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Les pionniers du bac pro

Publié le 1 décembre 2002
Par Christine Julien
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Sur quatre-vingts CFA en France, quinze avaient prévu d’ouvrir une section bac pro commerce option officine à la rentrée 2002. Seuls dix ont trouvé des candidats. Simple rodage ou véritable débâcle ? Enquête.

Les centres de formation de Bétheny, Épinal, Mulhouse, Strasbourg, Mont-Saint-Aignan, Poissy, Juvisy-sur-Orge, Paris, Talant et Toulouse se sentent bien seuls. Ces écoles ont accueilli, en septembre dernier, les 171 apprentis du bac pro commerce avec son module d’approfondissement sectoriel « officine ». D’autres ont renoncé, malgré une ouverture prévue : Carcassonne, Le Mans, Nancy, suivis de Besançon et de Lorient.

Faute d’autorisations, cinq CFA ont abdiqué.

« Le rectorat nous a refusé les dérogations pour prendre, en bac pro commerce, des BEP autres que ceux qui sont autorisés à s’inscrire, c’est-à-dire les BEP vente », commente Jacky Ansamant, du CFA d’Angers, pour expliquer l’annulation de l’ouverture de la section. Il faut rappeler que pour ouvrir une nouvelle section de formation, l’école doit présenter un dossier au rectorat qui juge de la pertinence de l’enseignement au regard des besoins de l’environnement local (notamment s’il existe des entreprises susceptibles d’accueillir des jeunes lors de leur formation et s’il y a des possibilités de débouchés dans la spécialité retenue). Le centre de formation doit également déposer un dossier au conseil régional pour avoir l’autorisation de proposer cet enseignement par la voie de l’apprentissage, et pour obtenir le financement. Cependant, même des CFA qui ont obtenu l’ouverture de la section ont abdiqué. Au mois de juillet dernier, Chantal Denat, responsable de l’information de la formation en alternance du CFA de Carcassonne, déclarait : « On a l’intention de le mettre en place. Nous avons présenté et détaillé le contenu de la formation aux pharmaciens de la région et certains sont intéressés. » Mais, dès le début du mois d’octobre, le coordinateur du CFA de Carcassonne, Jean-Pierre Graiff, dépité, annonce que l’ouverture n’a pas eu lieu, arguant que « les pharmaciens ne sont plus intéressés par cette nouvelle formation ». C’est le cas à Nancy également, où les pharmaciens interrogés par l’école prétextent que leur officine est trop petite pour accueillir les apprentis du bac pro commerce module « officine ». Béatrice Gauthier, du CFA de Lorient, a renoncé à l’ouverture de la section au vu d’un sondage réalisé par l’école, à la conclusion sans équivoque : « Cette formation ne présente aucun apport pour les pharmaciens qui considèrent que ces apprentis sont juste aptes à ranger des boîtes… »

Le bac pro, nouvelle filière pour l’économie des CFA.

Les autres CFA ont ouvert la section, malgré parfois un nombre on ne peut plus restreint d’inscrits. On recense à peine un élève pour Mulhouse et Épinal, trois élèves pour Strasbourg et cinq pour Mont-Saint-Aignan. « Le lancement d’une nouvelle formation ne se fait pas du jour au lendemain. Mais si les CFA ne développent pas le bac pro, ce sont les lycées professionnels qui le feront », estime Anne-Valérie Pizzighella, directrice du centre Pasteur de Bétheny. Et son collègue Jean-Pierre Gril, directeur de Poissy-Juvisy, d’insister sur la compétence spécifique des CFA : « J’ai voulu répondre aux besoins du marché de la formation en pharmacie grâce à notre savoir-faire… » Et de reconnaître une autre motivation : la santé économique de son CFA. « En tant que chef d’entreprise, je dois assurer la pérennité des emplois des enseignants mis à mal avec la suppression du CAP et de la mention complémentaire. J’ai perdu près de 650 jeunes en trois ans. » Il est vrai que la suppression du CAP « employé de pharmacie » et de la mention menace la survie des CFA purement « pharmacie ». Mais ce n’est pas la seule raison qui pousse les CFA à ouvrir une section bac pro officine. Pour Marie-Pierre Demay, responsable pédagogique du centre Pasteur de Bétheny, ce diplôme concerne l’officine et donc les pharmaciens. « Les pharmaciens ont de tout temps formé les jeunes. À l’arrêt du CAP, ils ont dit qu’il fallait faire autre chose », se souvient-elle.

Voie professionnelle, facteur de promotion sociale.

« Le plus regrettable avec la suppression du CAP était la disparition de l’accès au brevet de préparateur par l’apprentissage, fait remarquer Anne-Valérie Pizzighella. En créant un bac pro, on redonne la possibilité à des jeunes non titulaires d’un bac général d’accéder au métier de préparateur. C’est un facteur de promotion sociale. » Bétheny, mais aussi Poissy, Juvisy-sur-Orge et Toulouse sont les CFA d’avant-garde qui ont tenté l’aventure dès la création du module d’approfondissement sectoriel en août 2001. Ils en sont à leur deuxième promotion de bac pro. Le démarrage a été difficile car les CFA n’avaient pas les structures et les enseignants pour le mettre en place. Les CFA multiprofessionnels qui disposaient déjà de la formation bac pro commerce au sein de leur établissement ont seulement rajouté les cours du module officine. C’est le cas de Mulhouse dont la directrice du CFA, Christine Gasperment, explique : « On a déjà le bac pro commerce référencé au sein de notre établissement. Une partie du travail est fait et l’on a simplement demandé l’autorisation pour le module sectoriel d’approfondissement “pharmacie d’officine”. »

Des formations hétérogènes d’un CFA à l’autre.

Les centres de Bétheny, Poissy, Paris ont, quant à eux, organisé la totalité des cours en recrutant les professeurs nécessaires à l’enseignement de matières aussi disparates que l’histoire-géographie, l’économie ou les arts plastiques. Les CFA de Talant et de Toulouse ont préféré la voie du partenariat avec d’autres centres de formation spécialisés dans le bac pro commerce. Pour Toulouse, le CFA pharmacie gère les cours du module officine tandis que son homologue du CFA « services et commerce » de Blagnac se consacre aux matières du référentiel bac pro commerce. Plus que l’organisation de cet enseignement, c’est le référentiel commercial qui a suscité le plus de questions. Ainsi Catherine Floquet, responsable pédagogique de Poissy, se souvient de son étonnement : « Il y a un problème entre ce référentiel et l’environnement de l’officine qui vend des produits réglementés. Les élèves du bac pro doivent prendre en charge un rayon, certes, mais ne peuvent faire ni publipostage, ni courrier. Les élèves ont du mal à se situer par rapport au référentiel de l’examen. » Qui dit nouveau diplôme, dit nouveau référentiel. Pour comprendre le bac pro commerce option officine, il faut se pencher sur le contenu de l’enseignement. Les enseignements du module optionnel « pharmacie d’officine » concernent trois secteurs : le droit (statut de l’officine, des professionnels, définition du médicament et des produits hors monopole), l’administration et la gestion de l’officine (fonctionnement de la Sécurité sociale, tiers payant, la réception et rangement des commandes…), les produits (diététique, dermocosmétique…). Mais il faut bien le dire, ce module n’occupe qu’une place secondaire dans la formation du bac pro. Et Jean-Pierre Gril de commenter : « L’approfondissement sectoriel n’est qu’une petite verrue de 120 heures sur un total de 1 350 heures de formation. »

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Une formation pour des responsables d’unités de vente.

En effet, le bac pro commerce forme en deux ans des techniciens de la vente qui doivent choisir un module d’approfondissement sectoriel parmi les seize proposés, dont « pharmacie d’officine ». Le module d’approfondissement sectoriel détermine le domaine d’activité du futur bachelier et sert de cadre à la formation professionnelle. Construire des argumentaires de vente, développer la communication orale, monter un projet au sein de l’officine et remplir des fiches d’activité sont les tâches de ces apprentis. Élève en deuxième année de bac pro à Bétheny, Aurélie Favereaux est apprentie à la pharmacie Ferté à Soissons. Elle a soumis un projet à son titulaire : « Je voudrais installer un site Internet de la pharmacie, une borne qui permettrait aux patients de se renseigner sur des pathologies et leur suivi. » Elle a commencé à remplir ses fiches d’activité. « Ce sont des fiches techniques qui décrivent dans leur déroulement des activités comme la réception des commandes, la gestion des périmés, le marchandisage, les vitrines. Lors de l’examen, le jury m’interrogera sur une fiche et sur mon expérience vécue, par exemple, l’organisation d’une journée d’information sur le diabète. Informer l’équipe, fournir les moyens techniques, éditer une lettre d’information, bref organiser la journée est de mon ressort », explique Aurélie. De son côté, Jean-Philippe Rousseau, responsable du bac pro commerce au sein du CFA de Blagnac, explique avec enthousiasme : « On va former les jeunes à la gestion et adapter le vocabulaire du bac pro à l’officine. Il suffit d’adapter à la pharmacie le vocabulaire réservé à la grande distribution. » Pour autant, la pharmacie n’est pas une unité de vente comme les autres et Jean-Pierre Gril, le directeur de Poissy, de souligner que « le jeune en formation bac pro n’a pas le droit de vendre de médicaments. Or, dans une officine qui réalise 80 à 90 % de son chiffre d’affaires en vendant des produits réglementés, que va bien pouvoir faire un jeune pendant deux ans ? ». C’est une question que n’ont pas manqué de se poser les pharmaciens qui ont accueilli dans leur officine les apprentis du bac pro option officine.

Controverse : le bac pro remplace-t-il le CAP ?

Beaucoup de CFA ont présenté aux pharmaciens ce bac pro commerce comme le remplaçant du CAP et de la mention. Toujours à court d’apprentis et de « petites mains », certains officinaux ont fait un essai en simple aveugle, sans prendre forcément en compte que le bac pro commerce est un diplôme à part entière, censé déboucher sur un emploi de responsable de ventes de produits hors monopole. Adieu CAP et mention, bonjour le bac pro. « Quand Alexandra Biet s’est présentée l’année dernière, je l’ai engagée car le contact a été très bon. J’ai appris qu’elle suivait le bac pro commerce et c’est avec elle que j’ai découvert ce diplôme », se souvient Josette Grimez, pharmacienne titulaire à Saint-Quentin. Alexandra est en deuxième année de bac pro à Bétheny (Marne). Son charisme et son attrait pour l’officine ont été déterminants, beaucoup plus que sa formation de technicienne de la vente. Josette Grimez souligne : « Je trouve ridicule qu’elle fasse de la gestion où les seuls exemples qu’on lui donne se nomment Auchan et Carrefour ! Le sens commercial et la gestion de l’officine, c’est ici qu’elle les a appris. Je pensais qu’on allait lui apprendre à vendre, en fait on leur apprend à gérer. » Elle ajoute, un regret dans la voix : « Le bac pro n’a rien à voir avec le CAP qui apportait des connaissances pharmaceutiques ; le bac pro est un leurre qui ne prépare pas au BP de pharmacie. » D’ailleurs Alexandra est inquiète. Alors que son projet est de devenir préparatrice, elle se rend bien compte que c’est l’examen du baccalauréat qu’elle doit réussir. « Quand on veut devenir préparateur, je ne pense pas que le bac pro soit vraiment adapté. Il n’y a pas assez de matières médicales et j’ai peur de ne pas suivre lorsque je m’inscrirai en BP de pharmacie après le bac », confie-t-elle.

Même avis à la pharmacie Ferté à Soissons. « Je ne vois pas beaucoup d’intérêt pour l’officine. S’il s’agit de faire des télétransmissions ou du secrétariat, il y a suffisamment de diplômes de secrétariat pour le faire », critique Jérôme Ferté, pharmacien titulaire. Il reprend : « Pour moi, Aurélie est une apprentie comme les autres. D’ailleurs, puisque son projet est de devenir préparatrice, on commence à lui faire délivrer des ordonnances sous surveillance, j’en ai parlé à l’ordre des pharmaciens dont je suis conseiller. » La phrase fait mouche.

Attention aux dérives vers la vente de médicaments !

Le bac pro commerce fournit des vendeurs susceptibles d’intéresser les grandes officines qui disposent d’une grande surface consacrée à la vente de produits hors monopole. Intarissable sur le sujet, Jean-Philippe Rousseau insiste : « Le pharmacien n’a pas le droit de faire de la publicité, certes, mais il y a une débauche de PLV. Les bac pro commerce devrait apporter leurs compétences en marketing. » On peut comprendre que certaines officines puissent offrir un poste à de tels bacheliers. Cependant, la majorité de ces étudiants ont été plus attirés par l’officine que par le commerce et le bac pro a été la seule voie pour accéder au BP de préparateur : soit ils ont échoué un bac de l’enseignement général, soit ils ont un niveau de première, soit ils ont un BEP vente, voire un BEP carrières sanitaires et sociales jugé trop faible pour accéder au BP directement. Les élèves de Bétheny en deuxième année de bac pro sont toutes là pour la même raison : devenir préparatrice et, comme Alexandra, elles ont peur de ce bac pro qui ne les prépare pas au BP. Si le bac pro est censé représenter une nouvelle filière pour accéder au BP de pharmacie, il ne semble pas adapté au milieu officinal. « J’aimerais qu’il y ait plus de matières comme la biologie et la chimie », regrette Alexandra. Mais la question fondamentale est de savoir si le bac pro doit remplacer ou non le CAP et la mention. Et reviennent alors en mémoire les dérives du CAP conduisant à sa perte : faire délivrer des ordonnances par du personnel non qualifié détenteur du CAP d’employé en pharmacie. Comment s’empêcher de penser que les apprentis du bac pro commerce option officine sont en train de remplacer les CAP, dotés d’une culture commerciale certes, mais privés de l’environnement pharmaceutique du défunt CAP ! Diplômes pas toujours adaptés à la réalité de l’officine.

Vers l’émergence d’un nouveau métier à l’officine.

Malgré les critiques et les controverses, les CFA défenseurs du bac pro croient en l’émergence d’un nouveau métier… « Le bac pro correspond à un besoin des officines de taille moyenne : vente de parapharmacie, gestion du tiers payant…, estime Olivier Kirsch, directeur du CFA de Talant. D’ailleurs, j’ai des pharmaciens qui ont accueilli dans leur officine à la fois un apprenti du bac pro et un apprenti en BP. Même si certains jeunes souhaitent, après quelques années d’activité, se lancer dans un brevet professionnel, ce ne sera pas automatique pour tous… » Affaire à suivre. En tout cas, d’après notre enquête, les CFA devraient être encore plus nombreux à développer cette filière l’année prochaine…

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« Je fais confiance à la nouvelle formation »

« Pour moi, la partie commerce est très utile car je suis préoccupé par le marchandisage. La formation de mon apprentie lui permet de mettre directement en pratique l’enseignement qu’elle reçoit. Grâce à l’apprentissage du bac pro, elle apprend la rigueur inhérente à la profession, y compris dans les secteurs non réglementés de l’officine. Le métier change, l’information devient prépondérante, ces apprentis nouveaux apportent leur maturité et la cohésion de leur réflexion au sein de l’officine. Je ne suis pas passéiste, ce bac pro paraît convenir à l’évolution de la profession. Ce diplôme s’inscrit dans la finalité du BP de préparateur. Il me semble qu’il vaudra mieux entrer en BP avec un bac pro, plutôt qu’avec un bac général, car les apprentis du bac pro auront déjà deux années de pratique, et une idée plus précise de la réalité officinale. »

Alain Olivier Pharmacien titulaire, Montauban (Tarn-et-Garonne).

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« Le bac pro n’est pas adapté à l’officine »

« L’enseignement général du bac pro commerce comporte des notions d’économie et de gestion qui ne sont pas utilisables à l’officine : lire un bilan, notion d’EBE (excédent brut d’exploitation). Ce sont des notions qui sont nécessaires si on ouvre son commerce, mais inapplicables à l’officine. La pharmacie est un commerce et il faudrait une meilleure formation à l’accueil de la clientèle et aux techniques de vente, notamment la vente de dermocosmétique. Il y a eu quelques cours, certes, mais ce bac pro est avant tout un bac avec beaucoup de matières de l’enseignement général (histoire-géographie, anglais…). Je pense que le CAP était mieux adapté car l’enseignement concernait directement l’officine. On avait la chance d’avoir une filière d’apprentissage adaptée, le CAP, pour des jeunes qui abandonnaient le système de l’enseignement général et qui faisaient ensuite le BP. C’est bizarre d’avoir supprimé cette filière. »

Josette Gromez Pharmacienne titulaire, Saint-Quentin (Aisne).

Zoom

Ainsi fut créée l’option « pharmacie d’officine »…

Au salon Galénika 2002 – Les journées de l’équipe officinales , Jean-Marie Fonteneau a participé au débat sur le baccalauréat professionnel commerce option officine.

« Les diplômes professionnels sont validés au niveau de l’Éducation nationale par la 20e commission professionnelle consultative chargée du « secteur sanitaire et social ». Unanimement, les partenaires sociaux, pharmaciens et préparateurs, ont souhaité la mise en place d’un bac professionnel officine. Le ministère de l’Éducation nationale a refusé cette demande et a proposé que l’on utilise un diplôme déjà existant, le bac professionnel commerce, en y ajoutant un nouveau module d’approfondissement sectoriel, le module « pharmacie d’officine ». Certaines organisations syndicales de salariés, et patronales, ont accueilli favorablement cette proposition dans la mesure où ce diplôme devait fournir un personnel dévolu aux tâches rencontrées dans l’officine, sauf la vente de médicaments. Mais il est très vite apparu que l’essentiel de ce diplôme ne concernait ni la gestion des stocks, ni le travail administratif, mais bien la vente. Affirmant leur désaccord, les organisations syndicales ont expliqué qu’elles n’étaient pas favorables à ce type de diplôme pour des exigences de santé publique. Nous avons alors craint les mêmes dérives que celles qui avaient entraîné la suppression du CAP et de la mention, en retrouvant derrière le comptoir des gens non diplômés qui délivraient des médicaments. De leur côté, les organisations patronales ont fait pression sur le ministère de l’Éducation nationale, arguant que ce nouveau module, ajouté au bac pro commerce, permettrait la création de plus de 3 000 postes pour l’officine. »

Jean-Marie Fonteneau est responsable syndical à la CGT et enseignant au CFA de Paris.