est bien passé, mais le mélange des deux équipes a quand même pris un an », commente Aurore Faure-Geors. « Les équipes sont tout aussi responsables de la bonne réussite du projet, titulaire, adjoints et préparateurs faisant tous partie de la même équipe », conclut Laure-Emmanuelle Foreau.

Les règles du regroupement d’officines

L’ordonnance n° 2018-3 du 3 janvier 2018 réforme les conditions d’implantation des pharmacies d’officine sur le territoire métropolitain et ultramarin.

L’ouverture d’une pharmacie peut résulter d’une création, d’un transfert d’une officine existante ou d’un regroupement de deux ou plusieurs officines. L’objectif est d’assurer une desserte en médicaments optimale au regard des besoins de la population résidente et du lieu d’implantation (Code de santé publique, art. L. 5125-3). Dans ce cadre, les transferts ou les regroupements ne doivent pas compromettre l’approvisionnement nécessaire en médicaments de la population résidente du quartier, de la commune ou des communes d’origine. La création d’une nouvelle officine, le transfert d’une pharmacie d’un lieu dans un autre et le regroupement d’officines sont subordonnés à l’octroi d’une licence délivrée par le Directeur général de l’Agence régionale de santé, après avis du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens, du représentant de l’État dans le département et des syndicats pharmaceutiques.

Témoignages

“Les préparateurs ne doivent pas subir le changement mais s’investir”

Olivier Rozaire, titulaire à Saint-Bonnetle- Château (Loire). Il a racheté la deuxième pharmacie de sa commune.

En 2011, Olivier Rozaire, titulaire à St-Bonnet-le-Château (Loire), a racheté la deuxième officine de sa commune car le pharmacien partait à la retraite, pour transférer ensuite les deux équipes dans une nouvelle pharmacie plus grande. L’objectif était de pérenniser la pharmacie et de développer de nouvelles missions. Son équipe comprenait 2 titulaires et 4 préparatrices. L’équipe de la deuxième pharmacie, 2 assistantes et 5 préparatrices. « Les deux équipes étaient inquiètes, notamment celle “rachetée”. La clé, c’est l’information », relève Olivier Rozaire. Il a adressé un courrier individuel à chaque préparateur de l’autre équipe afin de les informer du changement de lieu de travail et du fait qu’il gardait les contrats de travail sans changement de salaire ni d’horaires. Il a mené des entretiens individuels afin d’organiser le travail en fonction des aptitudes de chacun, et des formations.

« Un regroupement suscite beaucoup de changements et il faut rassurer les équipes. C’est aussi une opportunité pour tout le monde d’améliorer les conditions de travail. Nous avons un bel outil de travail de 250 m2. J’ai aménagé un espace qui accueille les formations et dans lequel les salariés peuvent déjeuner s’ils le souhaitent. J’ai mis des postes informatiques à plusieurs endroits de l’officine. L’espace de commandes en dispose de deux. L’idée est d’avoir de l’espace pour travailler. Je n’ai pas non plus essayé de dupliquer ce que faisait l’ancienne équipe », relate Olivier Rozaire. Les préparateurs ne doivent pas hésiter à faire remonter les problèmes et à discuter avec le titulaire. Ils ne doivent pas subir les changements mais s’investir. Je pense qu’avoir un nouvel outil de travail est motivant. »

“Nous avons pris en compte l’expérience de chacun”

Laki Seraly, titulaire à Saint-Julien-l’Ars (Vienne). Elle a racheté la deuxième pharmacie de sa commune et effectué un transfert.

Laki Seraly est titulaire à Saint-Julien-l’Ars (Vienne). En 2015, elle a racheté la deuxième pharmacie de sa commune et effectué un transfert dans une nouvelle structure de 500 m2 comprenant une salle de réunion et une de formation. Son équipe comprenait 3 préparatrices, l’autre 2 préparatrices et 4 adjoints dont un à mi-temps. « Notre équipe n’était pas trop inquiète mais cela faisait 20 ans que nous étions concurrents ! Les membres de l’autre équipe se demandaient à quelle sauce ils allaient être mangés. Nous n’avons procédé à aucun licenciement et nous avons travaillé directement dans la nouvelle officine où nous étions finalement tous nouveaux, relate la titulaire. Nous avons organisé beaucoup de réunions pour discuter des façons de travailler de chacun. L’idée était d’optimiser et de trouver la meilleure façon de travailler. Nous avons pris en compte l’expérience de chacun et mis en place un responsable pour chaque rayon et deux personnes par rayon, une de chaque équipe. Nous avons modifié les horaires, mais nous avons demandé à chacun son avis afin de ne léser personne. » Laki Seraly préconise de « dialoguer et d’échanger un maximum, et de gérer les problèmes les uns après les autres ».

Contrats de travail, ce que peut faire ou pas le titulaire

« Le Code du travail précise que lors d’un changement d’employeur, le transfert du contrat de travail est automatique et n’est soumis à aucun formalisme », explique Fabienne Rizos-Vignal, fondatrice de PressePharmaPlus, spécialisée dans le droit du travail et auteure de l’ouvrage Le Droit du travail au quotidien (Éd. Le Moniteur des pharmacies) et de la rubrique Vos droits de Porphyre. Le nouvel employeur peut modifier certains éléments essentiels du contrat comme le salaire ou la durée du travail, uniquement si le salarié est d’accord. En pratique, ce seront donc des modifications plus avantageuses et qui devront être formalisées dans un avenant. Le changement du lieu de travail fait partie des éléments nouveaux. S’agissant des conditions de travail, « le titulaire dispose d’une totale marge de manœuvre pour les modifier car elles relèvent de son pouvoir de direction et d’organisation », observe Fabienne Rizos-Vignal. Les horaires, sauf s’ils sont spécifiés dans le contrat de travail, font partie des conditions de travail que le pharmacien peut changer sans l’accord du salarié. Au final, si les modifications sont nombreuses, « le titulaire peut choisir de nover le contrat de travail plutôt que d’empiler les avenants. Concrètement, il résilie l’ancien contrat au profit d’un nouveau. Attention ! L’ancienneté du salarié dans ce nouveau contrat est totalement reprise », souligne l’experte. La question des congés payés peut aussi se poser si le préparateur les a posés avant le regroupement. « L’employeur a toute latitude de les modifier jusqu’à un mois avant la date de départ initialement prévue. Par exemple, si le salarié a prévu de partir le 1er juillet, l’employeur peut bousculer le planning jusqu’au 1er juin. Ensuite, la modification des dates n’est plus possible, sauf si elle est motivée par une raison impérative de service », détaille Fabienne Rizos-Vignal. Dans tous les cas, le salarié n’a droit à aucun dédommagement financier. Les collaborateurs peuvent aussi s’interroger sur l’éventualité de licenciements. Effectivement, le titulaire peut licencier des salariés après le regroupement à condition de s’appuyer sur une cause réelle et sérieuse qui peut être personnelle ou économique. Généralement, au sein de l’équipe officinale, les préparateurs sont à l’abri des mesures de licenciement économique.

Témoignage

“Ces deux équipes qui mouillent le maillot doivent savoir pourquoi”

Fabrice Camaioni, co-titulaire à Revin (Ardennes), s’est regroupé avec une officine et s’est associé avec la titulaire.

Fabrice Camaioni, titulaire à Revin dans les Ardennes, s’est regroupé en 2014 avec une autre officine et s’est associé avec la titulaire. Pour l’annonce du regroupement, il s’est arrangé avec ses deux autres co-titulaires et sa consœur pour que la réunion de chaque équipe, respectivement 4 et 3 personnes, se déroule le même jour. « Je ne voulais pas que les équipes l’apprennent par une tierce personne, souligne-t-il. Chez ma consœur, il y a eu des pleurs. Chez moi, ils étaient plutôt circonspects. » Il a aussi organisé un dîner pour que les deux équipes se rencontrent et pour leur expliquer le projet : « Ces deux équipes qui n’en forment plus qu’une et doivent mouiller le maillot pour une seule officine doivent savoir pourquoi. » Sa principale difficulté a été d’accueillir la deuxième équipe dans son officine en attendant que les travaux de la nouvelle structure soient achevés. « La pharmacie était petite pour 10 personnes, mais nous nous en sommes bien sortis », remarque le titulaire. Il a profité aussi de cette période pour montrer les plans de la nouvelle officine et demander à chacun ce qu’il en pensait. Il a ainsi tenu compte des remarques des préparateurs. Par la suite, il a emmené l’équipe visiter le chantier. Avec les autres titulaires, il a organisé des entretiens individuels. Autre point important, il a harmonisé les salaires de tous en les revalorisant. Il a également constitué des binômes pour chaque rayon et tenu compte des appétences de chacun pour organiser l’équipe. « Ce n’est pas simple, mais je salue le professionnalisme de chaque équipe qui s’est investie. Par exemple, personne n’a pris de congés durant les deux mois qui ont suivi le regroupement. Tout le monde a été sur le pont », conclut Fabrice Camaioni.